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André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.


Chapitre 33 — Annexe
Diverses annexes concernant Félix Moumié,
leader de l'Union des Populations du Cameroun,
et ses relations avec la Guinée

Leader de l'opposition armée mais plus encore idéologique, Félix Moumié est empoisonné le 16 octobre 1960 à Genève, au cours d'un dîner. Après un voyage en Chine puis un séjour à Léopoldville (Sékou Touré l'avait délégué à Léopoldville comme chef de l'antenne guinéenne auprès de Lumumba), le docteur Félix Roland Moumié, président de l'Union des populations du Cameroun (UPC) — qui malgré sa dissolution en 1955 continue à lutter dans le maquis, s'est rendu le 15 octobre à Genève ; la veille, il a été expulsé de Léopoldville sur l'ordre du président Kasa-Vubu. Il demande à ses amis en France de venir le voir. Avec eux, il rédige un manifeste pour attirer l'attention de l'opinion publique en France sur la gravité de la situation au Cameroun. Il a également préparé une déclaration de soutien aux étudiants camerounais, dont cent cinquante ont été privés de bourse par le gouvernement Ahidjo. Ces questions réglées, il demande le 16 octobre à ses amis de rentrer en France et confirme son vol pour Conakry le soir même. Peu avant son départ, il est pris d'un violent malaise.
Transporté à la clinique privée de Genève, son état s'aggrave. Il est transféré le lendemain à l'hôpital cantonal, paralysé. Après une longue agonie, il meurt le 3 novembre. Les seuls mots qu'il a pu dire avant de mourir : “C'est la Main rouge qui m'a empoisonné.” Les médecins ont confirmé sa mort par l'absorption d'une dose massive de thallium. Des rumeurs ont aussitôt circulé au sujet d'une jeune femme que Félix Moumié aurait rencontrée. Grâce aux témoignages de ses amis camerounais, l'on sait maintenant que, le jour de son empoisonnement, il a déjeuné avec un officier des services de renseignement français, W. Bechtel, qui s'était présenté à lui comme un journaliste … Depuis, Bechtel a disparu. L'affaire Moumié éclaire d'un jour cru les activités terroristes des services français, notamment la Main rouge, contre les leaders nationalistes africains, telle Tunisien Farhat Hached.
(Article paru dans Afrique Action du 5 décembre 1960)

L'UPC fut interdit au Cameroun par les autorités françaises en 1955. Alors qu'Um Nyobé avait choisi de poursuivre la lutte armée au Cameroun même, où il fut tué par les forces de l'ordre en septembre 1958, l'autre leader de l'UPC, le Dr. Félix Moumié, chef de l'aile marxiste, s'installa au Caire. Après l'indépendance de la Guinée, il transfère le siège de son mouvement à Conakry et affirme en juin 1959 que la Révolution continuera. Le 18 août 1959, il y annonce dans un communiqué que l'UPC poursuivra la lutte armée. Nommé par Sékou Touré à la tête d'une mission guinéenne auprès de Lumumba peu avant l'indépendance du Congo-Léo, il y restera quelques mois, mais il devra quitter Léopoldville en octobre 1960 sur les ordres du président Kasavubu ; il prend l'avion pour Genève, et comptait regagner Conakry. Mais selon certaines autres sources, il voulait également se rendre à New York pour y présenter à l'ONU un gouvernement camerounais en exil, le Cameroun d'Ahidjo ayant été admis comme membre de l'ONU le 20 septembre 1960. Quoi qu'il en soit, arrivé à Genève, il y mourra le 3 novembre 1960, empoisonné par du thallium mélangé à du vin lors d'un dîner organisé le 16 octobre au restaurant "Le Plat d'Étain". Cet attentat fut sans doute perpétré par la mystérieuse "Main rouge", organisation formée de Français engagés dans des opérations secrètes contre les membres du FLN algérien et leurs sympathisants français ou étrangers, en fait directement actionnée par les services secrets français. Avant de mourir, Moumié confiera à une amie suisse, Liliane Friedly, un attaché-case plein de documents destinés à Sékou Touré, qu'elle apportera à l'ambassade de Guinée à Paris. Félix Moumié est enterré à Conakry, les autorités camerounaises refusant encore aujourd'hui que sa dépouille soit rapatriée. Voir le documentaire L'assassinat de Félix Moumié, réalisé par Frank Garbely en 2005 avec notamment Marthe Moumié, la veuve de Félix Moumié, qui se rend à Conakry pour rappeler la promesse faite à son mari de l'enterrer au Cameroun, et qui découvre qu'à Conakry, la tombe a été profanée et le cercueil volé. En novembre 2007, le corps sera “symboliquement” rapatrié au Cameroun, par les soins du professeur Kapet de Bana, qui fit partie de la première délégation camerounaise à l'ONU en avril 1961 avant de s'installer comme enseignant puis doyen en Guinée, où il professa à l'Institut Polytechnique Gamal Abd El Nasser de 1968 à 1971, notamment un cours sur l'économie du développement et l'économie africaine.

[Note. Au sujet de Kapet de Bana, lire la correction précédente. — T.S. Bah]

Il fut en 1970 1971 arrêté et détenu au camp Boiro pendant plusieurs années, puis deviendra après sa libération fondateur et président de la Ligue camerounaise des droits de l'homme, animateur de l'Encyclopédie africaine et du Conseil Mondial de la Diaspora Panafricaine.
Au moment de l'indépendance, en 1968, de la Guinée espagnole (qui deviendra Guinée équatoriale), face à Macias Nguema, qui se présente comme candidat indépendant de rassemblement et qui sera élu président (il le restera jusqu'en juillet 1979, lorsqu'il sera renversé par des militaires conduits par Teodoro Obiang Mbasogo ), le MONALIGE présentait son ancien secrétaire général, Atanasio Ndong Miyono, qui avait longtemps vécu comme exilé en Afrique et en Amérique. Lorsqu'il séjourna en Algérie, il épousa Marthe, la veuve de Félix Moumié, leader de l'UPC (Union des Populations du Cameroun).
Agée de 78 ans, Marthe Moumié est décédée au début de 2009. Certaines de ces indications ont été données à l'auteur par Maître Jacques Vergès (conversation à Paris en septembre 1993). Voir aussi : Jeune Afrique du 23 décembre 1993/5 janvier 1994 et du 8 juin 2008) ; ainsi que les ouvrages de Jean-François Held, L'Affaire Moumié ; d'Elio Comarin, Dossiers secrets de l'Afrique contemporaine (tome 3) ; de Constantin Melnik, La mort était leur mission, Paris, Plon, 1996 ; et du général Aussaresse, Je n'ai pas tout dit : ultimes révélations au service de la France, entretiens avec Jean-Charles Deniau, Paris, éditions du Rocher, 2008.


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