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André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.


Chapitre 28 — Annexe 1
Note en date du 28 octobre 1958 (malheureusement anonyme, mais émanant manifestement d'un fonctionnaire de la direction Afrique du Quai d'Orsay

Note élaborée à la suite d'une correspondance de Sékou Touré envoyée le 15 octobre.
(Archives du Ministère des affaires étrangères, dossier GU-6-3)

Réflexions sur la politique française en Guinée

Si nous maintenons la politique rigoureuse appliquée à la Guinée depuis le référendum, nous risquons d'être accusés d'avoir voulu paralyser l'indépendance guinéenne, après l'avoir officiellement admise. Nous risquons aussi d'apparaître comme des adversaires résolus de l'indépendance africaine, alors que toutes les anciennes colonies d'Afrique vont probablement devenir indépendantes au cours des prochaines années. Notre politique guinéenne peut donc porter un préjudice grave à l'influence française dans les pays d'Outre-mer.
Ces dangers se trouveraient écartés ou réduits si notre rigueur envers la Guinée pouvait provoquer l'éviction de Sékou Touré ou l'obliger à se soumettre à toutes les conditions que poserait la France pour une reconnaissance de son gouvernement. Mais ces hypothèses semblent très optimistes. La population guinéenne est encore trop pauvre, dans son ensemble, pour souffrir beaucoup d'une régression de l'activité économique. Elle est aussi trop primitive pour découvrir l'origine de ses maux. Ce n'est sans doute pas contre Sékou Touré qu'elle se dressera, si elle commence à souffrir. Ce sera contre les blancs. Ceux-ci pourraient se trouver assez vite en péril, par suite d'une insuffisance de ravitaillement ou de tout autre incident, né du désordre des services et des institutions.
Quant à Sékou Touré, il n'est pas même exclu que notre rigueur ne facilite sa carrière. En lui donnant le rôle exclusif de héros de l'indépendance en Afrique fiançaise, nous nous exposons à le porter nous-mêmes au premier rang des hommes politiques africains.
La tâche de notre adversaire (sic) serait d'ailleurs bien simplifiée s'il obtenait une aide étrangère. Or, cette aide peut être offerte assez vite. Dans la conjoncture générale actuelle, il paraît à peu près inévitable que le vide laissé par la France en Guinée se trouve bientôt comblé par l'intervention d'autres puissances. L'importance des positions africaines est trop grande, les ressources minières de la Guinée sont trop vastes, pour que ce vide puisse durer très longtemps.
Cette aide étrangère semble d'autant plus concevable qu'elle pourrait être efficace sans exiger beaucoup de capitaux. Si les investissements de Fria et de Boké continuaient, les devises qu'ils procureraient à la Guinée lui permettraient probablement de se ravitailler, l'an prochain, sans privations trop graves. La Guinée devrait donc pouvoir vivre sans notre aide, avec une certaine assistance technique étrangère et des concours financiers relativentent légers pour les pays donateurs, orientaux ou occidentaux.
Des interventions étrangères finiront donc par se produire, si nous interrompons trop longtemps nos rapports avec Sékou Touré. Ces interventions deviendront prochainement d'autant plus probables que la Guinée va bientôt se trouver séparée, en fait, de la zone Franc, sauf modifications de notre politique.
Des incidents ont déjà eu lieu pour l'Office des changes, qui reste sous une direction française. Ils vont s'aggraver lorsque certains postes du programme d'importations commenceront à s'épuiser. Ces restrictions au ravitaillement de la Guinée auront d'ailleurs un caractère passablement anornal, si nous n'y prenons garde, alors que nous venons de bénéficier de rentrées de devises fort importantes, par suite des investissements étrangers dans l'affaire de Fria. Le Trésor et l'institut d'émission seront mis en cause à leur tour, dès lors que les autorités guinéennes auront consommé les ressources de leur budget. Finalement, les derniers fonctionnaires français qui assurent les relations financières et monétaires entre la France et la Guinée se trouveront obligés de regagner la Métropole.
Si nous abandonnons ainsi la Guinée à elle-même, on pourra certes critiquer les conditions de notre départ, opéré sans transfert normal des services, sans souci apparent des entreprises créées ou lancées, de l'oeuvre réalisée par la France, du sort des guinéens et de la sécurité de nos compatriotes. Des pays étrangers reprendront ces critiques pour justifier leur intervention.
Ceci ne signifie évidemment pas, qu'à l'inverse de nos méthodes actuelles, nous devions désormais offrir à la Guinée des avantages particuliers. Notre politique nous impose au contraire de lui faire un sort moins favorable qu'aux États de la Communauté. Mais il n'en paraît pas moins normal et nécessaire d'accepter les négociations que Sékou Touré sollicite. Sa lettre du 15 octobre, demandant le maintien de la Guinée dans la zone Franc, nous en donne une occasion, que sera peut-être la dernière.
Il paraîtrait souhaitable de répondre à cette lettre que nous sommes disposés à étudier les conditions du maintien de la Guinée dans notre zone monétaire, en liaison avec une délégation que Sékou Touré envenait à Paris. Il semblerait également utile d'ajouter que la Guinée pourrait rester dans la zone franc, aux conditions actuelles, en attendant l'achèvement de ces études et l'éventuelle conclusion d'un accord qui devrait être soumis, le moment venu, aux organes de la Communauté.
Cette réponse à Sékou Touré serait parfaitement conciliable avec le message du général de Gaulle daté du 14 octobre. Elle présenterait le grand avantage de permettre le commencement d'études techniques et l'ouverture de négociations que nous ne pouvons plus différer désormais, sans mettre en péril notre position et nos intérêts en Guinée, la vie des français qui s'y trouvent, et, peut-être, pour l'avenir, l'influence française dans une grande partie de l'Afrique noire.
Si nous négligeons la demande qui nous a été adressée par Sékou Touré le 15 octobre, on voit mal ce que nous ferons ensuite, dans l'hypothèse — très plausible — où cette demande ne se renouvellerait pas. A supposer qu'aucun incident grave ne survienne, nous risquons alors d'être obligés, ou bien de nous présenter nous-mêmes en demandeurs — et dans de fort mauvaises conditions — ou bien, si nous nous y refusons, d'assister, sans réagir, à des interventions étrangères qui bénéficieraient de tous les efforts accomplis jusqu'ici par la France.
Un nouvel ajournement des négociations avec Sékou Touré ne pourrait, semble-t-il, s'expliquer que si le gouvernement était fmalement décidé à employer ou faire employer la force pour l'éviction de nos adversaires (re-sic), malgré le risque de troubles plus généraux ou d'interventions étrangères. Comme cette supposition ne paraît pas vraisemblable, il semble difficile d'apercevoir les motifs qui pourraient être invoqués pour différer encore davantage les négociations que Sékou Touré sollicite.


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