Oui, dans peu de jours, la France, le Mali et les Etats qui le composent entameront des négociations pour modifier le statut de leurs rapports. Cela était prévu implicitement et même explicitement par la Constitution de la Communauté que nous avons tous votée. Il n'en est pas moins vrai que cela va conduire l'Etat fédéral du Mali et les Etats du Soudan et du Sénégal qui le composent à une situation nouvelle. Autrement dit, cet Etat du Mali va prendre ce qu'on appelle la situation d'indépendance et que je préfère appeler celle de la souveraineté internationale. Je dis que je le préfère, sans contester, du reste, l'atttait et la signification que peut avoir, que doit avoir, pour tout peuple et particulièrement celui-ci, le terme d'indépendance. Je préfère cependant celui de souveraineté internationale parce qu'il me paraît correspondre mieux aux nécessités de toujours et, surtout, aux nécessités d'aujourd'hui.
L'indépendance signifie un désir, une attitude, une intention. Mais le monde étant ce qu'il est, si petit, si étroit, si interférent avec lui-même, l'indépendance réelle, l'indépendance totale n'appartiennent en vérité à personne. Il n'y a pas, je le disais hier à Saint-Louis, d'État si grand, si puissant qu'il soit, qui puisse se passer des autres. Dès lors qu'il n'est pas d'État qui puisse se passer des autres, il n'y a pas de politique possible sans la coopération.
Mais la souveraineté internationale signifie quelque chose de positif. Elle signifie qu'un peuple prend dans le monde ses responsabilités à lui. Elle signifie qu'il s'exprime pour lui-même et par lui-même, qu'il répond de ce qu'il fait. Cela, dans la société des hommes est évidemment capital. C'est à ce rang que le Mali et, je le répète, avec lui, les Etats qui le composent, vont donc accéder avec l'appui, l'accord et l'aide de la France.
Dans le monde que j'évoquais tout à l'heure et dont j'ai dit bien souvent qu'il était très dur et très difficile, il y eut toujours, il y a toujours, un grand combat. C'est le destin des hommes. C'est la loi de notre espèce. Je crois que, pour le moment, si l'on voulait résumer le combat du monde, on pourrait dire qu'il est engagé entre ceux qui veulent la liberté et ceux qui y renoncent. La liberté est aussi ancienne que les hommes. Mais je crois qu'elle est l'enjeu aujourd'hui plus que jamais.
Quand donc un pays comme le vôtre va accéder à la responsabilité internationale, le monde entier regarde de quel côté il va se diriger librement Va-t-il choisir le camp de la liberté ? Va-t-il choisir l'autre ? Veuillez observer, d'ailleurs, que je ne crois pas que ce soient toujours les mêmes qui se trouvent dans le camp de la liberté et les mêmes toujours qui se trouvent dans l'autre. Il peut arriver qu'on change de camp, ou bien tout à coup ou bien peu à peu. Et c'est la raison pour laquelle nous ne renonçons à personne.
Mais, les choses étant ce qu'elle sont, le monde étant ce qu'il est, le Mali va devoir choisir la direction qu'il va prendre. Pour la choisir et pour la suivre, il y a quelque chose d'essentiel, et, je le dis au nom d'un pays fort ancien, qui a traversé beaucoup de vicissitudes et que vous connaissez tous très bien. L'essentiel, pour jouer un rôle international, c'est d'exister par soi-même, en soi-même, chez soi. Il n'y a pas de réalité internationale qui ne soit d'abord une réalité nationale. Il faut qu'un pays qui veut jouer son rôle dans le monde prenne les voies qui le lui permettent Or, cela revient, d'abord, à se constituer en État.
On n'a jamais vu un pays exister internationalement — sinon comme élément de trouble — sans un État, c'est-à-dire sans une organisation qui dirige l'ensemble des citoyens, qui soit acceptée, reconnue par la masse des habitants et qui mène le pays tout entier vers le mieux. Cela est capital encore une fois, et, croyez-moi, ce que le monde va regarder dans votre Mali qui s'organise, c'est avant tout la façon dont s'organisera et dont fonctionnera votre Etat.
D'autre part, il faut l'effort du pays tout entier, il faut l'effort des citoyens, il faut l'effort des hommes et des femmes, il faut l'effort dans le sens du progrès. Nous sommes à l'époque de la technique. Il n'y a pas d'Etat qui compte, s'il n'apporte pas au monde quelque chose qui concoure au progrès technique du monde. Cela aussi je dois le recommander, puisque j'ai l'honneur de me trouver au milieu de vous. Votre Etat et votre progrès, voilà sur quoi vous serez jugés. Vous en prenez la responsabilité. La France l'accepte de tout coeur. J'ajoute qu'elle est prête à vous y aider.
Elle y est prête, d'abord, parce que c'est sa nature humaine. Il y a eu des vicissitudes dans l'histoire de la France, mais la continuité de cette histoire, bien avant la Révolution dont parlait tout à l'heure le président Senghor, la vocation, c'est une destination humaine. Elle est fidèle à cette vocation, elle est fidèle à cette destination, quand elle vous offre son concours, loyal et amical, pour votre construction, pour votre établissement et pour votre progrès. Mais elle le fait aussi pour une autre raison, c'est qu'elle vous connaît et que vous la connaissez. Ce n'est pas en vain que nous nous sommes rencontrés depuis si longtemps, que nous avons vécu ensemble depuis des siècles, que nous nous sommes mélangés partout, en particulier dans la métropole française, que nous avons tous appris la même langue et que nous la parlons tous, que nous nous sommes formés l'esprit suivant les mêmes disciplines et les mêmes orientations, que nous avons rêvé les mêmes choses, bref, que nous nous sommes fait le même idéal. Cela, nous ne le renierons jamais, nous Français, et nous ne le renions pas plus chez nous que quand nous sommes au milieu de vous. Voilà pourquoi vous pouvez compter sur la France.
Dans le monde où nous nous trouvons côte à côte, restons les uns avec les autres. Cest le meilleur service que nous puissions nous rendre à nous mêmes et, en tout cas, c'est le service qu'exige de nous l'humanité.
Note
262. Il s'agit de la Fédération du Mali, composée du Sénégal et du Soudan français. Cette Fédération éclatera en [août] 1960 pour former deux États, le Sénégal et le Soudan, qui gardera le nom de Mali.
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