André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Chapitre 27 — Annexe 1
“Guinée is very good for you”
Le Canard Enchaîné (10 octobre 1958)

Les lendemains du résultat référendatoire et guinéen, les curieux rodant à la Bourse eurent la vive satisfaction d'enregistrer des chutes sensibles sur les actions de Pechiney. D'aucuns insinuent que les patrons de ladite firme se tamponnent le coquillard de telles contingences, vu qu'ils ont reçu toutes les assurances utiles et nécessaires de Sékou Touré, icelui ayant ouï et apprécié les contreparties adéquates. Bref : on accuse du côté de chez Mon Général Pechiney d'avoir poussé Sékou Touré à voter non, et Sékou Touré d'oser prendre le gouvernement français en tenaille avec son indépendance. Curieux, hein ?
Il est faux que quelques jours avant le référendum, il est même mensonger d'écrire qu'un certain de Vitry se soit pointé à Conakry histoire de causer avec un certain Sékou Touré. Lequel de Vitry serait quelque chose comme l'altissime patron de Pechiney. Il serait dès lors encore plus faux de rapport que Sékou se soit vanté après d'avoir obtenu d'entrée de jeu ce qu'il n'espérait qu'après des mois de négociations. Si vous aimez mieux, contre la garantie au consortium franco-américano-canadien de l'aluminium Pechiney-Alcoa-Alcan que pendant vingt ans, ils pourront fonctionner, extraire, industrialiser et tout, sans nationalisations, grèves et impôts sérieux, ces messieurs du consortium ont assuré à Sékou Touré que le pactole ne serait pas détourné.
De Gaulle a fait assavoir à son ministre de la FOM qu'il le tenait pour un va-de-la-gueule, vu qu'il lui avait fourni des pronostics tout autres sur le vote guinéen. Mon Général, qui a le soupçon facile, vous a aussi-sec insinué que les Cornut-Gentille, Pinay et autres Pompidou avaient de tendres faveurs pour Pechiney. Ce qui est d'ailleurs inexact, à ce qu'on dit ; certes Rothschild s'intéresse bien un peu au fer de l'île de Los, île guinéenne côtière, ancien entrepôt des trafiquants de bois d'ébène, laquelle île de Los renferme aussi du (sic) bauxite cher à Pechiney ; mais de là à insinuer que Pompidou — ex-directeur général de Rothschild, etc, etc … —, il y a un sacré chemin quand même. Toujours est-il que la rupture annoncée avec la Guinée est en train d'évoluer discrètement vers le “non mais”… D'accord, on va lui retirer nos 700 fonctionnaires, d'un seul coup d'un seul. Mais l'homme est libre et qu'est ce qui les empêche d'être embauchés sur contrat par les maisons guinéennes ? Rien, pas ! D'autant plus que si on n'agit pas, on risque de voir des candidatures anglo-américaines pour les remplacer, ces fonctionnaires français. Idem pour les crédits, qui prendront une autre forme ; idem pour les instructeurs militaires qui modifieront leur képi, et tout et tout.
Bref : Sékou Touré et Pechiney Alcoa Alcan et leurs petits amis du gouvernement de Gaulle ont tout simplement possédé le-dit de Gaulle. Le plus marrant, c'est qu'il en a l'impression.