L'hebdomadaire catholique Afrique Nouvelle a commencé à paraître à Dakar le 15 juin 1947. Il était diffusé dans toute l'Afrique Occidentale Française. La régularité de sa parution, et le fait que ses colonnes étaient l'un des seuls lieux où pouvait s'exprimer librement le point de vue des Africains et où ceux-ci pouvaient trouver des informations sur toute la région, lui ont fait jouer un rôle très important pendant toute la période de la décolonisation.
La tutelle ecclésiastique du journal était exercée, jusqu'au début de 1962, par Mgr Marcel Lefebvre, vicaire apostolique puis archevêque de Dakar, dont on connait les opinions très conservatrices. Les positions plutôt anticolonialistes du journal ne lui plaisaient pas. C'est pourquoi il exigea le remplacement des deux premiers directeurs, tous deux Missionnaires d'Afrique (Pères Blancs), le Père Marcel Paternot en août 1953, le Père Robert Rummelhardt en septembre 1954. Arrivé comme rédacteur le 15 mai 1962, je fus chargé de l'intérim de la direction, en principe pour quatre mois ; je restai en fait jusqu'en décembre 1959. Vice-président du Conseil de gouvernement de la Guinée à partir de mai 1957, Sékou Touré se rendit rapidement compte du profit qu'il pouvait tirer de l'utilisation de la presse, et notamment d'Afrique Nouvelle, dans l'exercice de sa politique, en préparant l'opinion publique de ses concitoyens à ses décisions les plus importantes. Cest ainsi qu'à Dakar, en décembre 1957, à la sortie tardive (1 heure du matin) d'une séance du Grand Conseil de l'AOF dont il était membre, il me rattrapa pour m'annoncer sa décision de supprimer la chefferie dans son pays. Notre journal fut le premier à annoncer la mesure, qui fut rendue officielle par un décret du 31 décembre 1957. Quelques mois plus tard, alors que j'avais accompagné la délégation sénégalaise à l'inauguration de la Foire commerciale de Conakry, Sékou Touré quitta le groupe de personnalités pour me dire qu'il allait supprimer les cantons.
Inutile de dire que ces scoops renforçaient la renommée du journal.
Le jeudi 25 septembre 1958, Mgr Lefebvre convoqua un conseil de rédaction élargi d'Afrique Nouvelle. Il m'y reprocha de faire une place trop importante dans le journal aux positions favorables au “non” au référendum constitutionnel du dimanche suivant, et en particulier à celles de Sékou Touré : à ses yeux, je partageais les opinions communistes du leader guinéen. Je lui répondis que j'étais en contact permanent avec Mgr de Milleville, archevêque de Conakry, et que j'allais me rendre à Conakry pour m'assurer des inquiétudes de l'Eglise à la veille de la probable option indépendantiste de la Guinée.
J'arrivai à Conakry en fin de matinée le samedi 27 septembre. Mgr de Milleville avait réuni ses principaux conseillers, et nous établîmes ensemble les questions qu'ils souhaitaient poser au président, notamment en ce qui concernait la liberté religieuse et celle de l'enseignement privé, l'existence des mouvements de jeunesse, le pluralisme syndical et politique. Dès que la liste fut prête, je téléphonai à Sékou Touré, et, comme je m'y attendais, il me fixa rendez-vous pour la fin de la même après-midi, à 17 heures.
Je n'attendis pas beaucoup avant d'être reçu et, au fur et à mesure que se déroulait notre entretien qui dura près de deux heures, nous fûmes rejoints par la plupart de ses ministres. A toutes mes questions, Sékou Touré me répondit en me donnant les assurances que j'attendais: la liberté religieuse serait garantie, l'Eglise pourrait conserver ses écoles, les mouvements de jeunesse ne seraient pas interdits, le pluralisme politique et syndical serait assuré. On sait ce qu'il advint de ces garanties 235.
Le dimanche 28 septembre, le référendum se déroula dans un grand calme. A la radio, Sékou Toué avait exhorté ses compatriotes à ne pas répondre aux provocations qui pourraient venir de la part des militaires français, nombreux ces jours-là en Guinée où ils étaient venus en manoeuvres …
Le lundi 29, Sékou Touré me fit donner une voiture et un chauffeur pour aller visiter les mines de bauxite de Fria (qui étaient alors en plein chantier). Je pus bavarder avec le chauffeur, qui se révéla être un militant du Parti Démocratique de Guinée. Il m'affirma: “Ce sont les militants de base qui ont choisi de voter négativement au référendum ; le président nous a communiqué le texte de la Constitution, et nous avons décidé de voter “non”.
Le jeudi 2 octobre, en présence de Sékou Touré, j'ai assisté à la proclamation de l'indépendance de la République de Guinée à l'Assemblée nationale, avant de rentrer à Dakar. Le vendredi 3 octobre, Afrique Nouvelle publiait la longue interview de Sékou Touré. J'avais été le seul journaliste reçu par le leader guinéen à la veille du référendum, provoquant la jalousie de mes confrères de la presse, notamment d'André Blanchet, correspondant du Monde.
Depuis, je n'ai pas revu le président guinéen. En avril 1966, alors que je me trouvais en France, je fus invité par le président Senghor au Festival des Arts Nègres à Dakar ; sur le trajet, j'avais projeté de repasser dans les capitales de plusieurs pays d'Afrique occidentale que j'avais connus, et en particulier par Conakry. Au dernier moment, Mgr Tchidimbo, depuis 1962 archevêque de Conakry, me télégraphia d'annuler ma visite. Il avait appris que Sékou Touré avait prévu de me recevoir très officiellement Étant donnée la tension existant alors entre l'Eglise et le gouvernement guinéen, cela aurait été mal interprété.
Note
235. A une question sur la liberté de la presse, Sékou Touré répond malicieusement dans l'interview: “Savez-vous qu'en Côte d'Ivoire, quatre journaux (‘étrangers’) sont interdits : La Liberté, organe du PDG, L'Express et le Nouvel Observateur (français) ainsi qu'Afrique Nouvelle, publication dont le Père de Benoist est justement le rédacteur en chef.”
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Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.