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André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.


Chapitre 26 — Annexe 2
Extraits de l'article d'André Blanchet,
publié — en première page — dans Le Monde
daté du mardi 30 septembre 1958 (paru la veille 29 septembre)

A Conakry qui a dit “non” dans la discipline, un envoyé du gouvernement français met la Guinée en garde devant les conséquences de la “sécession”.

Conakry, 29 septembre.

Pour connaître le pourcentage des “non” en Guinée avant la clôture du scrutin, il n'était que de considérer le spectacle des bureaux de vote de Conakry, où n'étaient inscrits que des électeurs africains : couvrant le sol des isoloirs, on n'y voyait que les bulletins blancs du “oui”, unanimement dédaignés 234.
Plusieurs bureaux de la capitale ne donnèrent pas un seul “oui”, tel celui où furent dénombrés 1.349 “non” sur 1.399 inscrits. Cette “jonchée”, sorte de contre-épreuve, on n'aurait probablement pas pu l'apercevoir en brousse ni dans les agglomérations de moindre importance, si je me fie non seulement à certaines plaintes parvenues au chef-lieu, mais surtout à mes propres constatations faites dans une quarantaine de bureaux de vote de Conakry : le bulletin mauve du “non” était souvent le seul offert, et le “choix” s'exerçant sous le contrôle de membres du parti de M. Sékou Touré présents dans le réduit même qui servait d'isoloir. Que les formes fussent ou non respectées, le résultat ne pouvait de toute façon faire de doute puisqu'il s'agissait de l'exécution d'une consigne impérative donnée à toute la population.
Là où le parti au pouvoir en assume entièrement l'organisation, les opérations ont paru régulières. A Conakry, municipalité de plein exercice et fief de M. Sékou Touré, j'ai constaté dans une quinzaine de bureaux que l'obligation était faite à tout électeur d'emporter les deux bulletins dans l'isoloir et que le choix de chacun s'opérait à l'abri de rideaux noirs.
Conakry a tellement connu de consultations depuis 1946 que le mécanisme électoral y fonctionne avec une véritable virtuosité, tant en ce qui concerne le vote que le dépouillement, et pratiquement sans aucun concours européen. Il faut avoir suivi soi-même ces opérations pour ne pas rester incrédule à l'annonce de résultats acquis à 100 %. Quelle que soit l'explication de cette unanimité, il reste que tous les citoyens africains ont effectivement voté et en l'occurrence voté “non”. Si le vote des Européens n'avait pas élevé à un millier le chiffre des “oui”, c'est donc à une quasi-unanimité que la capitale de la Guinée eût rejeté la Constitution et l'entrée dans la Communauté.
Trente-neuf mille “non”, mais pas un seul cri dans les rues de la ville : ce vote, qui implique une rupture avec la France n'aura donné lieu à aucune manifestation de xénophobie et n'aura à aucun moment suscité d'inquiétude pour sa sécurité à l'observateur européen que j'étais seul Blanc parmi des centaines d'Africains. Ni à Conakry, ni à Dubréka, je ne perçus la moindre réaction d'hostilité ni même de méfiance à mon endroit, ce qui n'avait pas été le cas à Niamey quarante-huit heures plus tôt 234.
Si les Européens s'abstiennent généralement de sortir de chez eux et si je n'en ai pas croisé un seul sur les routes en ce dimanche ensoleillé, leur appréhension pour compréhensible qu'elle fût, ne paraissait guère avoir de fondement. Alors que Dakar donnait en ce même journée l'impression d'une ville en état de siège, on eût en vain cherché un uniforme dans les rues de Conakry. Ainsi que le lui avaient demandé ses leaders, la population africaine se dispersa aussitôt après le vote. Seuls une centaine de jeunes gens stationnaient le soir sous les fenêtres de Radio Conakry. Rarement un acte collectif aussi gros de conséquences historiques aura été accompli avec moins de fébrilité, mais rarement aussi une grande puissance aura pennis aussi facilement que se sépare d'elle, sur une question de fonne, une population qui fait honneur à son influence. M. Jean Risterucci, chargé d'une mission exceptionnelle auprès du gouvernement guinéen, arrivé dimanche matin de Dakar, devait rendre visite à la fin de la matinée de lundi à M. Sékou Touré — premier renversement protocolaire des rôles par rapport au régime de la loi-cadre — pour lui donner communication d'une déclaration du gouvernement français, lui faisant connaître les conséquences que la France tire du vote de la Guinée.

Note
234. En France, les bulletins “oui” et “non” étaient uniformément blancs. Dans les territoires d'outre-mer, les bulletins “oui” étaient blancs, les bulletins “non” étaient mauves.


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