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André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.


Chapitre 26 — Annexe 1
Extrait de l'ouvrage du père Gérard Vieira,
Eglise en Guinée. Tome II (1925-1958), Dakar, 1998

« Monsieur le président, à l'heure où prennent fin les discussions et les remous d'opinion qui ont marqué les différentes prises de position des peuples d'Afrique Noire devant le choix offert par le référendum et à la veille du jour où la Guinée s'apprête, par une vaste consultation populaire, à choisir sa route dans le monde politique, j'éprouve le besoin de m'adresser au premier citoyen du pays.
Dimanche dernier, dans toutes les églises ou chapelles catholiques du pays, et par les ondes de la radio, j'ai tenu à affirmer la position de neutralité de l'Église catholique devant le choix politique qui s'offrait à la population en soulignant toutefois le devoir qui s'imposait à chacun de prendre part à cette consultation et d'exprimer son vote suivant la voix de sa conscience. Aujourd'hui, c'est à vous, Monsieur le président, que je crois avoir le devoir de m'adresser, à vous qui tenez déjà en main les rênes du gouvernement de ce pays et qui demain aurez à le conduire sur la route de la liberté vers le progrès social, économique, culturel et politique pour le bien-être de son peuple et le bonheur de ses citoyens dans la garantie des libertés individuelles. Au soir de ce jour, en effet, vous devez regarder autour de vous et faire en quelque sorte l'inventaire des hommes sur la collaboration desquels vous pouvez compter dans la tâche que vous acceptez d'assumer. Si vous pouvez douter de l'appui de certains devant la nouvelle conjoncture, je tiens à vous dire que, quelle que soit demain l'option du peuple de Guinée, tous les missionnaires catholiques du pays, religieux ou religieuses, resteront à leur poste et seront prêts à poursuivre leur oeuvre dans tous les domaines d'ordre social, notamment dans celui de l'enseignement. De plus, tous les catholiques guinéens dont j'ai l'honneur d'être le chef hiérarchique, par ma voix officielle, vous assurent également, à tous les échelons qu'ils occupent, et dans la mesure des capacités de chacun, de leur loyalisme et de leur concours dans l'organisation des nouvelles structures, où ils pourraient demain être appelés à collaborer. L'Église Catholique, sans s'attacher à une fonne de gouvernement plutôt qu'à une autre, pourvu que soient sauvegardés et protégés les droits de Dieu et de la conscience chrétienne, ne fait aucune difficulté pour s'accorder avec toutes les institutions civiles“, déclarait le Pape Pie XI dans son encyclique du 3 juin 1933.
C'est donc en conformité avec les paroles du chef souverain de l'Église, dont je suis ici le représentant, que j'ai tenu, Monsieur le président, à vous ce message, persuadé que sous la direction de votre gouvernement, avec le souci des libertés démocratiques, seront sauvegardés dans ce pays les droits imprescriptibles de la personne humaine.
Je vous prie de bien vouloir faire part de ce message aux membres de votre gouvernement, et de bien vouloir leur dire que je sollicite d'une manière toute spéciale l'aide de Dieu et ses bénédictions sur ce pays auquel moi et mes missionnaires avons voué notre vie. Daignez agréer, Monsieur le président, l'assurance de ma considération distinguée.

Une copie de cette lettre est adressée à tous les pères, accompagnée d'une petite note où Mgr de Milleville invite à une attitude commune :
“(…) Ce n'est pas une lettre à diffuser, mais elle est pour votre information et celle de vos collaborateurs immédiats. Nous devons avoir tous la même attitude en face de la situation nouvelle où se trouve la Guinée et nous ne devons pas bouder aux nouvelles institutions. Notre devoir est de continuer notre travail pour le bien du pays. Notre attitude n'est pas une attitude politique : nous reconnaîtrons comme nous le devons le gouvernement et inviterons nos chrétiens à prendre leur place dans la construction de leur pays. Soyons prudents dans nos jugements ; des maladresses pourraient nous attirer de l'hostilité que nous mettrions sur le compte d'opposition à la religion. Nous ferons notre travail sans arrière-pensée, tout le temps au moins où nous en aurons la liberté. Je compte sur vous et sur un esprit d'équipe dans notre travail d'apostolat.”

En quelques mots donc, chacun était invité au plus grand loyalisme par rapport à l'État qui sortirait des élections. En même temps la lettre au président comme la note aux Pères ne cachaient pas une certaine appréhension par rapport aux libertés individuelles et aux droits de l'homme. Le lendemain du référendum, une réunion du Conseil est convoquée à l'archevêché, le 29 septembre 1958. Mgr de Milleville fait part des lettres précédentes et, bien sûr, tous les conseillers sont d'accord pour garder le contact avec la nouvelle administration. On travaille avec un État, non avec un Parti politique, dit un conseiller. Il n'avait pas encore l'expérience du Parti-État. »

[Erratum. — Sékou Touré et ses collègues n'avaient, non plus, aucune idée de ces termes. L'expression ne fut adoptée que dans les années 1970, réflétant la surenchère idéologique et la continuelle fuite en avant du PDG. — T.S. Bah]

Un mois après la proclamation de l'indépendance, le 6 novembre 1958, à Rome, l'agence de presse vaticane Fides donne la position officielle :
« L'église ne s'inquiète pas de voir la Guinée accéder à l'indépendance. Elle demande seulement le droit de poursuivre sa mission. »


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