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Régime d'Autonomie (Loi-Cadre)
Premières années d'Indépendance


B. Ameillon
La Guinée : Bilan d'une Indépendance

Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages


1. L'installation de la haute administration.

Cette primauté ne devait pas menacer l'entente entre le Parti et l'Administration, mais aboutir à une harmonisation volontaire, progressiste et démocratique.

"La plus importante des questions concerne la délimitation nette du domaine d'action des organismes politiques de celui des organismes administratifs.
C'est là où la reconversion mentale doit étre rendue possible, car sans elle, les attitudes fâcheuses qui ont pu être dénoncées hier continueraient encore à fausser les rapports entre le Président du Conseil de Circonscription et le secrétaire Général du Parti.
Prenons comme exemple un paysan qui n'a jamais été à l'école. Si ce paysan a la confiance de la population, s'il a des qualités favorables à la réalisation de la politique du pays et s'il présente assez de critères lui permettant de devenir le Secréfaire Général de la Sous-Section ou du Comité du village, eh bien, ce paysan doit être respecté par tous les fonctionnaites de la circonscription dès l'instant qu'il représente le Parti. Dans le secteur administratif ou privé, n'est pas chirurgien qui le veut et quand il le veut. Outre le critère politique, il y a d'autres critères qui conditionnent la désignation à tel ou tel poste de responsabilité, de tel ou tel travailleur.
Il ne faudrait pas que le camarade, chef de circonscriplion médicale, chef du bureau des finances, chef du groupe chirurgical, ou professeur, dont la désignation est fonction de sa compétence technique, désobéisse au camarade commis, infirmier ou paysan, désigné comme premier responsable du Parti, parce qu'ayant répondu aux critères proposés par ce même Parti.
Nous pouvons donc considérer que tout n'est que moyen y compris l'instruction, comme nous l'avons dit. Si tout n'est que moyen, la supériorité des moyens ne doit être recherchée qu'en vue d'une plus grande efficacité pour la realisation concrète de l'idéal que nous nous sommes imposé et non par respect formel des valeurs qui s'y attachent.
Si nous sommes à même de faire cette reconversion le camarade paysan devenu secrétaire général de la Sous-Section ou du Comité de village, convoquant une Assemblée Générale, le chef de la circonscription devrait être le premier à s'y rendre parce qu'il verrait en ce paysan le représentant authentique du Parti Démocratique de Guinée. De même, ce camarade cadre politique qui a été au niveau de la conception des décisions faisant d'un tel, un chef de la circonscription administrative ou un président du conseil de circonscription, etc.... ce cadre politique, dis-je, doit être fier d'exécuter les ordres donnés par ce chef de circonscription dans le domaine technique, parce qu'ayant lui-même contribué à lui donner cette autorité. S'il ne le fait pas, il n'aura pas insulté ce camarade, chef de circonscription, mais le Parti qu'il représente."

De cette idylle entre un paysan éclairé et des fonctionaires dont le "souci n'est plus de figurer une sorte d'élite bourgeoise, mais de s'intégrer à l'effort national poursuivi par l'ensemble du peuple" 1 que devait-il rester dans la législation et dans la vie quotidienne ?
Bien des traits héroïco-comiques ont coloré les débuts de la République Guinéenne. Ils illustrent tous la ruée vers l'or, traduisons vers le pactole administratif. Pour l'atteindre s'agitèrent les médiocres fantoches qui jusque-là avaient sommeillé dans les grades obscurs d'une administration coloniale depuis longtemps essoufflée.
Sékou Touré, dans son intervention à la Conférence des cadres, avait bien stigmatisé l'attitude amorale des gens pour qui "tout rôle, toute fonction doit avoir sa correspondance matérielle". Cependant, cette attitude, répétée à l'infini ne pouvait qu'être entérinée à la longue par le Bureau Politique. Elle ne tardait pas à prendre un net caractère de classe. Les dirigeants, s'ils représentaient la chance du peuple guinéen, n'en étaient pas moins, à de rares exceptions près, des hommes fort médiocres. Sous prétexte de défendre l'honneur et la dignité de la jeune république de Guinée, ses principaux représentants réclamaient la totalité des manifestations de respect, généralement reconnues aux tenants du pouvoir. Ils réclamaient également les mêmes traitements que les anciens fonctionnaires de l'administration colonialiste.
Le 10 novembre 1958, le Président de l'Assemblée, Diallo Saifoulaye, ouvrait en ces termes la séance de l'Assemblée Nationale :

"Mes chers collègues, nous allons pouvoir ouvrir la séance. Avant de le faire, je voudrais vous rappeler une chose notre Assemblée n'est plus une Assemblée Territoriale, c'est une Assemblée Nationale, qui siège au niveau de l'organisation des Nations-Unies. Nous devons donc nous conformer à une certaine tradition qui existe dans les Assemblées Parlementaires du Monde entier, c'est-à-dire, en l'occurrence, quand le Président de l'Assemblée Nationale pénètre dans l'hémicycle, les Députés et les Membres du Conseil du Couvernement, ainsi que le public, se doivent de se lever pour le saluer. Ceci dit, je déclare la séance ouverte."

Le 18 octobre 1958, le décret 42 bis PG semblait établir une démocratie administrative sur la base d'une égalisation des salaires. Mais les décrets d'application 10 PG, 11 PG, 12 PG et 68 PG du 7 novembre 1958, allaient dans un sens contraire, attribuant aux chefs de circonscription, aux membres des Cabinets ministériels, aux directeurs de service et aux ambassadeurs des indemnités mensuelles allant de 100.000 C.F.A. à 10.000.
Pour juger du sens de ces chiffres, il faut les rapprocher du revenu monétaire annuel moyen par individu qui était alors en Guinée de 2.000 Frs CFA.
A ces traitements s'ajoutaient des frais de transport, de déplacements, de logement largement comptés.
En ce domaine, la législation sur les logements administratifs qui vit le jour le 17 février 1959 est particulièrement révélatrice.
Le prétexte était de supprimer les excès auxquels donnait cours la législation d'une administration coloniale qui logeait pour une somme ridiculement modique, l'ensemble de ses fonctionnaires. Les fonctionnaires guinéens n'étant pas des exilés, le maintien des logements administratifs ne se justifiait plus. Ceux qui en bénéficieraient devraient payer dorénavant un loyer proche de celui des loyers privés. Le décret 66 PG du 17 février 1959 distingua dans son article 2 les logements dits de fonction et les logements dits ordinaires : les premiers étaient en général gratuits, les autres onéreux. La définition des logements de fonction apparaissait fort démocratique. Ils comprenaient :

  1. les hôtels des Membres du Gouvernement, du Président de l'Assemblée Nationale et des Ambassadeurs
  2. le logement du questeur de l'Assemblée Nationale
  3. les logements attribués d'office aux fonctionnaires et agents occupant :
  1. certaines fonctions d'autorité ou de direction ;
  2. certains emplois qui rendent indispensable, pour le besoin du service, le logement des intéressés normalement sur le lieu ou à proximité immédiate du lieu de leur travail.

La liste des fonctions d'autorité, de direction et des emplois ouvrant droit à logement mêlait, toujours fort démocratiquement, les postes élevés aux plus subalternes.
Parmi ces bénéficiaires, une nouvelle liste également très panachée comprenait ceux pour lesquels aucune retenue ne serait exercée.
Cette soi-disant remise en ordre qui occupa le plus clair du temps du Cabinet du Ministre des Finances et qui fut le premier texte à émaner de ce ministère, n'avait en fait pour but que de fournir en logement gratuit les nouveaux princes du régime. Un de ces principaux auteurs, le Directeur de Cabinet du Ministre des Finances, Sow Saïdou, se réjouissait de la ruse qui avait permis de faire accepter cette législation privilégiée : "A côté du procureur, on met le régisseur de prison pour contenter le peuple."

1. Sékou Touré, 3ème causerie hebdomadaire.


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