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Régime d'Autonomie (Loi-Cadre)
Premières années d'Indépendance


B. Ameillon
La Guinée : Bilan d'une Indépendance

Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages


Conclusion

Au terme de cette analyse, qui permet de mesurer le chemin parcouru depuis le rêve d'émancipation totale de la Guinée et de l'Afrique Noire tout entière jusqu'à la résipiscence devant l'entreprise privée et la France gaulliste, on ne saurait se contenter d'accuser selon son optique personnelle la précipitation orgueilleuse ou les manquements révolutionnaires d'un homme. On ne saurait non plus se contenter d'une mélancolie non dégagée d'un certains mépris racial, à voir combien la réalité guinéenne est loin des buts initiaux.
La véritable question est de savoir si le cas de la Guinée est singulier, dû à des circonstances particulières, ou si bien au contraire il est exemplaire c'est-à-dire s'il pose dans son essence le problème de la signification de l'Indépendance Politique dans les pays actuellement sous-développés.

L'aspiration à l'Indépendance n'est pas un phénomène nouveau. Elle a été le fait de toutes les colonies que ce fût les colonies étrusques, grecques et romaines de l'antiquité, les colonies portugaises et espagnoles des ternps modernes, les colonies françaises et anglaises de l'époque contemporaine. Plus généralement, elle a été le fait de toute communauté non reconnue comme telle et décidée à se constituer en un ensemble politique autonome, régi par ses propres lois. Tel est le sens du mouvement communal du Moyen Age et du Mouvement des Nationalités dans I'Europe du XIXè siècle.
De cette permanence à travers les lieux et les temps, on ne peut conclure qu'au caractère irrésistible de cette aspiration politique. L'échec de toutes les guerres coloniales du XXè siècle ne fait que renforcer ce jugement.
Cependant, tout en reconnaissant à chacun de ces mouvements ce dénominateur commun, il ne peut être question de tous les assimiler. Bien au contraire, il convient de replacer chaque mouvement d'Indépendance Politique dans son milieu historique.
Les mouvements actuels d'Indépendance des colonies se situent dans un contexte à trois dimensions :

De ce contexte découlent trois conséquences :

L'histoire de la Guinée colle à ce schéma au point d'en devenir caricaturale.

En face de ce groupe, aucune armée populaire. La Guinée avait gagné son Indépendance non dans la lutte, mais par un vote. Les seuls soldats guinéens etaient d'anciens soldats "frangais'' qui avaient benéficié des relativement hautes soldes octroyées par l'impérialisme à ceux qui combattirent pour lui en Indochine ou en Algérie. Revenus dans leurs pays d'origine, ils ne réclamerent que la reconduction de leur traitement métropolitain.

L'Indépendance Politique d'un pays sous-développé, quand elle n'est pas le résultat d'un mouvement populaire authentique ne correspond donc ni à une défaite de l'impérialisme ni à une accéleration de l'accumulation nationale.
Elle n'accroît pas les contradictions du capitalisme, elle facilite au contraire la métamorphose actuelle du capitalisme européen. Elle peut même servir de frein dans la mesure où elle retarde l'explosion populaire contre le paupérisme. L'attribution à des nationaux des privilèges naguère aux mains d'étrangers est un élément de démobilisation, dans la mesure où la masse est convaincue de l'existence d'un intérêt national, défendu par chacun. Elle permet aussi de rétablir un pouvoir d'Etat obéi, au moment même où l'administration coloniale, engluée dans ses contradictions, ne peut plus commander efficacement.
Elle n'accélère pas le développement économique, dans la mesure où la nouvelle classe dirigeante n'est plus que le fondé de pouvoir des intérêts étrangers, dans la mesure également où cette même classe ne veut pas réaliser les réformes de structure, réformes foncières et lutte contre l'usure, nécessaires à l'essor général, mais antinomiques de ses intérêts de classe, dans la mesure où enfin, sous des modalités diverses, elle s'allie à l'antique chefferie.

Se pose donc en point ultime, le problème de l'attitude à avoir en face de ces indépendances qui pour être fictives n'en sont pas moins inevitables.
Les soutenir sans réserve a abouti à renforcer la position de l'impérialisme dans ces pays. L'U.R.S.S. s'en est bien rendu compte, qui a vu à chaque session diminuer le nombre des voix qui la soutenaient à l'O.N.U. Timidement, ses experts pour l'Afrique commencent à nuancer ses thèses officielles en distinguant entre les bonnes et les mauvaises bourgeoisies nationales. Cependant son assistance continue d'aller aux seuls gouvernements en place non aux opposants, même aux opposants des bourgeoisies rétrogrades.
Les soutenir sans reserve risque en plus de "sud-americaniser" tout le Tiers Monde, c'est-à-dire d'instituer des régimes de coups d'Etat où la nouvelle équipe, quels que soient les slogans qui l'ont amenée au pouvoir, est rapidement phagocytée par le capitalisme mondial et devient privilegiée. Il ne faut pas oublier que les colonies sud-américaines représentèrent lorsqu'elles devinrent indépendantes au XIXè siecle un espoir pour tous les démocrates europeens de l'époque. Les récentes "revolutions" de l'Afrique francophone montrent que ce risque n'est pas qu'une simple hypothèse d'école. La masse, quant à elle, reste étrangère à ces tractations. Elle continue à voter pour les tenants, quels qu'ils soient, du pouvoir. Le 28 octobre 1963, la Guinee votait presque à l'unanimite pour le P.D.G., sans qu'il soit possible de juger du rôle respectif de l'enthousiasme, de l'aliénation politique ou de la pression administrative.
Est-ce dire alors, comme le fait la Chine, que la seule solution est de soutenir et de ne soutenir exclusivement que des mouvements populaires intégrés dans la lutte mondiale, éventuellement armée contre l'impérialisme ?
Pour les pays du Tiers Monde, la réponse ne fait pas de doute. Une grande ligue de clivage les divise : c'est celle qui oppose les neutralistes, qui soutiennent tantôt New-York, tantôt Moscou, sinon les deux à la fois, et les engagés qui soutiennent Pékin. Or en gros du côté des neutralistes, on ne trouve que des classes dirigeantes et dans celui des engagés que les oppositionnels à ces classes dirigeantes.
Souligner ce clivage ne permet pas cependant de prendre position sur le fonds dans la querelle qui oppose Pékin à Moscou. L'Afrique n'est, dans la politique communiste mondiale, qu'un élément parmi beaucoup d'autres. Le succès ou l'échec dans ce domaine limité n'est pas un critère en soi suffisant pour juger du bien-fondé ou non d'une stratégie globale dont il ne constitue qu'une partie.
Cela ne permet que de mettre en évidence le passif que représente pour les mouvoments révolutionnaires du Tiers Monde la politique russe. Ce qui demanderait donc que soit démontré que cette politique était inévitable, nécessaire et globalement profitable.

Conakry 1958 - Paris 1964.


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