Paris. Editions Albin Michel. 317 pages
Nous suivons Voiné dans la forêt. La piste étroite serpente entre les torons énormes des lianes aux entrelacs inextricables. Nous marchons depuis quelques minutes quand Voiné s'arrête et me désigne un énorme tronc de fromager dont les racines aériennes aux membranes triangulaires évoquent l'empennage d'une fusée dressée. Dans l'un de ces panneaux de bois tendre un rectangle semble avoir été grossièrement découpé à la hache.
— Tu vois, me dit Voiné. C'est là qu'on vient chercher les portes des cases.
Les fûts lisses des arbres s'élancent a près de cinquante mètres de hauteur et se perdent dans la voûte épaisse des feuilles. Une lumière diffuse baigne au-dessous les gerbes des fougères arborescentes. A hauteur d'homme, ça et là, se dressent les pyramides ravinées des termitières comme des stalagmites géants.
Voiné les examine au passage et finalement s'arrête devant le plus haut de ces édifices jaunâtres qui dépasse deux mètres.
La pioche à la main, il attaque la termitière du côté du soleil levant. Rapidement, il atteint les galeries et, à coups précis, entaille ce monde souterrain et grouillant, indifférent aux douloureuses morsures des termite guerriers qui fourmillent sur ses bras et ses jambes nus Il creuse jusqu'à l'aplomb de la pointe, plonge dans ce terrier, et en ramène triomphalement un gros oeuf de terre rouge.
C'est l'écrin de la reine des termites. Il le fend avec son couteau et nous montre une sorte de larve blanchâtre d'une quinzaine de centimètres de long. Ce n'est qu'un énorme ventre distendu, d'où émerge une minuscule tête noire et qui se contracte dans un effort de ponte incessant. Autour d'elle, les petits termites, aveugles par la lumière du jour, tournent sans but.
— Maintenant, dit Voiné, j'ai gagné le chef de canton de la termitière. Je vais faire mon sacrifice à Angbaï.
Il a fermé avec soin les portes de sa case, car nulle femme, nul étranger, serait-il noir, ne doit connaître ses secrets. Nous sommes plongés dans l'obscurité. Voiné allume sa lampe-tempête, sort d'une hotte, dissimulée dans un coin, un volumineux paquet, et l'ouvre.
De l'amas de peaux de panthères et de singes qui le recouvrent surgit Angbaï, le diable de la brousse. C'est un grand masque noir sans bouche, sans regard, surmonté de cornes. La faible lumière de la lampe accroche sur ses méplats polis des reflets sombres. Voiné le pose dans un coin de la case et aligne devant lui s ses talismans, boules de sang coagulé et de coquillages, et une réduction d'Angbaï qui ne quitte jamais la poche oblique de son boubou.
Armé de son couteau, il fend le ventre de la reine des termites, arrose masque et talismans avec le jus qui s'en écoule, écrase le corps flasque et gluant sur Angbaï et commence ses incantations. Il nous a prévenus. Nous devons pas le déranger et ne pourrons lui poser aucune question jusqu'a la fin de la cérémonie.
Les avant-bras croisés, mains ouvertes, il s'incline et se relève devant l'autel qu'il a dressé.
A la lueur de la lampe, qui projette contre le mur de la case son ombre mouvante, ses yeux a fleur de tête luisent dans son visage extasié.
Au fond de la case, immobiles, nous le regardons.
De temps en temps, il interrompt ses prosternations pour agiter une clochette.
Enfin, il jette les noix de cola pour consulter le masque.
Elles retombent sur la cassure. En sacrifice, Voiné mâche et souffle la cola, pulvérisée, sur le menton et le front du diable de la brousse.
Il nous avait dit : « Quand Angbaï est sur moi je ne suis plus Voiné », et sa voix prend une ampleur tragique. Il s'incline, se glisse sous les peaux du masque, se relève puis s'agenouille et ramassé sur lui-même agite la tête de gauche à droite. Ses incantations se transforment en rugissements. Il devient une sorte de fauve humain.
Dans l'ombre étouffante de la case, nous éprouvions un tel malaise à demeurer les témoins de cette diablerie que nous nous sommes éclipsés discrètement. Peut-être Voiné ne s'en est-il même pas aperçu.
Quand il vient nous retrouver dans notre case, son visage ne porte aucune trace des transes qui l'ont secoué tout entier et n'exprime qu'une intense satisfaction. Sans difficulté, il nous fournit toutes les explications que nous désirons. Angbaï est, selon lui, la plus grande incarnation de l'Afwi, l'Etre Suprême. Il le tient de son père, et lui-même le transmettra à l'un de ses fils 1.
— Mais comment fait-il pour te dire sa volonté ? demande l'un de nous.
— Simplement par les noix de cola, répond Voiné.
Le colatier donne un gros fruit vert bouteille qui contient cinq ou six noix blanches ou violette ; chacune de ces noix, de la taille d'une prune, s'ouvre en deux dans le sens de la longueur, d'une simple pression de l'ongle. Il faut jeter au sol quatre moitiés de noix pour interroger l'Esprit. Sa réponse s'interprète selon leur chute. Voiné nous enseigne ces différentes interprétations ; elles nous semblent d'abord très compliquées, mais en fait une seule combinaison sur quatre est néfaste, ce qui réduit sensiblement les chances d'une réponse défavorable.
— Et, ajoute-t-il, si ça ne va pas, on peut recommencer, mais pas plus de trois fois.
Toute superstition est soumise aux mêmes lois et ce n'est pas autrement que nous lançons les pièces à pile ou face. Les Toma, comme les autres, connaissent les arrangements avec le ciel.
— Aujourd'hui les colas ont bien donné, constate Voiné, je peux vous amener voir le vieux Vouriakoli, qui commande tous les féticheurs de l'autre côté de la Makona.
Quelques jours plus tard, nous sommes toujours à Bofossou. Voiné n'a pas l'air pressé de mettre son projet a exécution. « Il faut aller doucement » a-t-il dit, et nous ne voulons pas le brusquer, car il représente maintenant notre seul espoir. Peut-être a-t-il raison, cette attente nous familiarisera encore avec le pays toma.
En dehors des jours de marché où s'y mélangent toutes les races et les tribus des environs, Bofossou paraît abandonné. Les habitants travaillent dans leurs lougans 2. Ils achèvent la récolte du café et entament les défrichements pour les prochaines semailles du riz. Seuls, quelques vieillards restent assis à l'ombre de leurs cases et regardent s'écouler la vie en mâchonnant leur chique. Parfois l'un d'eux vient nous rendre visite, nous offre quelques noix de cola, et raconte l'histoire de sa famille qui, invariablement, était, avant l'arrivée des blancs, la plus importante du canton, voire même du pays toma. Voiné traduit toujours avec condescendance, convaincu de l'indéniable supériorité de ses propres ancêtres.
Chaque jour, nous allons vers cinq heures prendre notre bain au marigot ; en chemin nous croisons les femmes aux pagnes multicolores qui reviennent de la lessive en file indienne, leurs bassines en équilibre sur la tête. Dans un décor hollywoodien de jardin tropical, où les fougères arborescentes forment des voûtes lumineuses au-dessus des vasques rocheuses, nous pataugeons dans les eaux vives, douchés par les cascades, glissant sous des tunnels de lianes. Souvent Voiné nous accompagne ; il désapprouve fortement l'usage du savon pour le bain, a son avis il faut le réserver pour le linge seulement.
— Ça lave trop, dit-il. Et si un homme est trop propre, il ne fait plus d'enfants.
Pour un Toma, il est essentiel de faire des enfants, et d'en faire le plus possible.
Voiné possède une case à Bofossou. Il y vit provisoirement avec une femme et une fille de cinq ans mais son vrai village est à une demi-journée de marche dans la forêt. Et là-bas sont installés tous ses enfants, ses autres femmes et son innombrable famille.
Quand la fraîcheur revient avec la nuit, le village recommence à vivre. Tous les bruits de la foret se réveillent. Par les portes entrouvertes, on distingue les silhouettes accroupies autour des petits feux à l'intérieur des cases.
Les taureaux qui se promènent librement entre les tombes poussent de longs beuglements. De temps à autre, deux béliers se ruent l'un sur l'autre avec fureur. Les habitants sortent de chez eux et contemplent avec intérêt ces batailles acharnées. C'est l'une des distractions favorites de leurs soirées.
Pour la première fois, nous avons décidé d'utiliser ce soir notre magnétophone. Voiné a convoque les musiciens et prévenu tout le village ; il nous aide à la mise en place du matériel et nous donne même à tout hasard quelques conseils, pour prouver aux autres son importance. La mise en marche du groupe électrogène s'avère difficile. De nombreux spectateurs suivent avec attention cette opération délicate. Enfin le moteur tourne et les ampoules s'allument. Un murmure approbateur s'élève de la foule. Nous devons d'abord enregistrer un trio de chanteurs ; le tailleur et les deux commis de Baré chantent d'une étrange voix de tête en s'accompagnant d'une sorte de lyre. Ils ne semblent pas même s'apercevoir de la présence du micro et Tony, qui le tient, doit les suivre dans toutes leurs évolutions. Après la première bobine nous relisons notre travail.
Tous les habitants se massent en demi-cercle devant le haut-parleur. Quand ils entendent sortir de cette boîte carrée les voix de leurs chanteurs leur stupéfaction se traduit d'abord par un long silence, puis par un rire général. Le plus vieux du village vient se planter devant nous et nous fait dire par Voiné :
— Maintenant je peux mourir, j'ai vu la machine la plus extraordinaire des Blancs.
Voiné, tout à l'heure si sûr de lui, paraît un peu déçu. Il a émaille l'enregistrement de réflexions à voix haute et bien qu'il ait écouté avec attention, il ne les a pas reconnues au passage. Il ne sait pas encore comment il faut se placer par rapport au micro.
— C'est bien, cette machine qui a de la mémoire, dit-il. Mais de temps en temps elle oublie quand même des choses. Quand vous serez en France elle sera obligée de traduire. Là-bas, ils ne connaissent pas le toma.
Puis, songeur, il ajoute :
— Si j'avais une machine comme ça, je ne la montrerais pas à tout le monde, je ferais payer les gens pour la voir.
Cette idée le travaille, il disparaît dans la foule, revient au bout d'un moment et nous tend un billet de cent francs.
— Tu vois, le vieux du village pense la même chose. Il m'a donne cent francs pour la machine ; maintenant il faut faire payer les autres.
La coutume veut qu'on ne refuse jamais un cadeau chez les Toma mais nous attirons Voiné dans la case pour lui faire promettre de ne pas recommencer.
— Nous ne sommes pas venus ici pour faire payer les gens, dis-je.
— Vous donnez tout le temps et vous ne prenez rien. Si vous continuez comme ça, vous n'arriverez pas, réplique Voiné péremptoire.
— Nous ne pouvons rien faire payer de toute façon. Nous n'avons pas de patente.
— Ah ! ça alors…, reconnaît Voiné, vaincu.
L'argument décisif est trouvé. Voiné nous a raconté la veille que son beau-frère avait dû payer une grosse amende pour avoir ouvert une gargote sans cette pièce indispensable qu'il assimile d'ailleurs à un gri-gri.
Notre case donne sur la place du village et parfois le matin, sans nous déranger, nous assistons aux palabres, aux jugements. Voiné nous traduit tout. Souvent les notables nous font demander notre avis. Nous avons été témoins de plusieurs divorces, fréquents ici, suivis de remboursements de dot très discutés par les deux parties, et de règlements d'héritages interminables. Mais aujourd'hui il s'agit d'un cas plus grave. A l'entrée du village habitent les Dioulas, les commerçants. L'un d'eux a été victime d'un vol de dix mille francs. Tous les habitants se connaissent. Le suspect est vite découvert. On le traîne sur la place devant les notables, il se défend comme il peut. Malgré ses protestations véhémentes, on lui enroule autour de chaque bras du poignet a l'épaule des anneaux de corde serrés que l'on mouille ; le soleil sèche rapidement la corde qui peu à peu se contracte et pénètre dans les chairs. D'abord accroupi, l'homme se redresse sous la douleur et tourne sur lui-même, les bras écartés du corps ; il hésite, cherche des yeux un refuge, mais ne rencontre autour de lui que des regards froids, des visages impassibles. Il ne pourra même pas s'enfuir ; des bourrelets de chair meurtrie se gonflent entre chaque spire de corde. Pendant un quart d'heure il résiste désespérément, puis il titube, s'affale sur le sol, avoue et dévoile sa cachette. Le tribunal rembourse la victime et condamne le voleur a payer en outre une amende à chaque habitant, pour avoir déshonoré le village. Nous recevons cent cinquante francs pour notre part.
Mais je voudrais obtenir de Voiné quelques éclaircissements.
— Comment saviez-vous que c'était lui ?
— C'est très facile, il avait sous son boubou un sacrifice de voleur, et on l'a trouvé.
Il me désigne, accrochées a son propre boubou, une corne de bélier, une dent de panthère, et une petite cloche.
— Moi, j'ai le sacrifice d'un homme qui n'a pas d'argent mais qui sera un grand chef plus tard.
— C'est un peu comme une carte d'identité, fait remarquer Jean.
— Volontiers, dit Voiné pour qui ce mot est une forme élégante de l'affirmation. Si tu regardes le sacrifice d'un Toma, tu sais tout de suite ce qu'il est et ce qu'il veut.
— Mais, demande Virel, pourquoi appelles-tu ça un sacrifice ?
Voiné nous explique alors que le mot toma « saragaï » a de multiples sens.
— Tout d'abord, il désigne ce que chaque Toma, homme ou femme, porte toujours sur lui pour préciser sa position sociale ou ses aspirations. Il s'applique également a tous les talismans protecteurs, de la case, de la famille, du village ou du clan : tels les sept pierres suspendues dans un filet de lianes à une barre de bois soutenue par deux fourches verticales et destinées à assurer la longévité du chef de famille, ou encore le mince tronc d'arbre couche devant la concession de chaque clan pour le protéger.
Toutes les offrandes aux ancêtres et aux esprits de la foret portent aussi ce nom, et à plus forte raison les sacrifices animaux et humains.
Voiné nous a appris par la même occasion que le fondateur d'un village partage toujours le terrain entre les différents clans. La tribu toma se divise en effet en de nombreux clans à totems d'animaux. Tous les membres, hommes ou femmes, d'un de ces groupes ne peuvent ni manger l'animal-totem auquel ils s'assimilent, ni se marier entre eux. Ces interdits revêtent à leurs yeux une telle importance qu'à la question normale : « Quel est ton nom ? » ils ont substitué celle-ci « Quel est l'animal que tu ne manges pas ? »
L'an dernier déjà, j'avais pu constater qu'il existait aussi des totems végétaux ; Kowo Guilawogui, qui ne mange pas le chien, ne touche pas non plus au manioc. Il m'avait entraîné un jour en dehors du village pour me montrer sa plante sacrée, si bien entretenue qu'elle formait une sorte de tonnelle au centre de laquelle les sacrifices s'amoncelaient sur une dalle. J'aimerais savoir si c'est là un cas isolé ; mais les explications de ce genre fatiguent Voiné et il saisit toujours le premier prétexte pour les interrompre. Ce soir il juge indispensable d'aller préparer le dîner.
Après le repas, il vient cependant s'installer dans notre case et je lui demande de nous parler de la forêt sacrée, de son origine et de celle des premiers Toma. Il n'a pas l'air de bien comprendre mes questions.
— Enfin, lui dis-je, tu dois bien savoir comment est venu sur terre le premier homme.
— Pour ça, il faut demander à Baré, il connaît mieux que moi.
J'appelle Baré dans sa gargote, en face de notre case.
Il arrive, un large sourire aux lèvres.
Je lui répète ma question.
— Baré, tu connais l'histoire du premier Toma.
Sans hésiter, Baré entame l'histoire d'Adam et Eve dont il a d'ailleurs oublié les noms.
— Le premier homme était tout seul. Il s'est endormi sous un arbre. Le Grand Esprit est venu, il a pris un morceau et il a fait la femme.
Il s'efforce visiblement de n'omettre aucun détail. A la fin pourtant, je lui fais remarquer :
— Mais c'est l'histoire du premier Blanc que tu m'expliques
— Oui, répond-il avec simplicité, c'est les chrétiens des Américains qui me l'ont raconté.
Il m'apprend alors qu'au Liberia, où il a séjourné, les protestants l'ont converti, mais il n'est plus accepté maintenant par ses coreligionnaires. Il avait juré de n'avoir qu'une seule femme et s'il n'en a eu en effet qu'une à la fois, il en est à la cinquième depuis son baptême.
— Si une femme n'est pas bonne il faut la changer. Ils ne veulent pas comprendre ça, conclut-il, désolé de cette étroitesse d'esprit.
J'insiste pour connaître l'origine du premier Toma, et non celle du premier blanc. Voiné et Baré se regardent d'un air interrogateur.
— Alors, tranche Voiné, on ne sait rien là-dessus. Même les plus vieux, ceux qui n'ont plus de cheveux et sont aveugles, ne pourraient pas te le dire. Leurs grands-pères n'habitaient pas ici et ils ne savent pas ce qui se passait dans le pays d'où ils sont venus.
Vaincu par cette logique implacable, je change de conversation, décidé à reprendre cette importante question une autre fois.
— Vous pouvez préparer vos machines, nous dit Voiné avec son sourire habituel, j'ai trouvé des porteurs et nous allons ce matin à Guiziouma. Il y a là-bas une grande fête pour un vieux qui est mort.
Il nous annonce cette nouvelle sur un ton impératif auquel on ne résiste pas. Nous ne demandons d'ailleurs qu'une chose : commencer à tourner.
Voiné a convoqué non seulement les porteurs mais aussi un petit orchestre de tam-tam. En pays toma les gens importants ne se déplacent pas sans musique, et tout au long de la piste, les cinq hommes chantent nos louanges en s'accompagnant sur leurs petits tambours d'aisselle.
— Les musiciens ici c'est comme les femmes …
— Le vieux dit qu'il n'a rien d'autre, mais on ne peut pas donner de l'argent aux Blancs, puisque c'est eux qui le font.
Après avoir échangé quelques paroles avec le notable, notre guide empoche le billet : lui n'est pas Blanc.
Le moment des sacrifices est venu.
Les victimes, offertes par la famille du mort, bélier, coq et taureau, sont amenées sur la place. Il faut honorer la mémoire du défunt et prouver à tous qu'il était riche et considéré.
Un féticheur commence son éloge et les grands tambours de funérailles, en forme de sabliers, posés sur le sol, scandent chacune de ses phrases.
Les animaux sont égorgés puis dépecés. Des flots de sang imbibent la terre rouge. Seuls, les morceaux du taureau sont distribues aux assistants. Nous recevons les quartiers de choix : les filets, la cervelle et le foie.
Par intervalles, éclatent toujours les détonations des fusils.
Soudain, les femmes et les enfants s'enfuient dans toutes les directions. Un gigantesque masque noir couronné de plumes surgit de la forêt : le Bakoroguï. Sous sa barbe touffue s'ouvre sa gueule rouge et béante ; il brandit un diabolique trident de sorcier qui symbolise le coup de griffe de la panthère.
Trois musiciens l'escortent, qui chantent et martèlent avec de courtes baguettes une sorte de banane de fer creuse.
Il parcourt le village en dansant çà et là, charge au hasard les spectateurs à demi rassurés.
Il se penche, se balance, agite les bras, incline la tête et son jeu d'attitudes est tel que son masque rigide exprime tour à tour joie, tristesse ou fureur.
Tout à coup, il s'arrête devant une niche accolée a une case qui abrité un objet étrange : une sorte de grand plumeau dont le manche, recouvert de sang caillé et incrusté de coquillages, s'achève en lame effilée
— C'est un simonguï, m'informe Voiné. Le gri-gri qui empêche les enfants d'être mangés par les sorciers.
Le Bakoroguï continue sa danse, et à chaque case recueille une offrande. Nous lui faisons remettre la nôtre par Voiné. Serait-ce pour nous en remercier ? Il fonce sur nous, menaçant, avant de regagner la forêt, toute proche.
Les coups de feu continuent à crépiter dans un vacarme assourdissant. Des nuages tourbillonnants de poudre et de poussière rouge engloutissent le village.
Le soir même, revenu à Bofossou, Voiné se montre d'excellente humeur et très satisfait : grâce a lui nous avons pu filmer cette fête. Malheureusement, nous recherchons ici tout autre chose. L'année dernière nous avons déjà tourné ce que tous peuvent voir. Nous voulons maintenant pénétrer les grands secrets, et nous sommes prêts à subir les épreuves d'initiation. Voiné seul peut nous aider.
Je lui rappelle qu'il devait nous conduire au grand maître des féticheurs.
Voiné dont nous ménageons toujours la vive susceptibilité, baisse la tête, mortifié. Il semble réfléchir profondément. Puis, de sa méditation, jaillit cette déclaration surprenante :
— Demain, nous irons a la mission chez les Pères Blancs pour voir Vouriakoli.
Notes
1. Voir Appendice I : « Pour fabriquer un masque ».
2. Zones défrichées réservées aux cultures.
[ Home | Etat | Pays | Société | Bibliothèque | IGRD | Search | BlogGuinée ]
Contact :info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2013 Afriq Access & Tierno S. Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.