Paris. Librairie Plon. 1954, 1970. 324 p.
La venue du premier enfant modifie profondément le statut social de ses parents : de fulugo qu'il était depuis son initiation, le père ou la mère, montant d'une classe, devient un simbano (cf. simba, éléphant) : cette désignation le suivra une quinzaine d'années, c'est-à-dire jusqu'à une époque qui correspond à peu près à celle de l'initiation de son enfant. Le père devient alors un wanapono kara, un homme « dur », mûr. On comprend que la naissance du premier enfant offre une importance souvent plus grande, aux yeux de ses parents, que la simple mise en ménage.
La jeune femme enceinte garde son secret le plus longtemps possible, pour éviter l'envie de ses compagnes et le mauvais sort qui pourrait lui être jeté. Les rapports sexuels sont poursuivis jusque vers le septième mois : on croit généralement que l'apport renouvelé de semence doit fortifier le foetus. La femme cesse vers le huitième mois de piler le grain, mais continue jusqu'à sa délivrance les corvées d'eau et de bois.
L'épouse qui ne s'entend pas avec son mari cherchera, dit-on, à se faire avorter. Elle maudira pour cela l'enfant à naître : o sèo dèo, « elle verse la parole » ; inutile de prononcer aucune formule, le simple désir suffit :
« Cet enfant que je porte, qu'il meure ; s'il vivait, je ne pourrais plus quitter mon mari ».
On ajoute aussitôt que les ancêtres du mari « qui voient tout », puniront la femme : elle mourra dans les douleurs. Les informateurs n'ont pu m'indiquer aucune formule, aucun médicament abortif il ne semble donc pas que les jeunes filles y aient souvent recours, malgré leur vie sexuelle très libre ce qui indiquerait la connaissance de procédés anticonceptionnels.
Si le mari y consent, la jeune femme, pour son accouchement, retournera chez ses parents, dans son lignage. En cas de refus du mari, elle prévient au moins sa mère, pour que celle-ci puisse assister à la naissance et soigner sa fille.
L'accouchement doit avoir lieu hors de toute présence masculine, jadis même, les hommes quittaient le village, pour n'y revenir qu'une fois l'événement accompli. Ils se contentent aujourd'hui d'éviter les abords de la maison.
La femme accouche accroupie : une vieille, assise derrière elle, la soutient sous les aisselles : une autre, devant, reçoit l'enfant. La matrone coupe le cordon avec un petit couteau, en laissant un morceau assez long pour entourer l'enfant d'une véritable ceinture ; elle noue un lien de raphia à la hauteur du nombril. Sur la ligature, elle appliquera tous les matins quelques gouttes de sève de susuo, pour hâter la chute du cordon. Ce dernier, une fois tombé, est donné au père qui l'enterre en forêt avec une noix de cola ; il indiquera plus tard à son fils l'arbre qui ne serait toutefois l'objet d'aucun culte, ne recevrait aucune offrande.
L'usage, en cas d'accouchement laborieux, de faire confesser à la jeune femme le nom de ses amants éventuels (l'aveu de la faute faciliterait la délivrance) est connu ; il ne serait plus observé partout.
Le placenta, pilé avec de la terre, est mis dans un petit récipient (marmite tripode en fer, du type usuel) qui sera déposé au fond d'un trou, dans la cour derrière l'habitation. La jeune mère procédera sur ce lieu à ses ablutions durant le temps de sa réclusion, soit la semaine qui suit sa délivrance. Si, pendant ces premiers jours, l'enfant pleure, ne se développe pas, la mère plonge ses mains dans le récipient et pétrit vigoureusement le mélange, croyant ainsi donner des forces à son bébé.
La première nourriture doit être amère : avant de mettre l'enfant au sein, la sage-femme lui frotte les lèvres de jus de piment et de cola; le même remède sera appliqué par la suite à l'enfant qui refuse de prendre le sein.
Fille ou garçon, la fête dite tuambo sindio, « la coiffure de l'enfant », est célébrée le huitième jour qui suit la naissance. Lors de cette première sortie de l'accouchée, le nouveau-né est présenté solennellement à ses paternels, qui, en lui imposant son nom, l'acceptent parmi eux, lui donnent son statut social. Appartenir à tel lignage plutôt qu'à tel autre est un fait capital, la plupart des relations futures en dépendent : C'est par rapport au lignage que se définissent les parents, les alliés, les femmes interdites, les épouses recommandées ; c'est parce que ces rizières, ces champs, relèvent de son lignage, que l'individu aura le droit de les cultiver; le fait d'appartenir à un lignage, en indiquant à l'enfant ses ancêtres, fixe encore les relations d'ordre rituel, toujours les plus importantes. Enfin dans ses rapports avec l'extérieur, l'individu s'identifie à la fois avec chacun des membres vivants de son lignage et avec le lignage tout entier.
Nous assistâmes à semblable fête « de la coiffure » en mars 1946. Le père et les vieillards de son lignage étaient groupés en face de l'habitation dont le mur extérieur servait d'appui à la jeune femme, assise sur une natte ; auprès d'elle, une vieille tenait le bébé sur ses genoux ; une autre « dont la main ne tremblait pas » rasa le crâne du nouveau-né: d'abord frotté d'eau savonneuse ; puis lava le bébé à l'eau chaude et au savon ; enfin, souffla sur toutes les ouvertures du petit corps. Les cheveux déposés dans une cuvette pleine d'eau furent séchés dans une étoffe, réunis en une boule donnée au père ; celui-ci devait les glisser dans un étui en cuir que l'enfant porterait désormais au cou (sèvé). L'enfant lavé et séché dans une couverture, les femmes demandèrent quel serait son nom. Un vieillard (en principe le chef du lignage; ce fut ici le grand-père du nouveau-né) prit une cola rouge, la tint un instant sur le front du bébé, la déposa au fond de la cuvette aux cheveux: « Siafo, siafo, son nom sera Mansa Kamano 1. » Les femmes battirent des mains, chantèrent et dansèrent quelques instants devant l'enfant « pour lui faire honneur ». La cérémonie se termina par une distribution des cadeaux apportés par les agnats et les amis proches du père, où je notai la répartition suivante : 40 fr. pour la sage-femme, autant pour la vieille qui avait rasé le bébé; 15 fr. par lignage aux femmes qui avaient soigné l'accouchée ; le reste fut distribué aux assistants, mais en tant que représentant leurs lignages respectifs ; on offrit aussi de la bouillie de riz. Pour finir, le corps du bébé fut frotté à l'huile de palme « pour qu'il prenne des forces ».
Commentant la cérémonie à laquelle nous venions d'assister, un vieillard me dit : « La vie de tout individu comporte trois moments solennels : naissance, initiation, mort. Pour ces trois fêtes et pour elles seules (mais la mort n'est une fête que si elle atteint une personne âgée), la « cour », le lignage, reçoit félicitations et cadeaux ». C'est en effet le groupe de paternels qui apparaît en dernière analyse le bénéficiaire réel d'un événement qui correspond à un changement d'état, à une promotion, de l'un de ses membres.
Le nom imposé, dola muindara, « nom de la naissance », est le plus souvent le nom du grand-père paternel pour le premier fils (dolan bimba, nom du grand-père), celui de la grand-mère maternelle pour la première fille. Par la suite, les adultes, en manière de plaisanterie, nommeront souvent l'enfant « grand-père » et l'on entend ainsi un petit garçon se faire interpeller : « Bimba Kaba, grand-père Kaba, va me chercher du bois... » Les enfants qui naissent par la suite reçoivent le nom d'un proche parent du père, en respectant en principe l'ordre d'âge : frère cadet du grand-père, frère aîné du père, frère cadet... jamais on ne donnerait à un nouveau-né le nom d'un enfant mort en bas âge. Ainsi les grands frères du bébé que nous vîmes baptiser se nommaient: l'aîné, Fasa, du nom de son grand-père paternel ; le second, Halasonda (nom d'un frère aîné du père), le troisième, Musa (frère cadet du père). Le choix, toutefois, n'est pas limité aux seuls parents, un événement extérieur important peut servir de prénom et plusieurs enfants furent ainsi nommés Sinema (Cinéma) en 1949, après qu'un tel établissement eut été inauguré à Kissidougou. Bumdo, l'oncle maternel, désignera l'enfant né dans la famille de sa mère.
Le nom de la naissance, dola muindara, peut aussi être un nom d'ordre, dola siala : après Saa, le premier fils, vient Tamba, le second, puis Fara, Faya, Nyuma ; pour les filles, Sia, la première, est suivie de Finda, Tewa, Yawa...
Quelques semaines après la fête de la coiffure, lorsque l'enfant a pris des forces et paraît désireux de vivre, on fixe à son poignet ou à son cou une amulette : cauri, clochette ou figuration d'une petite hache en cuivre, comme les colporteurs en tiennent sur tous les marchés. Très tôt aussi, on passera autour des reins de la petite-fille une ceinture en perles bleues, ya ule. L'idée de parure se distingue mal ici de celle d'une protection magique.
class="notes">Vieillards |
Jeunes filles en costume de fête |
Jeune fille excisée à sa sortie de retraite |
Dans toute l'Afrique occidentale, les jumeaux (en kissi : penduno, pl. pendua) sont tenus pour des êtres exceptionnels. Chez les Kissi comme chez nombre de leurs voisins, tous agriculteurs sédentaires, une naissance double est interprétée comme un heureux présage et donne lieu à des réjouissances. Les noms donnés sont pour deux garçons, dans le nord Fasali et Lasina, Ngamo et Fode dans le sud ; pour deux fillettes, Fermusu et Iria dans le nord, Male et Kasa dans le sud.
La première sortie de l'accouchée mère de jumeaux coïncide avec la pendua sindio, la « coiffure des jumeaux », dite aussi kafuo pendua, fête en l'honneur des jumeaux. Outre les proches parents, tous les jumeaux des environs sont conviés à cette occasion, ils offrent à la mère de l'argent, des colas, etc. reçoivent en retour quatre poules, quatre boules de farine de riz, huit colas. Tous les informateurs insistent sur l'importance que présente ici le chiffre 4 (ou 8).
En plus de l'interdit totémique spécial à leur lignage, les jumeaux doivent tous s'abstenir d'alcool et d'huile de palme, ainsi que d'écrevisses. Certains informateurs ajoutent : de viande de chien.
Selon l'opinion unanime, les jumeaux possèdent dès leur naissance le kö'karu (ko pour kollo, cur, karu, dur) qu'un homme ordinaire n'acquiert que parvenu à un âge déjà mûr. On traduit kö'karu par intelligence, don de clairvoyance : les jumeaux peuvent prévoir des événements futurs, connaître à l'avance la mort de tel de leurs proches, etc... ; aussi les devins et médecins indigènes, wanayawa, sont-ils presque tous des jumeaux. Il est préférable de ne jamais contrarier un penduno : « même s'il est ton frère consanguin, tu ne connaîtras jamais son cur (sa pensée) ». On ajoute que si deux jumeaux parviennent à l'âge adulte (fait très rare, l'enfant le plus faible ne vit généralement pas plus de quelques jours), l'un prendra toute l'intelligence (le kö'karu) de l'autre, qui sera bête, gourmand, etc...
A la mort d'un jumeau, le survivant, s'il est assez âgé, quitte le village où il ne rentrera qu'après l'enterrement : la vue du cadavre le rendrait fou. Il portera désormais au cou une petite plaque en métal, rappelant la lame d'un couteau et dite, du nom qui désigne les jumeaux, penduno. Le mort est enterré par d'autres jumeaux: la tombe creusée près de l'habitation, les rites sont les rites habituels de l'inhumation. Sur une pierre dite puo pendua, marquant l'emplacement de la tombe, le père et la mère offriront à chaque nouvelle lune un poulet et quatre boules de riz ; un morceau de foie sera laissé sur la pierre, autel du nouveau culte, le jumeau survivant consommera le reste.
Souvent aussi, la pierre des jumeaux se trouve contre le mur extérieur de l'habitation, dont le toit débordant l'abrite de la pluie ; auprès de la pierre rougie du jus des colas crachées se voient les offrandes que l'on rencontre sur tous les autels : petites haches en pierre polie, lambeaux de coton, scories, colas, bouteilles vides... Dans le sud, l'autel des jumeaux est souvent au pied d'un palmier, wa'pendua (wa pour wawo, palmier).
Un jumeau malade offrira un sacrifice sur l'autel, pierre ou palmier, des jumeaux, en demandant son prompt rétablissement : mais un rêve a pu aussi lui en donner l'ordre. La femme stérile déposera une offrande en implorant des jumeaux morts la venue d'un enfant. L'offrande, outre une victime blanche, consiste en principe en quatre colas (deux rouges, deux blanches), quatre boules de farine de riz, déposées dans quatre calebasses pleines d'eau ; une des calebasses est renversée sur la pierre, le contenu des trois autres distribué entre les assistants, c'est-à-dire tous les jumeaux du voisinage, conviés à cet effet. La prière qui accompagne l'offrande sur la pierre des jumeaux ne diffère pas de la prière adressée aux ancêtres sur un de leurs multiples lieux de culte :
« Voici votre nourriture, voici votre riz ; donnez-nous des épis, des colas, des enfants ; donnez-nous la santé. »
Dans certains villages, les jumeaux ne participent pas au culte des ancêtres, leur seul autel est la pierre sur laquelle ils déposent les restes des semences, les prémices du riz, etc... Ailleurs, ils prennent part à toutes les offrandes familiales et leur culte spécial s'ajoute aux autres.
L'enfant dont la naissance suit celle de jumeaux participe de leur nature : de lui aussi, on dit qu'il a le kö'karu. Il portera un nom spécial, Yomba, et assistera à toutes les manifestations du culte.
Le bébé, tualagbo, est pris en charge par sa mère, dont il dépend entièrement jusqu'au sevrage. Le jour, il ballotte dans le dos maternel, dort au rythme du pilon qui écrase le grain ; la nuit, il repose près de sa mère. Elle le lave à l'eau tiède matin et soir, le frotte parfois à l'huile de palme ; mais laisse le petit corps sécher à l'air, ce qui ne va pas sans cris : l'enfant a froid. Le bébé est élevé uniquement au sein jusqu'à l'âge d'un an environ; à partir de ce moment, on commence à lui donner de la bouillie de riz et sa nourriture tend à se rapprocher de celle des adultes. Le sevrage est graduel, souvent l'on voit un enfant de trois ou quatre ans trottiner vers sa mère dont le sein ne lui offre plus qu'un confort moral. Une vieille qui surveille un bébé, en l'absence de la mère, tendra à l'enfant affamé le bout d'une mamelle totalement flasque, jouant en quelque sorte le rôle d'une tétine en caoutchouc.
Des différences individuelles apparaissent très tôt, le comportement des parents pouvant imprimer sa marque sur les enfants. Durant les trois ou quatre premières années, une grande indulgence est la règle : le père berce l'enfant en colère, cède à ses caprices. On fixe généralement aux alentours de trois ans l'âge auquel un enfant doit se maintenir propre.
Jusque vers cinq ou six ans, les enfants appartiennent entièrement à leur mère, auprès de laquelle ils ne rencontrent le plus souvent qu'affection et indulgence. Ils jouissent d'une liberté quasi totale. Leur temps se passe en jeux pour la plupart imitant l'activité des adultes. Nous vîmes ainsi une fillette qui marchait à peine s'essayer à piler du grain dans un mortier à sa taille. Bien que tous les enfants de la « cour », du lignage, vivent ensemble, le lien entre consanguins est senti plus particulièrement : l'aîné soigne et protège le cadet, évite de le faire tomber, même dans les jeux les plus violents. Le frère et la sur demeurent ensemble jusqu'à ce que l'aîné atteigne neuf ou dix ans et cherche alors un camarade de même sexe en dehors du petit noyau familial.
A partir de sept ou huit ans, un enfant prend sa part de la routine quotidienne : on le charge de balayer le sol de l'habitation, de rassembler les poules, d'attacher les chèvres. Le garçon est envoyé aux champs après les semailles pour effrayer les oiseaux pillards ; la fille est souvent chargée du soin d'un enfant plus jeune, qu'elle porte appuyé contre sa hanche et surveille avec une inlassable patience.
Je n'ai jamais vu donner à une fillette une leçon de ce que nous appellerions l'enseignement ménager. Les enfants présents observent les activités de leurs aînés sans poser de questions ni faire de commentaires ; on ne les encourage pas à accomplir telle ou telle tâche précise, jardinage ou cuisine. D'un enfant qui préfère rester à l'écart ou refuse de rendre un léger service, l'adulte constatera sans humeur que l'enfant « ne comprend pas encore les choses » ; il n'insistera pas. L'apprentissage est ainsi très lent, sans aucun esprit de compétition.
Vers neuf ou dix ans, la division sexuelle du travail s'affirme : le garçon suit son père, rejoint le soir le groupe des hommes qui bavardent sur la place publique. Un garçonnet de douze ans aide son père dans tous les travaux des champs, il possède ses outils agricoles, guère plus légers que ceux d'un adulte; souvent aussi, il est maître d'une ou deux poules, parfois d'un chiot qu'il s'obstine à prendre dans ses bras, au grand déplaisir de ce dernier.
Les fillettes de cinq ou six ans jouent entre elles au ménage, font mine de piler le grain, portent de petits fagots, allument un feu, etc. Très vite, ces activités prennent un aspect plus sérieux et la fillette participe réellement aux travaux de ses aînées. L'enseignement lui est souvent donné non par ses « mères », mais par une amie un peu plus âgée. Vers douze ou treize ans, une fille est capable de préparer toutes les nourritures habituelles. Un gourmet établira des distinctions entre deux bouillies de riz cuit à l'eau, mais le principe de la cuisson reste le même, elle demande seulement du soin et de la patience. La difficulté réelle, dans le travail domestique, consiste dans l'organisation : diviser le temps consacré aux différentes tâches, calculer les quantités selon un système d'évaluation tout empirique. La tenue du ménage demande encore la connaissance des règles de l'hospitalité et des droits des différents parents et alliés. Tout cela, les filles l'apprennent par la pratique, avant leur mariage au côté de leurs aînées, plus tard auprès de leur belle-mère.
Les parents n'affirment guère leur autorité avant que l'enfant atteigne sept ou huit ans. Les punitions paraissent peu fréquentes : à l'âge où l'enfant mériterait une correction, il a le plus souvent déjà compris et accepté la nécessité d'obéir à ses aînés.
Un peu plus tard l'âge varie aujourd'hui entre douze et dix-huit ans l'adolescent subira la retraite d'initiation en forêt. Véritable naissance sociale, l'épreuve marque l'admission au statut d'adulte, avec toutes les responsabilités que comporte ce nouvel état. On distingue selon les régions trois formes principales d'initiation des garçons : birilo, toma, sokuno ; trois formes, aussi, d'initiation des filles : birilo, sadèndo, bundo. L'épreuve est toujours marquée par des mutilations corporelles pour les garçons, circoncision dans le nord, scarifications plus au sud excision pour les filles. La durée de la retraite varie de quelques semaines dans le nord (birilo) à plusieurs mois, jadis plusieurs années, dans le sud. Dans les quelques mois qui précèdent la retraite, souvent les filles semblent se désintéresser des travaux domestiques, soucieuses uniquement de toilette et d'intrigues amoureuses. C'est leur période de liberté sexuelle, dont elles profitent largement, traitant sans pitié le fiancé agréé, qui doit alors supporter patiemment l'humeur instable de sa future femme. Au cours de la retraite d'initiation, la fille est censée recevoir un enseignement qui lui permettra de tenir son intérieur ; c'est la réponse de toutes les femmes. Si on leur fait observer qu'une fille n'a plus alors grand-chose à apprendre, elles en conviennent aisément, mais ajoutent :
« Avant l'initiation, que la fille traîne, bavarde, refuse d'écraser le grain pour sa mère, on n'y attache pas d'importance ; une fois mariée (et le mariage suit normalement l'initiation de très près), elle devra se dépêcher si son mari ou sa belle-mère l'appelle. »
Dans l'esprit des intéressées, ce qu'une fille acquerrait au cours de la retraite en forêt correspondrait donc moins à des connaissances pratiques (que le sujet, en fait, possède déjà), qu'à la notion d'une attitude obligatoire, au sentiment plus net de ses devoirs incidemment aussi : de ses droits de ménagère, de femme mariée. Plus tard, dans les souvenirs féminins, la retraite évoquera une période heureuse de vacances : les femmes retrouveront aux jours de fête quelques bribes de chansons apprises alors, esquisseront un pas de danse aux funérailles d'une compagne, en dernier hommage à la disparue.
Là même où les conditions matérielles se sont adoucies, où la durée du séjour en forêt a été réduite, l'épreuve garde toute son importance : quels que soient son âge, son expérience, sa maturité sociale, l'individu qui n'a pas été initié, du fait, par exemple, d'un long séjour à l'étranger, reste « un enfant » : il ne pourra ni prendre part aux délibérations des anciens ni accéder à aucune fonction sociale avant d'avoir vécu, lui aussi, un certain temps en forêt, subi l'épreuve corporelle, couché nu sur le sol nu, appris à reconnaître les signaux frappés sur les tambours de bois et enduré les brimades de ses aînés. Les filles elles-mêmes attachent une grande importance à l'initiation, après laquelle cependant le mariage les disperse presque aussitôt. Nous avons ainsi vu une jeune femme enceinte de trois mois peut-être, qui n'avait pu pour une raison quelconque être encore initiée, réclamer l'excision contre le désir évident de son mari : elle subit l'épreuve douloureuse sans une plainte 2.
Peintures murales |
Peintures murales: moyens de transport |
Entrée de village |
Enfants |
Les jeux imitent souvent l'activité des adultes : une fillette portera gravement dans son dos, tel un enfant, la poupée (tuambo, l'« enfant ») faite d'un épi de maïs ou d'un fragment de bambou entouré d'un chiffon. Les jouets en bambou que les enfants se fabriquent eux-mêmes sont nombreux, fragiles et charmants : arcs, fusils à piston... Les « camions », mambilo, ont aujourd'hui la préférence. Mambilo aussi, la luge faite d'une vieille hotte en rameaux de palme dans laquelle l'enfant se laisse glisser sur la pente d'un ravin. Mais le jouet le plus populaire aujourd'hui est peut-être le chercho le cerceau cercle en liane que l'on dirige à l'aide d'une autre liane recourbée. Parfois aussi, l'on voit les enfants s'exercer sur des échasses faites chacune d'un bâton au sommet entouré de paille : souvenir des danseurs sur échasses guerzé que l'administration convoque parfois aux chefs-lieux pour les fêtes officielles.
A Yende Milimu, gros marché que fréquentent tous les colporteurs qui, des forêts guinéennes aux villes du Soudan, suivent la route de la cola, nous observâmes un soir le jeu du tönkare (mot malinké ; pas de nom kissi) : connu dans tout le Soudan et bien au delà 3, le tönkare demande une ficelle terminée par une boucle. Les enfants sont assis par terre, formant un cercle. Le meneur de jeu cache dans la poussière la boucle de la ficelle, puis tire doucement l'autre extrémité ; les autres joueurs doivent deviner où se trouve la boucle en enfonçant l'index et le majeur dans la poussière ; le perdant, après plusieurs tours, tend la main, ouverte, et reçoit des coups sur la paume : « il doit pleurer ».
Les totons, sîo (si chez les Mano, Ge et Gio du Libéria 4) sont un jeu d'hommes adultes ou de jeunes gens. Une noix de palme, kèmbo, est trouée de part en part et traversée d'une pointe de bambou. Les joueurs (quatre au maximum) s'installent à l'ombre, autour d'une natte. Chacun lance son toton qui, dans sa rotation, doit chasser les autres de la natte ; le gagnant est le toton qui reste debout le dernier. La rapidité du jeu en rend l'observation souvent difficile ; les joueurs se passionnent et les enjeux peuvent monter haut.
Enfin le jeu dit « à trous » (mankala »), connu dans toute l'Afrique, se pratique ici à l'aide de trous creusés dans le sol même, plus rarement avec une planche présentant deux rangées de cupules.
Très tôt, l'individu se situe lui-même socialement et règle en conséquence ses rapports avec les différents membres de son entourage.
Le père est tenu de nourrir ses enfants, de les vêtir dans la mesure de ses moyens; il doit consulter un devin si l'enfant tombe malade et accomplir les sacrifices que le devin lui dit nécessaires à la guérison. Le père exerce une autorité en principe sans limite, jadis il pouvait vendre son enfant en esclavage, le donner en gage d'une dette. En retour, les enfants doivent à leur père l'obéissance et le respect. Ils sont tenus de travailler pour lui, de le soutenir dans tout conflit, même contre leur mère. Un homme, explique-t-on, n'a aucun sujet de souci véritable aussi longtemps que son père est encore en vie, car ce dernier s'occupe de tout : travaux des champs, offrandes aux ancêtres.... toutes les responsabilités lui incombent, qu'elles soient d'ordre juridique, économique ou rituel. C'est le père qui paie la compensation matrimoniale, au moins pour la première femme de son fils; qui paie les dettes du jeune homme aussi longtemps qu'elles n'excèdent pas toute mesure. La mort du père marque le terme pour le fils d'une existence facile, mais aussi d'un état de dépendance qui peut amener chez un homme fait un sentiment d'irritation contenue. D'autre part, à mesure que les forces du père diminuaient, ce dernier ne comptait plus que sur son fils. Dans les rapports d'un vieillard et de son fils adulte, le sentiment d'une mutuelle dépendance ne va pas toujours sans antagonisme latent. L'affection n'en domine pas moins, à côté d'une certaine liberté d'expression dans les relations quotidiennes. Si la crainte d'une malédiction possible du père demeure toujours présente, une rupture ouverte entre père et fils apparaît tout à fait exceptionnelle. On ne saurait en tout cas parler ici d'une attitude unique, la personnalité de chacun intervient pour colorer différemment des rapports qui n'offrent jamais rien de stéréotypé. L'ambiguïté de ces relations explique, notamment, l'importance des funérailles paternelles, expression suprême de la piété filiale et aussi premier témoignage d'indépendance du fils, enfin libre et responsable de ses actes. Le premier geste de l'homme pleinement adulte est un hommage rendu à ses ancêtres.
La mère, elle, a droit à l'obéissance et au respect de ses enfants, mais la base des rapports demeure ici tout affective. Passé la première enfance, la mère reste la source de tout confort matériel, le symbole de l'absolue sécurité en même temps que la ménagère qui apaisera la faim de son enfant. En grandissant, le fils échappe au contrôle maternel ; la fille demeure plus longtemps aux côtés de sa mère avec qui elle peut s'identifier, qu'elle s'efforcera d'imiter. La mère jouera un rôle important dans la vie sentimentale de la jeune fille, les prétendants, simples flirts, ou fiancé, chercheront à gagner ses bonnes grâces. La principale tâche d'une femme est d'élever ses enfants, aucune n'y faillit. La mère âgée a droit, en retour, d'être entretenue par ses fils capables de travailler. Avec l'âge, un égoïsme véritable apparaît chez certaines, égoïsme qui s'exercera surtout à l'égard des brus.
Dans les rapports quotidiens entre parents et enfants, l'impression dominante est celle de liberté, mais d'une liberté contenue par le respect des enfants pour leurs parents : un fils n'osera rien emprunter, ne finira pas un plat sans y être autorisé, etc...
A mesure que les enfants grandissent, le père reste très attaché à sa, fille, dont il est fier, dont le mariage ne se conclura pas sans son autorisation et son concours actif. Il tire toutefois un orgueil plus grand du fils qui le continuera et avec lequel il entretient des rapports quotidiens où domine la notion de droits et de devoirs réciproques.
A l'égard des frères du père, l'attitude commandée est de respect : mais ce respect de surface couvrira des sentiments qui peuvent aller de l'affection étroite à une quasi-indifférence. Jamais, sauf si le père est mort et que son frère le remplace, élève l'enfant, l'adulte ne corrigera son « fils » : il peut donner un ordre, si l'enfant n'y obéit pas le père véritable en sera informé, lui seul châtiera le coupable s'il le juge bon. Le père véritable, seul responsable de l'éducation de l'enfant, est ainsi toujours bien distingué.
Entre grands-parents et petits-enfants, les rapports sont d'intimité et de confiance, tempérées par le respect apparent dû à toutes les personnes âgées. Souvent les enfants sont laissés à la garde des vieillards, ils dorment même parfois à leurs côtés. Les grands-parents ne se soucient guère de punir les enfants, ils préfèrent laisser ce soin aux parents. Les plaisanteries sont fréquentes entre vieillards et enfants qui sont, explique-t-on, nimo ; ou: « comme borale » (alliance à libre parler). Le petit-fils peut ainsi dire à son grand-père :
Tu es trop vieux, tu n'as plus qu'à mourir, on s'amusera bien le jour de tes funérailles .
Le grand-père réplique sans marquer d'humeur :
On t'en dira autant quand tu auras des cheveux blancs comme les miens.
Le thème favori des plaisanteries entre aïeul et petite-fille, entre grand-mère et petit-fils, est le mariage : le grand-père taquine la fillette, lui disant qu'il ne voudrait pas d'une femme qui ne saura jamais faire la cuisine, etc... L'enfant réplique sur le même ton, en termes parfois crus. Entre grand-père et petit-fils, l'alternance des générations crée une sorte d'alliance tacite, qui les oppose tous deux au père. L'antagonisme inévitable entre un père vieillissant et un fils ne joue plus ici. L'identification grand-père petit-fils est encore accentuée par le fait que très souvent le premier petit-fils reçoit le nom de son grand-père paternel, dola bimba ; symétriquement, la première petite-fille portera le nom de sa grand-mère maternelle. Ainsi le vieillard qui a plusieurs fils peut espérer voir son nom multiplié à la deuxième génération et, avec le nom, ses chances de survie.
Entre frère et sur consanguins, l'intimité, très grande dans la petite enfance, fait place à partir de douze ou treize ans à une extrême réserve : il est strictement interdit à un frère de coucher sur la natte où a dormi sa sur, et réciproquement. S'emporter contre sa sur, l'insulter, la frapper, geste inouï qu'un cadeau de quelques colas ne saurait compenser. Quoi qu'exige la sur : pagnes, colliers, etc.... le frère coupable ne peut rien refuser. Un frère qui surprend sa soeur avec un amant ne lui adresse aucune observation ; profondément humilié, il se résoudra mal à prévenir les parents. L'inceste (rapports sexuels avec une partenaire appartenant au même lignage) est puni par l'apparition du mã, dème généralisé ou syphilis. A l'inceste véritable, ou grand mã, la pensée indigène associe des fautes de moindre importance, telles que ne pas s'être lavé après l'acte sexuel, avoir eu des rapports en brousse... Un personnage spécial, le sarino, est seul qualifié pour traiter le malade 5.
En intégrant l'individu dans un lignage donné, sa filiation agnatique fixe son statut politique et juridique, ses droits d'héritage foncier, ses obligations rituelles. Les membres du lignage sont unis par une résidence commune, par des intérêts communs, par un même culte. C'est encore la filiation agnatique qui définit les relations sociales avec l'extérieur en imposant les mêmes liens patrilinéaires à tous ses membres : dans ces relations, ceux-ci apparaissent socialement indifférenciés, car il s'agit d'une relation de structure entre groupes. Dans les rapports intrafamiliaux au contraire, chacun possède son statut particulier. Pour prendre un exemple précis, les frères en principe sont égaux entre eux, queue que soit leur mère : fils d'un même père, le lignage les place tous au même niveau. Seuls toutefois des frères consanguins, ayant le même père et la même mère, se trouvent occuper exactement la même situation sociale, puisqu'ils partagent la même double filiation, agnatique et utérine : «. un homme voit-il une dispute éclater entre deux de ses frères, l'un consanguin, l'autre seulement germain, il doit se garder d'intervenir au côté du premier : il diviserait la famille ». Cette phrase revient trop souvent pour -ne pas décrire un comportement idéal plus que la réalité quotidienne. En fait, alors que deux frères consanguins mettront leurs ressources en commun, s'aideront au maximum, faciliteront le mariage de leurs fils respectifs.... des demi-frères, frères seulement par le père, souvent insistent sur leurs droits stricts, cherchent à éluder leurs obligations, n'agissent l'un pour l'autre que dans la mesure de leur intérêt personnel. Les querelles entre frères germains ou simples agnats sont endémiques, la fondation de plus d'un village remonte à un dissentiment entre demi-frères.
Entre frères utérins, fils d'une même mère nés de pères différents, le lien peut être étroit dans la première enfance ; il s'efface inévitablement avec les années qui dispersent les enfants, réclamés par leurs lignages respectifs.
La parenté utérine se contente d'unir des individus, sans créer de groupe : sa fluidité l'empêche de rien opposer à la solidarité juridique et religieuse qu'engendre l'agnation. N'entraînant ni privilèges ni devoirs particuliers, elle repose sur la seule confiance et l'affection. Une description minutieuse des principes de l'organisation sociale pourrait l'ignorer : simplement, elle resterait théorique et ne correspondrait pas à la réalité quotidienne où la présence des maternels joue un rôle. L'importance de la parenté utérine apparaît surtout dans la qualité du lien qui unit le frère de la mère (voc. mbere ; descriptif : bumdo) au fils de la sur. La maison de l'oncle maternel est comme un refuge où le neveu occupe une position quasi filiale ; des privilèges lui sont reconnus, qui expriment sa situation particulière. Si la compensation matrimoniale de sa mère n'a pas été versée, ou si la mère est morte après avoir quitté son mari, l'enfant sera élevé dans la demeure de son oncle utérin. Jusqu'à ce que ses paternels le réclament, il vivra chez son oncle, pratiquement sur le même plan que les fils de ce dernier. Le séjour chez les parents de la mère équivaut souvent pour l'enfant à des sortes de vacances durant lesquelles il est bien nourri, joue, échappe au contrôle de ses pères. L'enfant est ainsi souvent tiraillé entre le lignage de son père et celui de sa mère. Cette lutte d'influence est particulièrement nette dans le cas du fils aîné : pierre angulaire du mariage qui demeure incomplet jusqu'à sa naissance, l'enfant est aussi le lien qui unit paternels et maternels. Légalement, il ressortit au lignage de son père ; les maternels n'en exercent pas moins toujours un droit de regard sur l'enfant de leur fille. Si les règles légales et religieuses, tout le cadre de l'organisation politico-sociale, le retiennent du côté de ses pères, sentimentalement une réaction inévitable le rousse vers ses maternels. De son appartenance au lignage paternel, un homme tire toute son existence légale : statut personnel, droits fonciers, etc. ; mais ces droits mêmes impliquent des conflits possibles, qui trouveront leur source dans un ressentiment envers l'autorité des aînés, dans une rivalité personnelle ou dans une contestation au sujet d'un terrain. Dans la communauté de son oncle maternel, un neveu ne possède aucun statut héréditaire, il n'est jamais tenu de soutenir le lignage dans ses querelles ; cette absence de droits lui permet d'ignorer du même coup les charges correspondantes. Plus stricts, les liens paternels pèsent aussi plus lourdement ; les liens maternels n'étant pas imposés, l'affection s'y exprime au gré de chacun. Ces influences contraires s'exercent surtout sur le fils aîné, c'est à son propos que les deux groupes s'affrontent d'abord, mais la nature même de la famille, toujours bilatérale, implique chez tous l'éventualité d'un tel conflit : nul n'échappe à l'influence du lignage paternel qui cherche à absorber l'individu ; nul, non plus, ne demeure tout à fait sourd à l'appel du monde extérieur.
Le lien avec les maternels s'efface pour une fille avec le mariage il persiste pour le neveu, qui voit dans le frère de sa mère une sorte de double masculin de celle-ci et ressent à l'égard de son oncle à peu près les mêmes sentiments de confiance et d'affection. Économiquement, les dettes ne sont pas reconnues entre l'oncle et le neveu utérin. C'est souvent l'oncle qui donnera au neveu son premier chien, la première poule qu'il possédera en propre, dont il pourra élever et vendre les poussins pour se constituer un début de pécule, premier sentiment d'indépendance vis-à-vis de son père et de ses agnats. L'oncle peut encore autoriser le neveu à cultiver pour ses besoins personnels un terrain, sans exiger d'autre redevance que les prémices ; l'oncle offrira ces premiers épis sur son autel familial. Le garçon trouvera enfin chez ses utérins des possibilités d'aventures sexuelles ou sentimentales qui lui demeurent interdites dans son lignage, où toutes les filles sont ses « surs ». Le mariage avec la fille de l'oncle utérin est recommandé; la femme même de l'oncle utérin est une nimo avec qui le neveu plaisante librement, comme il plaisante avec les surs cadettes de sa femme ; le mariage est possible à la mort de l'oncle utérin et serait même recommandé : il paraît assez rare aujourd'hui 6.
De nos jours où les liens personnels tendent à supplanter les liens du lignage, il arrive que le neveu utérin demeure dans sa famille maternelle et s'y fixe. Toutefois, n'étant pas un agnat, il se trouve soumis à certaines incapacités juridiques sans importance pour une fille que son mariage éloignera de toute manière, mais qui peuvent gêner un garçon.
Si les sentiments éprouvés à l'égard du frère de la mère sont dans une certaine mesure le reflet de ceux dont la mère elle-même forme l'objet, de son côté la sur du père est vue comme une sorte de père féminin. L'enfant la respecte, lui obéit ; les rapports varient, plus ou moins affectueux, plus ou moins étroits, selon la personnalité de la tante et celle du neveu ; ils pourront être modifiés par le lieu de résidence de la tante une fois mariée : village d'origine ou autre localité. En ce dernier cas, la tante ne pourra guère recevoir les enfants de son frère sans le consentement de son mari. En fait, il n'existe aucune obligation bien définie entre la tante paternelle et le neveu ou la nièce, partant aucune sanction précise : leurs rapports demeurent de convenance personnelle sous le couvert d'une étiquette assez lâche.
A première vue, la conduite de l'individu semble commandée par un système de références basé sur les seuls liens de la filiation et de l'alliance : un membre quelconque de la société peut toujours, si les circonstances l'exigent, être tenu pour un agnat, pour un utérin ou pour un allié. En d'autres termes, les catégories du système de parenté fournissent le cadre permettant de situer à la fois tous et chacun ; il reste entendu qu'à l'intérieur de ce cadre, la nature exacte des relations variera dans chaque cas selon les sentiments des intéressés, leurs résidences respectives, leur éloignement généalogique, etc...
Presque toutes les relations sociales s'expriment encore maintenant dans le langage de la parenté: attitude de respect filial envers un vieillard, vocable soudain grossier à l'égard d'un partenaire de l'autre sexe, une conduite « normale » s'explique en termes d'abord généalogiques, ces derniers pouvant s'accompagner d'un commentaire tel que, dans le premier cas : « C'est mon père, nous portons le même nom »; dans le second : « C'est une sur cadette de ma femme ». Au contraire, un comportement inhabituel mettra aussitôt en cause un facteur individuel : le caractère violent, ou la stupidité connue, est la première explication qui vient à l'esprit pour rendre compte d'une attitude incorrecte. L'inceste reste le prototype du péché.
Un lien de parenté entre deux individus, ou deux groupes, se traduira aussi bien dans la vie économique et juridique que dans les cérémonies religieuses. Lors des funérailles d'un vieillard, les agnats du défunt, ses utérins, ses gendres, forment des groupes distincts, qui apportent des cadeaux définis et observent un comportement particulier. Toutefois dans la routine quotidienne, les rapports familiaux n'offrent pas cette précision formelle et ne se distinguent pas toujours des relations entre amis ou voisins: le nouveau venu dans un village ne pourra pas indiquer à première vue si deux femmes qui travaillent ensemble et bavardent amicalement sont la mère et la fille, la belle-mère et sa bru ou deux coépouses.
Enfin il va de soi que cette identification de l'individu avec son groupe n'a jamais exclu la présence d'un facteur personnel : chaque membre du lignage se voit nettement situé non seulement par rapport à ses « pères » et à ses « fils », mais aussi par rapport à ses frères et surs, aînés d'une part, cadets de l'autre ; et par rapport à ses alliés, soit lefu (beaux-parents, frères et surs aînés du conjoint) à l'égard de qui l'attitude commandée est de respect, soit nimo, conjoints éventuels avec qui il plaisante librement. L'individu, dans ses relations avec l'extérieur, a tendance à incarner son groupe, il en assume les droits, le prestige, le rayonnement qui soutiendront au besoin ses intérêts personnels.
A l'intérieur, le sentiment de la situation nécessairement unique qu'il occupe lui est à chaque instant remis en mémoire : il doit se défendre contre l'autorité de ses anciens, les exigences de ses alliés, les prétentions de ses cadets. Les plus forts ignoreront ces attaques, les autres chercheront une protection dans le recours aux ancêtres ; que leur plainte demeure sans écho, ils useront des armes du faible : magie, sorcellerie.
Notes
1. Siafo, sens inconnu : « Les ancêtres prononçaient ce mot avant d'imposer son nom à un nouveau-né. » Kamano, nom du lignage.
2. Sur l'initiation kissi
3. On retrouve ce jeu depuis le Sahara jusque chez les
Fang du Gabon (H. Grebert, Monographie ethnographique des Fang, inédit).
4. G. Schwab, op. cit., p. 160 et fig. 100, g.
5. Sur l'inceste et son purificateur, le sarino, cf. D. Paulme, Fautes sexuelles, op. cit.
6. Usage en accord avec les règles matrimoniales de l'échange indirect et généralisé, tel que le définit M. Lévi-Strauss (Les structures élémentaires, op. cit., pp. 229-230). Dans les sociétés, nombreuses en Afrique, qui observent ce système d'alliances, les femmes circulent de groupe à groupe, en principe toujours dans le même sens, les filles A épousant des B, les filles B, des C... ; les compensations matrimoniales observent le circuit inverse et passent de C en B puis en A. Dans le cas particulier du mariage avec la veuve de l'oncle maternel, la femme est une A, l'oncle un B, le neveu un C.
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