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Ethnographie


Jacques Germain
Administrateur en chef des Affaires d'Outre-Mer (ER)
Guinée. Peuples de la Forêt

Académie des Sciences d'Outre-Mer. Paris. 1984. 380 p.


CHAPITRE V
LA PERIODE FRANÇAISE

L'ère des empires soudanais va être close par la prise de Tombouctou par les Marocains en 1592. Après une période d'anarchie à l'intérieur et de troubles engendrés par la chasse aux esclaves dans les régions côtières pour alimenter la Traite, l'Afrique Occidentale va connaître d'autres formes de domination.

Ce n'est plus à la naissance d'états africains comparables aux Empires du Moyen-Age que nous allons assister mais à celle d'hégémonies consécutives à la conversion des Foulbé à l'Islam, ou à l'apparition de chefs ambitieux, ce qui n'empêche pas non plus le développement de certains Royaumes animistes (Bambara, Mossi).

L'établissement de postes sur la côte d'abord pour lutter contre la traite des noirs après son abolition, puis pour protéger les commerçants, les missionnaires et les explorateurs, amène les puissances européennes à s'immiscer dans les luttes des Tribus, à étendre le territoire contrôlé par elles pour aider les tribus qui demandent leur protection. Ce faisant, leurs représentants locaux, plus qu'elles-mêmes, sont entraînés à pénétrer de plus en plus loin vers l'intérieur et finalement à se heurter aux hégémonies auxquelles nous avons fait allusion. Sans plan bien défini, et la plupart du temps contrairement aux souhaits des opinions publiques et des Assemblées métropolitaines, est enclenché un processus de conquête et d'annexion qui aboutit à la formation des Empires Coloniaux anglais et français principalement, les Allemands étant entravés dans leur installation et finalement chassés à la faveur de la guerre européenne. Cela ne va pas sans rivalités entre les puissances elles-mêmes.

Cette période de contact, de conquête et de pacification s'achève juste avant la guerre de 1914 et la période coloniale ne durera pas même cinquante ans. C'est dire son peu d'importance du point de vue de la durée dans la longue histoire de l'Afrique, mais importance bien plus grande du point de vue de l'évolution et de la transformation du Continent.

La gageure de concilier la nécessité pour le continent de se moderniser avec le souci de préserver sa personnalité africaine sera-t-elle tenue ?

La première manifestation politique de la conversion des Foulbé à l'Islam en Afrique Occidentale, c'est la création de l'Etat théocratique du Fouta-Djallon, dont nous avons eu l'occasion de parler au chapitre trois. Karamoko Alfa, son fondateur, et Ibrahima Sori Mawdo son successeur, asservissent les cultivateurs Djallonké et repoussent les Soussou qui atteignent la côte.

El Hadj Omar

C'est dans le Fouta-Toro, le pays le plus islamisé d'Afrique, Occidentale, que naît en 1797 à Podor El Hadj Omar Tall. Depuis peu, une nouvelle confrérie avait vu le jour en Algérie : la Tidjania (1781). Omar Tall y est initié par un Marabout Peul du Fouta-Djallon.

En 1827 il fait un séjour à Hamdallay chez Cheikhou Ahmadou, un Peul partisan d'Ousman Dan Fodio qui avait vaincu le Royaume Bambara de Segou et les chefs Foulbé demeurés païens.

Puis après un autre séjour chez Mohammed Bello fils d'Ousman Dan Fodio, le grand convertisseur des païens au XIXe siècle, il fait le pèlerinage à la Mecque où il demeure cinq ans ce qui lui vaut le titre d'El Hadj et en même temps celui de Khalife Général de la Tidjania pour tous les pays noirs. Sur le chemin du retour, il épouse une fille du Sultan du Bornou et également une fille de Mohammed Bello.

A Hamdallay où il prêche contre la confrérie Qadryia jugée trop tolérante, il est fort mal reçu : le roi Bambara de Segou le fait emprisonner puis le relâche. Enfin, avec l'aide de l'Almamy du Fouta-Djallon, il crée à Dinguiraye, en Haute-Guinée, une Zaouia où il assurera treize ans de prédication. Mais en même temps, il y lèvera une armée de Talibé fanatiques séduits par le caractère démocratique et égalitaire de la Tidjania.

Il conquiert alors le Bambouk et le Kaarta mais se heurte en 1857 à Médine à une garnison française et à l'hostilité des chefs sénégalais.

Le mouvement est amorcé qui amènera les troupes françaises du Sénégal au Soudan et du Soudan en Haute-Guinée et Haute-Côte-d'Ivoire.

El Hadj Omar se tourne alors vers l'Est et, ayant défait les Bambara de Ségou, s'attaque au Royaume Peul du Macina : il s'empare de Hamdallay en 1862. Mais les Foulbé se révoltent et El Hadj Omar se réfugie avec ses Toucouleur dans la Falaise de Bandiagara : il y meurt le 13 février 1864 à l'âge de soixante sept ans 124.

En Guinée, El Hadj Omar avait détruit le Royaume du Tamba, état Djallonké entre le Manding et le Fouta-Djallon. Au Manding lui-même l'anarchie régnait dans le Sud où les Mambi (chefs) de Kangaba et de Niagasola (celui-ci aurait été un descendant de la Dynastie des Keita) ne pouvaient se faire obéir.

L'Islamisation de Kankan

C'est un disciple d'El Hadj Omar, Mamadou Sakho, qui introduisit la Tidjania à Kankan et y prit le pouvoir en 1849. Aussitôt il prêche la guerre sainte et toute la région va être le théâtre de luttes entre musulmans et animistes. Mamadou Sakho soumet la rive droite du Niger et parcourt le Ouassoulou mais se heurte au Chef Bambara Dieri qui rameute les animistes et après plusieurs années, le pays étant ravagé, se rabat sur le Toron où il refait ses forces et ses approvisionnements. De là, il marche sur Kankan qu'il assiège pendant quatre mois.

C'est au cours de l'assaut que Diéri fut tué tandis que Mamadou retranché dans son tata faisait une sortie et anéantissait les forces Bambara.

L'Islam était vainqueur en Haute-Guinée. Mamadou conquiert le Ouassoulou et le Sankharan et construit les mosquées de Kankan et Nafadie.

Mais ce succès fut de courte durée. De 1860 à 1865 la lutte reprend entre les Musulmans et les Bambara. Vers 1865, les Ouassoulounké attaquent de nouveau Kankan et battent à Kobisoua les forces réunies de Kankan Moriba et de Fali Moussa Koulibali, chef du Kéniéra.

Les pays que Mamadou Sakho avait réunis autour de Kankan reprenaient leur indépendance. Un marabout, Sori Ibrahima, avait réuni le Konian, le Gankouna, le Torokoto et le Kabadougou, tandis que la confédération du Sankharan, du Baléya, du Kolakou et du Hamana barraient les pistes du Sud-Ouest aux gens de Kankan qui venaient s'y approvisionner en colas et en esclaves. La route de Kankan était aussi fermée aux troupes du Bouré par le Diouma allié aux montagnards de la rive gauche du Niger.

Samory, première période

C'est à cette époque qu'apparaît dans la Région, Samory Touré, originaire du Toron qui va être l'Attila de la Haute-Guinée. Chef de guerre, il est d'abord au service de Sori Ibrahima, chef du Gankouna, puis à celui de Bitiké Souané chef du Toron, avant de combattre pour son propre compte, ayant débauché les guerriers de Bitiké 125.

Il s'installe à Bissandougou dans le Konadougou après en avoir tué le chef, Famodou. Puis il conquiert Sanankoro dans le Konian qui dépendait du Goukouma tandis qu'un de ses lieutenants s'emparait de Moribaya dans le Sankharan oriental et exécutait son chef Mansa Fodé Kondé.

Ces succès amenèrent les chefs de la Région en difficulté à rechercher l'alliance de Samory Touré. Le Mambi de Niagasola, Koulaba, devenu vassal d'El Hadj Omar, ayant attaqué son frère Munaba, chef de Kangaba, celui-ci appela Samory à son aide et une alliance fut conclue entre eux 1870.

Les animistes barrant la route de la forêt aux gens de Kankan, ceux-ci, qui vivaient du commerce des colas et des esclaves, pour rompre le blocus firent également appel à Samory. Le frère de Kankan Mori ayant été tué à Moriguédougou par les Bambara, celui-ci envoya des émissaires et de l'or à Samory qui accepta de conclure une alliance à condition qu'elle les lie pour l'offensive comme pour la défensive. Kankan Mori n'eut pas le choix.

Le chef Bambara, Barou Famadou, fut à son tour tué à Moriguédougou sur la rive gauche du Milo, affluent du Niger, par Samory, qui en profita pour massacrer les habitants et razzier le Sankharan, le Diouma et le Bali-Makhana. C'est un pays vide d'hommes qu'il abandonna à Kankan Mori.

Le Marabout Sori Ibrahima, qui s'était vu amputé du Konian par Samory, entreprit de se venger en soutenant les Sankharanké. Ses fils coupèrent la retraite du Touré et celui-ci voulut faire jouer l'alliance conclue avec Kankan Mori Mori, mais celui-ci, pour des motifs religieux (il ne pouvait disait-il attaquer un homme aussi saint que Sori Ibrahima !) mais surtout politiques (il prenait ombrage de la puissance grandissante de Samory), demeura sur une prudente réserve.

Les frères de Samory ayant mis en déroute les fils de Sori Ibrahima, Samory convoqua Sori Ibrahima à Bissandougou : celui-ci n'obtempéra pas et Samory attaqua alors Kankan avec toute son armée. Après dix mois de siège, l'assaut put être donné, la ville prise, mais il fit grâce à Kankan Mori qui fut seulement emmené dans le Konian.

Sori Ibrahima n'étant pas encore vaincu et profitant de l'immobilisation de Samory devant Kankan, il attaqua le plastron que ce dernier avait laissé au Sud.

Mais Kankan tombée, Samory put se tourner contre Sori. Battu, celui-ci fut à son tour mis en résidence.

Samory compléta ses conquêtes par celle du Féradougou, du Konadougou et du Sakhodougou. Il ravagea le Konafadié.

On est alors vers 1875. Parti du Ouassoulou comme chef de bande dissident, Samory Touré est à la tête d'un Etat, ou d'un Empire avant tout guerrier, de plus de 300 000 kilomètres carrés. Son pouvoir s'étendait sur le Ouassoulou bien sûr mais aussi le Sankharan, le Gouana, le Gouanédiaka le Baniaka, le Lenguesorho, le Bodougou, le Ouorokoro, une partie du Manding, le Falaba, le Balé, le Sabé, Banan, le Diouma, le Koubaridougou, le Kouroulamini, le Toron et le Kissi.

Il avait divisé son armée en sept corps qui s'accrurent de trois autres avec l'extension de ses conquêtes. A chaque corps correspondait une circonscription administrative et le chef de corps cumulait les commandements civil et militaire. Cette organisation descendait jusqu'à l'échelon du village où à côté du chef village traditionnel se trouvait un délégué de Samory, le Dougoukoumaigui percepteur et contrôleur en même temps qu'intendant chargé de faire cultiver par des captifs des champs réservés à Samory. C'était là, peut-on dire, des pays d'administration directe. Mais Samory Touré exerçait également une sorte de protectorat (il ne faut pas abuser des termes européens, qui recouvrent mal la réalité) sur les pays du Sud de son Empire : le Toma, le Toukoro (lisière de la forêt), le Gankouna et le Ouorodougou (pays des colas). En fait, ces pays étaient surtout des réserves de captifs et de soldats, mais il n'y avait aucune administration, même embryonnaire et l'impôt n'y était pas levé.

Samory Touré prit alors le titre d'Almamy (commandeur des croyants). Fétichiste de naissance, converti en surface lorsqu'il servait sous des chefs musulmans, revenu à l'animisme, il se convertit pour des mobiles essentiellement politiques lorsqu'il eut à lutter contre d'autres chefs musulmans importants afin de s'entourer du même prestige qu'eux. Il adhéra à la Qadryia dans laquelle il entra sous l'influence d'un marabout du Fouta-Djallon, Alfa Ousman.

Il transféra sa capitale de Sanankoro à Bissandougou dont il fit un centre religieux très important, mais il ne fut jamais ce qu'on est convenu d'appeler un lettré musulman.

Samory était à l'Ouest au contact des Almamys du Fouta-Djallon et au Nord de l'Empire d'El Hadj Omar mais il n'allait pas tarder à entrer également en conflit avec les Français.

Après des débuts difficiles, les relations entre Samory Touré et les Almamys du Fouta-Djallon revêtirent la forme d'un accord : les Almamys ravitaillèrent les colonnes de Samory tandis que celui-ci les débarrassait des Houbbou dont le chef Abal fut, après une résistance tenace défait par un lieutenant de Samory, Kémokho Bilali. Abal fut dépecé vivant et Kémokho devait finir quelques années plus tard « sous la dent » des anthropophages de la Région Forestière (?) 126.

La première rencontre de Samory avec les troupes françaises eut lieu près de Kéniéra, village de Haute-Guinée assiégé par Samory, dont les habitants avaient appelé les Français du Soudan à l'aide (26 février 1882). Ceux-ci refoulent les Sofas sur la rive droite du Niger, mais la colonne de faible effectif bien que dotée d'une artillerie qui mit en déroute les gens de Samory, ne put empêcher le sac de Kéniéra par ceux-ci.

Une nouvelle rencontre eut lieu le 2 avril au bord de l'Ouéyako et dix jours après le Colonel Borgnis-Desbordes mettait totalement en fuite les troupes de Samory et concluait un traité avec lui au terme duquel le Niger formait la ligne de séparation. Cependant, Samory voulut transférer les populations de la rive gauche sur la rive droite, et à titre d'exemple massacrer celles qui refusaient de se déplacer.

La trêve fut de courte durée. Un an après, Samory reprend l'offensive : il occupe la plus grande partie du Solima avec sa capitale Falaba et envoie une ambassade à Freetown : il était en effet devenu voisin du Sierra-Leone mais le gouverneur de cette colonie anglaise ne pouvait lui prêter une assistance officielle puisque Samory était en guerre contre les Français et que d'autre part la délimitation de la frontière Guinée-Sierra-Leone avait fait l'objet d'un accord franco-anglais du 28 juin 1882 qui ne fut d'ailleurs pas ratifié.

La Sierra-Leone était la doyenne des colonies de la couronne (1808) et la rivalité avec les comptoirs français existait de longue date : le gouverneur anglais voyant le littoral lui échapper s'efforçait de faire en sorte que la France fût cantonnée sur la côte et de s'assurer l'hinterland guinéen.

En 1879, les agents d'une maison de commerce tentent de pénétrer au Fouta-Djallon et échouent : ils se replient alors sur le Kouranko et découvrent les sources du Niger.

En 1880, le gouverneur envoie un message à Samory dans le Ouassoulou.

Une mission dirigée par le Docteur Gouldsberry effectue la liaison Gambie-Sierra-Leone par le Fouta-Djallon mais se voit refuser l'autorisation de remonter vers le Nord à travers le Solima.

Du côté Français, les avertissements ne manquaient pas 127 aussi en 1881 le Fouta-Djallon était-il mis sous protectorat français et le décret du 12 octobre 1882 créait la colonie des « Rivières du Sud et Dépendances ».

Si des motifs diplomatiques expliquent la prudence du gouvernement anglais, il faut également ajouter que les chefs du Sierra-Leone se plaignaient des Sofas qui, musulmans assez tièdes, tuaient et pillaient par plaisir.

En 1886, le Colonel Frey protégeant les populations du Haut-Manding bat à nouveau les troupes de Samory avec lequel il passe un traité, un de plus et ce ne sera pas le dernier (16 avril 1886). Sa teneur n'est pas originale: le Niger est confirmé comme ligne de démarcation entre Français (rive gauche) et Samory (rive droite).

En fait, Samory n'avait signé ce traité que pour avoir les mains libres dans sa lutte contre Tieba Traoré, chef Bambara de Sikasso.

Mais Tieba Traoré bat Samory et traite avec la France. L'Almamy signe alors avec la France le traité de Niakho en Février 1889 par lequel il abandonne toute la rive gauche du Niger. Il est ainsi isolé du Fouta-Djallon et de la Sierra-Leone. L'état Toucouleur du Dinguiraye lui échappe tandis que la Sankaran se révolte contre lui.

Cependant, les choses allaient évoluer plus favorablement pour lui : le frère et successeur de Tieba Traoré, Bademba, esquisse un rapprochement avec Samory et par ailleurs l'arrangement franco-anglais du 10 août 1889 règle le contentieux sauf précisément en Haute-Guinée où la porte vers le Niger restait entrebaillée pour les Anglais avec lesquels Samory renoue.

L'Almamy renvoie à Archinard le traité de Niakho, fait passer ses sofas sur la rive gauche du Niger et met à feu et à sang le Soulima, le Sankharan et le Kouranko. La nouvelle colonie de Guinée française qui vient d'être organisée par le décret du 1er août 1889 est menacée : Setiba pille le pays Bailo et Kemokho Bilali s'avance sur la Mellacorée.

Les Anglais les soutiennent dans l'ombre et les approvisionnent en armes et en munitions par Freetown.

Fin 1888, le Colonel Archinard avait été nommé commandant supérieur des Troupes au Soudan. Pour se garder vers le Sud, il installe un poste à Kouroussa, puis après la chute de Segou et de Nioro au Nord, il peut se retourner contre Samory.

Au début de 1891 vont commencer les opérations vers le Sud par le franchissement du Niger à Niantankoro et une colonne volante commandée par le Capitaine Hugueny atteint Kankan. Le 8 avril a lieu le combat de Oulondougou et peu après les troupes françaises entrent dans Bissandougou capitale de l'Almamy, qui l'évacue et se retire en utilisant sa tactique favorite, celle de la terre brûlée.

Cependant, avec l'arrivée de l'hivernage et étant donné la faiblesse de la colonne française, Archinard donne l'ordre de repli sur Siguiri, ne laissant qu'un poste à Kankan qui est aussitôt investi. Le Capitaine Hugueny doit effectuer des sorties pour se dégager. Battu à Faraba, Samory doit se retirer vers le Sud.

Pendant ce temps une mission partait des rivières du Sud sous la direction de Brosselard-Faidherbe pour étudier la possibilité du tracé d'un chemin de fer qui contournant le Fouta-Djallon atteindrait le pays des sources du Niger. Mais la mission se heurte aux sofas et doit rebrousser chemin.

La rivalité franco-anglaise et l'action de Kemokho Bilali avaient produit les mêmes effets. Aussi le 26 juin 1891 une convention était-elle signée entre la France et l'Angleterre qui complétait celle de 1889 laquelle avait laissé en suspens les problèmes de Haute-Guinée. Aux termes de cette convention, la France recevait le contrôle exclusif du Bassin du Niger. La Sierra-Leone voyait donc son expansion arrêtée au Nord et à l'Est. Mais en fait, malgré l'accord des gouvernements, localement les Anglais continuaient à soutenir Samory, plaçant auprès de Khémokho Bilali un agent permanent qui servait d'intermédiaire pour l'échange d'armes contre ivoire et or.

La lutte dans ces conditions, tout en se déplaçant, va durer encore six ans.

Elle reprit à la suite d'une demande de protection d'Aguibou Tall, chef du Dinguiraye. Celui-ci, plus ou moins allié de Samory dans un premier temps (qui ne l'était pas sous peine de voir ses états razziés ?), avait rompu avec lui, ce qui eut pour effet immédiat une expédition de Kémokho Bilali contre Dinguiraye. Aguibou Tall doit se réfugier auprès du Colonel Archinard à Kita. Les troupes françaises sont alors envoyées pour purger le Dinguiraye des bandes de Sofas qui le pillaient.

Sur ce, le Colonel Humbert succède à Archinard. Le Gouvernement français donne des instructions pour en finir avec Samory. En janvier 1892, Humbert atteint Kankan et attaque le gros des forces de l'Almamy sur les bords du Diamanko où il bat difficilement les Sofas dissimulés dans la forêt galerie.

Les troupes se reforment alors à Bissandougou et la bataille décisive a lieu sur le plateau de Toukoro où Samory qui s'est laissé surprendre perd une grande partie de ses approvisionnements. Sanankoro et Kérouané sont occupés par les troupes françaises qui bordent ainsi la Région Forestière.

L'hivernage, comme d'habitude, amène le repli sur Kankan et Siguiri mais dans Bissandougou fortifié Humbert laisse une garnison. Le Colonel Archinard qui a repris le commandement supérieur des troupes du Soudan confie au lieutenant-colonel Combes la poursuite de la lutte contre Samory retiré dans la Haute Vallée du Milo. Une colonne est lancée sur Kouroussa à la poursuite de Kémokho Bilali qu'elle doit acculer au Fouta-Djallon. Le 17 février 1893, Faranah est occupé, le 7 mars les sources du Niger sont atteintes et en deux mois toute la Région du Haut-Niger est soumise.

Le Nord du pays Kissi, où Kémokho Bilali s'est réfugié, est le théâtre de combats les 22 et 23 mars à Guédé.

Le Lieutenant de Samory y perd de nombreux captifs et des approvisionnements importants. Les relations de l'Almamy avec Freetown par le Kissi et le Soulima sont coupées et il devra désormais emprunter la voie du pays Toma.

Exploitant ces succès le Capitaine Dargelos poursuit Baba, un autre chef Sofa, dans le Kissi et obtient sa soumission. Toutes les routes du Sud-Est sont coupées et le poste de Kissidougou créé avec le Lieutenant Valentin comme premier titulaire.

Au Nord, le Colonel Combes atteignant Odienné et Nafana battait les Sofas mais rentrait le 10 mars à Kérouané pour accorder du repos à ses troupes.

La pénétration dans l'Ouest et le Centre de la Région Forestière

Le 17 juin 1893, une région militaire Sud (par rapport au Soudan) est organisée sous le commandement du chef d'escadron Richard. Elle comprend les cercles de Siguiri, Kouroussa et Kankan. Les postes d'Hérimakono, Faranah, Kissidougou, Kérouané et Bissandougou (ceux-ci surveillant le passage du Sankharani) forment une ceinture chargée d'assurer la tranquilité de la nouvelle Région Sud.

Mais Samory n'est ni écrasé ni éliminé. Il divise ses forces en trois groupes l'un à l'Ouest appliquera la tactique de la terre brûlée devant les Français, le second au Centre surveille la perception des tributs en argent et en vivres et le troisième à l'Est est chargé de conquérir de nouvelles provinces.

Il n'y a donc pas éclatement mais déplacement de l'Empire de Samory Touré. En 1892, déjà ses Sofas avaient tué le Capitaine Ménard à Séguéla (dans le Ouorodougou). En 1894, il installe sa capitale à Dabakala c'est-à-dire à plus de 700 km à l'Est de l'ancienne, Bissandougou. Il menace l'important centre commerçant et religieux de Kong en Côte-d'Ivoire dont il s'empare et massacre les habitants ainsi que ceux du Haut-Bandama et de la Haute-Comoe.

La colonne Monteil qui se trouvait en Oubangui pour marcher sur le Nil, avait été rappelée en Côte-d'Ivoire pour débloquer Kong. Affaiblie par les rudes combats qu'elle doit livrer contre les populations forestières qui ralentissent sa progression, elle est stoppée à Sokola-Dioulasso à 75 km au Sud de Kong. La colonne Dargelos, qui aurait dû pouvoir faire desserrer la pression exercée par Samory sur Monteil, est immobilisée au Soudan par les ordres de Paris. La colonne Monteil doit faire demi-tour et Samory s'étend en pays Djimini. De même en Guinée, la Région Sud devait se tenir sur la défensive.

Les autorités de Sierra-Leone n'avaient pas désarmé et l'interprète Ismaila Sylla avait été envoyé dans le Kissi tandis que le Capitaine William était détaché auprès de Samory.

Kémokho Bilali, après sa défaite de Guédé avait reformé en partie ses bandes et avait fait attaquer Kaman Tiékoura, chef du Bouzié (petit état mandé d'origine Djallonké) par Diaoulé Karamoko et Karadi Kéléba, deux chefs que lui avait envoyés Samory pour assurer les communications avec Freetown et recruter des Toma pour combler les vides faits dans les rangs des Sofas lors des combats contre les Français.

Après avoir enlevé Boussédou, ces chefs se retirèrent au Sud dans le Diouyama (N'Zapa - Boy-Bokhasso) qui était ennemi du Bouzié.

Bilali avait de plus fait occuper par les chefs Porékéré et Fabérésoro la route allant de Kissidougou au Sierra-Leone par le Konianké 128.

Ainsi, alors que l'Empire de Samory se déplaçait largement vers l'Est, la lutte gagnait la région forestière.

Bilali dut s'enfuir et le Lieutenant Maritz attaqua Porékoré dans le Koninké tandis que le Sergent Fodé, appuyé par les guerriers de Kaman Tiékoura battait Diaoulé Karamoko.

Des reconnaissances étaient poussées au Sud de Kérouané et un fortin élevé à Beyla qui devint le chef-lieu d'un nouveau cercle de la région Sud au début de 1894. Plus tard, le poste de Kérouané lui était rattaché tandis que celui de Touba au contraire passait sous le contrôle de la Côte-d'Ivoire.

Le 8 décembre 1892, une convention franco-libérienne avait fixé à la ligne de partage des eaux, la limite avec la République du Libéria créée par des philanthropes américains en 1821 pour y établir des esclaves libérés. En 1847, son indépendance avait été reconnue par l'Angleterre et la France et en 1862 par les Etats-Unis d'Amérique.

Ces Noirs américains se cantonnaient à la côte et n'exerçaient évidemment aucune autorité sur les populations autochtones de l'intérieur dont ils n'étaient pas acceptés et cette frontière devait se révéler intenable car les Toma, à l'abri de celle-ci, ne cessaient d'effectuer des razzias chez les populations protégées par la France.

On sait que les Toma occupaient auparavant le pays au Nord de la ligne Sampouraya-Beyla jusque Kérouané et Bissandougou. Ils en avaient été refoulés aux XVIe XVIIe siècles jusque dans la forêt par les Malinké et les Djallonké.

En 1860, le roi du Goukouma, Saardigui, les poursuit vers le Sud et vers 1875 Kaman Tiékoura envahit le Bouzié (Kuonkan), le Kounoukoro et le Kolibirama (Diorodougou).

Samory avait recherché l'alliance des chefs du pays et de Kaman Tiékoura plus spécialement, en les aidant à se débarrasser de leurs adversaires. Un chef Sofa, Alama, dégage le Bouzié qu'investissaient les Toma et s'assure même l'alliance de N'Zébéla (1877) puis de N'Zapa, créant ainsi une seconde voie d'approvisionnement pour les fusils à tir rapide et leurs munitions (Monrovia-N'Zapa).

Mais la création du poste français de Kérouané avait amené la rupture de Samory et de Kaman Tiékoura (1892) lequel quitte Kuonkan pour Diorodougou et les Toma s'emparent de Kuonkan.

Lorsqu'est créé le poste de Beyla, en Novembre 1893, les Sofas abandonnent le Bouzié et Kaman Tiékoura se réinstalle à Kuonkan.

Dans la vallée de la Makona, le chef Toma Tolino barre la route aux Malinké qui ne peuvent pénétrer plus avant vers le Sud 129.

Les événements qui vont se dérouler en secteur Toma découlent du fait que, placés devant la nécessité de couper Samory de ses voies d'approvisionnement, nous devons nous opposer à ses alliés, les Toma, mais que pour pacifier leur pays il nous est difficile de nous passer de leurs ennemis, les Malinké, comme auxiliaires, guides, interprètes, éclaireurs. Or ceux-ci profitant des circonstances, nous feront commettre des erreurs qui ralentiront la pacification et seront la cause d'événements regrettables. Cette situation n'était pas rare en Afrique pendant la période de la conquête.

Un convoi destiné à Samory est signalé dans la région de N'Zapa. Le Lieutenant Lecerf du poste de Beyla forme un détachement composé de cinquante tirailleurs soudanais, d'un Adjudant et d'un Sergent européens. D'après A. Arcin, il serait tombé dans un guet-apens dressé par les Tomas qui lui auraient fait savoir qu'ils étaient prêts à lui livrer le convoi et qui auraient assailli la colonne aussitôt que celle-ci se serait présentée.

Le récit du Lieutenant Bouet*, qui servit en secteur Toma quelques années après, est fort différent et reposant sans doute sur les archives du poste, plus vraisemblable et très compréhensible en raison de ce que nous avons dit plus haut.

Nous sommes en Avril 1894. La colonne formée par le Lieutenant Lecerf à l'annonce du convoi, passe par le Nord de ce qui sera le cercle de Nzérékoré: Boola-Lomou-Kourougourani et Mabessou où elle fait étape. Le lendemain elle reprend la piste Koulo-Pampala-Kéréssala-Koulé-Zohota.

La colonne est guidée par un dioula nommé Konoba, que nous retrouverons plus tard en secteur guerzé, où il interfère dans les affaires de chefferie faisant nommer un de ses captifs comme chef de l'Ourapeulé.

Le fils de Kaman Tiékoura devait être guide mais il était absent au départ de la colonne. On ne sait s'il eût été plus habile d'utiliser les services du plus grand ennemi des Toma !

La colonne réussit à franchir les deux premiers postes avancés de N'Zapa en témoignant de ses intentions pacifiques, mais elle est accompagnée d'une suite de malinké attirés par l'attrait du pillage et l'appât du butin. L'un de ceux-ci, Assakoba, garotte les sentinelles du premier poste devenues sans défense. Un chasseur Toma qui s'échappe court prévenir le village.

Lecerf est arrivé au contact de N'Zapa, le guide-interprète Konoba assure les habitants des intentions pacifiques de la colonne, mais à ce moment arrive le chasseur Toma qui décrit la scène à laquelle il vient d'assister et décharge son fusil. Les guerriers Toma prennent alors leurs postes de combat derrière le Sanyé (palissade faite de rondins) sur la rive de l'Ourié vers N'zapa.

Lecerf, qui ignore ce qui s'est passé, arrive près du ruisseau et s'enquiert de la cause des cris de guerre qu'il entend pousser. Mis au courant, il fait relâcher les prisonniers et ordonne à Konoba d'expliquer la méprise des guerriers. Un Toma connu de Konoba et appelé par lui, vient en parlementaire mais il est trop tard : les guerriers à leur poste offrent le combat. Le Toma conseille à Lecerf de contourner le village mais celui-ci craignant un piège, ne suit pas le conseil et marche sur le Sanyé sans tirer : les Toma le font les premiers. Après avoir franchi le fleuve à gué ou par le pont de liane, les tirailleurs enlèvent le premier et le second Sanyé et arrivent au pied de l'enceinte de terre du village.

Lecerf, qui escalade le mur par une échelle est blessé d'une flèche à la main. Il change de tactique et prescrit la retraite pour tromper l'ennemi, lui faire ouvrir ses portes, et pouvoir repartir à l'assaut. Il se porte en avant pour attendre le moment opportun mais est tué par un guerrier Toma camouflé dans un fourré voisin.

L'adjudant prend le commandement et ordonne la retraite. Pour éviter le pays placé sous le contrôle du chef N'Zébéla Togba, qui ne devait pas manquer de dresser des embuscades au détachement, la colonne fait route sur Kuonkan. Un parti envoyé par N'Zébéla Togba attaque de nuit à Tidibai mais est repoussé: au bout de sept jours Beyla est enfin atteint et le Lieutenant Lecerf y est inhumé.

L'année d'après, les Toma enhardis par l'affaire de N'Zapa, reprennent Kuonkan et Kaman Tiékoura évacuant le Bouzié, se réfugie au poste militaire de Kérouané. En 1896, il réoccupe sa capitale et en 1897 la guerre entre Toma et Malinké reprend.

En Novembre de la même année, une mission commerciale qui s'est donné pour objectif les sources du Cavally, dirigée par les explorateurs Bailly et Pauly (celui-ci étant un ancien officier), veut traverser la région de N'Zapa mais se voit refuser le passage. Les nombreux partisans armés de fusils 1874 qui l'accompagnent sont formés en trois colonnes. C'est une troupe mal encadrée et de faible valeur malgré la présence d'un certain nombre d'anciens tirailleurs. L'assaut est donné au village de N'Zolou mais les assaillants se dispersent en désordre. Bailly rameute son monde mais criblé de flèches et sur le point de tomber entre les mains des Toma, se brûle la cervelle. Quant à Pauly qui continue à se défendre, il est fait prisonnier. Blessé, il serait mort d'insolation. Les corps des deux explorateurs, desséchés par les Toma, seront ramenés à Beyla le 8 mai 1990 par le Commandant Conrard à l'issue de sa colonne dans la région.

A. Arcin (op. cit., p. 604) donne une autre version des faits. D'après lui, une partie des habitants de N'Zolou, cachée dans la forêt, intercepta le convoi des porteurs tandis que l'autre partie à l'abri des Sanyé ouvrit le feu. Bailly fit prévenir le chef qu'il n'avait que des intentions pacifiques et désirait seulement passer pour atteindre la côte, ce qui ne mit pas fin à la fusillade. Les Toma auraient donné l'assaut au carré formé par les tirailleurs qui manquaient de munitions. Les deux Européens faits prisonniers auraient eu, l'un la tête tranchée, l'autre une mort atroce dans les supplices. Cette version semble venir d'un manuscrit du Sergent Léonard.

De toute façon, le résultat fut le même.

La capture de Samory

Pendant que ces événements se déroulaient en secteur Toma, la politique française à l'égard de Samory se révélait pleine de contradictions au point de provoquer de vives discussions à la Chambre des Députés. Certains pensaient que Samory fixé à Dabakala pouvait être cantonné dans un domaine réduit et considéré comme inoffensif. En même temps on traitait avec lui comme avec une Puissance. L'Administrateur Nebout était chargé d'une mission de Paix auprès de lui. Samory l'accueillait avec des égards mais essayait en même temps de traiter en sous-mains avec les Anglais de Gold-Coast. Mais son fils Sarankéné Mori, contrecarra les vues de son père en massacrant un détachement anglais près de Bouna et peu après, une colonne française commandée par le Capitaine Braulot (20 août 1897).

Ces événements mirent fin aux tergiversations. On décida d'en terminer d'abord avec Bademba de Sikasso qui avait pris le contre-pied de la politique de son prédécesseur, notre allié Tiéba. Sikasso fut pris d'assaut par le Colonel Audéoud le 1er mai 1898.

Deux colonnes furent immédiatement formées. La première se dirigeait sur Kong par la Haute-Comoé et une seconde, plus importante, marchait sur Tiémou. Il ne fallut que deux mois pour que tout le pays entre Bagoué et Bandama ainsi que le Ouorodougou fussent purgés des Sofas commandés par Kémokho Bilali. Samory entre le 3 et le 18 juin rassembla son armée, sa « smala » et ses « impedimenta » à Séguéla, soit 120 000 personnes dont 12 000 sofas avec trois canons et ses troupeaux. Il mit huit jours à traverser la Férédougouba et voulut se rapprocher du Sierra-Leone d'où il pensait recevoir de quoi refaire ses forces. Le 13 juillet il était à Touba et tentait de prendre ses cantonnements d'hivernage à Doué.

A ce moment, la région militaire sud était commandée par le Lieutenant-Colonel Bertin qui, pour boucler le filet autour de Samory, dépêcha un détachement de cent tirailleurs vers Kong au cas où l'Almamy aurait reflué vers l'Est.

Le Commandant de Lartigue succéda au Lieutenant-Colonel Bertin le 1er juillet 1898. Les forces dont il disposait face à celles de Samory ne lui permettaient apparemment pas de régler son compte à celui-ci et d'assurer la pacification de la Région.

D'un côté les Français pouvaient mettre en ligne la 1re Compagnie de tirailleurs du Lieutenant Woeffel réduite à cent hommes, la 3e Compagnie du Capitaine Gaden avec deux cents hommes et une section mobile d'artillerie du Lieutenant Jacquin avec deux pièces.

De l'autre côté, l'Almamy avait 4 000 Sofas armés de fusils à tir rapide, 8 000 possédaient des armes blanches ou des fusils à pierre et il s'y ajoutait 2 000 cavaliers. Tous étaient organisés en unités recevant les commandements en français et marchant au son des clairons pris à la colonne Braulot. En outre, parmi les 120 000 personnes qui le suivaient du Ouassoulou à la Haute-Côte-d'Ivoire et de celle-ci à nouveau vers l'Ouest, se trouvaient des hommes, des captifs armés de fusils à pierre au nombre d'environ 8 000 sans organisation, que l'on peut qualifier d'irréguliers.

Le Commandant de Lartigue apprenant la présence de Samory à Doué forme une colonne de 248 hommes avec le Capitaine Ristori, le Lieutenant Woeffel et le Docteur Boyé. Le 20 juillet 1898, il tombe sur les meilleures troupes de l'Almamy à Doué. L'issue du combat fut incertaine et c'est à l'intervention du Sergent Bratières avec 60 tirailleurs vers midi que l'on dut le rétablissement de la situation. Un coup d'arrêt avait été donné à Samory. Mais nos pertes étaient lourdes, les munitions presqu'épuisées et les réserves inexistantes. La reconstitution des forces et des approvisionnements exigeait un retour sur les bases de Touba et Beyla.

La situation de l'Almamy n'était pas plus brillante : on est en plein hivernage, les fleuves grossis sont pour beaucoup infranchissables, il n'a pas réussi à atteindre le pays des Toma, ses alliés, et par eux la frontière de Sierra-Leone pour le moins bienveillante à son égard. Devant lui, c'est la Forêt, mais celle des Kono, des Manon et des Dan qui vont lui être hostiles et qui ont une réputation d'anthropophagie. Cependant Samory n'a plus le choix qu'entre la reddition et le refuge dans la Forêt du Sud. En effet, il avait envoyé son griot Diali Toumané et le Marabout de Soukouréla à Touba pour se plaindre de la chasse qui lui était donnée et protester de son désir de paix. En fait, il pensait ainsi amuser de Lartigue, qu'il croyait toujours à Touba, assez longtemps pour rétablir sa situation. Les Sofas commençaient à déserter et à se présenter aux postes français : en une semaine 500 à Beyla, 200 à Odienné, 1 000 à Touba. Samory envoya ses fidèles contre les fuyards et fit couper la tête tous les prisonniers.

De Lartigue envoie sa réponse : les fils de Samory, Saranké Mori et Moktar doivent se constituer prisonniers, les sofas livrer armes et munitions, puis Samory se présenter. Le commandant promettait la vie sauve et demanderait aux autorités supérieures que l'Almamy puisse résider à Sanankoro.

Samory qui avait dû évacuer Doué pris par les Guio ou les Dan, faisait face aux Manon. Il razziait avec méthode la lisière de la forêt, se heurtant à ce qu'Arcin appelle la puissante confédération Guéré-Guerzé (op. cit., p. 603) et qui est en réalité la chefferie de Guéasso (cf. eh. IV, p. 102). Il ne peut aller jusqu'à Lola et fait occuper Tounkaradougou par Saranké Mori. Il ordonne à Fourouba Moussa de s'emparer de Dienifesso. En fait, ce dernier est battu à Gourouma par les tribus forestières et Samory dut envoyer Koundi Keleba qui occupa le village évacué.

Les instructions du commandement étaient de rejeter Samory vers le Libéria. Le Commandant de Lartigue faisant valoir qu'il fallait à tout prix éviter une jonction de l'Almamy et de ses alliés Toma, soulevés contre nous par le chef Sofa Marigui Cissé, proposa un plan d'enveloppement pour resserrer Samory dans le quadrilatère formé par le Bafing au Nord, la Férédougouba à l'Est, le Cavally à l'Ouest, les forêts, les montagnes et les populations forestières au Sud. Le Colonel Audéoud approuva ce plan.

Samory s'est déjà enfoncé dans la forêt.

Le Commandant de Lartigue ne va pas lui laisser de répit. La Compagnie du Capitaine Ristori reste basée à Touba pour barrer la route du Nord sur le Bafing tandis que de Lartigue recevait des renforts dont un détachement commandé par le Capitaine Gouraud. Une reconnaissance vers le Sud est dirigée par le Lieutenant Woeffel, qui est renforcé de la compagnie d'auxiliaires du Capitaine Gaden. S'il ne réussit pas à stopper les Sofas sur le Cavally, il les arrêtera sur le Diani.

A son tour, le Commandant quitte Beyla le 11 septembre et apprend le 14 le succès remporté par le Lieutenant Woeffel à Tiafesso (9 septembre). Celui-ci, grâce aux renseignements fournis par les indigènes, se porte sur le Cavally que les Sofas se disposent à franchir, coupe du fleuve leur avant-garde et obtient la reddition de 25 000 personnes dont 2 000 Sofas ainsi que de leurs chefs : Kounadi Keleba, Fourouba Moussa et Sabou.

Le Capitaine Gouraud qui fait partie de la colonne décrit ainsi la progression :

« Notre route continue par des chemins de plus en plus mauvais. Le 15 nous entrons dans la grande forêt vierge qui s'étend jusqu'à la côte, avec ses arbres énormes, son ombre pesante, ses lianes, ses fourrés impénétrables, ses ravins à pic, ses boues gluantes, ses rocs, ses racines coupant le sentier, ses arbres centenaires couchés en travers du chemin et surtout ses marigots vaseux où l'on s'enfonce jusqu'au genou » 130.

C'est en effet à Lainé, dans le Konodougou, que de Lartigue et Gouraud pénètrent véritablement dans la forêt. Ils sont à N'Zo dans le Vépo au pied du Mont Nimba, le 20 septembre. Ils y font leur jonction avec Woeffel et Gaden.

Apprenant par les chefs faits prisonniers à Tiafesso le caractère désespéré de la situation de Samory, bien que ne pouvant pas situer avec exactitude sa position, le Commandant de Lartigue décide d'en finir.

Une reconnaissance, sous les ordres du Capitaine Gouraud avec 220 tirailleurs, fut lancée avec ordre de rabattre l'Almamy sur le Cavally. Elle était encadrée d'officiers dont certains portent des noms célèbres :

L'encadrement était complété par l'Adjudant Brail et les Sergents Bratière, Maire et Lafon.

Le Commandant de Lartigue et le Lieutenant Woelffel avec deux cents tirailleurs devaient alors attaquer Samory, pris dans la pince.

Le 24 septembre, la colonne s'ébranle, elle traverse le village de Guiro en ruines après avoir franchi le Cavally. En ruines encore, le village de Niaralassou atteint le 26 et où, au milieu des cadavres en putréfaction laissés derrière lui par Samory, on découvre une femme fugitive de la suite de l'Almamy : elle indique que celui-ci se trouve à Denifesso. La colonne atteint ce village à marches forcées. Samory n'y est pas mais le village abrite une centaine de fugitifs qui ont abandonné Samory à la suite du combat de Tiafesso.

Une patrouille arrête un Sofa qui a quitté trois jours auparavant les femmes de Samory dans une diassa située au sud-est 131, l'almamy se trouvant, lui, dans un campement voisin.

Le Capitaine Gouraud décide la marche vers le Sud. Le 27 septembre, la reconnaissance franchit le M'lé, affluent du Bafing, qui a débordé considérablement. Les villages et les pistes sont toujours encombrés de cadavres en putréfaction abandonnés par les Sofas. Gouangooulé, Zélékouma, l'objectif semble se rapprocher : on tombe sur un pare à boeufs récemment évacué, une diassa de femmes également. Des traînards indiquent le Nord-Est comme axe de la fuite de Samory. A trois heures de l'après-midi on atteint un vaste campement qui ne semble pas abandonné depuis plus de quarante huit heures.

Le lendemain, la colonne rencontre un sofa: celui-ci ayant compris que Samory voulait reprendre le chemin de l'Est et non pas traiter avec les Français de Touba comme il en avait publiquement manifesté l'intention, a déserté. Il donne des renseignements précieux : Samory se garde au Nord mais pas à l'Ouest croyant que les cadavres sur la piste constituent un obstacle infranchissable.

A Guélémou se trouve la « Smala » (ou Dembaya en malinké). Derrière Guélémou sur un petit mamelon, la case de Samory entourée de son campement. La garde ne serait assurée que par une vingtaine de sofas.

Le Capitaine Gouraud désire prendre l'Almamy vivant pour détruire sa légende et n'en pas faire un martyr, donc pas de combat.

Une escouade s'interposera sur la piste entre le village des femmes et le campement de Samory. Une section (Lieutenant Jacquin) traversera le camp sans tirer et coupera la piste de Touba. Une autre (Capitaine Gaden) s'assurera de la personne de l'Almamy.

Le 29 septembre 1898 se terminera l'aventure de Samory commencée trente ans auparavant. Partie de bonne heure, la colonne vers 7 heures débouche sur des pentes dénudées et découvre une vallée verdoyante. L'horizon est barré par une longue croupe boisée derrière laquelle montent les fumées d'un campement. Les choses se déroulent comme prévues. Les tirailleurs traversent le campement des femmes en silence et atteignent le camp de Samory : les femmes cuisent le repas, d'autres tiennent un marché de manioc, l'Almamy assis lit le Coran. Il ne prend pas le temps de s'armer ni de sauter en selle et fuit vers la piste de Touba qu'il pense gardée par ses fils. Reconnu par les tirailleurs, il court mais ne peut s'échapper et est fait prisonnier par le Sergent Bratière, rejoint par la Section Jacquin.

Après un premier mouvement de stupeur, les Sofas tentent de se ressaisir et sortent en armes mais le Lieutenant Jacquin ramène Samory à sa case le revolver sur la tempe : l'Almamy ordonne alors aux Sofas de déposer les armes. A ce moment, le Capitaine Gouraud arrive avec la réserve. Il essaie d'obtenir la reddition pacifique de Sarankégny Mory et de Moktar, les fils de Samory en grand-garde sur la piste de Touba : ils viennent faire leur soumission l'après-midi.

La première femme de Samory, Sarankény se rendit à la tête de toutes les autres avec leurs enfants : plus de cinq cents personnes.

Sur les 120 000 personnes que traînait avec lui Samory, et qui avaient pénétré en forêt, 50 000 seulement avaient survécu.

Le retour se fit par une autre piste avec toute la Dembaya et le Trésor. Le M'lé est retraversé le 3 octobre. Les tirailleurs doivent protéger la Dembaya que guettent les guerriers des populations traversées pour se procurer des captifs ou même de la viande fraîche. Gouraud rapporte qu'à Gourouno le médecin doit soigner des femmes qui avaient eu le gras du bras emporté d'un coup de coutelas donné par des anthropophages dissimulés sur les bas-côtés de la piste et qui, n'osant pas attaquer par suite de la présence des tirailleurs, se servent rapidement.

Le 9 octobre, la traversée du Bafing marque la sortie de la Forêt et la jonction est faite à Guéasso avec le Commandant de Lartigue, lequel s'est porté au-devant de la colonne Gouraud en apprenant la capture de l'Almamy : le 17 octobre, c'est le retour à Beyla.

Les populations qui avaient dû évacuer le Ouassoulou pour suivre de force l'Almamy dans ses pérégrinations, sont réinstallées dans la Région de Kankan, Bissandougou, Kérouané. Deux mille sofas sont envoyés aux travaux de construction du chemin de fer de Kayes.

Samory et les principaux chefs sont dirigés également sur Kayes auprès du Colonel de Trentinian qui avait remplacé le Colonel Audéoud. Samory est assigné à résidence au Congo où il meurt le 2 juin 1900. Nombreux furent ses fils qui servirent dans l'armée française comme sous-officiers ou comme officiers.

Certains ont tenté de présenter Samory Touré comme un héros africain de l'Indépendance Nationale. Ils oublient qu'avant de lutter contre les Français, il avait lutté contre d'autres Africains, et que les Français ne sont entrés en lutte avec lui que pour protéger les populations que l'Almamy razziait et massacrait et qui demandaient l'aide de la France. Certes, à plusieurs reprises, il manifesta le désir d'une entente qui aurait consolidé l'empire qu'il s'était taillé par le feu et dans le sang. Si la France l'avait reconnu comme Chef d'Etat, il aurait pu continuer impunément ses pillages. Il faut ne pas avoir entendu les récits d'un Bo Yahiri, Chef Mwã de Bambalouma, engagé de force comme sofa, ou d'un Dan Tiéné, Chef de Dantougou dans le Koro (Mankono), pour se représenter l'Empire vagabond de Samory comme un Etat symbolisant les aspirations africaines à l'Indépendance. Avant d'être l'ennemi de la France, il fut celui des Africains eux-mêmes. Sa capture allait enfin ouvrir une ère de paix et de progrès pour les immenses régions qu'il avait ruinées.

Opérations en Pays Toma

La Région militaire Sud du Soudan était pacifiée jusqu'aux confins de la forêt dense mais il restait à régler la situation de celle-ci.

Depuis que Samory avait été chassé du Ouassoulou, du Sankharan et du Konian vers l'Est, le pays avait commencé à revivre : les marchands d'esclaves étaient poursuivis, des villages de « liberté » étaient créés avec les captifs fugitifs ou libérés et les sofas transfuges, sur les points de passage des caravanes : ils reçurent des terres à cultiver.

Des écoles avaient été ouvertes dans les chefs-lieux de cercle, les Pères Blancs s'étaient installés en pays Kissi (Bouyé). Une station agronomique pour l'amélioration des cultures locales, l'introduction de nouvelles cultures et l'élevage fonctionnait à Kissidougou. Des routes en terre étaient ouvertes et entretenues, des ponts construits au passage des cours d'eau modestes et des bacs sur les rivières plus importantes. Des campements ou gîtes d'étapes étaient érigés pour les voyageurs. Le commerce africain traditionnel ou européen pouvait se développer en sécurité.

Cependant le Sierra-Leone avait profité de ce que nous étions occupés avec Samory pour annexer des parties des zones Kissi et Toma en 1898-1899. Les difficultés rencontrées par la « frontier force » et les troupes des West-Indies devaient laisser présumer de ce qui nous attendrait lorsque nous déciderions de pousser plus au Sud.

L'impunité dont avaient joui les Toma lorsqu'ils venaient razzier nos alliés avait deux raisons : nominalement le pays correspondant au bassin de la Makona appartenait au Libéria (Traité de Paris 8 décembre 1892) et d'autre part nous ne pouvions courir deux lièvres à la fois, il fallait régler son compte à Samory. C'est ainsi que la mort du Lieutenant Lecerf et des explorateurs Bailly et Pauly était restée impunie. Bien entendu les Toma s'en étaient enhardis.

Nous comptions peu d'alliés :

Dès 1899 nous érigions un poste à Diorodougou, que le chef Toma, Koko Tolino, assiège aussitôt détruisant et brûlant les villages accusés d'avoir coopéré à sa construction.

Des Toma de N'Zapa et de N'Zolou tentent de conquérir le Bouzié mais échouent.

Ce secteur militaire de Haute-Guinée qui avait d'abord été rattaché au Soudan, le fut par la suite à la Guinée avec les cercles de Siguiri, Kankan, Kouroussa, Dinguiraye et Beyla. Les troupes étaient détachées du régiment de tirailleurs soudanais, devenu par la suite 2e Régiment de Tirailleurs Sénégalais (RTS). Après 1899, un bataillon du 1er RTS fut envoyé à Conakry et les postes de la frontière libérienne et sierra-léonaise eurent Conakry pour portion centrale.

Le Capitaine Dauvillers fut chargé par le Commandant de Lartigue de dégager le poste de Diorodougou et d'assurer la liberté des communications entre Kissidougou et Beyla. Les villages du Sud du Kissi risquaient de passer aux Toma si nous ne nous montrions pas capables de les protéger. A Sampouraya, Dauvillers ayant traversé la Doffé, se heurte à 4 000 Toma qu'il met en fuite. Il construit un poste sur une hauteur dominant Sampouraya. Il dégage Diorodougou et chasse les Toma des villages environnants qu'ils avaient occupés.

Un allié de Koko Tolino, Niamba, Chef de Koromagui, doit se soumettre.

Le Capitaine Dauvillers défait quelques groupes Toma qui interceptaient les communications du nouveau poste où il avait installé le Lieutenant Raymond.

Un fils de Koko, Zobi, qui n'attendait que le départ de la Compagnie Dauvillers, cerne le poste de Sampouraya et l'attaque continuellement tandis que son père tente d'enlever d'assaut celui de Diorodougou.

Pour essayer d'en finir, une colonne est formée sous la direction du Commandant Conrard assisté du Capitaine Dauvillers. Le 28 février 1900, Koko Tolino est battu dans sa capitale (Bafabakoro) mais s'échappe jusque chez nos ennemis de N'Zapa. Cinq combats ont lieu mais sans résultats décisifs.

Une réunion a lieu à N'Tosia : les principaux chefs Toma se soumettent, le village de N'Zolou rend les corps de Bailly et Pauly. Mais rien de définitif n'est obtenu. La colonne une fois partie les harcèlements reprennent, sur le Bouzié en particulier.

Koko Tolino, réfugié chez Dikay, Chef de Loarasou, qui se disait notre allié, continuait à être à la tête de la résistance Toma : en deux ans il brûla plus de cent villages sur la rive droite de la Makona.

En 1902, les Toma s'emparent à nouveau de Kuonkan défendu par Macé Bigné, un fils de Kaman Tiékoura et le brûlent. Macé s'est réfugié à Diorodougou et manifeste l'intention de reconstruire Kuonkan. Les Toma font savoir que si nous le laissons faire, ils mettront le pays à feu et à sang, ce qu'ils font n'importe comment.

La faiblesse de notre position résulte à la fois de notre paralysie sur le plan diplomatique pour ne pas heurter les Libériens, et de notre alliance avec les ennemis héréditaires des Toma, que nous utilisons comme auxiliaires, braves certes mais aussi pillards que les Toma.

Notre politique est hésitante et la faiblesse de nos moyens la rend encore plus inefficace. Nous envoyons Macé Bigné en résidence forcée à Beyla, où il est rejoint par Massaran Kissi, Diégoué, Diateni Bala. En 1904, ils sont autorisés à rejoindre leurs villages mais leurs instincts pillards nous ayant causé maints ennuis, ils sont renvoyés à Beyla.

Le poste secondaire de Diagouadougou est fondé ; il deviendra poste de douanes, desservi par les gardes-frontières (corps créé par la Guinée, le 25 novembre 1899). Diagouadougou et Diorodougou recevront alternativement des garnisons de tirailleurs et de gardes-frontières.

Devant l'inertie des Français, les Toma ennemis de Koko Tolino et les Malinké organisent une certaine auto-défense mais la plupart ne pouvaient que se soumettre à Koko.

Lentement cependant, le contact était pris avec les tribus habitant le plus au Sud. En 1899-1900, le Capitaine d'Olonne et l'Administrateur Hostains partis de Côte-d'Ivoire arrivèrent en Guinée non sans avoir dû combattre à plusieurs reprises. Ils firent leur jonction au Sud de Beyla avec le Lieutenant Woelffel, qui avait été envoyé à leur rencontre et qui n'avait pu les joindre dans la forêt.

Il fallut qu'en 1904 le poste de Sampouraya fût à nouveau attaqué et que des femmes et des enfants fussent enlevés sous le feu du fortin pour qu'on se décidât à agir.

Sur la proposition du Gouverneur Cousturier, le Gouverneur Général créait un secteur militaire indépendant de la Région Forestière de Haute-Guinée. La compagnie des gardes-frontières devenait une compagnie du 1er RTS. Les troupes d'un effectif de deux compagnies, étaient basées à Beyla-Diorodougou-Diagouadougou-Kissidougou et Sampouraya.

En un deuxième temps la plupart de ces postes furent évacués et reportés sur une ligne plus au Sud : le commandant du secteur eut sa résidence à Sampouraya ; Bamba, Bofosso et Kuonkan furent les postes avancés. Le chef du Bouzié ayant voulu entrer en pays Kpellé, un poste fut établi à Goueeké dans le Moné.

Mais il ne suffisait pas de pousser plus au Sud, encore fallait-il assurer la sécurité des communications entre chaque poste pour que le pays pût être considéré comme pacifié.

Or dès la création de ces postes, les Toma ou du moins les bandes de nos adversaires les plus coriaces, sillonnèrent la région, cherchant à isoler les postes et chassant les populations. Les opérations durèrent du 25 mai 1906 au 27 janvier 1907.

Elles sont jalonnées par la surprise du village d'Oueziazou (26 mai 1906), la prise de Tainama et de Kotoumai le 25 juin, l'affaire d'Ouvouézou le 18 juillet, un nouveau combat sur les ruines de Tainama le 28 juillet, la surprise du village de Faciazou le 10 août, et enfin les 24/27 janvier 1907 la mise définitive hors d'état de nuire du chef de guerre Kokogou, qui commandait à neuf villages.

Les Lieutenants Guignard et Delasalle des postes de Gouecké et Bamba entreprennent des opérations semblables pour se donner de l'air. Le village fortifié de Palé dans le canton Kpellé du Souhoulapeulé était enlevé par le Lieutenant Guignard.

Par contre, le poste de Kuonkan était réduit à la défensive suite aux problèmes internationaux, ce qui n'empêchait pas des agents libériens de parcourir le pays, en particulier un nommé Loomax, qui s'était installé à Boussédou avec des partisans.

La liaison Bofosso-Kuonkan était assurée à la suite d'une série d'opérations en avril/mai 1906 concernant M'balasso et M'balema et permettant de relier Kuonkan à Singuenou qui était paisible, et en septembre 1906 concernant Kassanka, Oulémai, Massadou et Soundédou pour dégager Singuénou, que menaçaient les Toma et assurer la sécurité de la liaison Singuénou, Macenta, Bofosso. Avec l'hivernage les difficultés reprirent et la précarité des résultats apparut. Ce n'est qu'après le combat de Macenta (16 mars 1907) que les deux postes purent communiquer.

Le chef de bataillon Mourin, commandant les troupes de Guinée était arrivé à Kuonkan le 16 février après avoir obtenu l'autorisation d'assurer la liaison définitive Bofosso-Gouecké. La route Bofosso-Kuonkan fut rouverte et les fortifications de M'balasso et M'belema à nouveau rasées, mais pour assurer les arrières et la sécurité de Kuonkan il fallait détruire la forteresse Toma de Boussédou. Il ne fallut pas moins de deux tentatives pour s'en emparer.

La première colonne comprenait 150 tirailleurs et était dirigée par le Commandant Mourin. L'Administrateur Liurette, commandant le cercle de Beyla, l'accompagnait.

L'encadrement était assuré par les Capitaines Becker et Auvigne, les Lieutenants Leturcq, Caresche et Rouget ainsi que par six sous-officiers. Le Lieutenant Bouet assure la garde du poste de Kuonkan et le ravitaillement de la colonne. La marche d'approche est très difficile car elle s'effectue en dehors des pistes.

Le premier Sanyé de Boussédou, à dix kilomètres de Kuonkan, est abordé à 10 heures. Il est enlevé au premier assaut mais avec de grosses pertes. Il reste encore deux Sanyé entourant le Tata. Le mur du Tata très épais est percé de trois portes : l'une en direction de Kuonkan, l'autre vers Zinta et la troisième vers Gobahoéla et Dendano. C'est cette dernière qu'il est décidé d'attaquer. Mais entre le dernier Sanyé et le Tata il existe une ondulation de terrain qui ne permet de voir que le sommet du mur, or il y a en fait un fossé plein d'eau entourant le Tata.

L'assaut qui est donné est évidemment très meurtrier. A midi, au plus fort de la chaleur, le Commandant Mourin essaie un mouvement à droite par la forêt mais le Tata est aussi bien gardé de ce côté. Un mouvement à gauche avorte de même. Les tirailleurs ébranlent la première porte à coups de haches, des combats acharnés se déroulent au pied de la muraille.

A 13 h 30, la seconde porte saute à coups de fusils et en y mettant le feu.

On tente de faire sauter la troisième porte à la mélinite mais les tirailleurs qui ignorent le danger des explosifs, se précipitent trop tôt et le sergent doit couper le cordon.

A 14 heures, au moment où on constate que les munitions vont faire défaut, les trompes des renforts venant de Gobahoéla se font entendre. Soixante et onze tirailleurs sont blessés. Le Commandant Mourin fait sonner la retraite.

L'affaire a eu lieu le 18 février 1907. Le chiffre de dix mille Toma défenseurs de Boussédou donné par A. Arcin semble exagéré. En tout cas tous ne pouvaient être contenus dans le Tata et entre les Sanyé et celui-ci. Mais il est certain que la nature des défenses accroissait la vigueur de la résistance des redoutables guerriers qu'étaient les Toma.

Il fallait réagir vite si on ne voulait pas voir notre prestige considérablement amoindri dans la Région Forestière et les cercles voisins, et l'insécurité revenir.

La colonne se reforme donc à Kuonkan : elle est réapprovisionnée en munitions, se voit affecter un médecin et reçoit un canon. Le Commandant Mourin voulait porter aux Toma un coup tel que la soumission générale du pays puisse être obtenue.

D'après les renseignements reçus, la piste Kuonkan-Boussédou est semée d'obstacles divers (palissades-trous de loup avec piquets-embuscades) qui rendraient la progression très meurtrière.

Le Commandant Mourin décide donc de cerner le village de toute part et de faire couper les pistes de Zinta et Gobahoéla pour arrêter les fuyards tandis que l'assaut sera donné selon l'axe Kuonkan-Boussédou mais en éventail de chaque côté de la piste.

Le 1er avril 1907 la colonne se met en marche et le passage doit être ouvert à coup de machette. Les derniers Sanyé enlevés sans grosses difficultés on arrive devant le Tata où les Toma semblent vouloir concentrer la défense.

Ce faillit être encore un échec : le canon mis en batterie trop près du mur n'y fait que des trous. Les coups à mitraille sur le village sont gênés par la position du groupe Caresche qui, de l'autre côté du Tata, est dans l'axe de tir.

De plus, les munitions d'artillerie s'épuisent et on est à la fin de l'après-midi. Le Lieutenant Bouet resté à Kuonkan reçoit l'ordre d'envoyer des munitions, des outils et des échelles.

Une brèche ayant été enfin ouverte, l'assaut va être donné mais le Lieutenant Guignard est tué en voulant imprudemment aller se rendre compte des dimensions de la brèche alors qu'il est à découvert.

Les deux détachements Becker et Caresche qui avaient été postés sur les deux pistes par où les Toma pouvaient s'enfuir quittent leurs emplacements, l'un parce qu'il ne reçoit pas d'ordre et veut rejoindre le Commandant Mourin, l'autre parce que n'entendant plus rien il croit à un repli et rejoint Kuonkan !

Bien entendu, la nuit tombée, les défenseurs trouvent les pistes libres et s'enfuient, qui sur Gobahoéla et Dendano, qui sur Zinta. Quand Becker et Caresche revenus de leur méprise, ont rejoint leurs emplacements, au petit jour, il est trop tard.

La brèche a été comblée pendant la nuit avec des troncs d'arbres.

Le canon est mis en batterie sur un mamelon et opère un tir fichant. A 8 heures, l'assaut est donné contre un village vide.

Demi-victoire qui devait être complétée par la prise de cinq Tata : Gobahoéla-Zinta-Dendano et sur l'autre rive du Diani Pampara et Mabossou.

En entrant dans le village, les officiers constatent la présence du cadavre d'un jeune européen, le Docteur Volz, explorateur suisse allemand de l'Université de Berne, venant visiter l'hinterland libérien.

Le Docteur Volz débarqué à Freetown avait atteint le Libéria par le chemin de fer sur les rives de la rivière Moa. Au village de Loma, il rencontre un sierra-léonais, Loomax, Lieutenant de l'Armée Libérienne. Celui-ci fait part de son intention de reprendre les négociations avec les Français (qui avaient été interrompues en 1901) et propose à Volz de l'accompagner comme interprète. Après avoir hésité, Volz accepte et part seul pour ... Boussédou. Il y arrive après la première attaque dont on ne lui a pas parlé. Deux sous-officiers libériens l'accompagnent qui seront autant ses gardiens que ses guides.

Loomax lui a confié que l'Angleterre avait proposé de fournir armes et munitions à l'armée libérienne contre le droit de percevoir l'impôt de capitation à l'intérieur du Pays. Il aurait même été question d'un projet d'alliance et d'un plan de compagne contre la France, ce qui est moins sûr et paraît peu vraisemblable même de la part des autorités locales anglaises. Si elles jouaient contre nous par personnes interposées, elles ne pouvaient atteindre ce point de complicité avec nos adversaires sans créer une situation explosive au plan diplomatique.

Enfermé dans Boussédou, le Docteur Volz écrit au chef de poste français de Kuonkan à dix kilomètres de là, mais bien entendu ses lettres ne sont jamais transmises.

Il demande alors des porteurs pour rejoindre la Guinée Française : on ne le lui en fournit pas en prétextant que le village de Pampara ne veut pas le recevoir.

C'est par son journal retrouvé dans la case qu'il occupait que l'on apprend que six réguliers libériens ont pris part à la défense de Boussédou le 18 février. On se posera alors la question de savoir qui avait tué le Lieutenant Guignard atteint d'une balle de Winchester ?

Lorsqu'il apprend que les Français vont ré-attaquer Boussédou il prépare un drapeau blanc et un drapeau suisse.

Un Capitaine de l'armée libérienne, nommé Freeman, arrive à Boussédou peu avant l'attaque.

D'après l'enquête menée à la suite du deuxième combat de Boussédou, il apparut que là où le Docteur Volz avait hissé ses drapeaux, ils ne pouvaient être vus des assaillants.

D'autre part, lors de l'assaut, les tirailleurs étaient dans un état de surexcitation et quand ils voient un blanc le fusil à la main et prêt à tirer, ils le prennent pour un mulâtre de la côte libérienne, un Inglich, et ils tirent. Si, au lieu des tirailleurs, c'était un Européen qui avait vu Volz, les choses auraient probablement tourné autrement pour ce malheureux étudiant.

Au soir du 2 avril 1907, le résultat escompté n'était pas atteint et la pacification du pays Toma pas obtenu : il restait cinq Tata à détruire dont deux en secteur Kpellé et, pour cela, il fallait traverser le Diani avec le danger d'être coupé de la base de Kuonkan ou de sacrifier un effectif important à la protection des communications, ce qui n'était guère possible devant la faiblesse des effectifs stationnés. La réserve de munitions en outre était mince et longue à reconstituer.

On décide d'utiliser l'action politique en suspendant la campagne militaire.

Une chose paraissait évidente : on ne pouvait demander aux Toma de venir s'humilier en se présentant au poste de Kuonkan, qui était en même temps le village de leur ennemi héréditaire, Kaman Tiékoura.

Bien que Kuonkan fût aux portes du secteur Toma, on préféra aborder celui-ci par l'Est, par le secteur Kpellé dit Guerzé. On supposait que si les Toma se soumettaient, ils accepteraient de le faire au poste de Gouecké.

La prise de Palé par le Lieutenant Guignard avait ouvert la route de Pampara, noeud de communications et important marché d'où il nous serait possible de rayonner sur les Kpellé de l'Ouest et les Toma.

Le 21 avril, le Commandant Mourin se rendit au poste de Gouecké. Nos agents politiques, Konoba-Assoumana et Bakary Kondé (toujours des Malinké !), partirent en campagne et rallièrent trois villages Kpellé: Palé, Mabossou et Pampara, dont les chefs étaient alliés aux Toma par des liens de parenté.

Les Toma, qui n'avaient nullement l'impression d'avoir été vaincus, n'étaient pas encore prêts à se soumettre, tout au moins leurs chefs : Gobahoéla et Dendano refusaient, N'Zébéla Togba hésitait.

Le Lieutenant Bouet, chef de poste de Gouecké après la mort du Lieutenant Guignard, part en reconnaissance avec une escorte légère de quarante-cinq tirailleurs pour se prémunir contre toute surprise, sans toutefois faire preuve d'intentions belliqueuses. Arrivé à Pampara, il envoie des émissaires à N'Zébéla Togba, qui semble se dérober. Adoptant une autre tactique, il traite directement avec les chefs des villages pour que N'Zébéla Togba lui soit livré. Le conseil des notables de celui-ci dut le mettre en demeure de se soumettre ou d'être livré par eux. Sa propre famille, sa première femme en particulier, menaçait de le quitter et de se mettre sous la protection des Français.

Le 27 mai, coup de théâtre, N'Zébéla Togba et Magnan Holomo accompagnés de cinq cents guerriers armés de fusils, se présentent au Lieutenant Bouet, qui conduit à Gouecké les chefs Toma. La route Kuonkan-Gouecké est libre. Le Lieutenant Bouet effectue la première liaison directe le 30 mai, il occupe Gobahoéla le 4 juin et Dendano le 6, dont les fortifications sont abattues. Le 16 juin, il fait démolir les Tata de Mabossou et Pampara. Le 22 juin, il arrive à N'Zébéla, où il est rejoint par le Commandant Mourin.

N'Zébéla Togba offrit d'accompagner les Français à N'Zapa mais pour des motifs diplomatiques (incertitude sur le sort réservé par les traités à cette région), le Commandant Mourin élude la proposition et convoque les chefs à Gouecké pour la semaine suivante.

Le 5 juillet, les chefs de N'Zapa, N'Zolou et autres villages du Guizima, viennent à la fois offrir leur soumission à Gouecké et demander que les troupes n'aillent jamais chez eux, revenant ainsi sur la proposition de N'Zébéla Togba. L'occasion d'occuper pacifiquement le Guizima était à jamais perdue.

En 1907 donc, le bataillon du 1er RTS qui était stationné en Région Forestière de Haute-Guinée, avec une portion centrale à Conakry, devint autonome (B.A.G.). En 1908, il fut supprimé et remplacé par trois brigades de la garde indigène. Ces brigades étaient d'ailleurs constituées des mêmes tirailleurs et commandées par un chef de bataillon stationné à Bofosso : il relevait directement du Gouverneur et assurait à la fois le commandement militaire et administratif.

Ce secteur militaire fut divisé en trois sous-secteurs, chacun doté d'une brigade de la garde commandée par un capitaine, qui assurait le commandement territorial : le sous-secteur était divisé en deux postes ou districts.

Le Diani, la Makona et la Mafintia délimitaient les secteurs guerzé, toma et kissi.

Mais nos difficultés n'étaient pas terminées et nos hommes politiques en portaient une grande part de responsabilité. En signant le traité du 8 décembre 1892, la France s'était forgé elle-même des entraves comme l'écrit A. Arcin (op. cit., p. 724) car l'Etat du Libéria était tout à fait inconnu des populations de la Forêt ou tout au moins elles n'avaient aucun sentiment de lui appartenir.

Jusqu'en 1906, les Libériens d'origine américaine étaient restés cantonnés sur la Côte. A cette date, le Président Barclay qui venait d'être élu, se lançait dans la « politique indigène ».

En 1903, à la demande du Gouvernement Libérien, le Gouvernement Français avait accepté d'ouvrir des négociations pour déterminer un nouveau tracé de la frontière. Toutefois, le Libéria ayant révélé son incapacité à faire respecter la frontière par ses propres sujets, un réglement définitif n'aurait fait qu'annuler le droit de suite que nous reconnaissait le traité de 1892. Au surplus, on manquait de données géographiques exactes (position du Cavally, latitude de Timbi-Kounda, etc.)

Les négociations interrompues puis reprises à deux fois en 1904 et 1905 n'avaient abouti à rien. Après l'affaire de Boussédou et la révélation des agissements des agents libériens, la France fit de nouvelles ouvertures. Un traité franco-libérien fut signé le 18 septembre 1907.

Les libériens levaient une force de police instruite et encadrée par des officiers anglais (et même recrutée au Sierra-Leone pour un tiers) et une commission de délimitation était nommée. Du côté Français elle était dirigée par le Gouverneur Richaud assisté du Chef de Bataillon Ruef et du côté libérien par deux officiers hollandais.

Les travaux de délimitation se déroulèrent en pays insoumis aussi doit-on parler en même temps de pacification.

A l'Est de Guéckédou, dans le Kamaranka, Koko Tolino tenait toujours le pays et il fallut réduire les villages de Fassaba et N'Daorassou. La mission passa par Bofosso mais fut immobilisée à Fassangouni tandis que se déroulaient les pourparlers avec le chef de N'Zapa, qui refusait le passage. Il fallut enlever la place.

Après quoi, on se heurta au Koyama : les négociations là aussi échouèrent et le Tata dut être pris de force après une résistance opiniâtre. Le Docteur Mariotte était tué, le Commandant Ruef et le Capitaine Lionnet blessés. La mission Richaud, après avoir délimité la frontière en secteur guerzé, revint par la vallée du Cavally et regagna la France (juin 1909).

Tous les problèmes n'étaient pas résolus, loin de là, et des équivoques subsistaient. Si N'Zolou et N'Zapa étaient reconnus français, la région de Kamara avait été réservée et la frontière en pays manon et kpellé demeurait parfois contestée. Le chef du Boo-Sud, G'Bili, faisait savoir qu'il repousserait toute troupe libérienne 132.

Le Libéria était, dans ce pays auquel ses gouvernants étaient étrangers, dans la même position qu'une puissance coloniale, mais son prestige au milieu des populations était bien moindre.

On vit le Commandant du fortin de Webo au Libéria, attaqué par les Krou, venir supplier l'Administrateur français du Cavally d'intervenir, l'assurant que le prestige des Français suffirait à calmer les assaillants ! 133.

A l'autre extrémité du Libéria, le poste de Kanré-Lahoun, proche de la frontière sierra-léonaise, dut être évacué par la frontier-force libérienne par suite du soulèvement des populations et les Anglais, ne voulant pas voir leur zone frontalière troublée ,le firent occuper par leurs propres troupes.

Les puissances étrangères cherchaient à établir sur la République noire un protectorat plus ou moins déguisé.

L'Angleterre installe des inspecteurs des douanes dans les ports libériens et a des vues sur le Trésor. Elle réussit à s'assurer le monopole de l'instruction de la police libérienne.

L'Allemagne s'établissait au Libéria par le biais des activités économiques : une banque et une maison de commerce bien spéciale, la Woermann, dont les comptoirs sur la frontière française fournissaient poudre et armes aux rebelles, activité à la fois lucrative et servant d'autres desseins. Une députation libérienne vint aux Etats-Unis en 1910 et une mission américaine rendit la visite à Monrovia. Le Secrétaire d'Etat proposa au Sénat d'agir comme « fondé de pouvoir » du Gouvernement libérien. C'eut été un protectorat à peine déguisé.

Les propres forces du Gouvernement libérien, si l'on présume la bonne foi de celui-ci, faisaient preuve d'indiscipline. Vers le milieu de 1910, une compagnie de la Frontier-Force entre en territoire reconnu français et ravage la contrée ; elle ne se retire que pour éviter un affrontement avec nos tirailleurs !

Les agents politiques comme Loomax, Bernard, Smith, Boyce et Artie ne cessaient de travailler en sous-main les populations frontières pour nous créer des difficultés et même provoquer un soulèvement général: ils y réussirent partiellement en 1911 en secteur guerzé.

Les rapports franco-libériens

En secteur Toma, la situation était réglée dès 1908 par les combats décisifs de Boussédou (1907), N'Zapa (1908), et Koyama (1908). Par contre, en secteur Guerzé, la pacification demanda sept ans, sans toutefois que la lutte fût continuelle. Il fallait cependant au nouveau poste de Gouecké assurer ses liaisons vers l'Est et vers l'Ouest et s'opposer avec sang-froid aux provocations des Libériens qui violaient notre territoire, profitant de l'imprécision de la frontière, et excitaient les indigènes contre nous. Ils réussirent à mettre tout le pays en état de rébellion, ce fut la révolte de 1911, après laquelle les pays Kpellé et Manon connurent une paix qui ne fut jamais troublée.

Dès son installation, le poste de Gouecké mit tous ses soins à établir une liaison solide avec N'Zébéla, poste situé en secteur Toma sur la rive droite du Diani. La route à suivre passait par Palé et Pampolé, c'est-à-dire traversait le canton du Souhoulapeulé ; celui-ci demanda la protection de la France ainsi que le Moné, le Bénéouli, le Zohota et le Gouan. Mais les chefs du Sonkolé, de l'Ourapeulé et du Toffaleye-Sud, alimentés en poudre par les Libériens refusaient de reconnaître notre autorité. Magnan Holomo, en particulier qui, après avoir été fait prisonnier, avait été remis en liberté, mettait à feu et à sang les pays entre Gouecké et le Diani. Il était d'accord avec Kéamou dit Kontoro, chef du Sonkolé et Ouolo Koly, chef de l'Ourapeulé, pour provoquer un soulèvement général contre les Français. Ils ne réussirent pourtant pas à empêcher des cantons fort éloignés de Gouecké de demander la protection de la France. En décembre 1907, c'est G'bli, chef du Boo, qui demanda au chef du secteur Guerzé d'aller visiter son canton. En mai 1908, le Tonalé se soumet, le Niékolé fait de même et envoie des émissaires porter des présents et demander qu'on visite le canton. Et en août ce sont les chefs eux-mêmes qui se rendent à Gouecké. Ces succès ne faisaient qu'accentuer les sentiments hostiles de Magnan Holomo, qui continuait à piller le Nord-Ouest du Cercle. En septembre 1908, le chef de poste de Gouecké fit pousser une reconnaissance vers Konian du Toffaleye, celle-ci se heurta à Kélémandjou aux guerriers de Magnan Holomo et de Vogbo, chef de Samoé (Vanialeye). La prise du village se fit de nuit et le détachement demeura provisoirement dans la région.

En décembre de la même année, la nouvelle des victoires françaises sur les Toma à N'Zapa et Koyama se répandit en secteur guerzé er découragea les partisans de nos ennemis. Magnan Holomo, abandonné des siens, va demander asile à Ouolo Koly de Galaye. Mais une nouvelle reconnaissance pousse jusqu'à Samoé et Galaye. Devant la force Vogbo et Ouolo Koly se soumettent de très mauvais cceur, n'attendant qu'une occasion pour reprendre la lutte. Mais Ouolo Koly est obligé de chasser Magnan Holomo de l'Ourapeulé.

Le détachement dépasse Galaye et poursuit sa reconnaissance. Il reçoit le renouvellement de la soumission du Boo et du Niékolé et obtient celle de l'Ounah et du Seyakolé (ce dernier canton étant aujourd'hui Libérien). Retournant à Gouecké, le détachement s'arrête à Nzérékoré et le capitaine commandant le secteur reçoit la soumission de Magnan Holomo, auquel il impose Gouecké comme résidence. Nos communications avec N'Zébéla et Macenta étaient désormais sûres.

Vers l'Est le poste le plus proche était Danané (Fort Hittos) mais les communications entre ce poste et Gouecké devaient se faire par l'intermédiaire de Guéasso, ce qui n'allait pas sans inconvénient. Goueeké devait être rapidement informé de ce qui se passait dans le secteur de Danané pour prévoir les répercussions possibles en pays Kono et Manon et pour pouvoir se porter au secours de Danané le cas échéant et réciproquement. Le Lieutenant Lamolle fut chargé d'établir le contact. Il quitta Gouecké le 14 décembre 1907 et atteignint Danané le 6 janvier 1908. Grâce à sa prudence et à sa diplomatie, il parcourut pacifiquement le pays n'ayant jamais à faire usage de ses armes. Le chemin du retour fut d'ailleurs beaucoup plus aisé, les habitants, les Dan, ayant été mis en confiance à l'aller.

Au début de 1909, la situation était donc la suivante : au Nord, l'influence française était solidement établie puisque le cercle de Beyla n'était déjà plus secteur militaire, à l'Ouest et à l'Est les récents événements avaient assuré notre enracinement et le pays pouvait être considéré comme soumis. Mais le secteur Manon-Guerzé ne connaissait pas une situation aussi brillante du fait des intrigues libériennes.

Le traité franco-libérien du 18 septembre 1907 précisant l'arrangement du 8 décembre 1892 avait essayé de mettre fin à une situation confuse en fixant la frontière franco-libérienne dans ses grandes lignes, soit :

  1. La rive gauche de la rivière Makona depuis l'entrée de cette rivière dans le Sierra-Leone jusqu'à un point à déterminer à environ cinq kilomètres au Sud de Bofosso.
  2. Une ligne partant de ce dernier point et se dirigeant vers le Sud-Est en laissant au Nord les villages suivants : Koutoumai, Kissi-Kouroumai, Soundébou, N'Zapa, Kolma, N'Zébéla, Banguédou et allant rejoindre une source de la rivière Nuon ou d'un de ses affluents à déterminer sur place, au maximum à dix kilomètres au Sud de Lola et dans le voisinage de ce village.

Les rédacteurs du traité avaient précisé que la commission de délimitation devrait s'efforcer de ne point partager en deux une même tribu (canton) par un tracé maladroit de la frontière et que celle-ci, une fois reconnue, les Libériens devraient installer des postes chargés de maintenir l'ordre dans les régions qui seraient données à la République Noire.

Comme nous l'avons dit, les autorités de Monrovia ne contrôlaient absolument pas le pays sur lequel elles prétendaient avoir des droits.

La mission de délimitation en secteur manon et guerzé comprenait du côté libérien deux officiers de la marine hollandaise, Naber et Moret, et du côté français, le Gouverneur Richaud, l'Administrateur Pouillet, le Lieutenant d'artillerie Varigault et le Lieutenant d'infanterie Sapolin, le médecin des troupes coloniales Falconis et une escorte de tirailleurs sénégalais (le Commandant Ruef, le Capitaine Lionnet ayant été blessés et le Docteur Mariotte tué pendant les opérations de délimitation en secteur Toma).

La conclusion de ses travaux donna lieu à un nouvel accord qui fixait définitivement la frontière telle qu'elle apparaît sur la carte.

Ce qui explique l'arrogance et l'audace des Libériens, c'est que l'Allemagne menait le jeu. En février 1909, un commerçant allemand accompagné d'un commissaire libérien vint s'installer à Galaye pour y vendre de la poudre « made in Germany » et pousser les indigènes à la révolte. Devant ces provocations, il fut décidé de créer un nouveau poste militaire à Galaye, mesure qui fut bien accueillie par la population. Mais celle-ci, très influençable, était susceptible de revirements.

Le 8 décembre, le commandant du secteur guerzé est averti qu'un détachement libérien d'une trentaine d'hommes était entré dans le Boo et voulait y installer un poste. Le Lieutenant Lamolle fut envoyé avec cinquante hommes pour inviter les Libériens à se retirer et pour l'exiger au besoin. Avant d'atteindre Donhouéta, chef-lieu du Boo, le lieutenant apprit que les Libériens étaient à Naouais dans le Niékolé. Il fit alors une tournée pacifique dans les cantons proposés pour appartenir à la France par la commission de délimitation de la frontière, puis rentra au poste de Galaye.

Entre-temps, le commandant du secteur sut, tant par des émissaires que par le lieutenant, que le commissaire Libérien Samuel Smith entretenait des relations avec divers chefs du Niékolé, de l'Ounah, et de l'Ourapeulé et particulièrement avec Ouolo Koly, chef de ce dernier canton. Il avait convoqué ces chefs à Naouais et avait promis de la poudre et des fusils à ceux qui voudraient nous combattre. Il envoyait des émissaires nombreux vers le Nord et ses soldats eux-mêmes rayonnaient par petits groupes de Naouais dans toutes les directions sans s'occuper de savoir dans quel canton ils se trouvaient. Des soldats armés, porteurs du drapeau libérien, vinrent plusieurs fois jusqu'au poste de Galaye, accompagnant des messagers porteurs de lettres il est vrai, mais dont la mission réelle paraissait être surtout de s'entretenir avec Ouolo Koly.

L'officier libérien fut averti par le commandant du secteur d'avoir à cesser ces envois d'hommes armés et de drapeaux libériens. Mais Samuel Smith ne tint pas compte de ces avertissements. Ordre fut alors donné au Lieutenant Lamolle de désarmer les contrevenants et de reconduire à la frontière proposée le drapeau, s'il se présentait à nouveau.

Le 28 décembre, à Galaye, village de l'Ounah, le Sergent Lay Kondé, qui était allé reconduire ce fameux drapeau apporté une fois de plus jusqu'à Ouyakolé, reçut du Sergent libérien Boyce une sorte d'ultimatum interdisant aux Français de dépasser Galaye, ultimatum appuyé par la présence dans ce village de deux cents guerriers armés aux ordres de Boyce.

Le 29, les mêmes hommes, soldats libériens et guerriers en armes, ceux-ci plus nombreux que la veille, couraient à Lagbara à la recherche du Lieutenant Lamolle, qui y avait passé la nuit. Ne l'y trouvant pas, ils revinrent en hâte sur Galaye, où le lieutenant s'était rendu pour remplir sa mission.

Les armes furent chargées avant d'entrer dans le village, comme elles l'avaient été du reste avant d'entrer à Lagbara. Les Libériens s'interposèrent entre le détachement français, rassemblé l'arme au pied et la case du lieutenant, pendant que les groupes de guerriers se plaçaient à l'intérieur tout autour du village, se conformant aux instructions de Boyce et d'Artie.

Au cours des pourparlers, qui avaient lieu dans la case du Lieutenant Lamolle, Boyce et Artie, qui s'étaient présentés le premier comme lieutenant et le second comme élève-commissaire, se montrèrent grossiers et arrogants, tenant leurs fusils prêts à faire feu. A un moment, Boyce chercha son revolver, Lamolle, averti par le Sergent Kondé, qui assistait à l'entretien, prit alors le sien.

Avec beaucoup de sang-froid, il transmit aux Libériens l'ordre qu'il avait de désarmer les hommes qui pénètreraient dans l'Ounah. A ce moment, Artie eut un regard d'intelligence avec Boyce et, se retournant à cinq pas de la porte, il fit feu sur Lamolle, pendant que Boyce tirait, d'abord avec son fusil dont le coup rata puis avec son revolver. En même temps, Artie criait aux Libériens de tirer, ordre qui fut exécuté vraisemblablement par à peu près tous. Un de nos tirailleurs eut sa chéchia traversée, un autre eut le fût de sa carabine éraflé. Les tirailleurs avaient essuyé le feu à une dizaine de pas, certains beaucoup plus près, pas un ne bougea mais ils ripostèrent et quatre Libériens dont Boyce furent tués, deux autres furent faits prisonniers.

Le Sergent Lay Kondé, se rendant compte du danger qui menaçait plus particulièrement le lieutenant, avait empêché ce dernier de sortir de la case, au premier coup de feu, par la porte tenue sous la menace des Libériens. Le lieutenant courut alors à ses soldats par une autre issue. Son premier souci fut de faire cesser le feu, de sorte que sept Libériens dont Artie purent s'enfuir par les brèches du tata en ruines. Les guerriers qui environnaient le village s'éclipsèrent.

Personne n'ayant plus reparu, Lamolle fit rentrer par persuasion dans leurs villages les habitants apeurés et les chefs compromis eux-mêmes.

L'année suivante, les provocations libériennes continuèrent comme par le passé : un noir martiniquais nommé Bernard, qui avait obtenu la citoyenneté libérienne et qui était l'ami personnel du Président Barclay se rendit sur la frontière d'où il excitait les indigènes contre nous, il fut l'instigateur d'une attaque dirigée contre le Lieutenant Lamolle et pénétra même dans le Boo-Sud qu'il pilla.

L'année 1910 marque pourtant un progrès décisif dans la pacification du secteur, jalonnée par les combats de Baleba (9-12 juin) et Boo-Houon (17 juin). Nos relations avec les Kpellé furent excellentes jusqu'en 1911.

Les menées libériennes avaient pour but de faire croire aux populations que l'occupation française n'était pas durable et lorsque les « Frontier Forces » libériennes occupèrent la boucle du Mani en exécution des accords Franco-Libériens, les indigènes crurent que les Libériens allaient nous chasser de tout le cercle de Nzérékoré, ainsi que ceux-ci en avaient répandu le bruit depuis longtemps.

La révolte commença dans le district de Guéasso à l'instigation du chef manon de Bossou, Goba, puis gagna le pays Manon.

Le 9 août, devant la gravité des événements, le commandant du secteur se mit en mesure d'intervenir immédiatement. Le Lieutenant Lamolle de Galaye est envoyé dans la province du Manaleye à la tête de cinquante hommes.

Le Lieutenant Forgeron est envoyé de Lola sur Bangouéta pour surveiller les Manon.

Le Capitaine Hecquet part le 11 août avec un détachement de vingt deux tirailleurs pour Lola et N'Zo.

Les opérations commencent le 16. Le 17, G'Bénéoui et Koéta sont enlevés à la baïonnette, le 18 Bossou tombe entre nos mains, le 20 c'est Ganragouara, le 25 Sankomata et enfin le 27 Thuo est pris et détruit : village auquel on accède par un sentier d'une incroyable raideur, dernier repaire des Manon. Le Capitaine Hecquet poursuit les Manon au-delà de Thuo en territoire Libérien et c'est au retour, alors qu'il passe sur un sentier qui, à flanc de colline fait un coude au-dessus du lit d'un torrent, qu'un Geh (ou Guéré), dissimulé en contre-bas dans les fourrés lui tire deux balles en pleine poitrine. Le Capitaine Hecquet passa le commandement au Lieutenant Forgeron et il fut ramené sur un brancard au campement où se trouvait le Docteur Béraud. Il mourut près de l'endroit où la route internationale coupe aujourd'hui le Cavally. Nous avons fait personnellement cet itinéraire et de vieux notables nous ont montré l'endroit où le Capitaine Hecquet fut blessé et celui où il mourut. La place principale de Nzérékoré portait son nom et un monument y rappelait sa mémoire.

Le mouvement de révolte gagna très rapidement. En septembre, les deux tiers des habitants du secteur guerzé étaient entrés dans la révolte. La durée des opérations et le chiffre élevé de nos pertes (13 tués, 117 blessés) font ressortir la résistance que nos troupes eurent à vaincre pour venir à bout de la rébellion. Les premières soumissions eurent lieu en janvier 1912 et la pacification se fit lentement jusqu'au mois de mai.

En avril 1912, le poste de Gouecké alla s'installer à Nzérékoré, celtii de Galaye à Dyecké et celui de Guéasso à Bossou. Puis il ne subsista plus que le poste de Nzérékoré, celui de Dyecké ayant été supprimé en 1929 134.

Pacification du secteur Guerzé

La révolte et sa répression eurent pour effet de provoquer la fuite au Libéria de nombreux éléments et de désorganiser la chefferie. Dans la plupart des cas, les chefs compromis furent destitués mais la chefferie resta dans leur famille.

Dans le canton du Manon cependant, d'où était partie la révolte, le chef Goba s'étant enfui au Libéria, la chefferie passa à un notable de Bouan, Nioumou, d'ailleurs révoqué en 1919. A ce moment, le commandement revint dans la famille de Bossou à G'Bla, frère de Goba, qui mourut en 1920. Sur ces entrefaites, Goba étant revenu du Libéria, fut nommé à nouveau et mourut en 1923.

Son fils Gonga lui succéda ; il dut être révoqué en 1927 : très jeune, mal conseillé et entouré, il se livrait à trop d'exactions. Son oncle paternel, Lyso, lui succéda et mourut en 1931. Pendant ce temps, Gonga avait demandé à faire son service militaire et il passa deux ans en France.

A la mort de Lyso, la chefferie, dont l'intérim avait été assuré par son frère Foromo, jugé inapte par la suite, changea totalement de famille. Elle passa à Soua Togba, chef du gros village de Balimou. Cette famille, contrairement à celle de Bossou, est purement Manon. Pendant la guerre, il commet lui aussi des exactions et en 1944, il doit donner sa démission et est remplacé par Gonga, chef pour la seconde fois.

En bien des cas à la faveur de la situation trouble créée par la révolte et la pacification, des individus, qui n'avaient aucun droit à la chefferie, réussirent à se faire nommer chefs de canton, cependant cette usurpation ne dura pas plus d'une génération. Au bout de quelques années d'occupation française, la coutume locale fut mieux connue de l'Administration et les familles traditionnelles furent rétablies dans leurs droits.

Dans le Manaleye, sur de faux renseignements donnés par un Malinké, Oualaourou, qui habitait Bounouma, le nommé Goi Gami (qui était l'hôte et le beau-père de Oualaourou) fut nommé chef du Manaleye. A sa mort en 1921, la chefferie revint dans la famille de Zomia et c'est Cé Naoua, fils de Goigho qui fut nommé.

C'est sous le commandement de Cé Naoua que se produisit le retour des Manon partis au Libéria en 1911. Et même des Manon qui avaient toujours habité sur la rive gauche du Mani, excédés par les mauvais procédés des « clan chiefs » et « paramount chiefs » vinrent s'établir en territoire français. En 1926, Gosso quitte Saniquellie pour fonder Gossopa. En 1927, les divers clans de G'Boa Yila quittent ce village pour fonder Dulapa, Manaoui et G'Bala.

En 1946, Cé Naoua meurt et c'est son fils Togbo Damey qui lui succède

De même dans le Konodougou, un Malinké du nom de Moussa Sako, supplanta la famille de Zoho Missakoro et commanda de 1911 à 1924, date à laquelle il fut remplacé par Tatoby, fils de Tato et arrière-petit-fils de Missakoro. Après lui vinrent Kounon, puis Tomah ; enfin le chef Lainé Cé, fils de Tato By, accéda au pouvoir en 1940.

Dans le Toffaleye, la famille Koulemou en la personne de Kuita Cé Moriba, remplaça pendant un certain temps les G'banwã de Pampala : Moriba G'banmou dit Sagno a ramené la chefferie dans la famille légitime.

Dans le Karagoua, par contre, la chefferie non seulement changea de clan mais encore de race et ce fut la fin de l'empire de Guéasso. On a vu que Gara Gara Oulé avait été arrêté. Un nommé Mori, qui était Konianké et ancien captif, était porteur de sac de Gara Gara. Or l'une des marâtres de Mori était la maîtresse de Diono, l'interprète du chef de poste de Guéasso, aussi ce Diono intrigua-t-il pour faire nommer Mori chef du canton de Karagoua. Ce dernier le devint et se fixa à Foumbadougou. Son fils, le Lieutenant Mamadi, fut son successeur. Les vrais chefs du Karagoua, les Togbablã dit Donzo, n'ont plus que la chefferie du village de Guéasso. Ailleurs, la révolte amena un changement de chef à l'intérieur de la famille légitime ou même aucun changement suivant que le canton avait pris part ou non à la rébellion.

Dans le Mossorodougou, seuls les villages de Fahan, Malou et Kani prirent une part certaine à la révolte mais le chef de Guélémata, Loho, eut pour successeur le fils de Gakha, , lequel en 1938 devenu trop âgé, céda sa place à son fils, Gono Sourou.

Le Sonkolé ayant participé au soulèvement fut démembré. Les villages qui, pour échapper aux Hononwã de Galapaye, s'étaient mis sous la protection de ceux de G'Baya (Soota, Konian, Niaragpalé, Ouéya et Béléhéouon) furent définitivement rattachés au Tonalé et le canton du Vanialeye comprenant Boma, Duola, Guéba Konala, Koulé, Ouenzou, G'by, fut constitué en unité indépendante. Ce n'est qu'en 1924 que le Vanialeye fut à nouveau rattaché au Sonkolé. Ceci se passa sous Koli Soua, fils de Togba Ilé, qui avait succédé à ses frères, Banaboro et Ziguiri. Les deux cantons réunis, la chefferie fut donnée à un notable de Dorota : Poé. Après lui, la chefferie retourna à G'Baya à Vagbana Molou Ouo, fils de Kéamou dit Kontoro, puis, à sa mort, à Koly Kourouma, fils de Banaboro.

Dans l'Ourapeulé après la révolte, notre vieil ennemi Ouolo Koly s'enfuit au Libéria. Il fut alors remplacé par son rival, Holomo Viabolo, chef de Péla, mais celui-ci ne tarda pas à commettre de telles exactions que le commandant du cercle dut le révoquer. On nomma alors un homme d'origine obscure, Labila Delamou, dit Camara qui était serviteur (pour ne pas dire captif) d'un de nos agents politiques, Konoba. Lors de la révolte il refusa d'y prendre part et se réfugia à Bamakaman (Boo). Sous son commandement, la région du Ounah fut rattachée à l'Ourapeulé (1924). A sa mort, son neveu Koly fut nommé chef de canton de l'Ourapeulé-Ounah. Ayant commis des exactions dans l'Ounah, ce canton fut détaché de l'Ourapeulé et redevint indépendant ; la chefferie en fut confiée à Vagoulou, frère de Kotokoli, chef que nous avions trouvé en place en 1908.

Le Boo était resté fidèle durant toute la révolte sous le commandement de G'bli en ce qui concerne le Boo-Sud (Donhouéta-Yomou) et sous celui de Lavila Longolo en ce qui concerne le Boo-Nord (Bamakaman-Yaragpalé-Oulo). En effet, en 1909, le Capitaine Hecquet, commandant le secteur guerzé, avait jugé utile de diviser le Boo en deux chefferies. Cet état de chose devait durer jusqu'en 1923, date à laquelle les deux Boo furent réunis à nouveau sous un commandement unique, celui de Youké, frère de G'bli. Ce dernier, en 1916, près d'être arrêté sous l'accusation de crimes rituels, s'était enfui au Libéria emportant d'ailleurs l'argent de l'impôt.

La famille de Sanahouo se trouvait ainsi scindée en deux : se réfugiaient en territoire libérien avec G'bli, ses fils: Bapou, Kogolo, Godé et Mato-Dombo.

Restaient en territoire français : son frère Youké, son soi-disant fils, Labila G'binipo, et Yoffi, fils légitime de G'bli.

Malgré les intrigues de Mato Dombo, Youké réussit à se maintenir chef de 1916 à 1939. A partir de ce moment, il donne des signes d'aliénation mentale et il faut songer à le remplacer. A défaut de son fils Dombo, à ce moment tirailleur en France, le choix se porte sur Labila G'binipo, qui n'est en réalité que le fils d'une femme de G'bli. La brute qu'était Labila G'binipo, ne tarda pas à se faire remarquer par ses exactions, il fut arrêté et condamné et le 14 janvier 1945. Dombo, fils de Youké, libéré du service militaire, fut nommé chef de Boo.

En 1947, à l'issue d'une tournée d'une semaine dans le Boo, nous nous trouvions à Yomou, résidence du chef, quand Youké demanda à nous parler. Du moins le fit-il comprendre par gestes car depuis de nombreuses années, il était muet et semblait avoir l'esprit quelque peu dérangé. Vêtu de haillons, les tresses de ses cheveux en bataille, il faisait, en gesticulant, des efforts pour se faire comprendre, en n'émettant que des sons incompréhensibles. Quand, tout à coup, la parole lui revint et avec un flot d'éloquence, il accusa son fils Dombo d'avoir voulu l'empoisonner pour prendre sa place, ce qui l'aurait rendu muet !

Ceci était parfaitement invraisemblable puisque lorsque la chefferie quitta les mains de Youké, Dombo était en France.

D'ailleurs personne ne faisait attention à ce que racontait Youké et Dombo lui-même, tout à la joie de voir son père retrouver l'usage de la parole, riait aux éclats sans prendre garde aux accusations qu'il proférait à son égard.

Nous dûmes promettre à Youké, pour le calmer, de faire une enquête et promu thaumaturge par la population et les notables, nous dûmes demeurer à Yomou un jour de plus pour fêter cet événement et prendre notre part du festin pour lequel Dombo fit tuer le bœuf gras (si l'on peut dire, vu l'état du cheptel Kpellé !).

Le mutisme de Youké était-il de la dissimulation (depuis tant d'années ?) ou bien la conjonction de l'ardent désir qu'il avait de dénoncer le complot qu'il croyait ourdi contre lui, et du passage du commandant à Yomou, ce qui ne se produisait pas tous les jours, a-t-elle provoqué un choc nerveux tel qu'il lui a délié la langue.

Cela n'a jamais été éclairci, mais les faits étaient indéniables.

Le cercle de Nzérékoré comptait ainsi vingt et un cantons : la dispersion du commandement ne facilitait pas l'Administration de la circonscription. Des essais de regroupement avaient été tentés: le Vanialeye avait été rattaché au Sonkolé, le Nana au Saouro. On avait songé un moment à créer un canton de Kélakoré comprenant le Bénéouli et le Souhoulapeulé : la tentative échoua.

Peut-être aurait-il fallu chercher la solution de ce problème dans une autre voie : le rattachement pur et simple d'un canton à un autre entraîne la suppression d'une chefferie et blesse la vanité du chef en exercice. On aurait pu pallier cet inconvénient en créant au-dessus des cantons trois ou quatre provinces (une Kono, une Manon et deux Kpellé). Cependant à la mort de chaque chef de canton il n'aurait pas été pourvu à son remplacement et son canton aurait été rattaché directement à celui du chef de province. Ainsi le regroupement se serait effectué en deux étapes et la période transitoire aurait permis aux populations de s'habituer à cette nouvelle forme de chefferie qui n'aurait pas du tout été contraire à la coutume ; un exemple passé était là, celui de la province de Guéasso qui groupait plusieurs cantons, et même des cantons de race différente sous l'autorité d'un chef de province.

Mais en fait cette chefferie à deux étages n'aurait-elle pas signifié pour les populations le doublement des charges coutumières ?

Vouloir couler des chefferies, instables, variables, à base essentiellement guerrière, dans le moule d'une administration moderne et dans le cadre du temps de paix, c'est peut-être vouloir l'impossible. Les notions de service public et celle de chefferie coutumière pouvaient-elles se concilier ?

Depuis 1882, année de la première rencontre des troupes françaises du Soudan et de Samory, et 1888, année de la création du poste de Kouroussa, jusque 1912, fin de la pacification de la Région Forestière de Haute-Guinée, trente années se sont écoulées.

Trente années au cours desquelles la ceinture des postes établis à la limite Nord de la forêt va peu à peu descendre vers le Sud.

Aux postes « Malinké » :

s'ajoutent vers 1892-1893 un demi-cercle de postes en contact avec la forêt :

Puis la ligne des postes s'infléchira vers le Sud avec Kissidougou comme pivot :

Le dispositif se resserre et s'étend vers l'Est puis s'approfondit vers le Sud avec la création de Galaye, pour finalement avec l'établissement de la paix, se limiter aux chefs-lieux des cercles de Kissidougou, Gueckédou, Macenta et Nzérékoré. Dyecké en pays manon, à la frontière libérienne, sera replié sur Nzérékoré.

Aux impératifs de surveillance, de sécurité et d'établissement de bases militaires opérationnelles succèderont les préoccupations d'administration et de développement social et économique.

Un réseau de routes de liaison entre les centres administratifs eux-mêmes et de ceux-ci avec Kankan, point d'arrivée du chemin de fer de Conakry et noeud routier vers le Soudan, sera peu à peu établi.

La Région Forestière sera traversée par la route Sénégal - Guinée - Côte-d'Ivoire dite Intercoloniale no. 1.

En direction du Libéria, la première liaison terrestre avec un modeste bac sur le Mani, fut établie entre Dyecké et Ganta en 1948, permettant ainsi de joindre Kankan à Monrovia.

Des écoles publiques furent créées dans les principaux chefs-lieux de canton auxquelles s'ajoutaient les écoles des missions.

Les hôpitaux de chefs-lieux de cercle, les dispensaires de brousse et le service d'hygiène mobile et de prophylaxie constituèrent le premier équipement sanitaire, permettant de faire pénétrer les rudiments d'hygiène, de protection maternelle et infantile, de lutter contre les grandes endémies, surtout la trypanosomiase humaine et le paludisme, et de faire face aux épidémies (variole, méningite cérébrospinale).

La paix permettait le développement des cultures tant traditionnelles, riz, colas, palmiers, que modernes : café. Et si l'effort de guerre, la nécessité d'approvisionner les centres urbains ont pu conduire à des excès que le Père Lelong, observateur caustique n'a pas manqué de relever et de brocarder 135, la Région Forestière était donnée en Guinée comme une région riche et prometteuse, tout au moins à l'échelon de ce Pays.

Les richesses minières, fer, graphite, diamant, souffraient de l'éloignement des centres d'évacuation et de l'insuffisance du réseau de communication.

Cependant, le développement économique n'allait pas sans causer des troubles certains dans l'équilibre de la Forêt elle-même et tout autant dans les mentalités des populations forestières brutalement confrontées à d'autres modes de pensée et d'autres modes de vie.

Notes
124. R. et M. Cornevin. Histoire de l'Afrique. Op. cit., p. 260.
125. Général Gouraud. Au Soudan. Editions Pierre Tisné, Paris, 1939, p. 219. « Parmi les légendes qui courent sur les débuts de Samory, l'une des plus répandues, vraisemblable d'ailleurs, dit que Samory était dans sa jeunesse un colporteur voyageant à travers le pays. Sa mère, femme libre ayant été prise par le marabout, chef de Kankan, Samory s'était engagé pour obtenir sa libération. Intelligent et brave, il était peu à peu monté en grâce, comme on dit en France, et finalement il était devenu chef de colonne : un jour, au lieu de ramener les captifs à son patron, le Marabout de Kankan (??), il les distribua à ses propres hommes sur lesquels son courage au combat et ses qualités lui avaient déjà donné prestige. On revint à Kankan, on tua le marabout, et Samory prit sa place ».
126. A. Arcin. Histoire de la Guinée française. Op. cit., p. 126.
127. A. Arcin. Ibidem, p. 359. Déclaration du gouverneur Bayol rapportée par Arcin.
128. A. Arcin. Ibidem. p. 528.
129. A. Arcin. Ibidem, p. 685.
*Lieutenant F. Bouet. Les Toma. Publication du Comité de l'Afrique française, Paris 1912.
130. Général Gouraud. Au Soudan. Editions Pierre Tisné, Paris, 1939, p. 192.
131. Général Gouraud. Ibidem, p. 197. Une Diassa est une enceinte formée de pieux non équarris.
132. A. Arcin. Histoire de la Guinée française. Op. cit., p. 728.
133. A. Arcin.N. Ibidem, p. 728.
134. Ce récit de la pacification du secteur Guerzé provient des archives du Poste de Nzérékoré. Le capitaine Laroque, décédé à Nzérékoré en 1948, qui commandait une compagnie du BAHG, basée au chef-lieu du cercle, nous avait communiqué ces documents qu'il se proposait d'ailleurs de publier dans la revue des Troupes coloniales.
135. M.H. Lelong. Ces hommes qu'on appelle Anthropophages. Alsatia, 1946.


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