Académie des Sciences d'Outre-Mer. Paris. 1984. 380 p.
Dans l'ensemble de l'Afrique Occidentale où le continent se caractérise par sa massivité, la région guinéenne, au sens large du terme, se signale par l'originalité de son relief.
En effet, la vieille plate-forme à la surface de laquelle les sédiments se sont déposés, est surmontée par un ensemble de massifs orientés Nord-Ouest, Sud-Est formant ce qu'on appelle la dorsale guinéenne, elle-même maillon, mais maillon le plus élevé, de la ligne de faîte soudano-guinéenne allant du massif du Fouta-Djallon aux plateaux de Nigeria en passant par la chaîne de l'Atakora au Togo.
Cette dorsale, approximativement parallèle à la côte, aux versants dissymétriques tombant plus rapidement sur l'océan que vers l'intérieur (on dit que le relief a le dos tourné à la mer), a une incidence sur le climat : la mousson océanienne repoussant les influences continentales, entraîne, malgré la latitude, un type de végétation : la forêt dense.
La dorsale détermine aussi deux systèmes hydrographiques : l'un orienté vers le bassin Nigérien avec principalement le Niger lui-même prenant sa source à l'ouest du pays Kissi en Guinée, et son affluent, le Milo, l'autre formant un bassin océanique avec les grands fleuves du Diani ou Saint-Paul, du Mani ou Saint-Jean, du Cavally, de la Makona ou Moa, de la Loffa, du Mano.
Le géologue Obermuller, à qui nous devons une thèse sur la géologie de la Région Forestière 1 distingue au point de vue géologique trois régions naturelles d'Ouest en Est.
Si chacune de ces trois régions présente des caractères propres, encore que le pays de Mahana soit assez proche de celui de Macenta, on note partout des venues basiques qu'Obermuller date de la même époque et qui se présentent en filons ou en massifs doléritiques d'importance modeste dont les principaux sont les falaises de Boola et du Mahana (limite des cercles de Beyla et de N'Zérékoré) et celles du Nord-Est de Macenta, de Tokonou et Kérouané.
On note également dans les trois régions les mêmes roches métamorphiques et des granites à tous les stades d'écrasement. Ce qui différencie les trois « pays » ce sont les proportions relatives de ces deux groupes de roches.
Le métamorphisme observé dans la chaîne du Simandou et ses prolongements et qu'Obermuller classe dans la série du Birrimien supérieur par analogie avec la chaîne du Nandian-Banié située plus au Nord, aurait été préalable à la venue du granite et aurait affecté des masses importantes de façon homogène. Par contre, dans le pays de Macenta, l'invasion du granite aurait été brutale, ce qui explique que l'on trouve des massifs offrant un mélange de roches granitiques et d'inclusions représentant les terrains du bouclier précambrien inférieur existant avant l'invasion du granite et que celui-ci n'aurait pas « digérées », les laissant dans leur état premier.
Parallèlement aux phénomènes de métamorphisme et d'intrusion granitique qui affectaient la Haute-Guinée, des poussées tectoniques se développaient, provoquant l'enfouissement de certains plis d'où l'observation de divers stades d'écrasement.
Ces poussées tectoniques ont été suivies de cassures que les venues éruptives profondes de dolérites ont empruntées pour se répandre en surface et former des massifs présentant actuellement des falaises.
Enfin, l'étude du profil des fleuves descendant vers l'Océan, amène à adopter l'hypothèse d'un soulèvement récent de la Région Forestière.
Quant à la latéritisation, Obermuller en situe le début vers la fin du tertiaire ou le début du quaternaire. On entend par latéritisation un processus de décomposition du sol qui, par l'action alternée des pluies violentes et des périodes de sécheresse totale, entraîne une disparition de certains composants (chaux, magnésie, alcalis) et une déshydratation partielle pour ne plus laisser qu'un ensemble d'hydrates d'alumine et de composés ferriques donnant à la latérite cette couleur rouge caractéristique. Ce phénomène, qui se poursuit à l'époque contemporaine 2 semble avoir connu plusieurs époques en Région Forestière de Haute-Guinée : nous aurons l'occasion d'y revenir tant à propos du couvert forestier que des problèmes archéologiques.
La dorsale guinéenne dans la région forestière présente donc des analogies du point de vue géologique avec la région montagneuse, elle aussi, du Nord-Ouest de la Guinée (roches éruptives acides) mais alors que le métamorphisme y est plus accentué dans les séries cristallophyliennes, les grès horizontaux et autres roches sédimentaires, métamorphisées ou non, que l'on trouve au Fouta-Djallon, sont absentes de la Forêt.
Cette Région Forestière de Haute-Guinée semble aussi constituer une région de transition avec le massif de Man en Côte-d'Ivoire qui, du point de vue humain, appartient à la même zone 3.
Cet aperçu sur la géologie de la Région Forestière doit être complété par quelques indications sur sa minéralisation : diamant, or, graphite, fer et manganèse s'y rencontrent.
Le diamant a été trouvé au Sierra-Leone en 1930 et un petit diamant fut découvert dans une rivière du cercle de Nzérékoré en 1933, et par la suite dans la Makona. C'est un diamant alluvionnaire et l'on n'a pas pu déterminer la nature de la roche-mère. On note cependant que les principaux gisements sont situés dans des terrains granite-dolérite, près des sources des grandes rivières : Diani, Makona, Milo. La diamant a donné lieu à une exploitation depuis 1935 à soixante-quinze km au Nord, Nord-Est de Macenta.
L'or que l'on trouve dans des roches métamorphiques sous forme de pyrite aurifère ou auro-argentifère, ou dans des alluvions, n'a donné lieu à aucune exploitation ni artisanale, ni industrielle. Il provient de filons de quartz aurifères individualisés dans des lambeaux d'amphilolite.
Le graphite est très largement représenté dans le sud-est, cercle de Beyla et surtout cercle de Nzérékoré : soit dans les quartzites, quartzites blancs chargés de paillettes et d'amas, grenatites se présentant sous forme d'affleurements de quatre à cinq cents mètres, soit dans les gneiss mais plus rarement, soit enfin dans les schistes ou micaschites comme dans le gisement de Lola où l'affleurement a été révélé par la construction en tranchée de la route internationale Guinée/Côte-d'Ivoire.
La teneur en graphite est très faible dans les quartzites et les gneiss (3 %.) mais plus élevée dans les schistes et micaschistes (jusqu'à 20%).
Le fer a donné lieu à une exploitation artisanale africaine des minerais latéritiques moins siliceux et plus pulvérulents que les minerais des quartzites du Nimba, du massif de Dyecké à la frontière guinéo-libérienne au sud de Nzérékoré, du Simandou et du Gbing (magnétite, oligiste, hématite rouge) et des zones d'altération en bordure de ces chaînes. Cette exploitation intéressait plutôt le nord de la région forestière, la zone au contact de la Savane et de la Forêt.
Sur cette plateforme granito-gneissique qui constitue le soubassement de l'Afrique Occidentale, des roches sédimentaires métamorphisées et très redressées sont les racines de chaînes anciennes 4. Celles-ci, d'époque huronienne, ont été réduites à l'état de pénéplaines sur lesquelles ces « racines » sont restées gravées.
Mais dans cet ensemble monotone, la Région Forestière de Haute-Guinée constitue une exception importante. Cependant le relief qu'il est donné d'observer aujourd'hui quand, au hasard d'une tournée la piste vous conduit sur une hauteur de commandement suffisante et assez dénudée pour qu'on puisse jouir d'une vue panoramique, ne résulterait pas, selon J. Richard-Mollard, des effets directs de la tectonique hercynienne suivie d'arasement, mais de mouvements verticaux : cassures et soulèvements entraînant une reprise de l'érosion qui renouvelle les vieilles directions précambriennes.
La Région est d'une altitude moyenne assez élevée pour l'Afrique Occidentale, allant de 400 m dans le Nord à 600 m dans le centre pour retomber à 400 m dans le Sud et même à 300 m sur les cours inférieurs des fleuves côtiers par suite de la dissymétrie du relief 5.
Les véritables hauteurs, alignées sensiblement Nord-Ouest, Sud-Est, sont assez exceptionnelles et somme toute modestes : la dorsale ne culmine pas même à deux mille mètres, 1 947 m au mont Loma en Sierra-Leone, 1752 m au Nimba, 1458 m dans la chaîne du Simandou, 1350 m dans le massif du Ziama en Guinée, tandis que le plateau du Tonkoui, dans le massif de Man en Côte-d'Ivoire, a une altitude variant entre 1200 et 1 400 m.
Du point de vue de leur nature, ces différents massifs peuvent se répartir en massifs quartzitiques, granitiques, doléritiques.
Parmi les quartzites redressés, la chaîne du Nimba forme frontière entre la Guinée, le Libéria et la Côte-d'Ivoire. Orientée Nord-Est, Sud-Ouest, son sommet est en Guinée et dépasse de 1 000 m la plaine de N'zo. Certaines pentes sont de 75°. L'arête de quartz est abrupte et s'abaisse vers le Sud-Ouest.
Dans la même catégorie, on classe les chaînes du Nord : Simandou et Gbing, dirigées du Nord au Sud sur 120 km avec une largeur variant entre trois et six kilomètres. Une série de failles détermine des tronçons décalés les uns par rapport aux autres. Le point culminant est le pic de Thio (1 458 m) qui domine de huit cents mètres la région. L'érosion a attaqué les quartz et a donné des blocs irréguliers avec une dissymétrie marquée des versants, le versant Est étant plus incliné.
Parmi les massifs granitiques, on compte la chaîne du Ziama orientée NordNord-Est, Sud-Sud-Ouest située au sud de Macenta. Son plus haut sommet est le Mont-Bara de 1 350 m d'altitude environ. Le massif le plus important de la région forestière est granitique, c'est celui de Tembicounda orienté Nord-Est, Sud-Ouest qui culmine au Mont Loma en territoire Sierra-Leonais à 1 957 m, les contreforts du territoire guinéen n'atteignant pas mille mètres.
En dehors de ces deux massifs d'une certaine étendue, on note des dômes arrondis, dénudés, dominant plus ou moins la plateforme ainsi que des massifs isolés d'une altitude plus élevée: Yarakoldou (1 325 m) Guimba (1 000 m) Yombiro (882 m) Boundou (737 m), situés dans le Centre, l'Ouest et le Nord.
La végétation atténue encore un modelé déjà imprécis dont ne se différencient que les falaises doléritiques, les dômes de gneiss et les pains de sucre de granite. L'érosion agit sur le modelé, formant de grandes dalles par desquamation et détachant des blocs parallélipédiques.
Les massifs doléritiques sont d'une part groupés dans la région de Boola où les falaises de Boola et de Mahana ne dominent que de 70 à 150 m la région environnante. Celles que l'on trouve dans un rayon de 70 km entre Macenta et Konsankoro leur sont semblables. De telles falaises se retrouvent à l'Ouest et au Nord-Ouest de Kérouané sur 75 km.
Le terrain accidenté et le climat très pluvieux favorisent l'existence d'un réseau hydrographique très dense. Celui-ci est distribué entre deux bassins principaux et plusieurs bassins secondaires.
La principale ligne de partage des eaux, avoisine le neuvième parallèle dans les pays Kissi et Toma, c'est-à-dire à l'Ouest et au Centre. Elle s'infléchit vers le Sud en pays Kono, suivant la crête montagneuse traversant la route Nzérékoré-Beyla entre Gouécké et Boola. Elle laisse au Nord le bassin du Niger et au Sud celui des fleuves côtiers.
Toutes les rivières au Nord de la ligne de partage sont tributaires du Niger et en régularisent le cours. Lui-même prend sa source en territoire guinéen mais en dehors de la région forestière proprement dite, soit dans l'extrême-sud de la Subdivision de Faranah.
Son principal affluent est le Milo qui reçoit lui-même la Baoulé, le Niandan alimenté par la Loulé et le Balé.
Le bassin océanique au Sud de la ligne de faîte est lui-même divisé en plusieurs bassins secondaires spécialement par les chaînes du Simandou et de Gbing orientées carrément Nord-Sud, par la chaîne du Ziama, les massifs de Boola et du Mahana, enfin le Mont Nimba
Le méridien 8°40' ouest de Greenwich figure une ligne à l'Est de laquelle les rivières coulent vers le Sud, Sud-Est (Sassandra, Cavally), et à l'Ouest vers le Sud, Sud-Ouest (Makona, Loffa, Diani, Mani).
Ces rivières qui traversent l'habitat de plusieurs peuples avant d'atteindre l'Océan, changent souvent de nom au long de leur cours.
La Makona naît au Nord de Macenta vers la cote 1 000 et coule vers l'Ouest en formant frontière avec le Libéria puis la Sierra-Leone du Sud de Bofosso à l'Ouest de Kailahun, après quoi sous le nom de Moa, quittant le région montagneuse, elle coule vers le Sud, Sud-Ouest grossie de la Malé à l'Ouest et de la Mabiyé à l'Est. Elle se jette dans l'Océan à 130 km, au Sud-Est de l'île Sherbro.
Le Mano, sensiblement de même direction forme frontière entre le Sierra-Leone et le Libéria et se jette dans l'Océan non loin de la Moa.
La Loffa, née en pays Toma, dont le cours inférieur est approximativement parallèle à celui du Mano qui la précède, du Diani et du Mani qui la suivent, a son embouchure entre Robertsport (Cape Mount) et Monrovia.
Le Diani on Saint-Paul naît sous le nom de Vano reçoit la Toffa et plus au Sud, l'Oulé. Celle-ci, venue de la région de Gouécké, coule parallèlement au Diani pendant une centaine de kilomètres puis se dirige brusquement vers l'Ouest, une fois dépassé le massif des Maka-Yé séparant son bassin de celui du Diani lequel se jette dans l'Océan juste au Nord de Monrovia.
Le Mani ou Saint-Jean naît près de Nzapa dans le Manaleye à six cents mètres d'altitude environ. Il décrit d'abord une boucle avant de se diriger vers le Sud, Sud-Ouest ; il forme alors frontière avec le Libéria, mais d'après les traités, la frontière guinéo-libérienne est fixée à cent mètres de la rive gauche du Mani : celui-ci est donc sur une grande partie de son cours guinéen. Après son confluent avec le N'yé (qui a reçu le G'bin à quelques kilomètres en amont), le Mani entre franchement en territoire libérien et se dirige vers le Sud pour se jeter dans l'Océan à la pointe de Grand-Bassa (Buchanan).
Le Cavally appartient à la partie Est du bassin océanique. Il descend des pentes Nord-Est du Mont Nimba et se dirige d'abord vers le Nord jusqu'à Zougouta, puis il descend vers le Sud-Sud-Est, traverse la frontière de Côte-d'Ivoire pour entrer dans la subdivision de Danané. Il se dirige alors vers le Sud puis vers l'Est où il forme frontière avec le Libéria, et à nouveau franchement vers le Sud, jouant toujours son rôle de frontière jusqu'à son embouchure.
Mention spéciale doit être faite du Gouan ou Bafing qui naît dons les Monts Kouyé vers 1000 m d'altitude entre Gouécké et Boola, traverse le Karagoua et coule d'Ouest en Est, formant limite entre les cercles de Beyla et de Nzérékoré puis entrant en Côte-d'Ivoire sans changer de direction pour se jeter perpendiculairement dans la Sassandra qui, elle, coule Nord-Sud puis Sud, Sud-Est pour se jeter dans l'Océan à Sassandra.
Le profil de ces rivières descendant vers l'Atlantique, très jeune avec une pente moyenne très forte, est pour Obermuller la preuve d'un rajeunissement des anciennes à proximité de la Côte.
Leur direction générale n'a pas été affectée par le rajeunissement, mais le fait qu'elles creusaient moins vite leur lit, que le relief ne s'exhaussait, aboutit à leur donner des profils en long accidentés 6.
Tous ces fleuves ont un profil en travers en U, l'eau coulant dans le fond en saison sèche et montant jusqu'à déborder largement sur chaque rive en saison des pluies. En effet, les cours d'eau secondaires qui n'étaient que de minces filets en saison sèche, prennent un régime torrentiel en saison des pluies et viennent gonfler considérablement le fleuve principal.
Cependant, la forme du profil en travers (l'eau doit d'abord monter très haut avant de déborder de son lit) et la végétation abondante, empêchent les conséquences catastrophiques que pourraient avoir ces crues qui atteignent leur maximum en septembre-octobre. Toutefois, en maints endroits, les abords du fleuve sont transformés en marécages sur une largeur appréciable.
Les ponts de lianes dont l'établissement est facilité par ce profil sont alors souvent endommagés ou emportés. Il nous souvient d'une traversée de l'Oulé, limite entre le Boo et l'Ourapeulé, en septembre, sur un radeau de fortune relié à un câble formé de lianes tressées grossièrement. Deux essais faits la veille de notre arrivée s'étaient soldés par la rupture du câble et le départ du radeau à la dérive par suite d'un courant extrêmement fort. Le troisième se fit avec nous-même, le garde-cercle Bandiougou Camara et notre Boy gris de peur : la rive du Boo fut abordée sans encombre. Cela était-il dû à la présence d'un Zohomou dont la mélodie jouée sur une sorte d'Okarina avait pour but, sinon pour effet, d'apaiser les éléments et d'écarter les crocodiles ?
La Région Forestière de Haute-Guinée, de Sierra-Leone, du Libéria et de l'Ouest de la Côte-d'Ivoire, jouit d'un climat propre.
On sait qu'en Afrique de l'Ouest, le climat (et la végétation qui en dépend) est fonction de la latitude. Du Nord au Sud, on trouve en bandes horizontales, les climats saharien-sahélien, tropical soudanien avec une saison des pluies plus ou moins longue suivant la latitude, équatorial-guinéen avec deux saisons des pluies.
Mais le relief, et plus encore que l'altitude proprement dite, la direction de ce relief par rapport à la masse océanique, introduisent un élément modificateur dans cette disposition des bandes climatiques.
Certains, comme H. Hubert, ont classé le climat de la Région forestière dans le climat dit Foutanien, mais J. Richard-Molard a noté très justement qu'on peut se demander s'il n'est pas abusif de ranger sous le même titre les climats des deux massifs 7.
La disposition relative des deux masses en présence (la masse continentale de caractère boréal et la masse océanique de caractère austral) amène une suppression de certains éléments climatiques normaux à cette latitude en Afrique.
D'une part, la mousson venue de l'Océan suivant une direction Sud-Ouest, Nord-Est, repousse l'harmattan, ce vent desséchant originaire des régions sahariennes et sub-sahariennes, et est la cause de la réduction de la saison sèche.
D'autre part, l'alizé austral qui est à l'origine de la petite saison sèche en Basse Côte-d'Ivoire, au Togo et au Dahomey, s'épuise avant d'atteindre la Région forestière de Haute-Guinée et l'hivernage n'y connaît pas d'interruption.
L'humidité, qui est considérable, est constante et répartie sur toute l'année.
La saison sèche ne dure que deux à trois mois, pratiquement décembre et janvier. Dès le milieu de février, les tornades éclatent d'abord la nuit, en fin de journée puis de plus en plus tôt à mesure que s'avance la saison. En mai, juin, l'hivernage est complètement établi et les pluies sont continuelles jusqu'en septembre, au grand dam des routes où le ruissellement creuse des ravines et les camions des ornières. En octobre-novembre, les pluies s'espacent et les tornades font leur réapparition.
Du fait que la région s'étend entre 10° et 7° de latitude Nord, la pluviométrie varie entre 2 et 3,50 m par an. La température diurne n'est pas très élevée, 28° en moyenne. La température nocturne varie entre 15° et 24°. Bien entendu, l'amplitude est plus forte en saison sèche que pendant l'hivernage et plus forte encore dans la zone de contact de la savane et de la forêt.
Le degré hygrométrique est élevé. Les maxima thermiques sont observés aux périodes intermédiaires (début et fin de l'hivernage).
L'altitude sans jamais contrarier totalement les facteurs atmosphériques, c'est-à-dire les vents, qui commandent au premier chef le climat, n'a pas une influence négligeable et est cause de la création de micro-climats. R. Schnell a noté 8 une augmentation de la hauteur de chute de pluies de 80 mm par 100 m d'altitude ainsi que du nombre de jours de pluie (quatre à cinq jours supplémentaires). Les brouillards sont constants le matin à partir de neuf cents mètres.
A l'inverse, la température décroît d'un demi-degré par cent mètres d'élévation et l'on a noté 19°/20° au Tonkoui, à 1 120 M, 22°,5/23° au Ziama à 850 m.
En conclusion, l'existence de chaînes de montagnes à proximité de la côte et leur orientation par rapport à celle-ci, sont la cause de précipitations importantes dont le volume joint à la distribution, crée les conditions nécessaires à une végétation de type forestier.
Cette forêt n'est pas la même d'une extrémité à l'autre de la Région. Outre la présence des massifs montagneux qui introduisent un facteur important dans la variété des formations végétales, l'étalement Nord-Sud aboutit à une succession (et parfois à un mélange) de types forestiers différents. Il ne faut pas omettre non plus, en tant que facteur de diversification, l'action de l'homme sur le milieu.
La Haute-Guinée présente deux types de forêts :
La hauteur des pluies n'est pas le seul élément qui favorise le développement de la « Forêt de la Pluie » mais également la répartition des pluies. Ainsi le cercle de Kankan, bien que recevant 1 700 mm d'eau par an, n'a pas de couverture forestière, parce que la mousson arrêtée ou ralentie par les massifs montagneux, n'est plus assez forte pour contrebalancer les effets de l'harmattan et que la saison sèche en conséquence y est trop longue.
Pour qu'il y ait forêt dense, il ne faut pas que la saison sèche dépasse deux ou au maximum trois mois. On connaît la plaisanterie qui a cours en zone guinéo-équatoriale :
« après la saison des pluies, il y a la saison où il pleut ».
C'est à peine exagéré. Nous n'avons pas connu à Nzérékoré de mois sans une goutte d'eau, même en décembre-janvier.
La profondeur de la zone forestière varie d'ailleurs : elle est maximum au niveau du Libéria et dépend de la position de la côte par rapport à la direction de la mousson, vent de la pluie. Elle est à peu près de 350 km à hauteur de Greenville. A partir du Cap des Palmes la côte s'infléchit et la mousson l'atteint sous un angle oblique ; la profondeur de la zone forestière diminue alors pour se réduire à cent kilomètres.
La régularité de la température, l'humidité constante, l'absence de saison, totalement sèche ou sa brièveté, favorisent cette formation végétale qu'Aubreville nomme forêt dense tropicale humide et R. Schnell forêt dense guinéo-équatoriale pour marquer sa double appartenance. Nous préférons l'appellation d'Aubreville car on note une différence importante entre l'aspect de la forêt guinéenne et celui se la forêt équatoriale. Comme l'écrit J. Richard-Mollard 9 : « là, pas de cathédrale congolaise ou amazonienne avec les fûts des grands arbres pour piliers, mais entre ces géants un sous-bois médiocre qui permet mal de les distinguer ».
Et pourtant, l'observation montre quatre étages : l'étage supérieur, arborescent, s'élève jusque 50 à 60 m. Il est formé de Fromagers, d'Azobe, de Sipo, etc. dont les cimes constituent une voûte discontinue.
En effet, sur les fûts de ces arbres très droits et très élevés, les premières branches ne se forment que très haut. Le feuillage s'étale au soleil par suite de la forme étagée de la cime, alors qu'au-dessous règne l'ombre. Les feuilles sont épaisses, luisantes et persistantes. Mais ces géants ont un enracinement peu profond que compense l'existence de contreforts, de racines à palettes qui lui procurent sa stabilité. Ce mode d'enracinement est la conséquence de la composition du sol où sous une couche utile de quelques dizaines de centimètres on trouve une argile compacte, sans oxygène ni substances organiques. On comprend alors cet étalement des racines qui s'efforcent de couvrir le maximum de surface où l'arbre puisse puiser les éléments nécessaires à sa croissance et à sa vie.
Puis vient un étage moyen atteignant vingt à trente mètres, formé d'une futaie avec une seconde voûte forestière quasi-continue.
Enfin une strate arborescente inférieure composée de semis de grands arbres et d'arbres de taille modeste, puis le sous-bois inextricable. Les parasoliers aux feuilles caractéristiques, au tronc si cassant, sont les hôtes de cet étage. On note de nombreuses espèces à latex qui selon R. Schnell, seraient les plus propres à résister à l'attaque des insectes.
Ces différentes étages sont reliés entre eux par des lianes et des épiphytes fougères, orchidées, élisent domicile sur les grands arbres et particulièrement sur les branches supérieures. Certains comme le Ficus, qualifié d'étrangleur, étouffent en l'enserrant l'arbre qui leur a donné l'hospitalité.
L'absence de luminosité, l'humidité constamment renouvelée font du sous-bois l'habitat préféré des plantes d'ombre.
La faune s'est adaptée à ce milieu : beaucoup de mollusques, de lombrics, de batraciens et aussi d'insectes, de termites, de micro-organismes qui attaquent le bois des arbres, même sur pied. Aussi les tornades provoquent-elles l'effondrement de géants mal enracinés et minés de l'intérieur.
Les mammifères sont bas sur pattes, avec les cornes en arrière pour faciliter le passage dans le fouillis du sous-bois. L'adaptation au milieu a donné la faune dite du Nimba : antilopes naines, buffles nains, hippopotames nains.
Les singes sont nombreux dans les hautes cimes à l'abri de la panthère. L'éléphant est rare ou absent: en 1947, on citait un solitaire entre Boola et Gouécké.
La toponymie fait allusion au lion (Yaragpalé : le passage du lion, village du Boo en pays Kpellé) mais on le voit mal vivre et évoluer dans un tel milieu, peut-être est-il fait allusion à un événement passé lorsque les Kpellé habitaient les savanes de Missadougou plus au Nord.
Il faut convenir que telle que R. Schnell la décrit dans son Introduction
à l'étude botanique de la Région forestière, la forêt primaire
ne se rencontre plus en Haute-Guinée qu'en certains massifs témoins.
Dans le cercle de Nzérékoré par exemple, il faut citer la forêt
du Manaleye entre la route du Libéria et le fleuve Mani, pratiquement
vide d'hommes, ainsi que le secteur compris entre l'Oulé et le
Diani au Sud du Boo.
« La structure de la forêt dense est dominée par la puissante
exubérance de sa végétation. Généralement, on ne voit pas le ciel.
Les cimes des arbres forment une voûte presque continue qui intercepte
la lumière. Autour de soi, on n'aperçoit qu'un fouillis d'arbres,
d'arbustes, de branches, de lianes. La visibilité est généralement
faible... De loin en loin se dresse la base énorme d'un arbre
géant; on n'en distingue pas la cime, on n'en peut apprécier la
hauteur. Le tronc immense comme une large colonne se dresse et
va se perdre dans le fouillis inextricable des feuillages» 10.
Par une zone de contact, on passe insensiblement au secteur soudanais
de brousse boisée. Cette zone de contact, dite guinéenne, se rapproche
de la zone soudanaise et l'on y trouve de grandes étendues de
hantes graminées avec ça et là des arbres et des bosquets plus
ou moins denses allant jusqu'à la forêt claire. Les galeries forestières
longent les rives des cours d'eau sur une profondeur dépendant
de l'importance de celui-ci et rappellent la forêt dense par leur
aspect et leur composition : arbres de grande hauteur mais aussi
palmier-raphia, sous-bois avec fougères, lianes. Les Pandanus
aux racines aériennes bordent immédiatement la rivière.
Ces galeries sont des avancées de la forêt dense dans la savane,
mais dans la partie la plus au Sud, on trouve aussi des massifs
indépendants des cours d'eau, massifs témoins d'un ancien peuplement
forestier. Toutefois, la vie y est ralentie en saison sèche, les
feuilles sont caduques et les espèces peu résistantes ont disparu
: c'est une formation dégradée.
Ces îlots forestiers reliques se rencontrent sur toute la bordure
Nord de la zone mais notamment en pays Kissi et Kono. La chaîne
du Simandou semble constituer très approximativement la limite
entre les savanes Malinké et la forêt dense Toma.
La "Deciduous Forest" ou forêt tropophile (par opposition à la
forêt ombrophile ou "Rain Forest") dont l'habitat se situe en
théorie entre les isohyètes 1 350 et 1 600 avec une saison sèche
vraie, ne correspond pas à un type de végétation entièrement différent
du point de vue de la composition floristique 11. Il arrive même que dans des conditions de sol et de relief différents
mais à la même latitude, il puisse coexister les deux types de
forêt.
Ainsi dans la Subdivision de Danané on trouve sur les crêtes une
forêt mésophile et dans les vallées une forêt ombrophile. Sur
le Nimba, on rencontre la forêt tropophile, la forêt de la pluie
et des stades intermédiaires.
Le sol de la forêt dense est composé la plupart du temps d'une
argile latéritique parfois de plusieurs mètres d'épaisseur, avec
en surface une couche mince de débris végétaux qui subissent un
processus de décomposition par les micro-organismes.
Cette argile contient de 10 à 50% d'éléments latéritiques. Bien
que la cuirasse latéritique (qui en contient de 90 à 100 %), soit
en principe un sol de savane, on la rencontre parfois sous la
forêt dense. On verra plus loin ce qu'en ont déduit R. Schnell
et d'autres chercheurs. Dans la région de Beyla, cette cuirasse
est très développée ; dans celle de Kissidougou, le granite du
sous-sol a donné naissance à un sol argilo-sableux avec des gravillons
ferrugineux au niveau supérieur.
Un sol formé d'une cuirasse latéritique (sur les plateaux le plus
souvent) rend la forêt dense instable. Si les vallées entaillent
la carapace, on trouve un sol épais, humide, favorable à la régénération
et à la stabilité de la forêt.
La Forêt joue évidemment un rôle protecteur vis-à-vis du sol et
l'érosion stérilisante reprend quand elle disparaît.
Les facteurs humains, défrichements et feux de brousse, peuvent
amener une dégradation du milieu forestier, le passage d'un type
de forêt à l'autre. La forêt secondaire s'installe à la place
de la forêt primaire avec ses palmiers à huile et ses colatiers.
Si ces feux d'origine naturelle ou d'origine humaine (pour la
chasse, les défrichements, le maintien des pâturages, le renouvellement
du chaume de couverture des cases) ont peu d'importance sur la
forêt dense de basse altitude que l'humidité constante rend pratiquement
incombustible, la forêt ne disparaissant que de l'espace défriché,
ils ont un effet régressif sur les formations de contact.
En dehors de cette bordure nord, on peut trouver des plaines de
savane au milieu des massifs forestiers : savane de Bossou dans
le Manon, savane du Nyékolé au Sud de Nzérékoré entre G'bin et
N'yé. On peut les considérer comme les preuves d'un peuplement
témoin plus dense.
Mention particulière doit être faite des forêts montagnardes.
Nous avons vu que l'altitude avait quelqu'influence sur le climat
: augmentation de la pluviosité (hauteur et nombre de jours de
pluie), diminution légère de la température, importance des brouillards.
Le Ziama, le Nimba et les Dans sont en forêt dense. Le Simandou
et le Loma situés en zone botanique guinéenne offrent des lambeaux
de forêt dense humide.
Le massif du Nimba, qui a fait l'objet d'études très poussées
de R. Schnell, Lamotte et Leclerc, s'élève jusqu'à 1,752 m et
son arête abrupte au Nord-Est dans la partie guinéenne, s'abaisse
au Sud-Ouest jusqu'à 1 200 m dans la partie libérienne où elle
est à peu près totalement boisée. En Guinée par contre, à partir
de 800 m, on trouve un tapis herbacé bas avec des espèces orophytes
et des arbre isolés. Les traces de calcination font penser à un
recul récent sous l'effet des feux de brousse d'autant plus qu'on
retrouve la forêt dans le fond des ravins, même quand ceux-ci
s'élèvent jusqu'à 1 600 m.
Au Ziama, on retrouve une forêt montagnarde de peu de hauteur
présentant les mêmes espèces que les reliques du Nimba et du Simandou.
La Chaîne du Simandou très nordique pour la région, est couverte
de prairies se raccordant à la savane de la plaine. Toutefois,
des lambeaux de forêt montagnarde, plus étendus sur le versant
Ouest exposé à la mousson que sur le versant Est que frappe l'harmattan,
occupent les pentes supérieures et même parfois la crête ainsi
que le fond des vallées supérieures.
Au contact de la zone d'agriculture et d'élevage, le Simandou
a été plus touché par les feux de brousse et R. Schnell en a déduit
une couverture forestière primitive de l'ensemble de la crête
et un recul récent.
Au Nimba, au Ziama, au Simandou, la forêt des pentes et des crêtes
est une forêt aux arbres relativement peu élevés (8 à 15 m) et
à la ramification basse, contrairement à la forêt des ravins présentant
les caractères de la forêt dense de basse altitude.
Le plateau du sommet du Tonkoui, dans le massif des Dan en Côte-d'Ivoire,
porte une forêt plus haute, à une altitude comprise entre 1 200
et 1 400 m. Elle est aussi plus riche et doit sa conservation
au regard de l'homme, au caractère sacré de la Montagne.
C'est en effet la nature du sol et non pas la seule altitude,
qui explique l'aspect et la composition de la forêt montagnarde.
Dans les vallées, les ravins, sur les plateaux, un sol épais s'est
accumulé et favorise la croissance d'espèces de grande hauteur.
Les crêtes et les pentes rocheuses présentent un sol plus mince
et qui se dessèche assez fortement pendant la saison sèche, même
si elle est de courte durée.
En s'élevant, les espèces de basse altitude disparaissent et les
espèces de montagne subsistent, mais leur croissance et leur développement
normaux dans les ravins sont entravés sur les crêtes et les pentes
supérieures par l'appauvrissement du sol.
R. Schnell a constaté dans les sols forestiers montagnards des
teneurs en matières organiques totales de 20 à 30%. (contre 3
à 8 %, pour les sols de piedmont). Le PH inversement est de 4,7
en montagne contre 5 à 5,5 en basse altitude. L'hygroscopicité
est également plus élevée. Ces sols forestiers montagnards sont
donc riches en matières organiques, argile et limon d'un brun
rougeâtre. Sur les crêtes du Nimba, ils présentent une texture
plus grossière avec un squelette minéral de magnétite ou de grains
de quartz ; de même sur les dômes du Ziama.
L'espèce prédominante de la forêt montagnarde est le Sougué à
grandes feuilles (Parinari excelsa). Elle subsiste seule aux plus
hautes altitudes. On la trouve aussi bien en forêt haute des ravins
qu'en forêt basse des sommets.
Si les facteurs édaphiques jouent le rôle essentiel, les facteurs
climatiques contribuent également à la structure de la végétation
montagnarde : l'humidité, la nébulosité, expliquent l'abondance
des mousses, des lichens et des fougères.
Cette forêt, déjà bien attaquée aujourd'hui sur sa lisière et
parfois transformée dans l'intérieur même, a-t-elle toujours recouvert
cette Région d'Afrique Occidentale ? R. Schnell voit dans l'existence
d'une carapace ferrugineuse sous la forêt dense et dans la présence
de certains orophytes de prairie sur les sommets, incompatibles
avec un habitat forestier, les preuves d'un régime ancien non
forestier 12.
Par contre, l'étude de la limite actuelle de la région forestière
amène à penser que la forêt dense se prolongeait au nord de celle-ci
par une forêt mésophile avant que l'agriculture, la chasse et
l'élevage de savane, par les défrichements et les feux, ne la
détruisent presque complètement. Cette conclusion repose sur l'observation
du caractère trop tranché de la limite actuelle et de l'existence
d'îlots forestiers vestiges et témoins au nord de cette limite.
Il y aurait donc eu une variation de la couverture végétale liée
aux variations climatiques constatées aux différentes époques
dans toute l'Afrique Occidentale.
En une première phase correspondant au Paléolithique ancien, on
suppose un climat humide avec un régime forestier. Les cours d'eau
sont importants et entraînent les sols meubles dans les vallées
et en Piedmont. Elle correspond à la période du Sahara humide.
La deuxième phase correspond au Paléolithique moyen, c'est une
phase de dessèchement au cours de laquelle la forêt dense recule
ou est remplacée par des formations xérothermiques, les dépôts
des vallées et des piedmonts se transforment en conglomérat ferrugineux,
on assiste à la formation de carapaces par durcissement du sol.
La troisième phase intéresse le Paléolithique supérieur et le
Néolithique. En une première étape, le climat est plus humide
qu'à l'époque contemporaine, puis vers le VIe millénaire, au début
du dernier dessèchement du Sahara, on passe insensiblement au
climat actuel. Les vallées entaillent les dépôts des cours d'eau,
la carapace formée en phase Il reste localisée. Le régime est
forestier mais les forêts installées sur la carapace sont instables
et une fois détruites, ne se régénèrent pas et font place à la
prairie ou à la savane.
Ainsi de la structure du sol et de la végétation du Nimba qu'il
a plus spécialement étudiées, R. Schnell tire les mêmes conclusions
que celles du Capitaine Y. Urvoy pour le Niger et du géologue
R. Furon sur un plan plus général, conclusions qui nous amènent
à la question de l'Homme et la Montagne, de l'Homme et la Forêt.
La Montagne, ainsi que nous le verrons bientôt, joue un grand
rôle dans le peuplement, que celui-ci soit positif ou négatif.
Si la Montagne a souvent un caractère sacré et est le siège des
Génies, les traditions en font aussi le lieu d'apparition d'êtres
supra-terrestres dont l'union avec des femmes autochtones est
à l'origine des peuples actuels. Et, en fait, de nombreuses traces
d'habitat montagnard ont été découvertes, de caractère plus ou
moins récent.
Si en Haute-Guinée forestière, l'homme n'habite plus volontiers
les montagnes, sauf peut-être dans le Sud du pays Kissi, en Côte-d'Ivoire
les Weingbé (Toura.) et les Dan recherchent les hauteurs même
escarpées.
L'Homme a trouvé dans la Forêt un autre refuge. Quel fut cet Homme
? Comment a-t-il établi un certain équilibre entre son milieu
et son action ?
Une civilisation de cueillette et de chasse a dû laisser, si elle
a existé, la forêt intacte.
Un certain équilibre aussi a été maintenu dans une première phase
d'économie agricole, celle qui a précédé le contact avec les cultures
modernes pendant des siècles. Le peu de développement des cultures
et par conséquent la mise en jachère pendant un temps assez long
pour que la forêt se régénère, a permis le maintien de l'équilibre,
du moins au cur de la forêt dense, car sur la lisière nord plus
sèche, la destruction du couvert forestier prend un caractère
définitif.
La Forêt elle-même fournit à l'homme l'écorce de certains arbres
qui, battue, donne une étoffe dont il fait des pagnes. C'est d'elle
qu'il tire les fruits, les racines, les graines dont il se nourrit
et dont il tire ses médicaments et aussi... ses poisons. Avec
le bois, il fabrique des armes, des pirogues, des masques, des
instruments de musique, des chaises, des mortiers, des pilons
qui constituent son seul mobilier. La nervure des palmes du «
Ban » est sa providence, de même que le palmier lui même lui fournit
sa boisson.
Enfin la grande richesse traditionnelle de la Forêt, comparable
à l'or du Soudan du point de vue de l'importance économique, c'est
la Noix de Cola qui faisait l'objet d'un trafic intense avec l'Afrique
Soudanaise et Sahélienne. Spontané en forêt dense le colatier
a aussi fait l'objet de plantations systématiques
L'action de l'homme a eu aussi un caractère sélectif, détruisant
certaines espèces, en introduisant d'autres, il a transformé sa
composition du moins sur les aires de culture et autour des villages.
De l'ancienne Egypte sont venus les oignons et les hibiscus, par
les Arabes la canne à sucre, le cotonnier et le citronnier, d'Asie
peut-être le bananier, les taros, les ignames, d'Amérique par
le truchement des Portugais, le manioc. Le riz, soit africain,
soit importé d'Asie au XVe siècle, a pénétré en région forestière
au point que D. Paulme a pu baptiser les Kissi « les gens du riz
» et que le terme pourrait s'appliquer aussi bien aux Kpellé.
Enfin autour des cases on trouve le tabac et le papayer.
Mais les transformations économiques qui ont suivi la colonisation,
la naissance de nouveaux besoins, le développement d'une économie
monétaire pour les satisfaire ont amené une extension des cultures
et l'introduction de cultures nouvelles, le caféier essentiellement.
L'équilibre est devenu plus précaire et les formes régressives
définitives ont entamé le milieu forestier non seulement à sa
périphérie mais de l'intérieur, le long des routes et autour des
centres en expansion.
Enfin la Forêt, c'est aussi la « forêt sacrée » le lieu des cultes,
de l'Initiation aux croyances et aux traditions de la tribu pour
perpétuer celles-ci.
Lieu propice à la survie de l'Homme qui y a été refoulé, la Forêt
a aussi été le lieu où s'est élaborée une culture propre aux peuples
qui l'habitent.
R. Schnell note qu'il est rare qu'un même peuple se rencontre
en forêt et en savane, ou du moins que le fait ne s'observe qu'au
niveau des zones de transition où le paysage comporte une mosaïque
de savanes et de forêts reliques.
C'est ainsi que d'après D. Paulme 13 dans le Nord du pays Kissi, pays de savane, le village recherche
l'îlot forestier vestige au centre duquel il s'installe dans une
clairière sans doute artificielle, alors que dans le Sud les cases
sont à flanc
de montagne totalement cachées dans la forêt parmi les rochers.
Par contre, pour B. Holas 14 le village Kono ne recherche jamais
l'ombre de la forêt et préfère les vastes clairières et parfois
même les Boowe. Il en déduit que les Kono ne sont pas un peuple
forestier mais un rameau détaché de la famille mandé qui s'est
arrêté à la lisière de la forêt dense et au massif du Nimba. Nous
ne serons pas aussi catégorique quant au choix de l'habitat, ni
surtout sur l'origine des Kono, mais nous sommes cependant de
l'avis que l'influence mandé et le métissage ont été sans doute
plus fort chez eux que chez leurs voisins Kpellé ou Toma.
Mais de même que se posait la question de savoir si la Forêt avait
toujours recouvert la Haute-Guinée, se pose celle de savoir si
l'Homme l'a habitée dès les temps préhistoriques ou plus récemment
et quels Hommes étaient et sont devenus ces Peuples de la Forêt.
Nous ajouterons que les influences extérieures qui ont contribué
à la transformation progressive du peuplement autochtone (?) ont
eu des effets différents selon leur origine.
Notes
1. A. Obermuller. Description pétrographique et étude géologique
de la région forestière de Guinée française. Thèse soutenue devant
la faculté d'Alger. Grande Imprimerie Africaine, Dakar, 1941.
2. A. Obermuller. Op. cit., p. 184. « Dans la région forestière
on peut observer des terrasses alluvionnaires récentes en voie
de latéritisation ».
3. A. Obermuller. Op. cit., p. 185. « Quant aux faciès magnésiens
de la région forestière, ils constituent les formes de passage
du granite banal de la Haute-Guinée aux Norites du massif de Man
en Côte-d'Ivoire ».
4. J.
Richard-Mollard. L'Afrique Occidentale française. Berger-Levrault,
Paris, 1949.
5. J. Weulersse. L'Afrique noire. A. Fayard, Paris, 1934.
6. J. Richard-Mollard. Op. cit.
7. J. Richard-Mollard. Op. cit., p. 22. « Ce qui est vrai du Fouta,
l'est moins de la Dorsale où la latitude est plus basse de 3°
ou 4°. La pluie commence un ou deux mois plus tôt, ce qui est
capital pour la forêt. Le Fouta a un climat tropical vrai, la
Dorsale peut être un climat pseudo-tropical ou si l'on veut équatorial
altéré par la mousson qu'arrêtent les reliefs, en sorte que les
pluies orographiques de mousson masqueraient complètement la saison
sèche intermédiaire. La Dorsale guinéenne parce qu'elle économise
un ou deux mois de saison sèche et pas mal d'harmattan, offre
à l'arboriculture ombrophile des ressources infiniment supérieures
à celles du Fouta ».
8. R. Schnell. La forêt dense. Introduction à l'étude botanique
de la région forestière d'Afrique Occidentale. Manuels Ouest Africain,
no. 1, 1950.
9. J. Richard-Mollard. Op. cit., p. 39.
10. R. Schnell. - Op. cit., p. 17.
11. R. Schnell. Op. cit., p. 39. « Il faudrait se garder de
voir dans les deux grands types forestiers, deux formations absolument
constantes et aussi nettement distinctes que le sont par exemple
les savanes guinéennes et les forêts denses ».
12. R. Schnell. Essai de synthèse biogéographique de la région
forestière. Notes africaines, IFAN 1948, no 40.
13. D. Paulme. Les gens du riz. Plon, Paris, 1954, p.15.
14. B. Holas. Les masques kono, leur rôle dans la vie sociale
et politique. Paul Guethner, Paris, 1952, p.15.
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