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Ethnographie

Jacques Germain
Administrateur en chef des Affaires d'Outre-Mer (ER)
Guinée. Peuples de la Forêt

Académie des Sciences d'Outre-Mer. Paris. 1984. 380 p.

Introduction

La Région Forestière de Haute-Guinée qui, administrativement, s'étend d'Est en Ouest sur les cercles de N'Zérékoré, Macenta, Guéekédou et Kissidougou, soit de 80 à 10045 de longitude Ouest, est l'habitat actuel des populations Manon, Kono, Kpellé, Toma, Kissi et Lélé.

Cependant, celles-ci s'étendent largement sur le Liberia (où les Manon ont autant de représentants qu'en Guinée et les Kpellé deux fois plus) et le Sierra-Leone. Elles débordent également au Nord sur le Cercle de Beyla, les Kono dans le Karagoua et les Kpellé dans le Kossa-Guerzé (Boola).

Réciproquement, les populations mandé de la savane, Kouranko, Malinké, Konianké, ont entamé plus ou moins profondément la région forestière spécialement en pays Kissi et Toma.

A l'Est, la Côte-d'Ivoire dans ses régions frontalières de Touba, Man, Danané et Duékoué, présente des caractéristiques physiques et humaines, l'apparentant très fortement à la Haute-Guinée : relief accentué, couverture forestière encore importante, populations vraisemblablement de souche et de culture communes : Mahou, Weingmé (ou Toura) Dan (ou Yafoba). On trouve d'ailleurs quelques villages Dan en Guinée dans le Nana-Sud. Les Guéré s'en rapprochent par la culture sinon par la souche.

Ce pays de montagne et de forêt a été le creuset où, avec des apports très divers que nous nous efforcerons d'analyser, s'est formée peu à peu une culture individualisant les populations y ayant trouvé refuge à la suite des événements qui, au cours des siècles, ont provoqué dans cette partie de l'Afrique, comme ailleurs, des migrations, des mouvements de flux et de reflux difficiles à démêler.

Cette étude a été menée en 1946-1947 dans le cercle de Nzérékoré où nous servions comme adjoint au Commandant de Cercle.

L'observation directe, spécialement à l'occasion des tournées de recensement, et les longues conversations nocturnes avec les notables Kpellé, Kono et Manon ont été nos principales sources.

Nous avons voulu vivre le plus près possible de nos administrés pour en retracer plus fidèlement l'histoire et en analyser les coutumes.

C'est ainsi que nous avons été amené à entrer au Polon, le stage d'Initiation en forêt sacrée, en même temps que les jeunes postulants dans le canton du Sonkolé.

Nous avons également été admis dans la Société des gens de justice, le Ton ou Tohon. Mais nous ne nous faisons pas trop d'illusions sur l'étendue de « la révélation » qui nous a été faite. Nous sommes persuadé que, bien entendu, on ne nous a montré que ce qu'on voulait bien nous montrer, aussi cette étude, dont certains fragments ont été publiés dans la revue des Etudes Guinéennes, n'avait nullement la prétention d'être complète.

Aussi, trente ans après, avons-nous repris nos notes pour les enrichir de tout ce qui avait été écrit depuis 1947 et les y confronter. Egalement pour élargir le champ de notre étude et débordant le cadre étroit du cercle de N'Zérékoré, l'étendre à la Région Montagneuse et Forestière de Haute-Guinée et de Côte-d'Ivoire par suite de l'unité de culture des différents peuples qui l'habitent.

La bibliographie que nous donnons en annexe est relativement abondante et tout en prenant pour base notre propre étude, nous avons tenté une synthèse qui, certes laisse beaucoup de points dans l'ombre et pose plus de points d'interrogation qu'elle n'apporte de solution, mais qui, nous l'espérons, peut servir de base à un approfondissement ultérieur des chercheurs.

Nous avons trouvé des sources particulièrement précieuses tant dans les travaux anciens d'officiers et administrateurs dont l'Administrateur Arcin pour l'ensemble de la Guinée, l'Administrateur Tauxier pour les Toura, les Gouro et les Gagou, le Capitaine Gamory-Dubourdeau et le Lieutenant Bouet pour les Toma, le Capitaine Duffner pour les Kpellé, le capitaine Viard pour les Guéré, que dans ceux plus récents des ethnologues et linguistes :

Il faut signaler les ouvrages remarquables de Mme Denise Paulme et de M. Yves Person sur les Kissi, ceux de M. Bohumil Holas sur les Kono et les Toura principalement et également le livre de P.D. Gaisseau sur les Toma (Forêt Sacrée et Magie).

Nous n'aurons garde d'oublier M. R. Schnell, spécialiste de la Biogéographie forestière et passionné du problème du peuplement ancien de celle-ci, avec lequel nous avons eu tant de fois l'occasion d'évoquer toutes ces questions au campement de N'Zo au pied de ce Mont Nimba qu'il connait si bien.

Puisse cette modeste contribution de notre part, aboutir à une meilleure connaissance des peuples de la Région Forestière de Haute-Guinée et prouver, si besoin était, que le sens de l'humain n'était pas absent de notre action d'Administrateur et qu'avant la connaissance des textes, la connaissance de l'Homme nous paraissait fondamentale.

Jacques Germain

Administrateur en Chef des Affaires d'Outre-Mer (E.R.)
Nzérékoré 1947
Annecy 1983