Dix mois après le déclenchement d’un mouvement
de révolte
populaire contre le régime du président Lansana
Conté, au
pouvoir depuis 23 ans, et sept mois après la formation d’un nouveau
gouvernement, la Guinée est toujours dans une incertitude totale quant à son
avenir immédiat. L’état de grâce dont a bénéficié le
Premier ministre Lansana
Kouyaté, celui qui devait conduire le « changement » exigé par
le peuple, fut de courte durée. Les fissures au sein du mouvement collectif
qui a ébranlé le régime au début de l’année
risquent de favoriser une reconquête du pouvoir par le clan présidentiel.
Pour éviter tout retour de la violence, le Premier ministre doit impérativement
convaincre les citoyens guinéens de sa détermination à oeuvrer
en faveur d’une véritable transition démocratique et a besoin
de recevoir à cet effet un soutien actif de la Communauté économique
des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et des partenaires extérieurs,
de même que de la France et des États-Unis qui ont des liens de coopération
avec l’armée.
Les populations qui avaient massivement manifesté en janvier et février
2007, malgré la certitude d’une répression sanglante par les
forces de sécurité (entre 137 et 183 morts et plus de 1500 blessés),
réclamaient un changement radical et avaient le sentiment d’avoir
remporté une victoire décisive sur Conté en obtenant le départ
de son gouvernement et la nomination d’un Premier ministre « de consensus» chargé de
mettre en place une nouvelle équipe dont il serait le seul responsable.
Nommé à ce poste le 26 février 2007, Kouyaté achève
ses premiers mois dans une atmosphère morose contrastant avec l’euphorie
qui avait entouré son arrivée à la primature. Même si
l’inflation a été réduite, l’enthousiasme initial
a laissé place au doute sur la capacité et la volonté du gouvernement
Kouyaté de rompre avec les tares du système Conté et de faire
face aux graves difficultés économiques auxquelles font quotidiennement
face les populations guinéennes.
Un jugement définitif sur la primature Kouyaté est prématuré mais
il doit désormais donner des symboles forts de rupture avec le passé pour
garder sa crédibilité. Le clan Conté et ses bénéficiaires
n’ont pas accepté leur défaite et manoeuvrent constamment pour
reprendre les rênes du pouvoir, notamment en jouant sur le sentiment répandu
de désillusion et sur les divisions au sein des acteurs de la « révolution
de février » : centrales syndicales, organisations de la société civile
et partis politiques de l’opposition. Conté est cependant toujours
le principal obstacle à une amélioration du sort des Guinéens.
Il reste le seul vrai chef de l’exécutif aux pouvoirs constitutionnellement
garantis, signe tous les décrets et paralyse donc aisément l’action
gouvernementale. Le poste de Premier ministre n’existe pas dans la constitution
et celui-ci n’a que des pouvoirs délégués.
L’organisation d’élections législatives transparentes
et régulières dans les six prochains mois devrait permettre de franchir
un premier pas dans l’entreprise de démantèlement du système
Conté par la voie démocratique. En attendant, Kouyaté, les
forces de changement et la communauté internationale doivent prendre les
initiatives suivantes pour rallumer la flamme des réformes :
Kouyaté devrait tout d’abord accepter l’organisation d’un
dialogue national qui rassemblerait les acteurs de la société civile,
les syndicats et les partis politiques pour s’entendre sur le contenu concret
des réformes que le gouvernement est censé mener et continuer à exercer
des pressions collectives sur le président Conté afin qu’il
cesse d’entraver les actions du gouvernement et respecte la lettre et l’esprit
de l’accord du 27 janvier 2007.
Simultanément, Kouyaté doit procéder à la restructuration
des ministères et à la formation de cabinets dotés de cadres
nommés uniquement sur la base de leurs compétences, tout en imposant
les standards les plus élevés de transparence et de rigueur dans
la gestion des deniers publics, et en appliquant le programme d’urgence du
gouvernement, en expliquant clairement ce que le gouvernement peut et ne peut pas
faire à court terme.
Pour commencer à mettre fin à l’impunité, le gouvernement
doit doter la commission d’enquête indépendante sur les violences
commises pendant les grèves de juin 2006 et de janvier et février
2007 de tous les moyens requis pour garantir son action, y compris la mise en place
d’une brigade mixte police et gendarmerie prévue par la loi, ainsi
que l’appui technique d’experts de la Cour africaine des droits de
l’homme et des peuples et du Bureau du Haut Commissariat des Nations unies
aux droits de l’homme.
Une nouvelle date doit aussi être fixée au plus tôt pour la
visite en Guinée du Rapporteur spécial des Nations unies sur les
exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, prévue depuis
le mois de mars 2007. Pour contenir le danger permanent que représentent
les forces de sécurité, le gouvernement doit ouvrir avec elles un
dialogue sur les modalités effectives de leur réforme ; évaluer
en urgence les besoins de formation et d’équipements des forces de
police et de gendarmerie pour le maintien de l’ordre, afin de prévenir
de nouvelles tueries de civils non armés en cas de manifestations ; inviter
la CEDEAO à envoyer une équipe d’officiers de police et de
gendarmerie pour appuyer la mise en place de la brigade mixte affectée à la
commission d’enquête, et à préparer l’envoi d’une
mission militaire d’observation du comportement des forces de sécurité guinéennes
pendant les élections législatives.
La France et les États-Unis devraient également aider à la
formation et à l’équipement de la police et de la gendarmerie
en moyens de maintien de l’ordre sans recours à la force létale
dans le cadre de leur coopération avec les forces de sécurité guinéennes.
Enfin les partenaires bilatéraux et multilatéraux de la Guinée
doivent absolument honorer les engagements financiers pris lors du forum des partenaires
de la Guinée organisé à Paris en juillet 2007 ; apporter les
financements additionnels nécessaires à la préparation des élections
législatives ; et soutenir la Guinée auprès du Fonds monétaire
international (FMI) et de la Banque mondiale pour l’obtention de ressources
financières stables et prévisibles pour la période 2007-2010.
Sans de telles mesures, on ne saurait exclure qu’une nouvelle crise et des
manifestations beaucoup moins contrôlées que celles de janvier/février
2007 viennent à nouveau faire basculer la Guinée dans la violence,
avec le risque de réhabilitation du régime Conté ou même
d’un coup d’État aux conséquences désastreuses.
Face à une insurrection devenue incontrôlable, Lansana Conté avait
décrété l’état de siège et la loi martiale
donnant les pleins pouvoirs à une armée qui a pu poursuivre les exactions
sur les civils jusque dans les domiciles privés.1 Il a fallu la médiation
de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest
(CEDEAO) qui dépêcha à Conakry le président de la Commission
Mohamed Ibn Chambas et l’ancien chef d’État nigérian,
le général Ibrahim Babangida, pour convaincre Conté de nommer
un Premier ministre qui soit acceptable par les populations en colère.
C’est le 26 février que le président nomma enfin un Premier
ministre « de consensus » en la personne de Lansana Kouyaté,
choisi sur une liste de personnalités proposées par les syndicats
d’une part et le Conseil national des organisations de la société civile
(CNOSCG) d’autre part. Pour la première fois, les Guinéens
avaient le sentiment d’avoir fait plier leur président par la force
de leur mobilisation et le sacrifice d’au moins 137 de leurs concitoyens,
selon un bilan officiel qui diverge de celui des organisations de la société civile
(183 morts selon le rapport du CNOSCG). Le dénouement de la crise, par la
nomination d’un chef de gouvernement sur une liste proposée par les
acteurs du mouvement social, ressemblait à une victoire exemplaire du peuple
sur un pouvoir totalement discrédité, une authentique révolution.
C’est par conséquent dans l’euphorie de la victoire que Kouyaté fut
accueilli à Conakry en provenance d’Abidjan (Côte d’Ivoire)
au lendemain de sa nomination. Diplomate expérimenté ayant servi
entre autres en Égypte, auprès des Nations unies à New York, à Abuja
(Nigeria) comme secrétaire exécutif de la CEDEAO et dernièrement
en Côte d’Ivoire pour le compte de l’Organisation internationale
de la francophonie (OIF), Kouyaté avait a priori le profil du Premier ministre
exigé par l’accord du 27 janvier : « un haut cadre civil compétent,
intègre et qui n’a été ni de près ni de loin
impliqué dans les malversations ».2
Même si quelques observateurs se sont interrogés sur la transparence
du processus de sélection des personnalités proposées par
les syndicats et le CNOSCG et sur les déterminants du choix final porté sur
Kouyaté, la nomination de ce dernier fut très largement saluée
dans le pays.3 Mais il était aussi évident
que la popularité du
nouveau chef de gouvernement, qui s’est manifestée dans les rues de
Conakry à chacun des passages de son cortège pendant plusieurs semaines,
n’était pas liée à la personnalité en réalité peu
connue de Kouyaté (il n’a pas vécu dans le pays depuis de longues
années et il n’a pas non plus joué un rôle dans le déclenchement
du mouvement de contestation), mais au fait qu’il était perçu
comme celui que le peuple avait imposé à Conté pour conduire
le fameux « changement », le slogan de la révolte.
Pour la population au sortir de la crise, la Guinée avait désormais
un président affaibli non plus seulement par l’âge, la maladie
et l’usure du pouvoir, mais surtout par un rejet massif des hommes et des
pratiques de son régime, et elle avait un nouveau vrai chef, le Premier
ministre investi de la légitimité populaire qui devait, tel un messie,
résoudre les problèmes économiques et sociaux du pays.4 Illustration
de cette attente irrationnelle et qu’on pouvait imaginer lourde de dangers
pour Kouyaté, la clameur de quelques jeunes le jour de son arrivée à l'aéroport
de Conakry : « un vrai chef est arrivé, le prix du sac de riz va baisser ».
Il était fort improbable que l’inflation et les autres maux de l'économie
guinéenne allaient être jugulés en quelques semaines ou en
quelques mois, quelles que fussent les qualités et la volonté du
nouveau chef du gouvernement. Cette clameur avait cependant le mérite de
traduire clairement ce qui était la priorité des populations en février
2007 et qui le demeure aujourd’hui : la baisse ou le maintien à des
niveaux accessibles des prix des produits de première nécessité,
au premier rang desquels le riz, alimentation de base dans le pays. Kouyaté disait
avoir perçu l’ampleur de l’espoir suscité par son émergence
dans la vie publique guinéenne. Il avait également désiré ce
poste, peut-être plus que les autres personnalités proposées
sur la liste des candidats.5 Il ne pouvait pas ignorer l’extraordinaire difficulté de
la tâche et la responsabilité qu’il venait d’accepter
de prendre.
Les leaders syndicaux qui ont mené la dernière phase des négociations
avec les représentants du gouvernement sortant se sont cristallisés
sur la seule question de la nomination d’un Premier ministre correspondant
au profil décrit par l’accord du 27 janvier 2007 et doté de
l’autorité d’un « chef de gouvernement » entièrement
responsable de son équipe. Le limogeage d’Eugène Camara, celui
dont la nomination avait embrasé toutes les régions du pays le 9
février, et son remplacement par une personnalité neutre approuvée
par les syndicats ont suffi à faire lever le mot d’ordre de grève
générale.
La nomination d’un nouveau Premier ministre par délégation
des pouvoirs du président Conté, même assortie d’une
lettre de mission et d’un décret fixant les attributions du chef de
gouvernement, était en réalité un résultat modeste
compte tenu de l’ampleur de la contestation du régime Conté et
du nombre de manifestants tués. Les responsables syndicaux s’étaient
retrouvés brusquement dans la position des meneurs d’une mobilisation
qui n’était plus sociale mais bien politique, puisqu’il s’agissait
de négocier les termes d’un changement radical dans la gouvernance
politique et économique du pays, et n’y étaient pas préparés.
Malgré leur faiblesse et leurs nombreux défauts, les partis politiques
de l’opposition auraient dû et auraient pu jouer un rôle complémentaire
de l’action syndicale précisément dans la dernière phase
des négociations. Certaines personnalités de l’opposition,
qui insistaient par exemple sur l’impératif d’une garantie constitutionnelle
immédiate des prérogatives du Premier ministre, auraient dû être
entendues par les négociateurs issus des syndicats.6 Sans base constitutionnelle,
les pouvoirs du nouveau Premier ministre restaient fragiles. La lettre de mission établie
par les acteurs syndicaux et approuvée par le président, qui liste
jusqu’à quatorze objectifs pour le chef de gouvernement, allant de « la
consolidation de l’unité nationale et la préservation de la
paix » à « la préservation de l’environnement et
de l’écosystème », en passant par « le renforcement
de la démocratie et de l’État de droit » et « l’amélioration
de la gouvernance », traitait de tout et donc de rien de précis.
Les modalités de sortie de crise en février laissaient subsister
une grande incertitude sur la marge de manoeuvre dont allait bénéficier
le nouveau chef de gouvernement et ne prémunissaient pas de probables malentendus
entre les acteurs du « changement » et le Premier ministre qu’ils
avaient choisi quant au sens que ce dernier devait donner à sa mission.
Sans pouvoirs constitutionnels, Kouyaté devait cependant incarner une rupture
profonde avec le régime. L’organisation d’un dialogue national
réunissant notamment les acteurs de la société civile (dont
font partie les syndicats), les partis politiques et les leaders religieux, dans
la foulée des évènements, était indispensable.7 Une
telle initiative aurait eu le double intérêt de conférer une
forte légitimité à Kouyaté et de ne pas faire porter
exclusivement à ce dernier la responsabilité des choix politiques
et économiques qui devraient être faits pour aboutir au changement
radical de gouvernance attendu par la population.
En juillet 2007, de Conakry à Labé,
de Kankan à NZérékoré,
un sentiment de doute et d’inquiétude avait déjà remplacé l’euphorie
du changement et mis un terme brutal à l’état de grâce
dont bénéficiait Lansana Kouyaté depuis sa nomination le 21
février 2007 et la formation de son gouvernement le 28 mars.8
L’équipe
Kouyaté venait seulement de boucler ses trois premiers mois, une période
trop courte pour porter un jugement pertinent. Entre mars et juillet, le Premier
ministre avait essentiellement formé son gouvernement, fait quelques discours
forts ponctués de promesses de résultats rapides concrets en termes
d’amélioration des services publics de base (eau et électricité),
effectué de nombreux déplacements à l’étranger à la
recherche de financements (tels que Paris, Bruxelles, New York, Washington, Tripoli),
nommé de nouveaux préfets et gouverneurs (le 22 juin), et préparé un
programme d’urgence du gouvernement présenté aux partenaires
extérieurs de la Guinée le 25 juillet à Paris.
Le décalage entre la mise en route lente et laborieuse du nouveau gouvernement
et l’immensité des attentes des Guinéens provoqua de vives
critiques des acteurs mêmes du changement. Dans une lettre ouverte au vitriol
adressée au Premier ministre le 3 juillet 2007, les responsables des centrales
syndicales dénonçaient le non-respect par le gouvernement du protocole
d’accord du 27 janvier, les promesses fermes du Premier ministre (notamment
d’amélioration de la fourniture d’électricité et
d’eau) qui n’étaient pas honorées, les nominations des
responsables de la Banque centrale, et encore plus celle des préfets et
des gouverneurs, qui avaient été faites, selon les leaders syndicaux,
sur la base de « l’affinité » et non de la compétence.9
Dans le contexte des premiers mois, le Premier ministre devait avant tout convaincre
les populations de sa détermination à amorcer le changement attendu,
essentiellement à travers le choix de l’équipe gouvernementale
et des hauts responsables de l’État. Les Guinéens souhaitaient
un gouvernement entièrement neuf avec des personnalités qui n’avaient
pas servi au plus haut niveau le régime Conté. Kouyaté satisfit
cette exigence en nommant des femmes et des hommes qui n’avaient jamais occupé de
fonctions ministérielles. La formation du gouvernement en mars
2007 ne fut
cependant pas accueillie par un grand enthousiasme au sein des leaders d’opinion
de Conakry.
Quelques-uns des nouveaux ministres avaient en réalité occupé des
fonctions importantes dans les ministères ou dans d’autres institutions
publiques décriées pour leur mauvaise gestion (en particulier la
Banque centrale). L’équipe gouvernementale est également jugée
de qualité très inégale.10 Il faut cependant reconnaître
qu’il était particulièrement difficile de réconcilier
l’exigence de nouveauté des ministres avec celle de l’expérience
dans la gestion des affaires publiques qui leur aurait permis de prendre la mesure
de leurs départements plus rapidement. Mais le vrai problème des
ministres de Kouyaté est qu’ils ne disposaient toujours pas au début
du mois de novembre 2007 de leurs propres cabinets ; le président Conté ayant
décidé d’ignorer le projet de décret sur la restructuration
des cabinets ministériels soumis à sa signature par le chef du gouvernement.
Le choix des hauts responsables de l’administration territoriale que sont
les gouverneurs de région et les préfets déclencha les critiques
les plus vives à l’encontre de Kouyaté. Le Premier ministre
réussit certes à renouveler presque intégralement les représentants
de l’autorité de l’État dans les différentes régions
du pays. Mais deux éléments suscitèrent immédiatement
des réserves de la part des leaders d’opinion et de la population
: le choix de certains cadres qui étaient connus pour leur allégeance
marquée au régime Conté compte tenu de leurs anciennes fonctions
(en particulier au sein du ministère de l’Intérieur qui fut
le maître d’oeuvre de toutes les élections frauduleuses des
dernières années au profit de Conté) ; et la perception d’un « déséquilibre ethnique » dans les nouvelles nominations au profit de la région d’origine de Kouyaté (et de son ministre de l’Intérieur et de la Sécurité), la région naturelle de Haute Guinée, majoritairement Malinké (Maninka).
La critique revenait systématiquement dans les entretiens privés de Crisis Group avec des animateurs de la société civile, les leaders
politiques et des citoyens plus anonymes.11 Ces nominations ont eu un impact négatif
notable sur la popularité du Premier ministre, sans doute par ce qu’elles
se combinaient à la lenteur dans la mise en route de l’action gouvernementale, à la
priorité qu’il avait donnée aux missions à l’étranger
jusqu’au mois de juillet, à l’absence de concertation avec des
leaders d’opinion de plus en plus suspicieux et à son refus de laisser
transparaître les signes de blocages de son action par le président
Conté et l’entourage de ce dernier. Kouyaté ne pouvait ignorer
la sensibilité de la question ethnique en Guinée où chaque
série de nominations de cadres est d’abord passée au crible
de l’origine ethnique réelle ou supposée des promus.12 À la
tribune de l’Assemblée nationale, le 11 octobre, Kouyaté réagit
enfin aux accusations d’ethnocentrisme et contesta le « comptage ethnique » jusque-là avancé dans
l’opinion publique (dix-sept nouveaux préfets Malinkés sur 33). Il expliqua qu’il y avait « huit préfets et deux gouverneurs
issus de la Basse Guinée, sept préfets et un gouverneur de la Moyenne
Guinée, huit préfets et trois gouverneurs de la Haute Guinée
(sa région d’origine), et dix préfets et deux gouverneurs de
la Guinée Forestière ».13 Il fit également remarquer
qu’il y avait sept Peuls dans son gouvernement et seulement trois Malinkés
et que personne ne le lui reprochait.14 Kouyaté n’aurait pas dû attendre
d’être interpellé au parlement pour expliquer à ses compatriotes
ses décisions et les critères qui prévalent dans le choix
des femmes et des hommes dont il s’entoure. La plupart des animateurs de
la société civile guinéenne reconnaissent volontiers qu’un
Premier ministre, aussi volontaire fût-il, ne saurait résoudre en
trois ou six mois les énormes problèmes économiques, politiques
et sociaux qui se sont accumulés au cours de plusieurs années de
gabegie, d’incompétence et de mépris pour l’intérêt
général. Il était par exemple impossible pour n’importe
quel gouvernement d’apporter en quelques semaines des améliorations
sensibles dans la fourniture d’eau et d’électricité compte
tenu des graves problèmes structurels des entreprises publiques concernées,
de l’étendue des fraudes au sein de ces entreprises, de la mauvaise
volonté des cadres qui sont aux commandes depuis des années et de
l’inexistence des ressources publiques nécessaires pour réaliser
des investissements indispensables dans ces secteurs.
L’erreur de Kouyaté dans ce dossier ne fut donc pas de ne pas avoir
honoré les engagements pris devant les citoyens mais d’avoir pris
le risque de les prendre et de les assortir de dates. Kouyaté aurait également
pu et dû, compte tenu des circonstances exceptionnelles qui ont poussé à sa
nomination, afficher quelques signaux forts de rupture avec le système Conté.
Le gouvernement Kouyaté manque cruellement de temps. Le Premier ministre
peut a priori prétendre conserver sa position pendant les trois prochaines
années jusqu’au terme du mandat constitutionnel du président
Conté en décembre 2010. Dans le système politique guinéen,
le renouvellement du parlement n’a pas nécessairement un impact sur
la composition de l’exécutif et, comme souligné précédemment,
le Premier ministre n’existe pas dans la constitution et ne tient ses pouvoirs
que par délégation du président. Kouyaté peut donc
rester chef de gouvernement au lendemain des prochaines élections législatives.
Mais l’incertitude est telle qu’il est aujourd’hui impossible
de se projeter au-delà du très court terme. Le mécontentement
d’une partie de la population déçue de ne pas voir une amélioration
significative de ses conditions de vie, les campagnes de dénigrement ciblées
sur Kouyaté et la montée de la tension entre ce dernier et le président
qui dure depuis des mois, sont autant de raisons de s’interroger sur la longévité du « gouvernement
du changement ». Depuis le mois d’août, ce gouvernement semble
pourtant être entré dans une deuxième phase qui devrait lui
permettre d’afficher quelques résultats et peutêtre de reconquérir
une popularité écornée.
Le gouvernement a conçu un « programme d’urgence » consistant
en des actions prioritaires à mettre en oeuvre en six mois (juillet-décembre
2007). Le programme vise trois objectifs principaux : « redonner l’espoir
aux populations en répondant de manière concrète à leurs
attentes prioritaires sur le front social et de la gouvernance », « consolider
l’État de droit à travers le renforcement du dialogue politique
et social et la tenue d’élections législatives consensuelles
et crédibles » et « créer les bases d’une reprise
du processus de développement du pays à travers les instruments classiques
de planification ».15 Parmi les nombreuses actions prévues dans cet
ambitieux programme d’urgence, on peut citer notamment l’organisation
des élections législatives avec établissement de cartes d’identité et
d’électeurs avec photos et révision effective du fichier électoral
; la réhabilitation et l’équipement des infrastructures publiques
détruites lors des manifestations de janvier et février 2007 ; la
constitution par l’État de stocks de sécurité de denrées
alimentaires de première nécessité ; l’amélioration
de l’accès à l’eau et à l’électricité par
la réhabilitation des équipements et de nouveaux investissements
; le renforcement du service public de transport à Conakry (achat de 100
bus), la finalisation des audits de gestion des administrations publiques et la
revue des accords et conventions d’exploitation des ressources minières.
Présenté par le ministre de l’Économie, des Finances
et du Plan, Ousmane Doré, le programme d’urgence du gouvernement fut
bien accueilli par les partenaires extérieurs de la Guinée réunis à Paris
le 25 juillet 2007. Le forum, organisé conjointement par la Commission européenne
et la Banque mondiale, se pencha également sur les perspectives économiques à moyen
terme présentées dans le document de stratégie de réduction
de la pauvreté pour la période 2007-2010 (DSRP II dans le jargon
de la Banque mondiale). Pour aider à la mise en oeuvre du programme d’urgence évaluée à $123
millions (dont $45 millions déjà mobilisés par le gouvernement
guinéen), les partenaires se sont engagés à allouer des fonds
additionnels pour plus de $50 millions et à réaffecter des ressources
déjà engagées dans des projets existants pour plus de $40
millions.16
Le gouvernement a donc enfin une marge de manoeuvre financière pour se lancer
dans des réalisations perceptibles par les populations. La véritable
contrainte demeure celle de l’administration publique sclérosée
et démotivée sur laquelle les ministres doivent s’appuyer. À défaut
de pouvoir engager dès maintenant la réforme profonde du secteur
public dont a besoin la Guinée, Kouyaté doit en urgence se doter
d’une équipe compétente à la primature et veiller à la
restructuration des cabinets ministériels, avec ou sans l’aval de
Conté. À moyen terme, sur le plan économique, la conclusion
d’un programme formel avec le Fonds monétaire international (FMI)
qui permettrait à la Guinée de bénéficier d’un
allègement considérable de sa dette extérieure est une exigence
incontournable.17
Le réchauffement des relations entre le gouvernement et les bailleurs de
fonds extérieurs, la révision des contrats miniers par un comité interministériel
ou le lancement de différents audits des administrations publiques ne pouvaient
pas suffire à rassurer les populations préoccupées par les
conditions dans lesquelles elles allaient traverser le mois de jeûne musulman
(de mi-septembre à mioctobre). Le début du mois de Ramadan fut ainsi
marqué par des manifestations assez importantes pour dénoncer le
niveau élevé des prix de produits de première nécessité,
notamment dans les quartiers périphériques de Conakry les plus sensibles,
Hamdallaye, Bambéto et Cosa.18
Le gouvernement avait annoncé l’importation à titre exceptionnel
de tonnes de riz, de sucre et d’huile pour le mois de Ramadan, mais le dispositif
mit du temps à se mettre en place. Les denrées importées par
le gouvernement arrivèrent dans les points de vente gérés
par les chefs de quartiers.19 Chaque famille pouvait alors acheter un (et un seul)
sac de riz de 50kg à 85 000 francs guinéens (environ $20) contre
115 000 à 128 000 sur les marchés ($27 à $30).20
Si cette vente administrée a permis de soulager ponctuellement les familles
pendant le mois de jeûne, elle ne constitue pas à l’évidence
une réponse au problème crucial de la maîtrise des prix, liée à la
fois à la gestion de la monnaie guinéenne et plus encore à la
structure des réseaux d’importation et de distribution d’un
produit comme le riz. La bonne nouvelle pour le gouvernement Kouyaté depuis
le mois de septembre est sans doute l’amélioration de la desserte
de la capitale en électricité et en eau, un autre déterminant
de l’humeur des populations.21 Il est cependant trop tôt pour savoir
si ce progrès résulte des premiers efforts entrepris par la compagnie
nationale d’électricité (Électricité de Guinée)
sous l’impulsion du gouvernement, après les promesses initiales non
tenues, ou de l’effet mécanique de la saison des pluies sur la production électrique.
Il n’y a par contre pas de doute sur le crédit qui doit revenir au
gouvernement pour les progrès réalisés dans l’éclairage
public à l’énergie solaire sur deux grands axes dans la banlieue
de Conakry.22
La relation de confiance entre les meneurs de la grève générale
de janvier et février et le Premier ministre n’avait pas survécu
aux trois premiers mois de la gestion Kouyaté. Le sommet de la tension avait été atteint
en juillet au lendemain des nominations des préfets et gouverneurs lorsque
les leaders syndicaux critiquèrent publiquement le chef de gouvernement.
Les fissures au sein du mouvement syndical apparurent également à cette
occasion, notamment entre l’aile conduite par Rabiatou Serah
Diallo de la
centrale CNTG, sans concession sur les insuffisances de l’action de Kouyaté,
et l’aile de Ibrahima Fofana de la centrale USTG, plus accommodant à l’égard
du gouvernement. De longues réunions internes aux syndicats ont tout de
même permis de faire baisser la tension et de maintenir une cohésion
minimale.
Depuis le mois d’août, Kouyaté a renoué le dialogue avec
les acteurs sociaux, les syndicats et le conseil national des organisations de
la société civile (CNOSCG), ce qui permit d’éviter de
nouvelles critiques publiques émanant d’une société civile
dont le soutien est capital pour la survie du gouvernement. Lors d’une rencontre
de la société civile le 4 septembre dernier, le porte-parole de l’inter-centrale
CNTG/USTG dénonça « les forces rétrogrades opposées
au changement qui s’agitent et oeuvrent inlassablement à saper la
mise en oeuvre des mesures salvatrices pour assurer le bonheur du peuple » et
appela les syndicats, la société civile et les forces vives du pays à « prendre
leurs responsabilités pour sauver le pays en pérennisant le changement
obtenu au prix d’énormes sacrifices humains et matériels ».23
Les syndicalistes ont également exigé « le respect et l’application
scrupuleux » du protocole d’accord signé fin janvier. Les animateurs
de la société civile sont en fait perplexes et quelque peu déboussolés.
Ils s’interrogent sur leur crédibilité auprès des populations
et accessoirement d’une communauté internationale qui attend peut-être
trop d’eux depuis le mouvement de janvier/février. Ils s’inquiètent
aussi de leur capacité à contrôler les foules si un nouveau
mouvement de colère devait éclater.24 Le gouvernement renoua également
le dialogue avec les partis politiques, quelque peu oubliés à la
fois par les acteurs de la société civile et par le Premier ministre
pendant les premiers mois. Pour les leaders des partis politiques, la date et les
conditions d’organisation des élections législatives reportées
de juin à décembre 2007 constituent sans surprise une préoccupation
majeure. Un grand nombre de partis d’opposition, y compris l’Union
des forces républicaines (UFR) de Sidya Touré, émirent des
doutes sur la volonté du gouvernement Kouyaté de garantir la neutralité de
l’administration en matière électorale, au lendemain des nominations
controversées des préfets et gouverneurs.25
Les rencontres entre Kouyaté et les partis politiques et l’initiation
de réunions régulières entre ces derniers et le ministre de
l’Intérieur Mamadou Bö Keïta n’ont pas permis de mettre
fin à la méfiance. Mais elles ont au moins permis de mettre en route
la toute première étape du processus électoral qu’est
la désignation des membres de la Commission électorale nationale
indépendante (CENI), la commission qui doit organiser les élections
conjointement avec le ministère de l’Intérieur. La CENI n’était
cependant toujours pas installée début novembre, les partis politiques
de l’opposition ayant eu d’énormes difficultés pour s’entendre
sur leurs représentants en son sein, preuve que la méfiance est aussi
la règle entre les différents partis politiques.
Les élections législatives, qui peuvent et doivent constituer une étape
essentielle pour consolider une transition démocratique en Guinée,
ne seront pas organisées en décembre. La CENI ne sera probablement
pas fonctionnelle avant la fin du mois de novembre. Les équipements informatiques
qui doivent permettre de recenser les électeurs et de leur délivrer
des cartes électorales avec photographies, ne seront pas disponibles avant
le mois de décembre, repoussant d’autant le début de la révision
des listes électorales.26 Le « Trust Fund » mis en place par
le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) pour l’appui
au processus électoral et doté de 7 120 000 euros permettra de lancer
les premières opérations, mais le financement de l’intégralité du
processus électoral est loin d’être bouclé.27 Dans ces
conditions, les élections ne pourraient au mieux se tenir qu’à la
fin du premier trimestre 2008. Encore faudra-t-il que la Guinée traverse
dans le calme les longs mois qui la séparent de cette échéance.
Les gens du pouvoir n’avaient rien compris à ce qui se passait. Ils ne voyaient pas que ce n’était pas un mouvement comme les autres grèves de juin et de mars de l’année dernière. Le pouvoir ne s’est jamais remis en cause. Le président Conté est passé complètement à côté. Il a ensuite évolué dans sa position sous l’influence de sa femme, Henriette, qui appelait à l’apaisement. Conté est un militaire et a réagi en militaire : il y a des factieux, il faut les contourner et les soumettre. Il ne peut envisager de perdre. Il a signé un décret de nomination d’un Premier ministre mais dans le fond il reste le président avec toutes ses prérogatives.28 Le commentaire de cet interlocuteur de Crisis Group traduit parfaitement l’état d’esprit du clan qui était au pouvoir au moment des manifestations et celui de leur chef Lansana Conté. Lorsque les syndicalistes soumirent au président leurs propositions de sortie de crise au début de la grève générale, demandant « la mise en place d’un gouvernement de large consensus, dirigé par un Premier ministre chef de gouvernement » pour permettre au chef de l’État de « prendre sa retraite afin de mieux ménager sa santé », Conté, retranché dans un des camps militaires de Conakry, ne trouva d’autre réponse appropriée que la menace directe des leaders syndicaux venus le rencontrer :
« Je vais vous tuer tous tant que vous êtes, je suis militaire, j’ai déjà tué des gens »29.
Après la sanglante journée de manifestation du 22 janvier, le président, enfin conscient que la survie de son pouvoir était en jeu, montra qu’il était parfaitement lucide en appelant à l’unité de son armée, son vrai rempart. Conté a perdu depuis de longues années le goût de la gestion des affaires de son pays et n’en fait pas vraiment mystère mais il ne pouvait pas accepter qu’on osât lui demander de « prendre sa retraite » avant le terme de son troisième mandat constitutionnel (en 2010), et après 23 ans passés à la tête de la Guinée. Il vécut les demandes syndicales comme une humiliation personnelle, tout comme le rejet spontané et massif de son premier choix pour le poste de Premier ministre, Eugène Camara, ainsi que la médiation de la CEDEAO, qui l’amena à consentir à nommer un autre chef de gouvernement sur une liste proposée par ceux qui défiaient son autorité.
« Il n’y a pas de transition ouverte. Je suis le chef, les autres sont mes subordonnés…. Ni les syndicats, ni aucun corps étranger ne m’a obligé à nommer un Premier ministre….Le jour où il (le Premier ministre) ne fera pas le bonheur du pays, il s’en ira ».30
Le président Conté a
tenu ces propos dans une interview accordée à la presse étrangère
en juin dernier, trois mois après la nomination de Kouyaté. Pour
lui, rien n’a changé depuis les évènements sanglants
du début d’année. Il a vite repris ses habitudes, comme traverser
la ville de Conakry pour rendre visite à son ami et partenaire financier
Mamadou Sylla, l’homme d’affaires controversé qu’il était
allé libérer de prison en décembre 2006, ce qui fut le détonateur
de la grève générale de janvier 2007.31
Face
au Premier ministre, Conté sait qu’il dispose de la légitimité constitutionnelle
de chef d’État élu (certes à l’issue de plusieurs
mascarades électorales), du puissant instrument du décret (puisque
personne ne pensa à lui enlever la prérogative de signer tous les
décrets qui lui seraient soumis par le chef de gouvernement)32 et du soutien
des forces armées dont il est le chef suprême.33 Dans ces conditions,
il pouvait déclarer dans la même interview que « C’est
une bonne chose d’avoir un Premier ministre pour prendre des coups à la
place du président ». C’est exactement ce qui se passe en Guinée
huit mois après l’arrivée de Kouyaté à la primature.
Conté dispose d’une extraordinaire capacité à susciter
une certaine indulgence de la part des Guinéens malgré son bilan
catastrophique à la tête du pays. Qu’il s’agisse de la
corruption de son régime, de la faillite économique du pays ou des
violations graves des droits humains, Conté réussit toujours à transférer,
dans l’esprit de ses concitoyens, la responsabilité sur ses ministres,
son administration, ses conseillers, sa famille, ses chefs militaires, ses courtisans.
Par son apparente bonhomie, sa désinvolture, sa générosité (avec
l’argent public), son mépris flagrant pour les règles qui gouvernent
partout ailleurs l’exercice de la fonction présidentielle, Conté assume
tellement bien son irresponsabilité qu’il a fini par convaincre nombre
de ses concitoyens qu’on pouvait à la fois être chef d’État
et être parfaitement irresponsable.
Les évènements de janvier et février 2007 ont apporté au moins deux clarifications et permis de tirer une conclusion sur les forces de sécurité.
Malgré les divisions en leur sein, elles sont bien contrôlées
par le président Conté et lui sont fidèles, quelles que soient
les raisons de cette loyauté. Leur capacité de répression
ne peut être sousestimée. Les témoignages recueillis par les
différentes organisations de droits de l’homme sont accablants aussi
bien pour la hiérarchie militaire et policière que pour les éléments
qui étaient déployés sur le terrain. Les forces de sécurité représentent
de facto la plus grave menace sur le changement politique en Guinée et sur
la vie des populations.
Pendant les semaines de crise, les Guinéens se demandaient si l’armée
allait finir par « bouger » pour faire ce que les civils ne pouvaient
pas réaliser par leurs gigantesques manifestations : déposer le président
Conté pour mettre de l’ordre dans le pays. Beaucoup rêvaient
d’un coup qui viendrait de ces « jeunes officiers » qui ne bénéficient
pas autant que les vieux gradés et les officiers Sosso proches du président
des prébendes du régime et qui devraient également être
sensibles à l’exigence de changement politique portée par les
populations civiles. D’autres pensaient que le coup pouvait aussi germer
dans l’esprit du haut commandement très proche du président,
le chef d’état-major des armées d’alors, le général
Kerfalla Camara (décédé de cause naturelle le 10 septembre
2007 à Paris) ou de son adjoint de l’époque, le général
Arafan Camara. Ils auraient ainsi pu enfiler le costume de libérateurs et
se garantir un avenir serein dans l’après Conté.
Crisis Group a toujours soutenu que l’espoir que nourrissent nombre de Guinéens
d’un coup d’État « à la mauritanienne » pour
tourner la page Conté était à la fois un rêve et une
solution de facilité extrêmement risquée.34 Le coup d’État
ne sembla pourtant jamais aussi proche qu’au plus fort des manifestations
et de la répression. Pendant quelques heures, des tirs dans l’enceinte
d’un des camps militaires de Conakry donnèrent l’impression
que des militaires avaient décidé de « bouger ». Il apparut
qu’ils étaient davantage mécontents de leurs soldes que de
la répression qui s’abattait sur les civils. Il n’y eut pas
de coup d’État contre Conté, même si l’on ne peut
affirmer qu’il n’y eut pas d’ébauche de tentative d’une
telle action.35 Ce n’est pas seulement parce qu’il est chanceux que
Conté échappa à un renversement venant des rangs de son armée
au moment où il était conspué par la population. Le président
avait retrouvé ses réflexes de militaire expérimenté.
Installé au camp militaire, il a su garder l’oeil sur son état-major
et appeler ses hommes à rester unis dans l’adversité, une autre
manière de faire comprendre aux militaires qu’ils avaient intérêt à soutenir
un président qui est un membre de la « famille » plutôt
que de s’allier aux civils qui réclamaient un changement porteur de
menaces sur l’influence ultérieure de l’armée dans le
pays. Selon plusieurs sources, Conté répète souvent à ses
militaires, notamment ceux de la garde présidentielle, que le pouvoir leur
tomberait dans les mains lorsqu’il ne serait plus là, un message qui
incite à la loyauté.36 Les hommes en tenue ne se sont pas contentés
de rester fidèles à leur chef. Ils ont férocement réprimé les
manifestants. Certes, tous les militaires n’ont pas tiré, tous les
policiers n’ont pas tiré et tous les gendarmes n’ont pas tiré.
Mais la diversité des circonstances dans lesquelles les forces de sécurité ont
abattu des dizaines de personnes et la diversité des unités impliquées
sont effrayantes, comme en attestent les témoignages rapportés par
les organisations de défense des droits de l’homme.37 Entre 137 et
183 personnes ont ainsi été tuées et plus de 1500 autres blessées
parce que chaque élément des forces de sécurité disposant
d’une arme à feu et de munitions pouvait au fond choisir de tirer
pour tuer des manifestants non armés, qu’il en ait reçu l’ordre
ou pas ; ou parce que « le recrutement avait été très
mal fait » et que certains militaires préféraient « tirer
partout en rafale », fauchant dans plusieurs cas des civils qui se trouvaient
dans l’enceinte de leurs maisons.38 Lorsqu’en mai 2007 les militaires
se révoltèrent, cette fois contre leur hiérarchie pour demander
le paiement d’arriérés de soldes, ils tirèrent à nouveau
en rafale, a priori en l’air, mais huit civils au moins furent tués
par des balles perdues. Selon les témoignages recueillis sur les évènements
de janvier et février 2007 par Amnesty International, « les éléments
des forces de sécurité qui ont tiré au cours de cette période
provenaient essentiellement de la Garde présidentielle (appelée bérets
rouges), unité de l’armée dépendant du chef d’état-major
des armées et basée à la présidence, du corps de la
gendarmerie, dépendant du ministère de la Défense, et des éléments
de la Compagnie mobile d’intervention et de sécurité (CMIS),
force de police qui dépend du ministère de la Sécurité. À l’intérieur
du pays, des civils, connus sous le nom de « Volontaires » mais armés
et portant des uniformes militaires ont également participé à la
répression ».39 Pour l’essentiel, les responsables directs
et indirects de cet usage pour le moins excessif de la force contre des civils
non armés sont toujours à leurs postes et jouissent d’une totale
impunité.40 L’un d’entre eux, le chef d’état-major
des armées au moment de la grève, le général Kerfalla
Camara, est décédé, mais les autres officiers commandent toujours
l’armée guinéenne, même si le président Conté a
effectué des changements au ministère de la Défense et à l’état-major
au lendemain de la révolte des militaires en mai, essentiellement pour remettre
de l’ordre et se prémunir d’un mauvais coup venant de ses frères
d’armes.41 Le déni de la gravité des crimes commis par les
forces de sécurité au début de l’année augure
de l’énorme défi que sera le travail de la commission d’enquête
nationale censée faire la lumière sur ces évènements
en vue de la poursuite judiciaire des responsables. Il révèle également
l’impérieuse nécessité de réfléchir aux
moyens d’engager dès que possible une réforme des forces de
sécurité guinéennes et l’extraordinaire difficulté d’une
telle initiative. L’actuel ministre de la Défense va très loin
dans le déni. Réputé populaire auprès des troupes et
efficace pour discipliner l’armée, le général Baïlo
Diallo 42 expliqua à Crisis Group que les évènements de janvier
et février étaient juste « des problèmes momentanés » et
que désormais, « il n’y a aucun problème entre les militaires
et les civils ».43 Interrogé sur sa disponibilité à coopérer
avec la commission nationale d’enquête sur ces violences, le ministre
salua le caractère exclusivement national de cette commission et indiqua
qu’il coopérait déjà pleinement avec elle. Cependant,
ladite commission n’avait encore été ni formée, ni installée,
au moment de l’entretien et n’est toujours pas fonctionnelle début
novembre. Contrairement aux propos du ministre, la répression du début
d’année provoqua une véritable rupture entre la population
et leurs forces de sécurité. Des messages circulèrent sur
les téléphones portables pendant les semaines d’après
crise pour demander aux citoyens d’afficher leur mépris pour les hommes
en tenue, qui eurent du mal par exemple à trouver des taxis.44 Le comportement
de malfrats dont certains militaires firent montre en pillant des magasins lors
de leur mouvement d’humeur du mois de mai acheva de discréditer l’armée.45
Cette institution est désormais caractérisée par un double
malaise : malaise interne lié aux revendications récurrentes de paiement
d’arriérés de soldes et de promotions équitables et
malaise résultant de la désastreuse image des militaires après
la répression et les exactions commises par une partie d’entre eux
en janvier et février 2007. Ce malaise est-il suffisamment fort pour provoquer
une réaction différente des forces de sécurité en cas
de nouvelles manifestations ? Rien ne permet de l’affirmer. Il ne faut en
tout cas s’attendre à aucun changement de comportement de la part
des bérets rouges de la garde présidentielle.
Les différents clans politiques et affairistes qui constituent, avec les
forces de sécurité, la charnière du système Conté,
furent surpris par le soulèvement populaire du début d’année.
Il y avait bien eu les alertes des deux grèves générales de
février/mars puis de juin 2006, mais les hommes et femmes du pouvoir ne
croyaient toujours pas que les Guinéens, réputés résignés,
pourraient un jour non seulement respecter un mot d’ordre de grève
générale pendant des semaines, mais aussi sortir par dizaines de
milliers dans les rues dans tout le pays pour exiger « le changement ».
Les ministres d’alors continuaient à circuler sereinement dans Conakry
dans les premiers jours de la grève générale en janvier 2007
et s’attendaient à un essoufflement du mouvement dès lors que
le gouvernement aurait promis de satisfaire quelques points de revendication sociale
des syndicats.
Même après la première vague de manifestations et de répression,
et la signature d’un accord tripartite (gouvernement, syndicats, patronat)
le 27 janvier décidant de la nomination d’un Premier ministre, les
dignitaires du régime n’avaient toujours pas clairement saisi le message.
Le ministre d’État chargé des Affaires présidentielles,
Eugène Camara, était ainsi loin de s’imaginer que sa nomination
le 9 février comme nouveau Premier ministre pût déclencher
la furie des Guinéens et le chaos dans le pays.46 Tous les anciens ministres
furent finalement emportés par les évènements puisque Kouyaté ne
reconduisit aucun d’entre eux dans le gouvernement formé le 28 mars,
un mois après sa désignation. Ils eurent cependant le temps d’autoriser
d’ultimes décaissements suspects, et peut-être de passer quelques
consignes à leurs collaborateurs dans les cabinets ministériels,
qui sont pour l’essentiel toujours en place plus de six mois plus tard. Comme
on le verra plus loin, certains des hauts fonctionnaires de l’ancienne administration
retrouveront des postes importants dans la nouvelle, notamment comme préfets
de département ou gouverneurs de région. Le changement de têtes
radical au niveau ministériel l’est jusque-là beaucoup moins
aux échelons inférieurs.
Les anciens ministres de Conté se rencontrent régulièrement
pour, pense-t-on, organiser la résistance au changement.47 Ils ont des
moyens d’action importants : de l’argent, des hommes dans les ministères,
l’accès au président ou à ses proches, et la possibilité d’une
alliance objective avec le clan des gradés de l’armée. Les
difficultés que rencontre le gouvernement Kouyaté et les maladresses
de ce dernier leur ont en plus fourni de puissants angles d’attaque pour
manipuler l’opinion et discréditer le camp du changement. Le parti
du président, le Parti de l’unité et du progrès (PUP),
est l’autre bastion du pouvoir Conté qui navigue entre doute et résistance.
Pour les Guinéens, le PUP est « le parti de l’administration » qui
doit ses victoires électorales à la mobilisation des hauts fonctionnaires
de Conakry et des régions pour organiser les fraudes et décider du
verdict des scrutins. Le mouvement de contestation de janvier 2007 a déstabilisé les
caciques du PUP qui, eux non plus, n’avaient pu imaginer tel réveil
de la part du peuple guinéen. Les députés du parti ont montré davantage
de limites que les forces de sécurité dans leur soutien à Conté pendant
les jours de crise. Lorsque le président demanda à l’Assemblée
nationale de voter la reconduction de l’état de siège et de
la loi martiale, le parlement pourtant dominé par le PUP s’y opposa.
Pour
la première fois, les députés jouèrent leur rôle
de contre-pouvoir et désavouèrent le président. Il ne s’agissait
cependant pas d’un signe d’adhésion du PUP aux revendications
de changement exprimées par les populations. Dans une ville « où tout
le monde se connaît », les députés de la mouvance présidentielle
craignaient surtout pour leurs biens matériels, voire leur intégrité physique,
au cas où ils auraient voté la prolongation de mesures d’exception
qui devenaient insupportables pour les citoyens. Contrairement aux militaires,
les députés du PUP vivent dans les quartiers de Conakry et non dans
des camps. Ils avaient compris qu’ils seraient les premières cibles
d’un éventuel nouvel accès de colère de la rue.48
Depuis l’installation du gouvernement Kouyaté et après une
première période de discrétion, les personnalités du
PUP retrouvèrent l’esprit d’initiative et la combativité.
Alors que le parti était largement discrédité partout dans
le pays au lendemain des manifestations massives contre le pouvoir, les responsables
organisèrent une retraite (réunion politique) et des meetings à Conakry
pour montrer que le parti existait encore. La remobilisation du PUP était
d’autant plus urgente qu’il devait affronter des élections législatives
quelques mois seulement après la fin de la crise. Initialement prévues
en juin, ces élections furent reprogrammées pour décembre
2007 et ne devraient se tenir, au mieux, que vers la fin du premier trimestre 2008.
Pour la première fois dans l’histoire politique du pays, on peut espérer
des élections transparentes et honnêtes, parce qu’elles seront
organisées conjointement par un gouvernement neuf et a priori impartial,
et une commission électorale nationale indépendante qui n’est
pas aux ordres du camp présidentiel.49 Si le rejet populaire du régime
Conté se traduisait dans les urnes, les partis d’opposition devraient être
en mesure d’emporter la majorité des sièges du futur parlement
et de mettre fin à l’hégémonie du PUP. La difficulté des
partis d’opposition à travailler ensemble peut cependant permettre au
PUP de surprendre lors des élections et de
conserver une position forte. Entre fidélité sans faille à un
régime en bout de course, opportune prise de distance par rapport à ce
pouvoir ou rapprochement avec le gouvernement Kouyaté ou avec les partis
de l’opposition, les membres influents du PUP s’interrogent sur leur
avenir à court terme. L’enjeu est assez simple : la préservation
d’un niveau de vie qu’ils ne doivent qu’à leur proximité avec
le pouvoir. Ils n’ont pas renoncé à la bataille contre le changement.
Et ils peuvent la gagner si les acteurs sociaux et politiques qui disent vouloir
le changement se divisent et s’abîment eux aussi dans des luttes de
positionnement individuel.
Comme il le faisait comprendre dans un entretien cité plus haut, Conté se
sert du Premier ministre comme d’un bouclier qui prend les coups à sa
place. Kouyaté doit s’extraire de ce piège et apporter des
corrections importantes à sa méthode de gouvernement. L’enjeu,
c’est la stabilité du pays, et accessoirement sa propre survie politique.
Il doit clarifier le sens de sa mission et rechercher l’appui de ses concitoyens,
non pas en stimulant ou en tolérant la création de clubs de soutien
et de mouvements de jeunes dévoués à sa cause,50 mais en
leur tenant un langage de vérité et en engageant des actions concrètes
dans le sens du changement, quitte à risquer l’opposition frontale
avec le président. Sans un soutien clair de la majorité de la population
et celui des leaders d’opinion que sont les acteurs syndicaux, les autres
animateurs de la société civile et les acteurs politiques, Kouyaté n’a
aucune chance de résister aux manoeuvres hostiles d’un président
rusé et coutumier de l’épreuve de force et de son entourage
déterminé à se battre. Fin septembre, le Premier ministre
admit publiquement pour la première fois que le président ne lui
facilitait pas la tâche en laissant traîner les projets de décret
soumis à sa signature et cruciaux pour l’action gouvernementale. Il était
temps de dire la vérité, certes avec les précautions diplomatiques
d’usage, sur les blocages orchestrés par le chef de l’État.
Les circonstances particulières de son émergence sur la scène
guinéenne obligent Kouyaté à prendre un minimum de risques.
Sur le plan politique, un dialogue national impliquant toutes les forces vives
est toujours indispensable. Cela ne pourra qu’aider le Premier ministre à recadrer
sa mission dans l’esprit de janvier et de février 2006. Il doit servir à mettre
une pression collective sur le président Conté et à lui rappeler
qu’il doit déléguer effectivement tous ses pouvoirs au chef
du gouvernement, dans l’esprit de l’accord du 27 janvier. Un mécanisme
spécifique pourrait être adopté pour que les retards de signature
des décrets par le président n’entravent pas l’action
gouvernementale. Les dialogues séparés entre le gouvernement et les
syndicats, entre les syndicats et le Conseil des organisations de la société civile
et le patronat ou entre le gouvernement et les partis politiques sont certes utiles,
mais ils ne permettent pas de surmonter les malentendus et d’élaborer
une plateforme minimale à opposer aux adversaires du changement.51
Une telle plateforme ne saurait représenter la solution idéale parce
qu’elle résultera d’un compromis entre des acteurs qui veulent
certes le changement mais n’en ont pas la même définition selon
leurs intérêts particuliers. Mais il n’y aura pas de miracle
en Guinée : le changement, s’il doit être pacifique et civil,
ne se fera pas sans l’adhésion d’un nombre critique de leaders
d’opinion à une position commune minimale sur la manière de
réformer le pays. Le gouvernement Kouyaté doit aussi tout faire pour
convaincre les acteurs politiques qu’il est déterminé à organiser
les élections législatives dans des conditions de transparence et
d’équité inédites dans un pays qui n’a connu que
des mascarades électorales plus ou moins fragrantes. La neutralité de
l’administration doit être garantie, notamment par l’accès
de toutes les étapes du processus électoral aux observateurs de la
société civile, y compris au niveau local des préfectures
et des souspréfectures. Les autorités doivent être conscientes
du changement déjà intervenu dans les mentalités après
les évènements du début d’année : si les élections
sont ouvertement truquées, il est quasiment certain que des jeunes réagiront
violemment et s’attaqueront à nouveau aux édifices publics
qui n’ont même pas encore été réhabilités
depuis les destructions de février.52
Pour éviter d’en arriver là, le ministère de l’Intérieur
et la Commission électorale indépendante (CENI) doivent s’élever à la
hauteur de l’enjeu de ce scrutin, qui doit permettre aux populations de s’exprimer
par les urnes et non plus par des manifestations de rue. Si le processus de révision
des listes électorales commence rapidement et que les partis politiques
jouent leur rôle, le scrutin suscitera l’intérêt des populations
partout dans le pays. Les législatives doivent être organisées
au plus tôt, l’Assemblée ayant épuisé son mandat
depuis le mois de juin 2007, mais aucune concession ne devra être faite concernant
la qualité de ce processus.
Sur le plan économique et social, le Premier ministre doit se consacrer
aux priorités de ses concitoyens : le niveau des prix des produits de première
nécessité partout dans le pays, puis l’accès aux services
d’eau et d’électricité dans les zones urbaines, le désenclavement
et les infrastructures rurales dans les zones rurales. Le programme d’urgence
du gouvernement est prometteur. Sa mise en oeuvre doit être assortie d’une
communication simple et honnête. Kouyaté doit expliquer ce que son
gouvernement peut faire, quand il peut le faire et comment. La restructuration
des ministères et la formation de cabinets dotés de nouvelles compétences,
y compris de Guinéens de la diaspora, sont une exigence incontournable pour
donner une chance de réussite à ce gouvernement.
La possibilité d’un recrutement contractuel de cadres à des
niveaux de rémunération supérieurs aux dérisoires salaires
actuels devrait être envisagée à titre exceptionnel, mais dans
des conditions de transparence totale. L’administration publique ne sera
pas réformée en six mois, ni en un an. Mais il faut donner le signal
de la rupture en faisant au moins respecter les horaires de travail dans les ministères
et en introduisant un minimum de rigueur et d’organisation.
Kouyaté doit aussi donner des gages de son adhésion aux standards
les plus élevés en matière de réduction du train de
vie de l’État, de transparence dans la gestion des deniers publics
et de stricte séparation entre les activités privées de son
entourage et ses activités publiques, pour se distinguer des pratiques du
clan Conté. Kouyaté doit répondre aux accusations de gaspillage
d’argent public portées par une partie de la presse locale plutôt
que de se murer dans un silence qui ne peut qu’alimenter les soupçons.53 Kouyaté s’est finalement expliqué devant l’Assemblée
nationale en réponse à un député le 11 octobre sur
les critiques récurrentes sur le coût jugé exorbitant de la
rénovation de sa résidence officielle.54 Que les critiques sur sa
gestion soient de bonne ou de mauvaise foi, le Premier ministre devrait y répondre
et faire de la transparence un des symboles de rupture avec les habitudes des gouvernements
précédents. C’est à ce prix qu’il incarnera à nouveau
l’espoir du changement.
Enfin, le Premier ministre doit oeuvrer à contenir la menace provenant
des forces de sécurité. La tâche est extrêmement délicate,
d’autant plus qu’il n’a pas de prise sur les forces armées,
domaine réservé au président Conté et à ses
officiers généraux. Kouyaté peut cependant s’engager
dans deux directions dans l’objectif de limiter le risque de nouvelles tueries
de civils par les hommes en tenue : soutenir réellement le travail de la
commission d’enquête indépendante « chargée de
mener les investigations sur les crimes, délits et violations graves des
droits de l’homme commis lors des grèves de juin 2006 et de janvier-février
2007 » et renforcer les moyens et la formation des forces de police et de
gendarmerie qui doivent être les seules responsables du maintien de l’ordre,
y compris en prévision de la sécurisation des futures opérations électorales.
S’agissant de la commission d’enquête dotée selon la loi
qui l’a créée « de tous les pouvoirs de police judiciaire
et d’instruction », le gouvernement doit la doter de tous les moyens
nécessaires pour qu’elle puisse accomplir sereinement sa mission,
y compris en mettant à sa disposition une brigade spéciale mixte
gendarmerie-police, tel que le prévoit la loi. Kouyaté a finalement
procédé le 21 septembre dernier à la nomination des dix-neuf
membres de la commission, après des mois d’attente de la promulgation
de la loi par le président Conté et d’hésitation à faire
jouer la disposition constitutionnelle qui rend applicable une loi votée
par le parlement et non promulguée sans raison par le chef d’État
après dix jours. Maintenant que le Premier ministre a désigné les
membres de la commission, il doit l’installer effectivement et accepter le
principe d’une assistance technique extérieure à cette commission
(provenant notamment de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples,
instance de l’Union africaine, et du Bureau du Haut Commissariat des Nations
unies aux droits de l’homme).
Pour afficher son opposition à l’impunité et donner un signal
clair aux membres des forces de sécurité, le gouvernement doit fixer
une nouvelle date pour la visite du Rapporteur spécial des Nations unies
sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, Philip Alston.
D’abord prévue au lendemain de la répression meurtrière
en mars 2007, cette visite n’a toujours pas eu lieu malgré l’accord
de principe du gouvernement guinéen.55 Plus aucune raison administrative
ne saurait être invoquée pour la reporter indéfiniment. Les
organisations locales de défense des droits humains ont fait un travail
remarquable de collecte d’informations sur les évènements.
Elles méritent le soutien et l’attention de la communauté internationale
qui doit affirmer sa détermination à voir les auteurs des crimes
répondre de leurs actes. Le carnage de janvier et février ne résultait
pas seulement de la volonté des forces de sécurité de tuer
le plus grand nombre de manifestants. La diversité des circonstances dans
lesquelles des dizaines de personnes furent abattues montre que le déficit
de formation des forces de sécurité, y compris au maniement des armes
qu’elles portent, l’insuffisance des effectifs des forces normalement
affectées au maintien de l’ordre (policiers et gendarmes) et l’insuffisance
des moyens de contrôle de foules, qui devraient permettre à ces forces
d’intervenir sans tirer à balles réelles sur des manifestants
non armés, sont aussi les causes directes de la tragédie.56 Le Premier
ministre, le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Défense
doivent faire de cette question une priorité, évaluer les besoins
urgents en matière de formation et d’équipements des forces
de police et de gendarmerie, et rechercher les financements et l’assistance
extérieure requis.57 Les pays qui ont une tradition de coopération
militaire et sécuritaire avec la Guinée doivent s’impliquer,
tout comme la CEDEAO qui doit en particulier contribuer à la sécurisation
des futures élections législatives 58. À terme, il n’y
a pas d’alternative à une véritable réforme du secteur
de la sécurité.59
Pour l’ensemble des acteurs qui veulent vraiment un changement de gouvernance
en Guinée, la seule véritable exigence est celle de l’unité d’action.
La force de la révolte de janvier-février résidait dans son
caractère national qui transcendait les considérations ethniques,
régionales et partisanes. Elle résidait aussi dans l’apparente
simplicité du message : le rejet d’un système politique et économique
qui avait fait d’un pays potentiellement riche comme la Guinée un
modèle de faillite (sans guerre civile) d’un État en Afrique
de l’Ouest. Les divisions évidentes au sein du mouvement syndical,
et plus généralement au sein des meneurs de la contestation de début
d’année, ne peuvent profiter qu’au clan Conté. Les animateurs
de la société civile ont raison d’émettre des critiques
sur l’action du Premier ministre et de se montrer impatients. Mais ils ne
devraient pas perdre de vue que les obstacles principaux au changement sont les
tenants du pouvoir Conté et qu’il vaudrait mieux pousser discrètement
Kouyaté à corriger ses erreurs et à éviter de nouvelles
maladresses que de discréditer totalement son gouvernement et d’aider
en fait Conté à reprendre tout le pouvoir. Dans le contexte actuel,
l’alternative au maintien du Premier ministre, c’est une incertitude
lourde de dangers : une nouvelle révolte populaire moins contrôlée
que la précédente et/ou une reprise en main brutale de tous les leviers
du pouvoir par Conté, ses gradés de l’armée et ses bérets
rouges.
L’euphorie de la victoire de février et le nouveau statut acquis par
les animateurs de la grève générale doivent maintenant céder
la place au réalisme et à la concertation avec tous les autres acteurs,
y compris les partis politiques de l’opposition. Malgré toutes les
limites des partis guinéens, ce sont eux qui ont vocation à conquérir
et à exercer le pouvoir dans un système démocratique. Ce sont
eux qui seront représentés dans la future Assemblée nationale.
Il est dans l’intérêt du pays et de la société civile
de travailler avec les acteurs politiques pour les contraindre à adopter
une plateforme minimale et une stratégie commune pour faire des prochaines élections
le premier pas vers le démantèlement du système Conté.
La société civile a un rôle clé à jouer dans
l’éveil démocratique et elle l’a déjà montré avec
brio. Ce rôle est distinct de celui des partis politiques et doit le rester.
Les responsables syndicaux et ceux des organisations de la société civile
doivent inciter les partis à proposer des idées au lieu de se consacrer
au culte de leurs leaders et aux batailles de positionnement individuel. Accroître
la qualité de l’offre politique est l’une des responsabilités
de la société civile. Si certains acteurs de cette dernière
sont tentés de s’engager dans la politique pour défendre leur
vision du changement, ils doivent être libres de le faire. Les partis politiques
de l’opposition doivent travailler à améliorer leur image globalement
peu reluisante auprès des populations. Ils ne le feront qu’en étant
présents sur le terrain et en montrant qu’ils sont capables de s’entendre
sur une plateforme minimale en face de Conté et de ses partisans. On observera
sans doute une effervescence de la scène politique au cours des prochains
mois avec de nouvelles alliances, des défections, l’entrée
en politique de nouvelles personnalités.60 Cela participe du jeu démocratique
normal. Mais les partis peuvent rivaliser pour obtenir chacun le plus de sièges
au parlement tout en oeuvrant ensemble pour obtenir les meilleures conditions de
tenue des élections et pour définir une stratégie commune
pour préparer l’après Conté.
L’organisation régionale qu’est la CEDEAO avait joué un
rôle positif dans le dénouement de la crise en février 2007,
au lendemain du chaos qui avait suivi la nomination par Conté de son ami
Eugène Camara comme Premier ministre. Le président de la Commission
de la CEDEAO, Mohamed Ibn Chambas, et un médiateur ad hoc choisi pour l’occasion,
l’ancien chef d’État nigérian, le général
Ibrahim Babangida, avaient rencontré les acteurs de la crise et obtenu du
président Conté le remplacement de Camara par un autre Premier ministre
qui soit acceptable par les populations. Les promesses de suivi attentif de la
mise en oeuvre de l’accord de sortie de crise par la CEDEAO, y compris par
l’ouverture d’un bureau à Conakry, n’ont cependant pas été honorées.
Une fois de plus, l’organisation régionale a donné le sentiment
qu’elle était plus prompte à intervenir ponctuellement pour
calmer une situation explosive qu’à s’investir durablement pour
soutenir un changement démocratique, tâche beaucoup plus complexe.
L’hostilité du président Conté et de ses compagnons
d’armes de la vieille école à toute interférence extérieure,
y compris régionale et africaine, est un obstacle important mais la CEDEAO
ne saurait invoquer cette difficulté pour renoncer à toute action
forte pour soutenir un changement politique en Guinée.
La Commission de la CEDEAO a participé au Forum des partenaires organisé à Paris
en juillet 2007 et contribue à la mobilisation de l’attention internationale
sur la Guinée, y compris au sein du Groupe de contact international sur
les pays du Bassin du Fleuve Mano.61 Tous les partenaires extérieurs importants
du pays, dont l’Union européenne, la France, les États-Unis,
la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et les Nations
unies, doivent adopter une position commune sur les moyens de contribuer à un
changement démocratique, pacifique et civil en Guinée, chacun dans
son domaine de prédilection. Sur le plan économique et financier,
le Forum de Paris constitua un signal intéressant.
Les promesses de financement doivent se concrétiser rapidement pour permettre
la réalisation du programme d’urgence du gouvernement. L’urgence
est réelle : l’équipe de Kouyaté a un besoin de résultats.
Au-delà du programme de court terme, le pays doit renouer pleinement avec
les bailleurs de fonds de Washington, le FMI et la Banque mondiale, et se rapprocher
du point d’achèvement de l’initiative en faveur des pays pauvres
très endettés (PPTE) afin de bénéficier à terme
d’une remise substantielle de sa dette extérieure. Si elle réussit à se
débarrasser d’une équipe dirigeante prédatrice, la Guinée
pourrait profiter des investissements directs étrangers colossaux prévus
dans le secteur minier ($15 milliards à $20 milliards dans les quinze à vingt
prochaines années uniquement dans le fer et la bauxite)62 pour sortir sa
population de la grande pauvreté.
Sur le plan politique, les partenaires extérieurs doivent continuer à soutenir
le Premier ministre tout en l’encourageant à clarifier sa mission
auprès de ses concitoyens, à faire de l’organisation d’élections
législatives incontestables une priorité et à afficher des
symboles forts de transparence dans la gestion des affaires publiques. Au-delà de
l’Union européenne et du Programme des Nations unies pour le développement
(PNUD), les partenaires doivent apporter les financements additionnels nécessaires à la
tenue des élections. Dans le domaine de la lutte contre l’impunité et
de la prévention de nouvelles tueries, le début des travaux de la
commission d’enquête, le renforcement des moyens et de la formation
des forces de police et de gendarmerie et la surveillance extérieure du
comportement des forces de sécurité représentent des priorités.
Le Groupe de contact international doit affirmer son soutien à la commission
d’enquête, exiger la participation d’experts étrangers à ses
travaux, encourager le Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions
extrajudiciaires à effectuer une visite en Guinée, et inviter ses
membres à appuyer financièrement en cas de besoin les travaux de
la commission d’enquête.
La CEDEAO devrait affecter une petite équipe d’officiers de police
et/ou de gendarmes pour aider à la mise en place de la brigade mixte qui
doit servir de bras armé à la commission d’enquête. Cette équipe
pourrait constituer l’embryon d’une mission militaire et sécuritaire
de la CEDEAO d’observation du comportement des forces de sécurité guinéennes
au moment des élections à venir.63 Les officiers guinéens
ne sauraient à la fois participer aux missions extérieures de la
CEDEAO dans d’autres pays membres et refuser toute immixtion de ces derniers
dans leurs affaires. Des discussions doivent être ouvertes dès maintenant
entre la Commission de la CEDEAO, la présidence en exercice de l’organisation
(le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré) et les autorités
civiles et militaires du pays.
Enfin, les pays qui ont établi une coopération militaire et sécuritaire
avec la Guinée, la France et les États-Unis en particulier, doivent également
jouer un rôle. Ils devraient non seulement faire passer un message clair
sur le refus de toute prise du pouvoir par l’armée, mais aussi aider
le gouvernement Kouyaté à renforcer les moyens d’intervention
et la formation de la police et de la gendarmerie afin que celles-ci puissent faire
du maintien de l’ordre sans tirer à balles réelles sur les
civils, et qu’elles soient les seules forces à se déployer
dans les rues en cas de troubles.
La grève générale, les manifestations,
les nombreux jeunes massacrés, tout cela n’a-t-il servi à rien
? Trois mois avant l’anniversaire de la contestation populaire du régime
Conté,
le président est toujours le seul maître à bord et le socle
de son pouvoir, les forces armées, résiste à toutes ses contradictions
et tensions internes pour s’aligner derrière le chef. Le Premier ministre
Kouyaté dirige laborieusement un gouvernement dont la capacité d’action
est particulièrement limitée et dont la popularité s’effrite.
Les résultats obtenus par ce gouvernement, notamment une reprise capitale
des financements internationaux à destination de la Guinée et un
ralentissement de l’inflation, ne semblent pas suffire à dissiper
le sentiment de malaise et d’incertitude sur la longévité de
l’expérience du changement. Les acteurs de la société civile
et politique guinéenne, y compris ceux qui ont été aux premiers
rangs du mouvement du début d’année, sont aujourd’hui
divisés : divisés sur le soutien à apporter à Kouyaté,
divisés sur l’attitude à adopter envers Conté, divisés
sur la suite à donner au combat pour le changement. Comme le signale ce
rapport, Kouyaté porte une part de responsabilité dans le malaise
actuel, mais les divisions sont aussi stimulées et nourries par le clan
présidentiel, celui dont le mépris pour l’intérêt
général ne peut plus faire l’ombre d’un doute après
23 ans de gestion de l’État.
Sans dialogue entre les leaders syndicaux, les autres animateurs de la société civile,
les leaders politiques et le gouvernement, il sera impossible d’adopter une
vision commune du contenu minimal du changement et de la manière la plus
sûre d’y arriver. Si les Guinéens s’engagent dans cette
voie, ils doivent être fortement soutenus par les institutions régionales
et internationales et les partenaires extérieurs qui connaissent le potentiel économique
du pays à long terme. Si, par contre, les intérêts particuliers
des acteurs, y compris celui du Premier ministre et des candidats potentiels de
longue date à la succession du président Conté, prennent le
dessus sur toute autre considération, la fracture du corps social pourrait
bien conduire à de graves violences politiques et à une instabilité durable.
Notes
1. Pour une description et une analyse du mouvement de grève et de l’insurrection de janvier et février 2007, voir le rapport Afrique
de Crisis Group N°121, Guinée : le changement ou le chaos, 14 février
2007. Pour une description des violations graves des droits humains, notamment
par les forces de sécurité guinéennes avant et pendant l’état
de siège, voir « Guinée : Mourir pour le changement »,
rapport de Human Rights Watch, vol. 19, n.5 (A), avril 2007 ; « Guinée
: les militaires tiraient partout en rafale », rapport de Amnesty International,
AFR 29/004/2007, 27 juin 2007.
2. Voir le « Procès verbal de négociation suite à la
grève générale de l’Inter-centrale composée de
la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG)
et de l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG), élargie à l’Organisation
nationale des syndicats libres de Guinée (ONSLG) et à l’Union
démocratique des travailleurs de Guinée (UDTG) déclenchée
le 10 janvier 2007 », Annexe C du rapport de Crisis Group, Le changement
ou le chaos, op. cit.
3. Entretiens de Crisis Group, journalistes et diplomates, Conakry, juillet 2007.
4. Pour une description de la situation politique, économique et sociale
de la Guinée depuis 2003, voir le rapport Afrique de Crisis Group N°74,
Incertitudes autour d’une fin de règne, 19 décembre 2003 ;
le Rapport Afrique de Crisis Group N°94, Guinée : conjurer la descente
aux enfers, 14 juin 2005 ; le Briefing Afrique de Crisis Group N°37, La Guinée
en transition, 11 avril 2006 ; et le rapport de Crisis Group, Le changement ou
le chaos, op. cit.
5. Entretiens de Crisis Group, source diplomatique et animateurs de la société civile,
Conakry, juillet 2007.
6. C’était notamment le cas de l’ancien Premier ministre Sidya
Touré, président de l’Union des forces républicaines
(UFR), parti d’opposition qui avait donné plusieurs interviews durant
la crise. Voir « Interview exclusive de M. Sidya Touré, ancien Premier
ministre, président de l’UFR », 26 janvier 2007, www.aminata.com.
7. Voir les recommandations du rapport de Crisis Group, Le changement ou le chaos,
op. cit.
8. Entretiens de Crisis Group à Conakry, Kissidougou, N’Zérékoré,
Kankan, Labé, juillet 2007.
9. Inter-Centrale CNTG-USTG élargie à l’ONSLG et à l’UDTG,
Lettre ouverte à Monsieur le Premier ministre, signée par Hadja Rabiatou
Serah Diallo (CNTG), Louis M’Bemba Soumah (USTG), Fatoumata Diakité (ONSLG)
et Abdoulaye Baldé, UDTG, 3 juillet 2007.
10. Entretiens de Crisis Group, personnalités de la société civile
et diplomates, Conakry, juillet 2007.
11. Entretiens de Crisis Group, Conakry, Kissidougou, N’Zérékoré,
Kankan, Labé, 3-20 juillet 2007.
12. Le respect d’un strict équilibre entre les grands groupes ethniques
(les Malinkés de Haute Guinée, les Peuls ou Fulbe de la Moyenne Guinée,
les Soussous ou Sosso de la Basse Côte et les différents groupes ethniques
de la Région Forestière) au moment de chaque nomination n’est
certainement pas le meilleur moyen de garantir à la fois l’égalité des
citoyens dans l’accès à la haute administration publique, et
la compétence de cette dernière. Mais en l’absence d’un
mode de gestion institutionnelle de la diversité qui soit accepté par
tous et compte tenu du contexte politique délicat du pays, il est toujours
imprudent et maladroit de donner l’impression de privilégier son groupe
ethnique dans des nominations. Le réflexe de solidarité ethnique
est une indiscutable réalité. La majorité des interlocuteurs
Malinkés interrogés par Crisis Group avaient tendance à moins
critiquer Kouyaté que les autres ; et parmi ces autres, les Peuls résidant à Conakry
ou à Labé étaient les plus sensibles à l’« ethnocentrisme » dont
ils accusent le Premier ministre de faire preuve.
13. « L’ethnocentrisme fait débat au parlement: « J’ai
plus de ministres peul que malinké! » dixit Lansana Kouyaté »,
12 octobre 2007, www.guineenews.org.
14. Ibid.
15. Programme d’actions prioritaires pour la consolidation de la paix et
la relance du développement économique et social, document provisoire
consulté par Crisis Group, Conakry, juillet 2007.
16. Communiqué de la Banque mondiale et de la Commission européenne à l’issue
du Forum des partenaires de la Guinée, Paris, 25 juillet 2007.
17. La dette extérieure est estimée à $3 billions, soit 100
pour cent du produit intérieur brut. Si les réformes économiques
et financières se font dans le cadre d’un accord formel avec le FMI
et la Banque mondiale sur la période 2007-2010, la Guinée pourrait à terme
bénéficier de l’effacement de deux tiers de sa dette. Voir « Mission
FMI-Banque mondiale, le programme à portée de main », Le Diplomate,
11 octobre 2007.
18. « Flambée des prix : le carrefour de Bambéto en ébullition »,
18 septembre 2007, www.guineenews.org ; « Hamdallaye, Bambéto et Cosa
: on manifeste contre la cherté des prix », Le Diplomate, 18 septembre
2007.
19. Comme il fallait s’y attendre, quelques autorités locales furent
accusées de vendre une partie des sacs de riz à des commerçants
qui les revendent au prix du marché. « Le riz importé par le
gouvernement guinéen pour soulager la population n’échappe
pas à la spéculation », Agence de presse africaine (APA), 27
septembre 2007.
20. Entretien téléphonique de Crisis Group, journaliste guinéen,
Dakar, 4 octobre 2007.
21. « Conakry : le courant, de plus en plus courant », 25 septembre
2007, www.guineenews.org.
22. Entretiens téléphoniques de Crisis Group, Dakar, 4 octobre 2007.
Voir aussi « le projet d’éclairage solaire public avance »,
11 septembre 2007, www.guineeconakry.info.
23. « Les syndicats dénoncent des « rétrogrades opposés
au changement », Agence France-Presse, 4 septembre 2007.
24. Table ronde de Crisis Group avec des acteurs de la société civile,
Conakry, 29 août 2007.
25. Entretiens de Crisis Group, responsables de partis d’opposition, Conakry,
juillet 2007.
26. « Législatives prochaines, report probable du scrutin : Bö Keita
donne des explications techniques », 7 septembre 2007, www.guineenews.org.
27. « Élections législatives : le comité de pilotage
tient sa première réunion », 20 septembre 2007, www.guineenews.org.
28. Entretien de Crisis Group, diplomate, Conakry, 20 juillet 2007.
29. Rapport de Crisis Group, Le changement ou le chaos, op. cit.
30. « Je suis le chef, les autres sont mes subordonnés », affirme
le président Conté », Agence France-Presse, 15 juin 2007.
31. Rapport de Crisis Group, Le changement ou le chaos, op. cit.
32. Selon le décret portant attributions du Premier ministre et conformément à la
volonté d’en faire le véritable chef de gouvernement, ce dernier
nomme aux emplois civils. Mais aucune mention n’a été faite
sur la prérogative du décret, ce qui revient à laisser au
seul chef de l’État la signature de tous les décrets, y compris
ceux portant nominations aux emplois civils comme militaires.
33. Le décret portant attributions du Premier ministre ne confère
pas à celui-ci le pouvoir de nommer aux emplois militaires. Le Premier ministre
ne peut avoir une influence sur les forces armées qu’à travers
la gestion du budget du ministère de la Défense qui ne peut échapper
totalement au contrôle du ministère des Finances.
34. En Mauritanie, une junte militaire dirigée par le colonel Ely Ould Mohamed
Vall renversa l’autocrate Maaouiya Ould Taya en août 2005, entreprit
des réformes politiques et respecta son engagement de remettre le pouvoir
aux civils au terme d’une période de transition sanctionnée
par des élections. Voir Crisis Group Middle East/North Africa Report N°53,
Political Transition in Mauritania: Results and Prospects, 24 April 2006. Sidi
Ould Cheikh Abdallahi remporta le scrutin présidentiel en mars 2007.
35. Entretien de Crisis Group, source diplomatique et source militaire, Conakry,
6 et 20 juillet 2007.
36. Entretiens de Crisis Group, source proche de la présidence, novembre
2006.
37. « Guinée : Mourir pour le changement », Human Rights Watch,
op. cit. ; « Guinée : les militaires tiraient partout en rafale »,
Amnesty International, op. cit.
38. « Guinée : les militaires tiraient partout en rafale »,
Amnesty International, op. cit.
39. Ibid.
40. En conservant leurs fonctions et leur liberté d’action, les éléments
responsables des tueries de janvier/février au sein des forces de sécurité peuvent
en particulier menacer et attenter à la vie des témoins qui pourraient
collaborer avec la future Commission d’enquête sur ces évènements.
Il est établi que certains membres de la Garde présidentielle se
sont déjà engagés dans cette voie. Entretien de Crisis Group,
Dakar, septembre 2007.
41. Entretiens de Crisis Group, sources diplomatiques et militaires, juillet 2007.
42. Brutalement mis à la retraite par le président Conté à la
fin de l’année 2005 alors que les généraux de la même
génération comme Kerfalla Camara étaient maintenus, le général
Baïlo Diallo, officier Peul à forte personnalité, a été nommé ministre
de la Défense pour remplacer le général Arafan Camara, ancien
chef d’état-major adjoint des armées, au lendemain de la révolte
des militaires en mai 2007. Conté voulait se débarrasser officiellement
des généraux comme Arafan Camara et Kerfalla Camara qui étaient
accusés par les jeunes officiers et les hommes du rang de mal gérer
les promotions dans l’armée et de détourner les soldes promis
aux soldats.
43. Entretien de Crisis Group, ministre de la Défense, Conakry, 30 août
2007.
44. Entretiens de Crisis Group, journalistes, animateurs de la société civile,
juillet 2007.
45. Dans la nuit du 12 au 13 mai, des centaines de militaires venus en camions
avaient ainsi défoncé les murs des magasins de la Société de
commerce et de financement (SCF), appartenant au riche homme d’affaires El
Hadj Alpha Amadou Diallo, situés à Matam, à Conakry, et emporté diverses
marchandises, dont du savon, du riz et des véhicules. Des civils ont ensuite
achevé le pillage en règle des soldats. « Guinée : les
limogeages n’ont pas suffi à apaiser la colère des militaires »,
Agence France-Presse, 13 mai 2007.
46. Entretien de Crisis Group, source diplomatique, Conakry, 20 juillet 2007.
47. Entretiens de Crisis Group, journalistes, acteurs de la société civile
et diplomates, juillet 2007.
48. Même les militaires ont dû dans certaines localités moduler
leur comportement en face des menaces de représailles sur leurs familles
vivant dans les quartiers civils. Ce fut notamment le cas à N’Zérékoré où les
associations de jeunes n’hésitent pas à passer des messages
clairs au commandement militaire sur la capacité de représailles
violentes de leur part. Ailleurs, comme à Labé, des tracts anonymes
menaçant de tuer « quatre parents de militaires pour un civil tué par
un homme en tenue » auraient contribué au bilan relativement limité de
la répression dans cette ville de Moyenne Guinée. Entretiens de Crisis
Group, Conakry, N’Zérékoré, Labé, juillet 2007.
49. La Commission électorale nationale indépendante est composée
paritairement de représentants de la mouvance présidentielle et de
l’opposition auxquels s’ajoutent des représentants de l’administration
et de la société civile. Voir le rapport de Crisis Group, Le changement
ou le chaos, op. cit.
50. Des associations de soutien à l’action de Kouyaté sont
apparues à Conakry et en dehors, notamment en Côte d’Ivoire
où il était basé avant sa nomination. (Un « Forum des
amis de Lansana Kouyaté pour les actions positives » y a été présenté 23
septembre dernier). Le Premier ministre est également soupçonné de
vouloir utiliser le nouveau Conseil national des Jeunes de Guinée comme
d’un mouvement dévoué à sa cause. Voir « Conseil
national des jeunes de Guinée : les raisons de l’échec vues
par son secrétaire chargé de la communication », 27 septembre
2007, www.guineenews.org ; « La rencontre des jeunes dégénère à Dalaba »,
7 septembre 2007, www.guineenews.org.
51. Voir les recommandations du rapport de Crisis Group, Le changement ou le chaos,
op. cit.
52. Entretiens de Crisis Group, syndicalistes et autres animateurs de la société civile,
Conakry, N’Zérékoré, Kankan, Labé, juillet 2007.
53. Voir « Face aux accusations, Kouyaté doit s’expliquer »,
Le Diplomate, 9 octobre 2007.
54. Il a ainsi pu rétablir la vérité sur les chiffres avancés
par la presse en expliquant que la rénovation de la résidence avait
coûté 900,9 millions de francs guinéens (environ $215 000)
et non 4 milliards de francs guinéens ($952 000) comme mentionné à plusieurs
reprises par la presse résolument hostile à Kouyaté en septembre,
notamment le journal L’Observateur.
55. Rapport du Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions
extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, Assemblée générale
des Nations unies, 16 août 2007.
56. Entretiens de Crisis Group, officier de gendarmerie et source diplomatique,
Conakry, juillet 2007.
57. L’annonce par l’état-major de la gendarmerie guinéenne
du recrutement prochain de 2,000 élèves gendarmes va dans le bon
sens, mais cet effort doit être accéléré et appuyé par
les partenaires extérieurs, en particulier dans le domaine de la formation,
y compris aux normes internationales de respect des droits de l’homme. Voir « La
gendarmerie de Guinée recrute 2000 éléments pour combler ses
effectifs », 15 octobre 2007, www.guineatime.com.
58. Voir la section IV, C ci-après.
59. Rapport de Crisis Group, Le changement ou le chaos, op. cit.
60. L’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo ne cache pas par exemple
son intention d’entrer en scène à l’approche des élections
législatives et de rejoindre l’autre ancien Premier ministre Sidya
Touré l’opposant historique Alpha Condé et peut-être
l’actuel chef de gouvernement Lansana Kouyaté dans le groupe des candidats
potentiels à la succession du président Conté le moment venu.
61. Le Groupe de contact international sur le Bassin du Fleuve Mano (Guinée,
Liberia, Sierra Leone et par extension, Côte d’Ivoire et Guinée
Bissau) comprend la CEDEAO (présidence et commission), l’Union africaine,
l’ONU, l’Union européenne (présidence et commission),
la France, le Royaume Uni, les États- Unis, le Nigeria, le Ghana et le Maroc.
Ce groupe a pris le relais en septembre 2004 du Groupe de contact international
sur le Liberia (créé en septembre 2002).
62. Entretiens de Crisis Group, diplomates, Conakry, juillet 2007.
63. Une mission de la CEDEAO de ce type vient d’être expérimentée à l’occasion
des élections législatives au Togo le 14 octobre 2007.
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