Paris. Editions Git le Coeur. 1972. 270 p.
La domination impérialiste avec son cortège de souffrances, d'humiliations et de misères, est générale en Afrique. Elle paraît même se renforcer. Les forces progressistes semblent en recul (chute de N'Krumah, de Ben Bella, mort de Lumumba, de Mulele, d'Osendé Afana) . L'ombre qui s'étend sur l'Afrique semble s'épaissir. Pourtant, à voir les choses de plus près, une flamme apparaît dans cette nuit qui semble si sombre ; cette flamme, c'est l'existence de situation pré-révolutionnaire, sinon révolutionnaire d'une part, la prise de conscience sur la nécessité de mener une véritable révolution d'autre part.
La domination extérieure pèse sur l'Afrique. Les masses populaites sont soumises à l'exploitation et à l'oppression. Elles semblent figées dans l'immobilisme. Cet immobilisme n'est-il pas une apparence ? N'existe-t-il pas actuellement, en Afrique, une situation révolutionnaire ? Selon Lénine, les principaux indices d'une situation révolutionnaire sont au nombre de trois :
l'imposibilité pour les classes dominantes de conserver leur domination sous une forme inchangée… Pour que la révolution éclate, il ne suffit pas d'ordinaire, que la base ne veuille plus vivre comme auparavant, mais il importe encore que le sommet ne le puisse plus. L'aggravation plus qu'à l'ordinaire, de la misère et de la détresse des classes opprimées. Enfin, l'accentuation marquée, pour les raisons indiquées plus haut, de l'activité des masses, qui, en période de paix, se laissent piller tranquillement, mais qui, en période orageuse sont appelées tant par l'ensemble de la crise que par le sommet lui-même vers une action historique indépendante. Sans ces changements objectifs, indépendants, de la volonté non seulement de tels ou tels groupes et partis, mais encore de telles ou telles classes, la révolution est, en règle générale, impossible. La somme de ces changements objectifs s'appelle justement une situation révolutionnaire 1.
L'Afrique présente-t-elle actuellement ces indices ? Si nous analysons en profondeur la réalité africaine, nous constatons deux faits fondamentaux : une crise grandissante au sein des classes dirigeantes et une hostilité tout aussi grandissante des masses.
La décomposition des régimes africains, quelques années à peine après les indépendances, est une des données essentielles de l'Afrique actuelle. L'incapacité des régimes à résoudre les problèmes des masses les a conduit à la faillite. Celle-ci est générale ; elle porte sur tous les domaines, politique, économique, social, financier, militaire. Cette faillite est devenue dramatique dès lors que les masses populaires s'en sont aperçues. Ces dernières acceptent de moins en moins les « justifications» qu'on leur en donne ou les sacrifices — à sens unique — qu'on leur impose. A cet échec total, s'ajoutent les oppositions d'intérêts entre les fractions bourgeoises, le choc des ambitions individuelles et, enfin, les contradictions entre les impérialismes euxmêmes. L'impérialisme et les forces réactionnaires qui croyaient pouvoir maintenir leur domination grâce à la mystification des « indépendances », se trouvent de plus en plus acculés. Ils sont contraints de rechercher de nouvelles méthodes pour conserver cette domination. C'est de cette nécessité de trouver des solutions de rechange, que découlent les coups d'Etats militaires actuels.
L'impérialisme qui avait commencé à s'effrayer de la prise de conscience des masses populaires, dans les années 1954 à 1958, a été contraint de renoncer en partie à sa domination directe. Les indépendances avaient alors soulevé d'immenses espoirs au sein des masses illusionnées. Elles croyaient qu'enfin, une solution allait être trouvée à leurs immenses problèmes. Evidemment, ses espoirs étaient insensés et dénotaient une méconnaissance totale du néo-colonialisme qui s'installait. En effet, le néo-colonialisme n'est pas, par rapport au colonialisme, un changement d'objectif, il n'est qu'une modification de tactique et de méthode, imposée par les luttes des peuples. Tant dans la période coloniale que dans la nouvelle, les objectifs permanents de l'impérialisme restent immuables. Le néo-colonialisme est un renforcement des conditions d'exploitation des masses. Pendant la période coloniale, l'exploiteur principal était la métropole. Avec le néo-colonialisme, le nombre de profiteurs s'accroît considérablement. Un colonialisme collectif se substitue à l'ancien colonialisme individuel. Les nouveaux venus doivent faire leur place. Ils ne le peuvent qu'en intensifiant l'exploitation des masses populaires. Les bourgeoisies locales, installées par les impérialistes, doivent aussi avoir leur part. Elles aussi participent à l'aggravation de la misère des masses. Aussi, ces dernières qui avaient été enthousiasmées par les indépendances se sont rapidement désenchantées et ont perdu leurs illusions. De la déception, elles sont passées au mécontentement puis à la colère et à la révolte. Et ce fut alors la chute des régimes de M. Youlou, M. Maga, M. Yaméogo. Les régimes installés lors des indépendances avaient donc fait faillite pour la plupart. La domination impérialiste était menacée. Il fallait trouver une solution de rechange. L'armée se présentait comme la seule force cohérente et capable de « mater » les populations. Ce fut donc elle qui fut choisie. Cette solution de rechange s'est avérée à son tour inefficace. Les militaires se sont montrés encore plus incapables que les civils qui les ont précédé. Leurs régimes se sont discrédités encore plus rapidement.
Pour éviter que l'armée, qui constitue son dernier recours, ne soit encore davantage discréditée et ne soit plus utilisable, l'impérialisme cherche à redonner le pouvoir aux civils. C'est alors la recherche de l'homme providentiel. L'homme d'autant plus providentiel, qu'il est introuvable. La solution provisoire a été alors l'association de jeunes technocrates « compétents » aux militaires.
Si nous passons maintenant du cas général de l'Afrique à celui plus particulier de la Guinée, nous constatons alors que la décomposition du régime sous l'eff et du mécontentement des masses et des contradictions au sein de la bourgeoisie.
Nous avons vu déjà les manifestations de l'opposition d'intérêt entre les commerçants et la bureaucratie d'Etat au sujet du secteur commercial, en Guinée. Les commerçants avaient soutenu et financé le PDG dans l'espoir de contrôler plus tard le secteur de la circulation. La nationalisation de ce secteur (exceptés les transports) ne pouvait que les mécontenter. Contre le capitalisme d'Etat naissant qui menaçait de les étouffer, ils entreprirent une action de sabotage systématique. Leur pression obligea la bourgeoisie bureaucratique à revenir momentanément sur l'étatisation du commerce. Cependant, l'opposition restait toujours aussi vive. Les commerçants disposaient de capitaux. Mais ils n'occupaient pas, pour la plupart, de postes politiques et administratifs. Aussi, aspiraient-ils à une économie de type libéral en vue de grossir leur fortune. La fraction bureaucratique n'avait pas de capitaux. Elle était favorable à l'étatisation du secteur de la circulation. Elle était aussi favorable aux sociétés mixtes associant l'Etat et les capitalistes étrangers. Elle désirait instaurer un capitalisme d'Etat, tandis que les commerçants préféraient une association entre eux et les capitalistes étrangers. Chaque fraction s'appuyait sur un impérialisme donné, la bureaucratie sur l'impérialisme américain et la compraclore sur l'impérialisme français.
Après trois années d'affrontements tantôt ouverts, tantôt larvés, la bourgeoisie bureaucratique qui se voyait menacée de perdre le pouvoir, déclencha un coup de force. Son but était d'éliminer complètement sa rivale. D'où l'adoption de la loi-cadre du 8 novembre 1964.
Les mesures contenues dans celles-ci visaient à la liquidation tant économique (élimination du secteur commercial, confiscation des biens, etc.) que politique (exclusion de tous les organes dirigeants du PDG, réservés désormais aux cadres administratifs) des commerçants. Pour tromper les masses, ces mesures furent présentées comme un acte révolutionnaire :
Des responsables politiques et administratifs profitèrent de leur situation pour se livrer à des trafics divers. Des hauts fonctionnaires irresponsables se livraient à un honteux trafic. Ces derniers six mois, 60 % du volume du commerce extérieur de la Guinée, avaient franchi frauduleusement les frontières… Une production d'un million de paquets de cigarettes quittait le pays vingt quatre heures après sa mise en vente… Avant le 8 novembre, des individus s'étaient jetés dans un galop éperdu vers les grosses fortunes, ont voulu faire cohabiter de façon insolente leurs villas de rêve et les dramatiques taudis de nos paysans et ouvriers, ils ont tenté d'ouvrir des brèches dans l'unité de nos forces révolutionnaires pour y introduire l'opportunnisme, le carriérisme, la corruption, l'exploitation, la confusion idéologique, en un mot les nouveaux riches ne visaient ni plus, ni moins, que la confiscation du pouvoir populaire 2.
L'application de la loi-cadre fut très partielle. Ne furent touchés que les commerçants qui n'occupaient pas de postes de responsabilité politique ou qui n'étaient pas associés à des dirigeants politiques. Avec eux, quelques cadres administratifs et politiques qui s'opposaient à la direction du PDG et soutenaient les commerçants. Par contre, de nombreux grands commerçants, dont les intérêts étaient étroitement imbriqués avec ceux des plus hauts responsables politiques, furent épargnés. Le but de la loi-cadre apparaissait ainsi nettement : éliminer la fraction de la bourgeoisie compradore, indépendante du pouvoir. Celle-ci réagit au coup de force et créa son propre instrument de conquête du pouvoir, le Parti de l'Unité nationale de Guinée (PUNG).
Le PDG présenta la création de ce nouveau Parti comme un complot et procéda à l'arrestation de ses dirigeants.
Après l'emprisonnement des dirigeants du PUNG, la bourgeoisie bureaucratique, devenue bureaucratique et compradore, devient seule maîtresse de l'appareil d'Etat. Elle peut organiser plus librement l'exploitation des masses au profit de ses maîtres yankees et à son propre profit. Déjà avant la loi-cadre du 8 novembre, elle avait su trouver des méthodes efficaces d'enrichissement : la nationalisation de la terre avait été une vaste escroquerie qui lui avait permis de s'emparer des meilleurs terrains pour une bouchée de pain. C'est ce qui explique que tout au long de la corniche de Conakry I et Conakry II, les villas rivalisent de luxe.
Une spéculation foncière effrénée permet ainsi d'accumuler des fortunes. Les villas sont louées aux ambassades et à l'US-AID : 150 000 à 250 000 francs guinéens, les propriétaires s'arrangeant pour se faire payer en devises.
Le transport constitue un autre domaine d'accumulation : taxis, transports routiers. Le président de la République avait brossé le tableau des causes de cet enrichissement, lors de la Conférence des gouverneurs tenue au mois de mai 1963 à Mamou. Il y révéla que tous les agents de l'Etat, gouverneurs de régions ou autres, ayant eu une « caisse » sous leur responsabilité, en ont disposé comme si l'argent provenait de leurs revenus personnels. Dans les régions, les gouverneurs ont ainsi consommé les recettes de la fiscalité locale, les fonds alloués par le ministère du Plan pour la réalisation d'objectifs régionaux, les crédits dits « d'affectation » alloués par le budget général. Lorsque l'agent administratif chargé de la gestion des fonds voulait faire son travail selon les règles, le gouverneur le renvoyait ou passait par-dessus sa tête pour se servir. Ces fonds, poursuivit-il, sont utilisés à la satisfaction des besoins personnels, consommation ou placement. C'est ce qui expliquait le déficit avoué des admnistrations qui s'élevait à 10 milliards FG sur un budget approximativement équivalent à cette somme ; et cela au mois de mai, c'est-à-dire après cinq mois d'exercice budgétaire seulement. Le rapport en arrivait ensuite à l'activité désastreuse des entreprises, les documents comptables sont mal faits et ne correspondent pas à la réalité économique, les chefs d'entreprises sont de mauvais gérants au point de vue technique et de surcroît malhonnêtes. Ils consomment le profit et consentent des crédits sans garanties, ce qui entraîne un désordre extraordinaire et un déficit général. Chaque entreprise a son petit scandale et est un centre de trafic. Le déficit est énorme ; l'ensemble des entreprises nationales devait 25 milliards aux banques. Après avoir dressé un tel tableau, on s'attendait logiquement à ce que le chef de l'Etat prenne les mesures nécessaires. En fait, il se contenta de reconnaître l'échec de l'expérience du PDG, car dévoiler ces réalités et prendre des mesures qui convenaient, ébranlerait sérieusement le régime. Ensuite, il n'était plus possible de changer de cap :
« Notre expérience est un échec, mais nous devons continuer dans la même voie. Si nous avouons notre échec, le régime risque d'être balayé.»
Ainsi, la morale de brigands avait triomphé.
Après l'adoption de la « loi-cadre », le développement des sociétés mixtes devient un moyen important d'accumulation de capital au profit des éléments de la bourgeoisie. Mais les nouvelles perspectives extraordinaires d'enrichissement qui apparaissent avec les nouveaux projets américains (Harvey, Marck Truck, Lamco, etc.), et le mécontentement populaire grandissant, entraînèrent des divisions au sein de la bourgeoisie bureaucratique et compradore.
Tant qu'il s'agissait d'éliminer la fraction des compradores indépendants, la bourgeoisie bureaucratique et ses alliés compradores firent front commun. Mais après l'élimination de ceux-ci, les contradictions entre les différentes fractions de la bourgeoisie bureaucratique s'accusèrent. En effet, la bourgeoisie bureaucratique qui dirige le PDG n'est pas cohérente. Elle est sans principe et sans idéologies véritables. Elle préconisait une voie intermédiaire bourgeoise, tout en continuant à mystifier les masses ouvrières et paysannes. Ensuite, à partir de ses positions fortement rémunératrices, la bourgeoisie bureaucratique, dans son désir de s'enrichir, commet inévitablement des abus scandaleux. Il faut donc périodiquement se débarrasser de ceux qui se sont trop compromis. L'équipe dirigeante acquiert ainsi une nouvelle virginité politique. Elle peut continuer à tromper les larges masses populaires. Mais la classe dirigeante du PDG est une coterie où les contradictions se résolvent en un petit comité, par la substitution de cadres corrompus à d'autres, à ceux qui sont éliminés sans que l'affaire soit portée devant les masses.
Certains dirigeants du PDG désapprouvaient de plus en plus ouvertement la politique « aventuriste » de M. Sékou Touré. Cette politique entraînait la pénurie répétée des produits de base et la rupture totale avec la France. La bourgeoisie bureaucratique se scinda progressivement en trois fractions rivales.
La préparation du 8e Congrès donna libre cours à la manifestation des contradictions au sein de la bourgeoisie guinéenne.
La bataille pour le renouvellement des organismes de base se fit autour des mots d'ordre : « Il faut que les bouches s'ouvrent », « Elimination des révolutionnaires fatigués, des corrompus, des régionalistes ». Par ces mots d'ordre démagogiques, la première et la troisième fractions voulaient tourner la colère des masses laborieuses et la base du PDG contre la deuxième fraction, présentée comme responsable de la situation catastrophique du pays. En effet, il était de notoriété publique que le mécontentement des masses état si profond qu'il frisait la révolte. Certains membres et responsables des organisations de base, qui étaient directement en contact avec les masses et qui, mystifiés par la phraséologie de Sékou Touré, croyaient encore le PDG progressiste, étaient mécontents de la situation. Le même phénomène s'observait au niveau des syndicats et de la jeunesse ; ces éléments ne comprenant pas que le PDG était le parti de la bourgeoisie bureaucratique, étaient enclins à considérer certains membres de la direction comme des bourgeois infiltrés. Le renouvellement des organismes de base se fit donc en faveur de la première et de la troisième fractions. Celles-ci cherchèrent aussitôt à exploiter cette situation.
Ce fut le but des articles de Magassouba Moriba, ministre de l'Education nationale, un des chefs de file de la troisième fraction. Naïvement, celle-ci croyait que son heure était arrivée et qu'elle bénéficierait de l'appui total de la fraction Sékou Touré. Elle avait surtout présumé de ses forces et sous-estimé considérablement les forces réelles de la deuxième fraction. Sans s'attaquer à la nature même du régime, à sa politique de classe qui était la raison profonde de tous les malheurs du peuple, cet article se contentait de reprendre à son compte les critiques superficielles qui circulaient couramment au sein des masses. Citons-en quelques passages caractéristiques (Horoya, les 23 et 24 août 1967) :
« J'ouvre la bouche pour dire d'une façon rétrospective que le VIe congrès, baptisé Congrès de la vérité et de la responsabilité militante, n'avait pas connu tout le succès escompté. Pourtant les militants avaient dénoncé tout le mal au cours de leurs réunions régulières. Mais malheureusement, la plupart de leurs porte-parole avaient menti au parti, donc à eux-mêmes et au peuple tout entier. Ils avaient refusé de prendre leurs responsabilités historiques. Cela était grave pour la révolution. Il est effectivement bien connu de notre peuple que le VIe congrès fut, en 1962, une mystification.
Ces critiques superficielles ne touchaient pas aux causes fondamentales des maux dont souffrait le peuple de Guinée.
En effet, une telle situation n'était que le résultat de la politique de classe menée par la bourgeoisie bureaucratique dont l'auteur faisait partie. La deuxième fraction de la bourgeoisie bureaucratique comprenant parfaitement que l'article était dirigé contre elle, réagit vigoureusement par l'intermédiaire de la « Voix de la Révolution » (Radio Conakry) et de certains responsables politiques et administratifs.
Cette réaction fut si vive que la fraction Sékou Touré (qui était favorable à l'article) se vit contrainte de se désolidariser en partie des propos de Makassouba et d'obliger celui-ci à faire une autocritique.
Ainsi, il apparaissait clairement que l'élimination d'une fraction exigerait une dure bataille. Rien n'était encore joué, malgré le tapage fait autour des mots d'ordre démagogiques du 8e Congrès, entre la deuxième et la troisième tendances. Par contre, la première avait désormais une position renforcée et abordait le congrès dans de meilleures conditions.
Lors du congrès, des contradictions opposant la base du PDG à la direction, apparurent avec netteté. En effet, la différenciation sociale était désormais si poussée que les masses se rendaient effectivement compte des contradictions entre elles et la bourgeoisie guinénne. C'est pourquoi, il n'était plus possible de nier l'existence des classes et de la lutte des classes en Guinée, d'autant plus que les cadres les plus en contact avec les masses le constataient euxmêmes. C'est ce qui explique que Sékou Touré, qui avait toujours proclamé l'inexistence de classes et plus encore de la lutte des classes en Guinée, ait formellement reconnu leur réalité. D'autre part, les masses s'étaient rendues compte de l'abîme qui séparait les paroles et les actes des dirigeants. La pratique quotidienne leur montrait nettement que ce qui était fait différait totalement de ce qui était dit. Certains responsables de la base ne pouvaient pas ignorer ce fait et les interventions de certaines fédérations furent à cet égard caractéristiques (Horoya, 1er octobre 1967).
C'est ainsi que Kérouané demandait la « poursuite de l'application permanente de la loi-cadre du 8 novembre (confiscation des biens mal acquis). Dans le domaine de l'habitat, la Fédération Kérouané souhaiterait qu'au lieu d'accorder des prêts à des particuliers, qui se livrent plus tard au commerce, l'Etat construise des cités ouvrières. L'Etat seul devrait détenir le monopole des transports ».
Labé demandait à l'Etat de « poursuivre les prêts aux coopératives agricoles ».
Pour Macenta, la loi-cadre du 8 novembre être intégralement appliquée.
Mamou saluait « chaleureusement le fait que la lutte des classes sociales, véritable source d'énergie de l'histoire, et des victoires du peuple qui combat dans ce sens, figure en bonne place dans les rapports présentés ». Il demandait « la reprise de toutes les enquêtes et l'application de toutes les dispositions de la loi-cadre du 8 novembre ».
Pour Koundara, les efforts devaient « tendre à la radicalisation systématque de la révoluton et à un choix judicieux des responsables sur la base de l'honnêteté, de la fidélité, et de l'attachement au Parti ». Le rapport de doctrine et d'orientation du secrétaire général du PDG se fit l'écho de ces préoccupations (Horoya, 27 septembre 1967).
A la suite du rapport de doctrine et d'orientation de Sékou Touré, l'existence des classes sociales et de la lutte des classes est formellement reconnue. Il est dit notamment :
L'intérêt des masses laborieuses exige que la classe ouvrière, la paysannerie et les éléments progressistes dirigent et contrôlent tous les secteurs vitaux de la vie nationale, que les éléments réactionnaires de la bourgeoisie, de la bureaucratie, et du capitalisme, même national, soient écartés du pouvoir d'orientation, de décision et de contrôle, (Horoya, 26 septembre 1967).
Une rigueur plus ferme dans le choix des hommes. Nul ne peut être responsable du parti et de l'Etat à quelque niveau que ce soit s'il se livre à quelque pratique d'exploitation de l'homme par l'homme… S'il exploite ou fait exploiter pour son compte personnel une entreprise à caractère commercial ou industriel… S'il a un comportement et des attitudes en violation de la morale et de l'austérité révolutionnaire (Résolution générale, Horoya, 3 octobre 1967).
En dépit de ces belles résolutions, la même direction fut reconduite au niveau du bureau politique de sept membres et du comité central. Les secrétaires fédéraux qui se retrouvaient dans le comité central étaient, dans l'immense majorité des cas, déjà délégués au 6e Congrès que M. Makassouba lui-même avait dénoncé. C'est qu'en réalité, cette phraséologie pseudo-révolutionnaire ne servait qu'au renforcement du pouvoir de la bourgeosie bureaucratique, tout en continuant à mystifier les masses pour avoir leur appui. D'ailleurs, en examinant la composition des délégations, on se rend compte précisément que la petite boutgeoisie urbaine et la bourgeoisie bureaucratique étaient largement majoritaires : le chiffre avoué des délégués fonctionnaires était de 398 sur 724. De plus, ceux que l'on présentait comme paysans, étaient le plus souvent des agents de la fonction publique encore en activité ou d'anciens agents et des commerçants ayant largement bénéficié de crédits pour exploiter des propriétés avec des moyens modernes et des salariés agricoles. C'est ce qui apparaît d'ailleurs dans le salut de la CNTG : « Un véritable engouement s'est créé en faveur de l'agriculture, même pour les populations des grandes villes où des fonctionnaires et des commerçants se sont retirés dans la campagne pour défricher et cultiver» (Horoya, 29 septembre 1967).
Quant au contrôle « des biens mal acquis », il fut reconnu presque unanimement par le congrès que la « loi-cadre » du 8 novembre 1964 n'avait jamais été appliquée (Horoya, 1er octobre 1967. “Interventions des fédérations”). C'est que les contrôleurs étaient ceux qui devaient être effectivement contrôlés.
Cependant, s'il renforçait le clan de Sékou Touré, le 8e Congrès ne résolvait pas pour autant les contradictions, bien au contraire. Celles-ci allaient s'aiguiser après le coup d'Etat des militaires maliens et aboutit aux événements de mars-avril 1969 ou « complot des militaires ». L'affrontement entre les différentes fractions de la bourgeoisie bureaucratique et compradore avait été évité lors du 8e Congrès. Chaque fraction était restée sur ses positions. Après ce congrès, Sékou Touré apparut encore plus inutile et plus nuisible pour la deuxième fraction bourgeoise. Celle-ci, qui s'était considérablement enrichie, aspirait désormais à jouir pleinement et totalement des biens amassés à l'instar de ses collègues ivoiriens ou libériens. Elle n'avait plus besoin de se cacher derrière Sékou. Ce dernier, d'instrument privilégié de la bourgeoisie, devenait un objet encombrant dont il fallait se débarrasser au plus tôt. L'impérialisme yankee qui avait soutenu fermement Sékou, devenait plus mou depuis qu'il était en passe (avec les accords sur le Mont Nimba) de réaliser la mainmise totale sur les richesses guinéennes. Il devenait tentant pour l'ogre yankee de changer de cheval, d'autant plus que « le responsable suprême » devenait dangereux du fait de son impopularité croissante.
Ainsi, les intérêts des impérialistes yankees et ceux de la majorité de la bourgeoisie guinéenne coïncidaient de plus en plus. L'impérialisme français qui avait longtemps tenté, sans succès, de faire cavalier seul, ne voyait plus d'un mauvais oeil la formation d'une équipe d'union nationale regroupant valets américains et valets français sous la haute direction des Etats-Unis.
Désormais conscient qu'il ne pouvait que compter de moins en moins sur son ancien maître, haï de ses anciens associés, Sékou va donc s'engager dans une démagogie « révolutionnaire » encore plus profonde : révolution culturelle, nécessité de lutter contre la bourgeoisie, etc. Des intellectuels opportunistes et arrivistes, grisés par l'importance que semblait leur donner Sékou, vont le seconder dans sa tâche. Ce sont les Keïta Mamadi, Nénékhaly Condetto, Diallo Alpha Taran, et bien d'autres. Sékou Touré changeait ainsi progressivement son équipe politique. Les associés d'hier, tant ceux mis à la touche que ceux en sursis, devaient dès lors accélérer le processus de son élimination.
Une course de vitesse s'engageait : la fraction minoritaire de la bourgeoisie, regroupée autour de Sékou, allait-elle, avec l'appui des jeunes loups intellectuels aux dents longues, contenir ses adversaires ou allait-elle être balayée ? La réponse fut donnée par les événements de mars-avril 1969. La fraction Sékou, appuyée par l'aile montante de la bourgeoisie, élimina brutalement une bonne partie de ses adversaires. De hauts dignitaires de l'Etat, accusés de « complot », sont arrêtés et condamnés à mort 3. A l'époque, L'Etudiant guinéen, organe de l'Association d'étudiants guinéens en France, section de la F.E.A.N.F., écrivait :
L'élimination de certains grands dignitaires (Kaman Diaby, Keïta Fodéba, Fofana Karim, Barry Diawadou, etc.) n'est qu'une péripétie. Sékou Touré loin d'avoir gagné, est au contraire de plus en plus menacé : la brutalité et l'ampleur de la répression n'ont fait que radicaliser l'affrontement entre les fractions bourgeoises rivales. Désormais, une seule loi s'impose : “C'est toi ou moi” ; “Je te liquide ou tu me liquides”.
Les événements des 22 et 23 novembre 1970 viendront moins de deux ans après montrer à quel point cette prévision était juste.
D'épurations en règlements de compte, la direction du PDG voyait ses assises politiques se rétrécir comme une peau de chagrin. D'autant plus que l'opposition bourgeoise exilée, groupée au sein du prétendu Front de Libération nationale de Guinée (FLNG), ne restait pas inactive.
Le FLNG était né de la conjonction de deux courants : un courant ultra-réactionnaire représenté par les partisans de l'ancien Bloc africain de Guinée (BAG) et un courant ultra-opportuniste formé d'intellectuels tarés et dégénérés. Le premier courant s'était caractérisé avant l'indépendance par sa soumission servile aux milieux ultra-colonialistes. Après l'indépendance, lorsqu'il fallut opter pour la nationalité guinéenne, certains d'entre eux préférèrent plutôt quitter le pays afin de conserver leur statut de fonctionnaires français. Ce sont ces vieux fossiles pétrifiés et poussiéreux que l'impérialisme français sortit du musée de l'histoire coloniale, pour former le prétendu FLNG. Ils furent aussitôt rejoints par quelques intellectuels opportunistes.
Le FLNG, loin d'être un Front de libération, était un véritable parti ultra-réactionnaire et anti-africain. L'essentiel de son programme se ramenait à :
Très vite, le « Front » se discrédita par des actes et des comportements des plus ignobles : corruption et régionalisme, exactions à Abidjan contre les patriotes guinéens qui refusaient de se prostituer dans ce mouvement pro-impérialiste. Mais surtout, les sévères coups qui lui furent portés par les progressistes guinéens, particulièrement par le mouvement étudiant, l'ébranlèrent. Il éclata sous le choc des ambitions individuelles, des oppositions ethniques et de la corruption.
Replâtré quelques temps après, le mouvement sollicita le soutien du Portugal et de l'Afrique du Sud. C'est cette alliance qui sera à la base des événements des 22 et 23 novembre 1970.
Ces événements sont venus brutalement mettre à nu, et de manière sanglante, les contradictions de la Guinée actuelle : contradictions inter-impérialistes, contradictions au sein des fractions d'un même impérialisme, contradictions au sein de la bourgeoisie guinéenne.
Le 22 novembre à l'aube, un débarquement de 350 mercenaires environ dont une centaine d'anciens soldats guinéens de l'armée coloniale française, et environ deux cents Portugais, a lieu sur cinq points de la ville de Conakry. En moins d'une heure, les mercenaires ont occupé deux camps militaires, les ministères de la Défense et de l'Information, ainsi que la centrale électrique, incendié la villa présidentielle, libéré des prisonniers portugais, procédé à des raids contre la gendarmerie et des postes de police, tué une cinquantaine de militaires guinéens, attaqué enfin le camp du PAIGC. Ils ont occupé des points stratégiques de 2 heures du matin à 13 heures sans subir aucune attaque. L'action déclenchée contre eux, à partir de 14 heures, fut essentiellement le fait des combattants du PAIGC.
Si l'instrument direct de l'intervention en Guinée a été le Portugal et quelques éléments guinéens, les différents impérialismes ont été plus ou moins concernés.
La bourgeoisie portugaise est divisée sur la politique à mener outre-mer. La bourgeoisie libérale, opposée à l'aspect ultra-conservateur et policier du régime instauré par Salazar et ses successeurs, est favorable à l'indépendance des colonies, évidemment pas une véritable indépendance, mais celle du type des anciennes colonies françaises.
Cela à la fois pour des raisons de politique intérieure et extérieure. A l'intérieur, l'indépendance des colonies affaiblirait les ultra-colonialistes, soutiens les plus fanatiques du régime Caetano ; elle affaiblirait la base économique de la bourgeoisie conservatrice et favoriserait la bourgeoisie moderne ;celle-ci pourrait espérer transformer l'économie archaïque qui est celle du pays actuellement. Sur le plan extérieur, le Portugal serait moins en butte à l'hostilité de l'opinion internationale. Mais cette bourgeoisie libérale ne joue actuellement aucun rôle dans l'appareil d'Etat qui est entièrement aux mains des ultra-colonialistes. Ces derniers peuvent compter sur l'appui d'un certain nombre de leurs alliés.
D'abord la République fédérale d'Allemagne (RFA), dont le soutien inconditionnel n'a jamais fait défaut. Les intérêts allemands sont énormes en Angola et au Mozambique et l'impérialisme ouest-allemand dispose de nombreuses facilités pour ses troupes sur le territoire du Portugal (provinces de l'Aleteic, et de l'Algarne, soit près du tiers du Portugal).
Les Etats-Unis ensuite, dont l'appui avait été total et inconditionnel jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Kennedy. Ce dernier, représentant les intérêts du néo-capitalisme américain, voulut prendre ses distances avec les ultra-colonialistes portugais. Il estimait que la politique africaine du Portugal était dangereuse pour l'Occident. En effet, les luttes armées, en se prolongeant, vont se radicaliser toujours davantage ; elles risquent alors de conduire à une véritable révolution nationale démocratique et populaire dans ces colonies et à la création d'Etats anti-impérialistes conséquents. Ce qui, non seulement liquidera les intérêts impérialistes en Angola, Mozambique et Guinée-Bissau, mais sera une menace pour ces mêmes intérêts dans les autres Etats africains. Tandis qu'une négociation avec les éléments modérés permettrait de substituer à ces colonies des néo-colonies. La première manifestation publique de cette nouvelle attitude des Etats-Unis eut lieu dans le cadre des Nations Unies lorsqu'en mars et avril 1961, le délégué américain soutint une résolution hostile à la politique africaine de Lisbonne. Kennedy fit réduire, par la suite, l'aide militaire au Portugal de 25 à 3 millions de dollars et apporta un appui beaucoup plus ferme à Roberto Holden, agent des Etats-Unis. Il soutint aussi le Frelimo de Mozambique et fit pression sur le gouvernement portugais pour l'obliger à négocier. Le gouvernement portugais savait qu'il pouvait compter sur des amis sûrs aux Etats-Unis, surtout au Pentagone (le général Duk Stikker, secrétaire général de l'OTAN, ne déclarait-il pas en octobre 1961 à Lisbonne : « Nous devons nous unir contre le danger communiste. ») Aussi, loin de se plier à la volonté de Kennedy, il passa à l'offensive et menaça de ne pas renouveler, en 1962, le traité américano-portugais sur les bases américaines. Kennedy fit machine arrière et le gouvernement américain revint à sa politique traditionnelle de soutien au Portugal.
Quant à l'impérialisme français, son soutien et son aide au Portugal sont constants.
Le Portugal n'aurait jamais osé intervenir sans le feu vert et l'appui d'un certain nombre de ses alliés. D'abord d'une partie du gouvernement et des services secrets yankees, ensuite des ultra-colonialistes français et enfin de l'impérialisme ouest-allemand.
Les Etats-Unis ont obtenu à peu près tout ce qu'ils voulaient en Guinée (fer, bauxite, etc.). Sékou leur devient peu utile sur ce plan, désormais. Au niveau international et principalement africain, Sékou Touré leur servait d'instrument contre de Gaulle. Mais le rapprochement franco-américain a dévalorisé aussi ce rôle. Désormais, Sékou devient encombrant. Cependant, l'impérialisme américain qui dispose d'ntérêts énormes en Guinée, n'entend se débarrasser de Sékou que s'il est sûr de lui trouver un successeur tout aussi dévoué sinon plus, aux intérêts US. Il ne veut pas prendre de risque inutile qui favoriserait le renforcement des intérêts français, ou, pire, entraînerait un processus incontrôlable qui aboutirait à une véritable révolution nationale, démocratique et populaire. Aussi, tout en cherchant l'oiseau rare capable de faire l'affaire, il continue à soutenir Sékou. L'impérialisme américain est en fait divisé. Tandis qu'une fraction donnait son appui au Portugal et l'aidait à intervenir, une autre fraction avertissait Sékou Touré (Ismaël Touré, membre du BPN et ministre des Finances, a avoué lui-même qu'ils avaient été avertis officiellement par l'ambassade américaine en Guinée).
Les ultra-gaullistes et les ultra-colonialistes français voyaient d'un mauvais oeil le rapprochement franco-guinéen actuel. Il était tentant pour eux de participer au renversement de Sékou Touré (qu'il rendait responsable du « Non » historique du peuple de Guinée).
Une importante fraction de l'impérialisme ouest-allemand qui voyait d'un très mauvais oeil la reconnaissance de la RDA par un nombre croissant d'Etats d'Afrique, désirait bloquer ce processus. Ces milieux ultra-revanchards s'intéressaient de plus en plus à l'opposition réactionnaire guinéenne, depuis la démission de Nabi Youla, l'ambassadeur de Guinée à Bonn. Le désir de voir partir de Guinée les techniciens de la R.D.A. les poussèrent à soutenir cette opposition. Le territoire de l'Allemagne devint ainsi une des plaques tournantes de l'aile bourgeoise opposée a Sékou et les milieux ultra-réactionnaires son principal soutien financier.
La compréhension du déroulement des événements et des conséquences ultérieures n'est possible qu'à la lumière de la situation politique qui prévalait à l'intérieur et l'attitude de la CIA.
La situation intérieure, dans le deuxième semestre de 1970, était catastrophique :
Un moment, au mois de septembre, Sékou Touré tenta de tourner cette colère contre les gouverneurs, présentés alors comme les seuls responsables. Mais si les masses ne furent pas dupes, Sékou s'aliéna les gouverneurs. Le mécontentement devint si manifeste que des cadres dirigeants du PDG à N'Zérékoré se rendirent en délégation auprès du ministre résident pour leur faire comprendre qu'ils en avaient « marre » et « ne voulaient plus entendre parler de Sékou Touré ». Le ministre résident qui connaissait l'état d'esprit de la population n'osa pas les arrêter. Tous les responsables nationaux savaient désormais que le gouvernement n'en avait plus que pour quelques mois. Ce fut la panique généralisée. Chacun voulait sauver et sa peau et sa situation ; la plupart cherchaient à ne pas être précipités dans le gouffre avec Sékou Touré. Dès lors, ce fut l'ère des intrigues. Les fidèles lieutenants d'hier se mirent à préparer le renversement du « roi ». Sékou Touré savait que certains de ses collaborateurs les plus proches étaient dans le coup contre lui, il savait que des clans s'étaient formés dans le gouvernement et dans le PDG pour le balayer.
En effet, la bourgeoisie bureaucratique et compradore était traversée de courants multiples dont les intérêts devenaient de moins en moins convergents. Les jeunes opportunistes de l'aile bourgeoise montante avaient tenté, en vain, de convaincre Sékou Touré de se débarrasser des « bourgeois dégénérés ». Le « responsable suprême » préférait pratiquer la politique d'équilibre ; il préférait maintenir la bride sur le coup de ces jeunes loups voraces en contrebalançant leur influence par celle des « bourgeois dégénérés ». Face au refus persistant de Sékou Touré, les aspirants à la direction envisagèrent la possibilité de se débarrasser de lui. Les « bourgeois dégénérés », qui craignaient une telle issue, envisageaient de leur côté de se débarrasser du président. Ainsi, la coexistence pacifique entre les trois fractions de la bourgeoisie au pouvoir devenait de plus en plus fragile ; le mécontentement des masses guinéennes obligeait chacune des trois à tenter de résoudre les contradictions en sa faveur. Les éléments bourgeois exilés qui croyaient leur heure venue, pensaient aussi pouvoir profiter de la situation. Les somnambules du prétendu FLNG, qui ignoraient tout du peuple de Guinée, croyaient naïvement qu'en tentant une action, ils seraient reçus en sauveurs. C'est en tenant compte de ces contradictions que l'impérialisme américain a manoeuvré pour être, quoiqu'il arrive, le principal bénéficiaire de l'opération. Du fait de la situation intérieure, Sékou Touré devenait un mauvais cheval et il devenait urgent soit de l'éliminer, soit de lui redorer le blason d'une façon ou d'une autre. Bien que disposant d'une équipe de rechange (des ministres en exercice comme Ismaël Touré, Karim Bangoura, des anciens ministres comme Saïdou Conté), l'impérialisme yankee craignait des bouleversements qui risquaient de créer une situation incontrôlable. Là où elle est maîtresse du terrain, la CIA préfère la stabilité et l'exclusivité. Ne pouvant plus maintenir cette stabilité, elle prit un risque calculé. D'un côté, elle donna sa bénédiction au Portugal, de l'autre, elle avertit le gouvernement guinéen de l'imminence d'une attaque.
C'est l'ensemble de ces données qui expliquent les événements du 22 novembre 1970, ainsi que les condamnations et les exécutions qui ont suivi. En refusant sa collaboration totale sur le terrain, la CIA ruinait toutes les chances de réussite de l'opération. Son machiavélisme s'est révélé très payant. En effet, si l'un de ses deux objectifs, le démantèlement du PAIGC, a échoué, le second, le renforcement de Sékou Touré, a réussi. De tous côtés, des télégrammes de soutien sont parvenus à ce dernier. Les agents les plus notoires de l'impérialisme yankee ont orchestré la campagne consistant à présenter Sékou Touré comme victime de l'impérialisme international, obligeant ainsi des forces progressistes à le soutenir. Sékou Touré, de son côté, a mis en avant le PAIGC, présenté comme la cible principale, et le Portugal, l'agresseur.
Mais Sékou Touré ne se contentait pas de cette première victoire, qui satisfaisait entièrement l'impérialisme yankee. Il allait au contraire en profiter pour tenter d'écraser toutes les oppositions à son régime. Alors que, dans les premiers jours, son gouvernement niait toute participation intérieure, Ismaël Touré, membre du bureau politique et ministre du domaine financier, principal accusateur lors des « procès », affirmait que « l'agression intérieure était plus importante que l'agression extérieure ». Sur les 91 condamnations à mort, figurent à peine quatre citoyens portugais ; par contre, on y trouve :
[Voir La vérité du ministre. — T.S. Bah]
Alors que, dans les premiers jours, le gouvernement, pour bénéficier du soutien des forces progressistes, mettait en avant le PAIGC, en janvier, celui-ci était réduit au silence le plus total.
Avec les événements du 22 novembre et leur prolongement, le voile s'est brutalement déchiré, les réalités guinéennes sont mises à nu. Quelles sont ces réalités ?
Selon Ismaël Touré, l'armée se trouvait à la campagne. Mais comment état-il possible que l'armée fut presque tout entière à la campagne alors que, selon les dires du même ministre, le gouvernement guinéen avait été informé depuis octobre de l'imminence de cette attaque, du lieu d'entraînement (Guinée-Bissau) des mercenaires et jusqu'au mois prévu pour le coup. Où était passé l'énorme équipement militaire fourni par les pays socialistes, les Etats-Unis et l'Allemagne Fédérale, puisque l'armée n'en disposait pas au moment de l'attaque ? En fait, le gouvernement guinéen, qui se méfiait de son armée au point que seul le chef d'Etat disposait de la clé des munitions, avait décidé, après le coup d'Etat du Mali, de casser cette armée en la dispersant à travers le pays. Il mit à exécution cette décision après le coup d'Etat manqué de l'armée en avril 1969.
Après cette dispersion de l'armée, le gouvernement faisait d'une pierre deux coups :
Comment expliquer cette méfiance d'un « gouvernement populaire » à l'égard de son « armée populaire » ? Comment un gouvernement, qui se targue de « construire le socialisme », peut-il se méfier d'une armée dont Sékou Touré disait lui-même qu'elle était « populaire dans sa vocation et révolutionnaire dans son comportement », ajoutant « bien qu'issus pour la plupart des armées coloniales, les membres de l'APG se sont totalement reconvertis à cette nature nouvelle donnée à leur mission dans le cadre du régime populaire guinéen… (L'armée guinéenne) elle constitue une véritable école de civisme et de formation professionnelle des citoyens et des citoyennes. »
C'est que les contradictions qui secouent la bourgeoisie guinéenne se retrouvent au sein de l'armée. C'est ce qui explique que la fraction bourgeoise dirigée par Sékou Touré, au pouvoir depuis douze ans, ne peut pas du tout compter sur cette armée malgré les affirmations du « responsable suprême de la révolution guinéenne ».
Les Etats-Unis restent l'allié privilégié du gouvernement guinéen. Le gouvernement yankee fut le premier à parler de participation de forces extérieures ; il fut le premier à apporter une aide à Sékou (4 700 000 dollars). Alors qu'il avait reçu des centaines de télégrammes, ce dernier s'empressait de répondre en priorité à Nixon pour le remercier.
Le prétendu FLNG apparaît désormais sous son vrai visage, celui d'un instrument des pires ennemis de l'Afrique, des milieux ultra-colonialistes les plus notoires. Les éléments du FLNG qui voyaient les masses guinéennes à leur propre image, disaient à qui voulait l'entendre que le peuple guinéen en avait tellement assez du régime de Sékou, qu'il était prêt à se donner au premier venu. Ses éléments tarés du prétendu « regroupement des Guinéens en Europe », n'allaient-ils pas jusqu'à affirmer que le peuple guinéen regrettait l'époque coloniale et souhaitait vivement le retour de l'impérialisme français !
Mais, loin d'être accueillis en sauveurs, les mercenaires et les pantins du FLNG ont rencontré d'abord l'indifférence générale des masses guinéennes, puis leur hostilité dès qu'elles ont connu la composition (présence portugaise) des forces débarquées.
Le prétendu FLNG a fait preuve ainsi de sa méconnaissance totale du peuple guinéen au nom de qui il prétendait parler. En effet, il est incontestable que les éléments bourgeois et petits bourgeois, habitués aux produits français (mieux finis que ceux des Etats de l'Europe de l'Est), souhaitaient la présence française. Mais l'écrasante majorité du peuple (paysans et ouvriers), qui était privé de produits de luxe pendant l'ère coloniale, ne pouvait évidemment pas les regretter. Ceux qui rêvent de faire de la Guinée une nouvelle Côte-d'Ivoire ont reçu la réponse du peuple guinéen. Les conditions de l'accession à l'indépendance et le travail politique fait par les progressistes guinéens (en dépit de leurs erreurs et insuffisances), pendant les deux prernères années de l'indépendance, ont laissé une trace indélibile. Les masses guinéennes sont fondamentalement anti-colonialistes ; elles ont acquis une certaine maturité politique qui leur interdit de s'abandonner aux sirènes colonialistes.
Après les événements de novembre 1970, les quelques intellectuels opportunistes regroupés à Paris au sein du « FLNG » ont beau se démener (déclarations largement reproduites par la presse de droite), ils ne peuvent plus tromper. Corrompus jusqu'à la moelle, aveuglés par une ambition morbide qui n'a d'égal que leur médiocrité, ils ont rejoint dans la poubelle de l'histoire africaine les Tschombé.
Discréditée par son alliance avec les pires ennemis de l'Afrique, la section européenne du « FLNG » tente de créer le change en changeant de sigle et en se présentant comme un mouvement d'entraide sociale : « Regroupement des Guinéens en France ». Mais en fait de regroupement, on n'y retrouve que quelques attardés de l'ère coloniale et quelques intellectuels opportunistes, corrompus et mégalomanes.
En Guinée, la décomposition du régime de Sékou Touré s'est accélérée après novembre 1970. L'affrontement entre les différentes fractions de la bourgeoisie bureaucratique a pris une tournure sanglante :
La prétendue lutte contre la “cinquième colonne” a entrainé l'élimination brutale des deux tiers des plus hauts responsables politiques et administratifs du pays. Sékou Touré, son frère Ismaël Touré et son beau-frère Mamadi Keïta ont, par leur action sanglante, exacerbé la haine des rescapés des autres fractions bourgeoises.
Le pouvoir en Guinée est aujourd'hui de plus en plus familial sur sept membres du bureau politique, quatre sont de la famille de Sékou Touré :
La seule force armée qui existe actuellement est placée sous les ordres de Siaka Touré, neveu de Sékou. Un autre beau-frère de Sékou, Sékou Chérif, est ministre du Développement local de la Moyenne Guinée.
Enfin, il faut ajouter que deux frères et beaux-parents de Moussa Diakité occupent de hauts postes : Toumani Sangaré est ministre de l'Armée « populaire » et N'Faly Sangaré gouverneur de la Banque centrale.
L'élimination brutale de la plupart des anciens dignitaires n'a pas mis fin aux contradictions de la bourgeoisie bureaucratique et compradore actuellement au pouvoir. Trois fractions se partagent actuellement le pouvoir. Les trois ont pour chef de file un membre de la famille de Sékou Touré :
L'année 1972, jusqu'au 9e Congrès, a été marquée par la lutte sourde entre Ismaël Touré et Mamadi Keïta, les deux principaux prétendants à la succession.
Chacun d'eux s'est ingénié à faire arrêter le maximum de partisans de l'autre comme membres de la “cinquième colonne”. Cependant le contexte politique (dénonciation des « bourgeois dégénérés », campagne de mystification, phraséologie ultra-gauchiste) favorisait Mamadi Keïta et son clan. Il devenait urgent pour Sékou Touré de freiner son ascension qui constituait une menace pour lui. D'où la convocation du 9e Congrès. Ce Congrès assure la prépondérance de la fraction de Sékou ; Lansana Beavogui devient Premier ministre, N'Famara Keïta ministre du Domaine social, Fily Cissoko ministre des Affaires Etrangères.
Par contre, la troisième fraction sort du Congrès affaiblie : Mamadi Keïta ne vient qu'au quatrième rang au bureau politique (après Sékou Touré, Beavogui, et surtout après son rival Ismaël Touré).
La fraction Sékou est donc celle qui dirige actuellement ; assurée du loyalisme de Siaka Touré, elle n'a rien à craindre, momentanément, des deux autres fractions. Sékou Touré peut se permettre de sortir, Beavogui et Siaka Touré veillent.
Momentanément rassuré sur le plan intérieur, Sékou Touré réoriente sa diplomatie afin de se réconcilier avec les autres chefs d'Etats africains.
En dépit des innombrables faits qui montrent l'alliance entre le régime guinéen et l'impérialisme le plus féroce, l'impérialisme américain, ainsi que la nature anti-populaire de ce régime, des mouvements ou des partis progressistes, en Europe, et dans d'autres parties du monde, apportent leur soutien à Sékou Touré. Comment peut-on expliquer ce soutien en apparence aberrant ?
La première raison est la méconnaissance profonde des réalités guinéennes. Cette méconnaissance est en grande partie due à « la mystification idéologique d'un véritable lobby de complices prétendus « démocrates » qui créent et organisent, dans le mouvement progressiste international, un courant d'opinions à son profit » 4.
L'action d'un certain nombre de progressistes, principalement français, a incontestablement constitué à créer le mythe d'une Guinée progressiste, sinon révolutionnaire. Cette action a constitué à défigurer (consciemment ou inconsciemment ?) les réalités guinéennes.
Si nous prenons l'exemple de M. Suret-Canale, nous sommes frappés par la constance de son soutien au régime de Sékou Touré. Ce soutien imperturbable l'a amené parfois à déformer sciemment les réalités et à avancer des contre-vérités. C'est ainsi qu'il écrivait dans le n° 2 (90) de la Nouvelle Revue Internationale, février 1966, au sujet de la limitation du nombre des militants du PDG par la “loi-cadre” du 8 novembre 1964 :
Cette mesure équivalent, pour la capitale, à la transformation du parti, jusque là parti de masse groupant la majorité de la population en un parti d'avant-garde 5.
Or, nous avons montré que la loi-cadre du 8 novembre 1964 n'était que la conséquence des contradictions au sein de la bourgeoisie guinéenne ; en décidant d'exclure les commerçants des postes de responsablités au niveau du PDG, la bourgeoisie bureaucratique manifestait sa volonté d'éliminer sa rivale, la bourgeoisie compradore, réduisant le nombre des militants du PDG à 30 000, mais disposant (point 11) que « les responsables administratifs, les membres des cabinets ministériels, chefs de services, des entreprises, des sociétés d'Etat seront tenus obligatoirement de militer au sein du Parti », elle confirmait sa volonté de faire désormais du PDG sa chose exclusive. Comment une telle réalité a-t-elle pu échapper à M. Suret-Canale, grand « spécialiste » des questions guinéennes ? Dans la période historique actuelle, le concept de parti d'avant-garde ne s'applique qu'aux partis marxistesléninistes c'est-à-dire le parti du prolétariat. Le parti d'avant-garde ne se définit pas par le nombre limité d'adhérents, mais par son contenu de classe (parti du prolétariat conscient). M. Suret-Canale, historien marxiste, a-t-il découvert une nouvelle avant-garde ? Le prolétariat guinéen est-il formé des responsables administratifs, des membres des cabinets ministériels, des chefs de service, des entreprises, des sociétés d'Etat » ? Une autre contre-vérité de M. Suret-Canale :
Les quelques groupes d'intellectuels Peuls qui, aujourd'hui encore mènent campagne à l'étranger contre le régime guinéen, avec l'appui de l'impérialisme français, ne représentent nullement un particularisme ethnique ou régional qui serait opprimé, mais les ranoœurs de l'ancienne féodalité déchue, à laquelle ils appartiennent tous sans exception. Le fait que parfois ils se proclament révolutionnaires ou se réclament du maoisme ne saurait dissimuler le contenu réel de classe de leur action politique 6.
Il est vrai que parmi les intellectuels qui sont opposés à l'extérieur au régime, il y a des Peuls, ce qui est une évidence puisque les Peuls forment un tiers de la population. Il est vrai que certains, qui sont des fils de féodaux, dissimulent le contenu de classe réactionnaire de leur action politique sous une phraséologie progressiste alors qu'ils servent les intérêts impérialistes français. C'est le cas des intellectuels tarés du « Regroupement des Guinéens en Europe ». Mais ces intellectuels ne représentent qu'une minorité parmi les intellectuels Peuls « exilés » et une infime minorité par rapport à l'ensemble des intellectuels guinéens opposés au régime. L'affirmation catégorique de Suret Canale vise en fait un but précis : discréditer les vrais patriotes guinéens en les présentant comme agents de l'impérialisme français, réduire l'opposition guinéenne à une question régionale. S'il y a des intellectuels guinéens, en Europe, à Dakar et Abidjan, vendus à l'impérialisme français, la grande majorité se bat sur des positions anti-impérialistes conséquentes.
En dehors des contre-vérités (qu'il ne pratique toutefois pas systématiquement), M. Suret-Canale a tendance à présenter les réalités guinéennes sous un aspect partiel et partial. C'est ainsi qu'il énumère constamment les « réalisations guinéennes », sans avouer ce qu'il en est dans les faits (voir numéro de la Nouvelle Revue Internationale, février 1966). Mais malheureusement, les faits sont têtus et on ne peut les falsifier constamment. Aussi, M. Suret-Canale est-il contraint dans son dernier ouvrage 7 de reconnaître un certain nombre de vérités. Bien sûr, il continue à aligner les prétendues réalisations révolutionnaires du régime : émancipation de la femme et des jeunes, mesures sociales favorables aux travailleurs, réforme de l'enseignement, africanisation des cadres, “investissements humains”, réforme monétaire, etc. Cependant, il est obligé de reconnaître que tout ne va pas au mieux :
La corruption des responsables guinéens. « Certains responsables des CMR ont utilisé les machines mises à leur disposition, soit pour agrandir les exploitations de quelques gros paysans de la région, soit pour se créer eux-mêmes leurs grandes exploitations où ils emploient de la main-d'oeuvre salariée. A la régionalisation des CMR, on s'est empressé de les liquider afin de pouvoir s'emparer du matériel et de renforcer l'équipement des exploitations privées ainsi créées ».
L'échec du commerce d'Etat. Trop souvent, ces magasins étaient vides, ou mal approvisionnés, avec des stocks invendables, pendant que les marchandises les plus recherchées disparaissaient pour s'écouler au-delà des frontières ou dans les boutiques des commerçants privés, à des prix excessifs. Beaucoup de magasins d'Etat avaient un chiffre d'affaires qui atteignait à peine le salaire (modeste) du gérant… l'incompétence aidant (la plupart des gérants étaient incapables de tenir une comptabilité même sommaire) et les malversations en étant facilitées, le commerce d'Etat allait à la catastrophe financière 8 …
Dette extérieure énorme. La dette publique extérieure totale se montait en juin 1965 à 200 millions de dollars, dont 60 millions remboursables avant 1970. Le service de cette dette représentait en 1965, 14,6 millions de dollars (soit 1/5 du montant cumulé des exportations et des revenus extérieurs de la Guinée) et devait atteindre en 1969, 17 millions de dollars (soit 35 % de ce même montant, évalué de façon optimiste). La situation est aggravée par le déficit supplémentaire d'environ 1,5 milliard de FG qui résulte de la suspension du service des pensions par la France. Pour le règlement des importations, la Guinée ne dispose pas librement, en devises, de la quotité de valeurs représentées par les exportations. Fria s'en réserve les 2/3 (5,2 milliards) pour ses besoins et le service et l'amortissement de son capital 9.
Malgré ces faits qui parlent d'eux-mêmes, M. Suret-Canale, enfermé dans sa logique de soutien systématique du régime, cherche aussitôt des justifications. Si tout va mal, c'est d'abord la faute du contexte géographique :
« Cette expérience nouvelle allait se dérouler dans un petit pays de trois millions d'habitants, isolé à des milliers de kilomètres des pays susceptibles de lui fournir un appui économique : rien de comparable avec des pays comme l'URSS ou la Chine, disposant au départ, au moins en puissance, de presque toutes les ressources nécessaires à leur développement économique, et des forces de travail permettant de les mettre en œuvre; rien de comparable avec des pays comme la Mongolie ou le Vietnam, adossés à des pays de même orientation économique, sociale et politique, relativement protégés par leur position géographique des influences extérieures contraires. 10 »
S'il existe le Vietnam, il oublie Cuba et surtout l'Albanie.
Ainsi, tout un lobby de « démocrates » de Suret-Canale à Robert Lambotte [du journal communiste l'Humanité], en passant par les différents « africanistes » de la Nouvelle Revue Internationale, s'est donné comme tâche de se faire le chantre de Sékou Touré.
Parallèlement à cette propagande en faveur de ce dernier, la grande presse réactionnaire occidentale continue à qualifier le régime guinéen de révolutionnaire. La haine de cette presse contre le « Non » historique du peuple guinéen ne s'est pas atténuée depuis 1958. La campagne contre Sékou Touré est en fait une campagne contre le peuple guinéen. La haine viscérale déversée à longueur de colonnes par la presse d'extrême-droite et de droite contre le régime est telle qu'elle entraîne une réaction mécaniquement inverse des forces progressistes. Du fait de son mépris pour les peuples africains, cette grande presse est incapable de comprendre que le vote historique de 1958, loin d'être un acte volontariste d'un homme, en l'occurence Sékou Touré, était l'acte conscient et réfléchi d'un peuple courageux et mûr. Ensuite, cette grande presse n'osant mettre en cause directement le peuple guinéen, lui manifeste sa haine à travers la personne de Sékou Touré. Ainsi, la presse occidentale, de l'extrême-gauche à l'extrême-droite, continue à obscurcir la compréhension du problème guinéen.
Cette double action est d'autant plus néfaste à la bonne compréhension des réalités guinéennes, que le régime guinéen, de son côté, y ajoute son grain de sel. L'opinion progressiste internationale a tendance à juger les hommes d'Etat d'après leurs déclarations. Or, le régime guinéen est friand de discours ultra-révolutionnaires et aime pourfendre quotidiennement « l'impérialisme » et les régimes qui lui sont inféodés. Les attaques contre l'impérialisme français sont particulièrement appréciées par cette opinion et impressionnent favorablement les progressistes français. Aussi, l'opinion progressiste internationale se préoccupe-t-elle très peu de savoir si les discours-fleuves des dirigeants guinéens reflètent ou non les réalités guinéennes. D'autant plus qu'il existe une tendance fâcheuse qui consiste à apprécier les régimes africains essentiellement en fonction de leur politique extérieure. Dès qu'un pays établit des relations avec la République Populaire de Chine et développe avec elle des rapports, il est aussitôt baptisé « Etat progressiste ». C'est principalement en fonction de leur politique extérieure qu'on classe les Etats africains en Afrique progressiste et Afrique modérée. Enfin, la raison décisive qui explique le soutien au régime guinéen est la comparaison avec les autres Etats de l'Afrique Noire : « Par rapport à Houphouët ou Senghor, Sékou Touré est un moindre mal ». « Depuis la chute de N'Krumah, il ne reste plus que Sékou ». « En Guinée, tout ne va pas au mieux, il y a des insuffisances, mais à tout prendre cela vaut beaucoup mieux qu'en Côte d'Ivoire et au Sénégal », etc.
Il ne s'agit pas de comparer la Guinée à la Côte d'Ivoire, mais la Guinée à la Guinée. Il s'agit de situer l'action de Sékou Touré en fonction de la situation intérieure de la Guinée et des possibilités qui lui étaient données depuis douze ans pour édifier une Guinée authentiquement africaine. Il s'agit de comparer la Guinée d'aujourd'hui à ce qu'elle aurait du être douze ans après l'indépendance. Les exemples de la Chine, et surtout de l'Albanie, sont là pour montrer ce qu'un peuple véritablement révolutionnaire, armé d'une idéologie authentiquement révolutionnaire et ayant à sa tête une direction soucieuse des seuls intérêts de ce peuple, peut réaliser.
Le renforcement des contradictions entre les différentes frictions bourgeoises africaines va de pair avec la prise de conscience grandissanté des masses africaines. Si le renforcement des contradictions au sommet et l'aggravation de la misère des masses sont manifestes partout en Afrique, l'activité des masses varie par contre selon les pays. Cependant, partout ces masses bougent. Ici et là, éclatent périodiquement des manifestations et parfois des mouvements de révolte spontanée. On peut dire que l'Afrique ressemble actuellement à une chaudière en ébullition dont le couvercle menace de sauter à tout moment. Les masses, un moment trompées, prennent progressivement conscience de la véritable nature des régimes. Cette prise de conscience a été lente. Il faut dire que certains dirigeants africains (Houphouët-Boigny, Modibo Keïta, Lépold Senghor, Sékou Touré par exemple) ont représenté, à un moment donné, l'espoir de leur peuple. Que cet espoir ait été basé sur un malentendu ou une méconnaissance du rôle réel de ces hommes, peu importe, ces hommes ont bénéficié pendant une période d'un soutien populaire réel. Mais avec la misère qui s'accroit constamment, les masses découvrent progressivement les vraies réalités du pays. L'accumulation des richesses du côté d'une faible minorité et l'aggravation de la misère pour l'écrasante majorité deviennent trop manifestes. Alors, le leader qu'on écoutait avec enthousiasme, est apparu sous son vrai visage, celui de président-directeur général de la nouvelle société bourgeoise. Incapable d'offrir des perspectives au peuple, fidèle gérant des intérêts des exploiteurs (impérialistes et bourgeoisie locale), le leader voit les masses se détourner de lui.
L'évolution des masses les porte vers une action indépendante de celle du leader et de la bourgeoisie. Cette évolution est favorisée par la disparition progressive des leaders qui ont bénéficié à un moment donné d'un soutien populaire réel (Sylvanus Olympio du Togo, Modibo Keita du Mali) et d'autres qui ont été des patriotes appréciés de leur peuple (N'Krumah, Ben Bella). Ces leaders constituaient un écran qui cachait la réalité aux masses (à cause de leur passé). Ils ont été remplacés par des hommes qui sont le reflet exact de la médiocrité, du manque d'imagination, de l'indignité, de l'esprit arriviste et du comportement servile des bourgeoisies africaines.
[Le passage ci-dessus dépeint exactement la campagne du Rassemblement pour la Guinée (RPG) et de son candidat Alpha Condé pour l'élection présidentielle 2010. — T.S. Bah]
Cette substitution de nouveaux parvenus aux anciens est bénéfique pour les forces progressistes. Car ces nouveaux venus qui ne bénéficient ni d'un ancien prestige ni de la durée, constituent un instrument incontestable d'éducation des masses par la négative. En voyant évoluer de tels dirigeants, les masses réalisent à quel point le pays est tombé bas. Cette réalité qui était cachée par la présence de l'ancien leader, apparait désormais plus nettement. Les nouveaux dirigeants se tiennent plus franchement au « garde-à-vous » devant les puissances extérieures. De ce fait, les masses ressentent encore plus profondément leur humiliation et leur soumission à des puissances extérieures.
La colère contenue des masses éclate parfois en un vaste mouvement de contestation qui ébranle les bases du régime : (Congo en 1963, Dahomey [actuel Bénin] en 1963, Haute-Volta en 1966). Ainsi à un moment donné, une action historique indépendante des masses se déclenche dans tel ou tel pays. Elle crée brusquement une situation révolutionnaire. Mais jusqu'à présent, aucune de ces situations révolutionnaires n'a abouti à une véritable révolution. Au Dahomey, et en Haute-Volta, l'action des masses a été détournée de leur but et confisquée par les exploiteurs. Au Congo-Brazzaville, le processus révolutionnaire qui pouvait s'engager a été bloqué.
Il y a ainsi, partout en Afrique, une situation pré-révolutionnaire. De temps en temps, sous l'effet brusque, celle-ci se transforme en situation révolutionnaire. Mais pourquoi ces situations révolutionnaires ne se sont pas transformées cri révolution ?
Cette réponse pose le problème des organisations révolutionnaires en Afrique. En effet, un des phénomènes les plus frappants à l'heure actuelle, est l'absence d'organisation de luttes des masses populaires. Les conditions objectives existent pour mettre fin à la domination extérieure en Afrique. Elles jaillissent de l'existence même que mènent les masses, de l'histoire de leurs misères et de leurs luttes, du contraste dramatique entre leur situation et celle des bourgeoisies anti-nationales. Les masses africaines veulent bien se débarrasser des régimes actuels. Pourtant, jusqu'à présent, elles ont échoué dans les tentatives. Pourquoi ? Dès lors que, face aux bourgeoisies anti-nationales organisées, avec leur appareil d'Etat, leurs armées et polices, les masses ouvrières et paysannes qui forment plus des 98 % de la population ne se sont pas organisées par elles-mêmes, c'est-à-dire de façon indépendante de la bourgeoisie politique et bureaucratique, avec des directions reconnues par elles-mêmes, il n'est plus étonnant que le flot de leur colère, au cours des crises politiques, vienne échouer contre les multiples barrages érigés à de différents niveaux par ceux qui détiennent le pouvoir d'Etat. Le problème à résoudre, pour les révolutionnaires africains, est donc celui des organisations, c'est-à-dire des conditions subjectives de la révolution.
Deux phénomènes préparent actuellement l'apparition des conditions subjectives de la révolution : l'apparition d'intellectuels africains révolutionnaires et le développement des luttes armées en Afrique.
Si un grand nombre d'intellectuels africains ont choisi le camp des forces d'oppression, quelques-uns ont su comprendre les tâches historiques qui devaient être les leurs. Ils ont compris qu'ils devaient lutter au sein des masses pour libérer effectivement l'Afrique. Ils ont compris que, du fait de leur choix, ils devaient intégrer les masses populaires, et s'éduquer en leur sein pour se débarrasser de leurs défauts petits-bourgeois. Osendé Afana, et Mitudidi représentaient le type de ces nouveaux intellectuels. Tous deux sont tombés dans le maquis, les armes à la main. Au Kamerun, au Congo-Kinsaha, dans les colonies portugaises, en Rhodésie [actuel Zimbabwe] et en Afrique du Sud, d'autres intellectuels ont suivi leur exemple. Ils participent concrètement à la lutte armée. Beaucoup ont payé de leur vie cet engagement.
Au niveau des étudiants, la prise de conscience sur la nécessité de s'engager auprès des masses africaines est devenue une réalité. Cette prise de conscience est le fruit de deux séries de facteurs : la réflexion sur les causes de l'opportunisme au sein des intellectuels africains et l'arrivée dans les universités africaines d'une nouvelle génération d'étudiants.
Le mouvement étudiant africain a eu à se pencher sur les causes de l'opportunisme et sur l'échec des luttes en Afrique. Avec courage et lucidité, il a tiré les leçons de ses erreurs et défini ses tâches. Le fruit de ces réflexions peut être résumé par le mot d'ordre des 19e et 20e congrès de la Fédération des Etudiants d'Afrique Noire en France (FEANF) :
Etudiants, intellectuels, intégrons-nous aux masses ouvrières et paysannes, éduquons-nous auprès d'elles et participons en leur sein à la naissance et au renforcement d'organisations d'avant-garde, supports essentiels d'un front antiimpérialiste conséquent pour la libération et l'unification de l'Afrique.
Dans les universités africaines, nous avons actuellement une génération qui a grandi dans les nouvelles conditions créées par les « indépendances ». Elle n'a pas connu le dépaysement de ses aînés. Elle a, d'autre part, profité des leçons tirées par le mouvement étudiant. Vivant au contact des réalités des masses africaines, consciente de l'incapacité des régimes actuels, cette génération ne se fait aucune illusion sur les possibilités de réformer ces régimes. Potentiellement révolutionnaire au départ, elle passe progressivement sur le terrain concret de la lutte révolutionnaire. L'histoire de l'Afrique est ainsi jalonnée depuis quelques temps des luttes du mouvement étudiant. Ces mouvements souvent s'engagent dans la lutte auprès des masses (Mauritanie, Congo- Brazzaville).
Le second phénomène qui prépare la révolution, c'est le déclenchement des luttes armées en Afrique.
A côté des luttes de libération menées dans les colonies (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, Rhodésie, Afrique du Sud), se développe une guérilla dans les pays indépendants : Kamerun, Congo-Kinsaha, Tchad. Ceci revêt une grande importance, et pose le problème fondamental de la conquête du pouvoir : comment détruire les Etats néocoloniaux pour instaurer des Etats populaires ? « Tant que ce problème n'est pas élucidé, il ne saurait être question de jouer consciemment son rôle dans la révolution et encore moins la diriger ». Comment conquérir le pouvoir révolutionnaire en Afrique ? Nous avons en Afrique des bourgeoisies alliées à l'impérialisme ; elles disposent d'un appareil de répression et d'oppression (armée, police, gendarmerie, administration, syndicat). Comment changer cette situation ? « Il n'y a jamais eu dans l'histoire de classe dirigeante qui ait abdiqué de son plein gré ». Il faut donc l'obliger à abandonner le pouvoir. Va-t-on l'y obliger par des voies légales, pacifiques (élections, réformisme), ou par des voies illégales, c'est-à-dire révolutionnaires ?
Il y a des exemples en Afrique où des changements se sont produits sans violence armée. Au Congo-Brazzaville, en 1963, un mouvement de masses a renversé le régime de l'abbé Fulbert Youlou. Cette victoire des masses aurait été immédiatement confisquée par les forces réactionnaires (syndicats chrétiens et autres milieux réactionnaires hostiles au régime de Youlou), sans l'intervention active des patriotes (syndicalistes, intellectuels et étudiants). Le processus révolutionnaire engagé par les masses sous la direction de ces patriotes aurait pu faire croire à une possibilité pacifique de mener la révolution jusqu'au bout. En réalité, il n'en a rien été. Le pouvoir a été progressivement confisqué par les milieux réactionnaires avec Massembat-Débat. Cela a abouti à de nouveaux affrontements sanglants en 1968. Le problème du pouvoir n'en a pas été pour autant résolu. Le Congo est toujours une néo-colonie. Les masses sont toujours exploitées par des sociétés étrangères. Cette expérience montre que la vole pacifique est illusoire en Afrique. Nous pouvons donc dire qu'un peuple opprimé « qui ne s'efforcerait pas d'apprendre à manier les armes, de posséder des armes, ne mériterait que d'être traité en esclave ». Si maintenant, nous ajoutons à l'exemple congolais, ceux de Ben Bella, de Lumumba, de N'Krumah, nous sommes amenés à conclure que la voie principale de libération de l'Afrique passe nécessairement par la lutte armée. Les révolutionnaires africains doivent donc étudier sérieusement les luttes armées menées en Afrique, tant dans leurs succès que dans leurs échecs, et en tirer toutes les leçons.
L'évolution de la situation, tant en Guinée qu'à l'extérieur au sein des Guinéens, a permis aux progressistes guinéens de percevoir de mieux en mieux les tâches qui leur incombent.
En France, l'Association des Etudiants guinéens, section guinéenne de la Fédération des Etudiants africains en France, a su, en dépit de multiples difficultés, raffermir sa ligne patriotique et anti-impérialiste conséquente. Après avoir activement milité en faveur de l'indépendance dès 1956, elle a soutenu le régime de Sékou Touré de 1958 aux événements de novembre 1961. Sa prise de position ferme sur le prétendu complot communiste lui valut les foudres du régime : rapatriement et emprisonnement de ses militants, campagne d'intimidation menée par le sinistre Tibou Tounkara, alors ambassadeur de Guinée. Ce dernier, aidé d'éléments opportunistes, réussit à imposer une direction totalement acquise au régime. Les étudiants guinéens patriotes, fortement épaulés par l'ensemble des militants de la FEANF, menèrent alors un patient combat dont l'issue fut le congrès de Pâques 1964. Devant l'ambassadeur Nanamoudou Diakité, ébahi, les étudiants guinéens dénoncèrent le régime policier, anti-démocratique et antipopulaire instauré en Guinée par le PDG. La réaction ne se fit pas attendre :
Cette répression, loin d'ébranler l'AEGF, l'affermit. L'Association crée un journal, L'Etudiant guinéen, en vue de démystifier le régime du PDG et de tracer les perspectives de lutte du mouvement étudiant.
Désormais obligés de travailler pour poursuivre leurs études, trouvant difficilement du travail, les étudiants guinéens en France connaissent une situation sociale difficile. C'est sur cette situation difficile que veut tabler les éléments réactionnaires du prétendu Front de libération de Guinée pour entraîner le mouvement étudiant dans le giron de l'impérialisme : création de la section européenne du FLNG par une poignée d'intellectuels opportunistes et mégalomanes. En dépit des menaces, des pressions de toutes sortes, le mouvement étudiant guinéen trouve en son sein les ressources nécessaires pour résister, maintenir et raffermir sa ligne anti-impérialiste. Les étudiants qui ont adhéré au Front sont expulsés de l'AEGF.
Dans son combat, l'AEGF bénéficie largement du soutien ferme de l'ensemble des militants de la FEANF (exceptées les directions opportunistes des Associations des Etudiants maliens et sénégalais qui soutiennent leurs amis du FLNG).
Après les événements de novembre 1970, l'AEGF doit subir de nouveau un nouvel assaut venant cette fois des éléments opportunistes favorables au PDG. Ceux-ci, jouant sur l'émotion soulevée au sein du mouvement étudiant par l'intervention portugaise, créent le Comité de défense de la République de Guinée (CDRG).
Qui sont les promoteurs du CDRG ?
A côté de quelques farfelus, flous avons des éléments regroupés par Mamadi Keïta (Membre du Bureau politique national et ministre du Domaine, de la Culture et de l'Educatlon) lors de son passage à Paris en 1970. En effet, voyant le régime de Sékou Touré sérieusement menacé (mécontentement général, quasi-rébellion des propres cadres du PDG, etc.), Mamadi Keïta prépare une révolution de palais en vue de se substituer à Sékou. Il réunit donc lors de son passage à Paris quelques opportunistes Malinkés (c'est-à-dire de même ethnie que lui) en vue d'élargir son groupe. Mais les événements de novembre sont venus momentanément contrecarrer ses projets. Ses partisans à Paris créent cependant le CDRG dont le programme est le soutien à l'« aile gauche » du PDG. En effet, selon les pantins du CDRG, il y a actuellement une lutte de classe aiguë au sein du PDG, opposant les « révolutionnaires » (chef de file Mamadi Keïta) aux bourgeois (chef de file Ismaël Touré); il faut donc appuyer l'aile révolutionnaire.
Après avoir démasqué la nature opportuniste et réactionnaire du CDRG, l'AEGF exclut de ses rangs tous ceux qui ont adhéré à ce mouvement fantoche.
S'étant débarrassé des éléments opportunistes et pro-impérialistes du regroupement des Guinéens en France (section européenne du FLNG) et du CDRG (PDG), l'AEGF entame, avec les autres sections d'étudiants guinéens (au Sénégal, en Europe de l'Est et de l'Ouest, etc.) le processus de création de l'Union générale des Elèves et Etudiants guinéens (UGEEG).
Au Sénégal, l'Association générale des Elèves et Etudiants guinéens (AGEEGS) , animée longtemps par Baldé Samba, regroupe la grande majorité des scolaires guinéens sur des positions patriotiques. En dépit des multiples difficultés et des différentes tentatives des réactionnaires du FLNG, les militants de l'Association maintiennent fermement leur ligne anti-impérialiste conséquente.
Fidèle à la mémoire du héroïque Baldé Samba, l'AGEEGS sera sûrement une des composantes les plus dynamiques de la future UGEEG.
Le régime anti-populaire et pro-impérialiste de Sékou Touré avait réussi à démanteler le mouvement scolaire à la suite de la sanglante répression des années 1961-1962 (lors du prétendu complot communiste).
Cependant, en dépit de la terreur, du système policier et de délation généralisée instaurés dans les lycées et à l'Université, le mouvement réussit à se reconstituer clandestinement. Il se manifeste au grand jour, avec un éclat particulier, lors du Conseil national de la « Révolution » de 1970 (instance suprême du PDG après le congrès). A cette occasion, le mouvement fait preuve de courage, de lucidité et surtout de maturité. En effet, il faut d'abord déjouer la vigilance de l'appareil policier ainsi que les dispositions procédurières du PDG. Les responsables du mouvement scolaire préparent donc deux textes : l'un, officiel, ne contenant que des éloges du PDG et de « son responsable suprême », est présenté à la commission occulte de censure ; le deuxième est tenu secret. Après la lecture du premier à la tribune, alors que la salle s'apprête à applaudir, un deuxième orateur étudiant prend la parole. Devant l'assistance médusée et le bureau du Conseil paniqué, il fait le procès du régime :
S'adressant aux membres du BPN qui trônaient à la tribune, il leur dit :
— Vous êtes tous des voleurs.
Sékou lui ayant répliqué :
— Pas moi, camarade, il répond :
— J'ai dit tous.
L'orateur conclut ainsi :
— Nous préférons le président Houphouët au président Sékou, car lui au moins il est sincère puisqu'il reconnaît ouvertement que son régime est capitaliste. Vous et votre parti, vous vous proclamez socialistes alors que vous avez instauré un régime d'exploitation. Vous dégoûtez les masses du « socialisme ». Je sais, président, ce qui m'attend en descendant de cette tribune, vous me ferez arrêter, emprisonner et même tuer. Mais j'ai pris mes responsabilités.
Les masses guinéennes ont pu écouter ce discours parce que la conférence était radiodiffusée. L'intervention des étudiants devient donc leur sujet de conversations dans les jours qui suivent.
L'opportuniste et mégalomane Keïta Mamadi veut sur le champ arrêter les responsables étudiants. Sékou Touré l'en empêche : « la jeunesse a toujours raison », déclare-t-il en guise de conclusion. Mais quelques jours après, il emprisonne les responsables étudiants. Depuis, leur famille ignore ce qu'ils sont devenus.
L'expérience des erreurs des années 1958-1962, la nature policière et fascisante du régime, la confusion créée par les intellectuels opportunistes du prétendu FLNG, amènent les forces démocratiques guinéennes à adopter des structures organisationnelles rigoureusement clandestines tant à l'intérieur du pays qu'à l'extérieur. Convaincues que ce sont les masses qui font l'histoire, ces forces comptent essentiellement sur l'organisation et la mobilisation du peuple guinéen :
C'est de l'organisation et de la mobilisation de ces masses dont dépend l'avenir du pays. Aussi, si les forces démocratiques suivent d'assez près les conflits qui déchirent les différentes fractions bourgeoises, elles ne s'en préoccupent nullement.
Il se peut que Sékou Touré soit renversé par une révolution de palais ; il se peut que les impérialistes s'entendent pour le remplacer par une coalition hétéroclite des différentes fractions bourgeoises ; il se peut que Sékou soit assassiné par un de ceux dont il a tué ou humilié des parents.
Peu importe.
Tout cela n'est que péripétie.
L'essentiel est l'organisation et la mobilisation des masses en vue de la longue lutte pour la révolution nationale, démocratique et populaire. C'est la tâche la plus immédiate des forces démocratiques, du mouvement étudiant progressiste et de tous les patriotes.
Il est probable que cette lutte sera dure, longue (les intérêts impérialistes sont importants en Guinée). Mais il est certain que le peuple guinéen sortira de la nuit néo-coloniale pour entamer sa marche victorieuse vers sa libération totale.
Notes
1. Lénine. La faillite de la IIe Internationale.
2. Horoya. 10 novembre 1964.
3. Keïta Fodéba, ancien ministre de la Défense et de la Sécurité, ministre de l'économie rurale ; Barry Diawadou, ancien ministre de l'Education et ancien ambassadeur au Caire ; Fofana Karim, ministre ; Kaman Diabi, secrétaire d'état à la défense et chef d'état major adjoint, 16 officiers dont un commandant, 7 capitaines et 7 lieutenants, des hauts fonctionnaires, des responsables du PDG et d'importants hommes d'affaires.
4. L'étudiant guinéen. n° spécial Guinée, Mythes et réalités, décembre 1967.
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5. Souligné par nous A. Condé.
6. Suret-Canale. Nouvelle Revue Internationale, juin 1969, p. 120-121.
7. La République de Guinée. Paris. Editions Sociales, 1970.
8. Id., p. 214.
9. Id., p. 209.
10. Id., p. 190.