Paris. Editions Git le Coeur. 1972. 270 p.
Il s'agit de savoir si la Guinée qui a obtenu son indépendance politique va la compléter en assurant son indépendance économique ou si elle va s'insérer dans le processus néo-colonial. Cette question ne se pose pas d'une façon abstraite ; c'est au contraire une question bien concrète ; elle est liée à la composition sociale de la Guinée, au choc contradictoire des intérêts des différentes classes sociales qui la composent. Les intérêts de certaines classes ne peuvent être sauvegardés et consolidés que dans un cadre néo-colonial. Tel est le cas des bourgeoisies bureaucratique et compradore. En revanche, la solution des problèmes fondamentaux des masses populaires, donc de la nation, ne peut résider que dans une véritable indépendance nationale. L'indépendance politique vient d'être arrachée. Pour assurer l'indépendance véritable, il faut prendre d'importantes décisions économiques pour mettre fin aux lourdes contraintes. Il s'agit de lutter contre l'impérialisme plus concrètement, de briser et d'éliminer les formes sous lesquelles il est présent, et de supprimer ses conséquences néfastes sur le pays. Mais il faut procéder sélectivement : chasser le capital commercial de son piédestal, le ramener à une place où il ne pourra plus agir en despote ; éliminer les agents européens et africains du capital commercial ; inventer des formes de lutte adaptées et concrètes contre les trusts. Etant donné que la colonisation a déjà créé un début de marché intérieur, il s'agit de l'élargir en supprimant la désarticulation analysée plus haut. Concrètement, il s'agit de « révolutionner » ce marché de sorte que, progressivement, y circule la production intérieure. Pour cela, il faut s'atteler à la transformation profonde des méthodes productives, des forces productives et des rapports de production au sein des campagnes guinéennes. C'est à ce prix seulement qu'il peut être possible d'accroitre la production des campagnes ; qu'il leur serait possible d'assimiler des forces productives modernes, d'introduire des cultures nouvelles. Il faut procéder à une « réforme agraire de type nouveau » c'est-à-dire aménager et « révolutionner » les structures. C'es seulement cela qui permettrait aux campagnes d'être la base et la mère d'une industrialisation rationnelle. Elles fourniraient ainsi les matières premières, la main-d'oeuvre, les biens de consommation nécessaires, les capitaux et absorberaient la production industrielle. C'est seulement cette intégration de nos campagnes dans le procès économique d'ensemble qui supprimerait ce marché intérieur désarticulé et créerait un véritable marché intérieur, condition préalable de toute accumulation. La question fondamentale est, dès lors, de savoir si le nouvel Etat va s'engager dans cette voie ou s'il va maintenir les structures léguées par la colonisation en les aménageant selon les nouveaux besoins des trusts.
Quelques mois après l'indépendance, le gouvernement fait appel au service d'une « mission de planification », qui se fixe comme objectif la fin de la dépendance économique de la Guinée et la progression vers une indépendance réelle.
L'étude des structures économiques de la Guinée avant le référendum, avait fait apparaître à quel point, le système monétaire et les structures commerciales étaient interpénétrées, favorisant l'exploitation du pays par l'économie dominante, en l'occurence, la France et provoquant sur place, une constante pénurie de capital 1.
Pour changer cette situation, la Mission propose une série de mesures dont les principales concernent les réformes institutionnelles, “celles qui créent les instruments d'une planification économique, qui définissent les règles générales de création ou de mise en place de ces instruments” 2, préalables à la mise en œuvre du futur plan. Ces mesures sont :
La Mission considère ces mesures comme nécessaires tout comme elle estime nécessaire une réforme fiscale (pour permettre à l'Etat d'accroître ses ressources) et une réforme salariale (car l'échelle des salaires héritée de la période coloniale ne correspond pas aux besoins du pays). Toutes ces mesures sont nécessaires, liées entre elles et préalables à une véritable planification. En effet, la réforme de la législation économique est inséparable des novations entreprises dans le domaine monétaire et sur le plan commercial. D'autre part, sans une réglementation des investissements étrangers, sans réforme du régime des sociétés, de la législation minière (les textes qu existaient auparavant n'étant pas précisément conçus dans une optique nationale) et de l'enseignement, sans tentative sérieuse pour assurer à court terme, puis à long terme, l'encadrement scientifique et technique de l'économie, toute tentative de développement économique est vouée à l'échec. C'est en tenant compte de cet ensemble d'exgences que la mission élabore le plan triennal.
Ce plan doit combiner les possibilités créées par le consensus social et les réformes institutionnelles et les traduire en objectifs concrets, compte tenu des limitations tenant aux ressources naturelles, techniques, financières et humaines disponibles et doit être suivi de trois plans quinquennaux (1963-1968 ; 1969-1973 ; 1974-1978) devant assurer une véritable industrialisation.
Lors de l'élaboration du plan triennal, la Mission de Planification insiste sur son caractère démocratique ; il faut pour cela y associer, au maximum, les masses populaires. Elle propose de faire un inventaire sérieux des ressources du pays par l'établissement d'un « inventaire quantitatif et qualitatif des ressources humaines disponibles » et des « ressources physiques susceptibles d'être mises en valeur au cours des trois prochaines années », en faisant un large appel à l'initiative des masses. Des directives sont élaborées à l'usage des villages et des régions.
Le plan, c'est donc une mobilisation économique des villages, des régions et de tout le pays. C'est à l'échelon local qu'il appartient aux responsables de collaborer avec toute la population, d'examiner l'augmentation possible de la production pour les trois prochaines années, et de prendre l'engagement collectif de réaliser cette augmentation 3.
Pour l'agriculture, par exemple, « la réalisation effective d'un plan de développement agricole ne dépend pas seulement d'une évaluation correcte des facteurs techniques, mais aussi d'une évaluation correcte des facteurs sociaux. Cette évaluation ne peut être (sauf de façon très limitée) l'oeuvre de spécialistes. Elle doit résulter d'une auto-évaluation au niveau du village ». Il est nécessaire d'obtenir le maximum d'informations pour faire des prévisions correctes.
Dans le cadre des principes généraux et directives du Plan, les villages, régions, entreprises d'Etat, coopératives, organes centraux, feront connaître chaque année, au plus tard le 1er mars, leurs propositions pour la mise en oeuvre concrète de ces principes et directives 4.
La Mission émet un certain nombre de directives concernant la nature du plan : celui-ci doit être impératif ; pour ce faire, le secteur économique contrôlé par l'Etat doit constituer rapidement l'élément dominant de l'économie nationale. Ensuite, le développement économique ne doit pas dépendre des lois du marché, de la concurrence et du profit, la priorité doit être accordée à l'industrie et à l'agriculture et non à l'infrastructure administrative. Enfin, de justes proportions doivent être observées entre le développement des différentes branches.
Elle fixe ensuite les objectifs. Pour l'agriculture : la production de la banane doit doubler en trois ans ; celle des palmistes et de l'essence d'orange doit doubler. La production du café doit augmenter de 30 % ; celle des conserves de jus de fruits doit être multipliée par dix. Pour les produits vivriers, l'augmentation de la production doit être de 15 % pour le riz, 10% pour le manioc, taro mil, fonio, 200 % pour le maïs, 400 % pour la pêche industrielle ; 200 % pour la pêche familiale et 100 % pour la production de basse cour et le rendement annuel du troupeau.
Pour l'industrie, l'objectif est de multiplier le niveau de la production industrielle par huit. Elle doit comporter d'abord des industries de première importance et des industries de seconde importance. L'augmentation souhaitée du revenu national est de 8 à 10 % par an, soit 24 à 30 % à la fin du plan. Si l'ensemble de ces directives sont suivies, la réalisation du plan triennal favoriserait l'indépendance économique et assurerait ainsi une indépendance véritable.
Mais, sacrifiant les intérêts des masses populaires, la bourgeoisie guinéenne organise une action systématique de sabotage et de liquidation, afin d'assurer sa domination.
Le plan, tel qu'il est conçu par la Mission, doit, en principe, servir les intérêts des masses populaires ; il en est de même, théoriquement, des structures économiques mise en place. Mais soucieuse de sauvegarder ses intérêts pour les consolider ensuite, la bourgeoisie guinéenne sabote le plan, tant dans sa préparation que dans ses objectifs. Elle vide de tout contenu les structures économiques instituées.
Elle en sabote d'abord la préparation. En effet alors que la mission prévoyait d'associer étroitement le peuple à l'élaboration du plan afin qu'il en comprenne la nécessté, les objectifs et y adhère consciemment, la bourgeoisie guinéenne qui contrôle l'appareil d'Etat et du parti refuse de s'engager dans cette vole. Aussi,
les directives établies pour les plans des régions et villages ne sont pas suivies. Souvent, les documents d'inventaire ne sont pas remplis. Autrement dit, il il n'y a pas de véritable mobilisation des régions et villages pour la préparation du Plan, avec les effets économiques et extra-économiques que l'on peut en attendre. Synthèse et harmonisation devaient être réalisées au niveau de l'organisme central. Pour la préparation du Plan triennal, celui-ci n'existait pas encore à proprement parler 5.
Des évaluations sont faites de façon fantaisiste, sans étude préalable. Dans le projet du plan proposé par la Mission en janvier 1960, la priorité est accordée au secteur productif ; de justes proportions sont observées entre les différentes branches ; la part de l'apport national dans les investissements est de plus de la moitié. Le gouvernement modifie toutes ces données en avril, août 1960 et en 1961. Alors que le projet initial prévoyait que 50 % des investissements devaient être consacrés à la production, 20 % à l'infrastructure, 20 % aux dépenses sociales, le projet adopté à Kankan n'attribue plus que 41 % à la production (la part de l'infrastructure s'élevant en revanche à 38 %). Ces proportions changent de nouveau avec le décret du 9 août : 47,26 % pour la production et 36,9 % pour l'infrastructure. En 1961, on a respectivement 47,5 % et 37,5 %. La part des dépenses sociales, qui était de 20 % dans le projet, ne sera finalement que de 15 %. Alors que dans le projet initial, les ressources internes devaient fournir 53 % de l'ensemble des investissements, cette part passe d'abord à 31 puis 23 % et enfin 20 % en 1961. L'équilibre entre financement interne et financement externe est ainsi totalement bouleversé (la part extérieure passe à 80 %). Cette nouvelle situation risque d'avoir une conséquence désastreuse, en particulier l'accumulation annuelle risque d'être inférieure aux charges annuelles de remboursements d'intérêts. La Mission avait prévu une telle éventualité et avait clairement montré les conséquences qui en découleraient :
cela signifie que la Guinée se trouvera inévitablement au cours de cette période, dans l'impossibilité de faire face aux obligations extérieures dès maintenant contractées. Il sera donc nécessaire de négocier dès 1962, le renouvellement de certains prêts ou l'octroi de prêts intérimaires nouveaux. Les ressources qui seront ainsi fournies à la Guinée, se trouveront absorbées par les dépenses courantes et les charges extérieures. Elles ne permettront pas de financer des opérations nouvelles de développement économique, ce qui veut dire que le taux d'accroissement des actions d'investissement et donc le rythme d'expansion de la production, devront être réduits à partir de 1963 avec tous les déséquilibres et difficultés inévitables régulièrement entraînés par une telle régression. Cette situation d'ailleurs contribuera à rendre plus difficile, la négociation des prêts complémentaires indispensables.
Aussi, les experts de la Mission économique ne se font-ils pas faute de critiquer ces variations dangereuses du plan et de demander la réduction des dépenses improductives :
la première mesure qui semble devoir s'imposer consiste à revoir de façon systématique un certain nombre de projets d'investissements, le plan triennal actuel résultant plus d'une addition d'actions que d'une coordination préalable rigoureuse.
Ils critiquent la gestion économique :
en ce qui concerne la gestion économique, l'évolution des derniers mois, fait apparaître de graves faiblesses. L'existence du mal semble connue, mais l'ampleur de ses conséquences n'est pas toujours pleinement perçue. Or, il est à peu près certain qu'en quelques mois, l'économie guinéenne a subi des pertes qui se chiffrent à des centaines de millions de FG… Il est difficile à l'heure actuelle de chiffrer le volume total des pertes ; si le phénomène devait se reproduire, il semble assez sérieux pour menacer la mise en œuvre du plan triennal et la solidité internationale du FG.
Les experts rappellent que les mesures qui auraient dû être prises avant le lancement du plan, ne le sont toujours pas trois mois après le début du plan ; ce qui compromet sérieusement son succès :
en fait, le processus d'élaboration du plan, ses objectifs, leur cohérence et leur réalisme, le degré effectif de mobilisation nationale, la conscience même de l'organisme du plan du point de vue des effectifs, ne laissent pas d'inquiéter. Les solutions de facilité, logiquement, s'enchaînent : l'insuffisante mobilisation populaire dans la préparation du plan, l'importance excessive progressivement donnée à la participation extérieure au financement du plan, le bouleversement des propositions et donc la mise en cause de la cohérence des premiers schémas, tout cela à partir d'objectifs d'ensemble, dont l'ambition était évidente, et dans un climat de tension surtout verbale (les paysans, après un effort sensible en 1959, se mirent au diapason) 6.
La bourgeoisie guinéenne a consciemment saboté le plan triennal, parce que les mesures préconisées par les experts gênaient ses ambitions.
Les appétits de la bourgeoisie poussèrent, dès le départ, à la négligence des actions les moins urgentes pour elle, aux solutions financières de facilité, aux premières manoeuvres de sabotage de la politique économique en cours qui devait mettre au premier plan, les desiderata des classes les plus défavorisées 7.
Le sabotage du plan est accentué par l'exclusion du secteur des trusts du champ de planification. En effet, rien n'a été prévu dans le plan triennal concernant Fria. Or, nous avons vu l'importance des projets miniers (Fria, Boké, barrage de Konkouré, etc.) dont la réalisation avait toutes les chances de bouleverser les structures de l'économie en substituant le capital financier au capital commercial, en changeant le contenu des exportations. L'importance de ces projets ne pouvant échapper aux dirigeants guinéens, il est donc inconcevable qu'une planification qui se propose de libérer le pays économiquement ait pu laisser de côté de tels projets. Pourtant, c'est ce qui se produisit, le plan les ignore délibérément, alors qu'au moment de son élaboration, Fria a déjà investi 33 milliards de F CFA. Le plan triennal contribue donc à renforcer le caractère d'enclave que va revêtir le projet Fria. Cette omission est déjà une indication sur l'orientation du gouvernement. Celle-ci se précise par la suite avec le sabotage des structures mises sur pied.
Un certain nombre de structures ont été mises sur pied pour donner au pays les instruments de son indépendance économique : étatisation du commerce, création d'entreprises d'Etat, d'une monnaie et d'une banque nationales, nationalisation du sol. Ces structures n'ont en soi rien de révolutionnaire ; tout dépend du contenu qui va leur être donné. Ce contenu est fonction de la nature de classe de l'Etat. Un mythe persistant consiste à considérer les nationalisations comme des actions progressistes, voire révolutionnaires, sans tenir compte de la nature de classe de l'Etat qui les réalise. En réalité, les nationalisations, l'étatisation, peuvent servir soit les masses populaires (fondamentalement, les ouvriers et les paysans), soit les bourgeoisies. Tout dépend de la nature de classe de l'Etat, c'est-à-dire de la classe qui contrôle l'appareil d'Etat. En Guinée, les structures économiques mises sur pied correspondent aux vues des progressistes. Mais elles correspondent aussi aux vues des grands trusts internationaux désireux d'instaurer le néo-colonialisme.
Ces trusts, pour ce faire, acceptent une nouvelle division du travail en fonction de leurs nouveaux besoins. Ils sont disposés à laisser les autochtones s'emparer de l'appareil d'Etat, du secteur de la circulation, de la petite et moyenne industrie (secteurs que les moyens de ceux-ci leur permettent d'exploiter) pour se réserver les secteurs qui répondent à leurs nouveaux besoins et à leurs intérêts et que leurs moyens financiers énormes leur permettent d'exploiter : les mines. L'impérialisme accepte, dans cette nouvelle phase, de sacrifier délibérément le capitalisme colonial traditionnel (maisons commerciales, planteurs européens, assistants techniques) au profit d'une bourgeoisie autochtone. Economiquement, le capital financier (qui domine en Europe occidentale et aux Etats-Unis) n'a pas grand-chose à perdre, bien au contraire. D'abord, la bourgeoisie locale maintient le caractère et la nature des échanges en continuant à s'approvisionner et à vendre aux pays occidentaux (tout comme les maisons coloniales). Ensuite, le capital financier économise ses cadres et se trouve débarrassé de certains travaux d'infrastructure (dont une partie pourrait être réalisée grâce à l'aide des pays socialistes et le reste par l'exploitation des masses). Donc les changements proposés et plus ou moins imposés par les forces progressistes, grâce au contexte politique, pouvaient être détournés de leurs buts initiaux et servir les intérêts de la bourgeoisie guinéenne et l'impérialisme. La bourgeoisie compradore (commerçante) et ses alliés dans l'appareil d'Etat investissent le Comptoir Guinéen du Commerce Intérieur (CGCI), de l'intérieur et de l'extérieur, et réussissent à le liquider. Un vaste processus inflationniste, renforcé par le trafic, enlève toute portée à la création du franc guinéen. La bourgeoisie guinéenne s'enrichit en violant et en foulant aux pieds les mesures et les structures qui sont l'oeuvre de son propre Etat. Les premiers coups sont portés au Comptoir Guinéen du Commerce Intérieur (CGCE) et au CGCI par les inconséquences de la bourgeoisie.
Les deux grandes préoccupations qui avaient conduit à l'élaboration des nouvelles institutions commerciales, étaient d'ordre politique et économique : empêcher la formation d'une bourgeoisie commerciale, alimenter l'accumulation nationale. La préoccupation politique nettement soulignée par les experts dont l'orientation marxiste était indiscutable, correspondait à la ligne officielle du PDG, dans la mesure où celle-ci excluait une voie de développement capitaliste 8.
Or, dès le départ, un certain nombre de faits se trouvent en contradiction avec cette préoccupation. C'est ainsi que le rapport du ministre de l'Economie à la conférence de Kankan fixe comme un des principes fondamentaux du PDG, la nécessité de faire une « juste place » aux commerçants nationaux :
Petits et moyens commerçants ont le droit d'attendre du Comptoir les moyens de vivre, et même de se développer… L'Etat est lui, en droit d'attendre d'eux qu'ils aient un comportement qui ne mette pas égoïstement leur intérêt personnel en contradiction avec l'intérêt général.
Demander aux commerçants de considérer l'intérêt général plus que leurs propres intérêts, c'est se leurrer soi-même, car personne n'ignore que le but des commerçants guinéens est d'amasser le maximum d'argent par tous les moyens, et le plus vite possible. Pour le recrutement des cadres, le rapport propose d'utiliser les nationaux employés jusque-là dans les sociétés commerciales du secteur privé, en les amalgamant aux cadres du PDG ; il suggère aussi d'utiliser les commerçants guinéens que les nouvelles dispositions, dans le secteur commercial, rendent disponibles. Ainsi, on confie la gestion des comptoirs à ceux qui ont le plus intérêt à leur liquidation.
Ensuite, la bureaucratisation excessive découlant de la fonctionnarisation des comptoirs, entraîne une immobilisation des marchandises au port (où les plus périssables périssent) et un engorgement excessif des magasins (au moment même où le pays souffre de pénurie). Le gouvernement se satisfait de la mise en place administrative de plusieurs comptoirs régionaux sans se préoccuper de leur fonctionnement effectif. Dès lors, le processus de liquidation favorisé par un certain nombre de techniques s'engage et s'accélère ; les commerçants qui prennent des marchandises à crédit refusent d'honorer leurs traites ; les cadres chargés de récupérer les dettes du comptoir s'entendent souvent avec eux pour faire disparaître leurs traites moyennant un pot-de-vin. En oute, les cadres venus du secteur commercial continuent en fait d'exercer leur ancienne profession de commerçant. Mieux, d'autres fonctionnaires et aussi, et surtout, des responsables politiques, investissent d'importantes sommes dans le commerce. A ces actions des commerçants et de leurs alliés et complices, s'ajoute le fonctionnement déplorable des comptoirs. Non seulement il ne leur est plus possible de ravitailler les populations, mais en plus, leur déficit s'accroît considérablement.
Aussi, le gouvernement est-il contraint de dissoudre le CGCE en août 1961. Peu après, le CGCI disparaît à son tour. Un processus de libéralisation du commerce s'amorce et aboutit aux mesures adoptées lors de la conférence économique de Conakry. La commercialisation des produits destinés à Guinexport est confiée au commerce privé, les offices sont supprimés, car, loin de jouer un rôle actif durant leur brève existence, ils restent de simples intermédiaires parasitaires (seul l'office de la banane est épargné). Il est décidé de délivrer des autorisations d'export-import aux particuliers et de supprimer les magasins d'Etat. Les sociétés nationales sont cantonnées dans la vente en gros et les comptoirs dans le demi-gros. L'Etat s'engage à aider les sociétés privées et les coopératives de commerçants présentant des garanties sérieuses ; l'exploitation du diamant est à nouveau ouverte aux particuliers et les prix des produits agricoles revalorisés.
Les mesures économiques qui semblaient préluder à la naissance d'un Etat populaire au service des masses sont ainsi détournées de leur but initial pour être abandonnées ensuite. La Guinée choisit la voie néo-colonialiste.
Notes
1 & 2 . Ch. Bettelheim. Memorandum, n°2.
3. Directives générales de la Mission, p. 1.
4. Directives générales de la Mission, p. 1
5. A. Cournanel, op. cit., page 273.
6 & 7. Cournanel, op. cit., p. 326.
8. Cournanel, op. cit., p. 227.