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Etudes guinéennes


Mlle. Monique de Lestranges
Contes et légendes des Fulakunda du Badyar


Institut Français d'Afrique Noire. Centre de Guinée, Conakry, 1950, no. 7, pp. 3-66


Introduction

Peulhs venus du Nord au seizième siècle, c'est-à-dire près de deux siècles avant l'installation des Fula au Futa Djalon, les Fulakunda sont environ trois mille 2 au Badyar, dans cette région du nord de la Guinée Française que limitent au nord la Casamance et le Sénégal, à l'ouest la Guinée Portugaise. Le Badyar, dominé par un plateau rectiligne de grès silicieux, est aujourd'hui habité par des populations extrêmement diverses : Badyaranké, Sarankolé, Fulakunda, Madingo, Fula, etc… Le Badyar est un canton de la subdivision de Youkounkoun (cercle de Gaoual) dont le chef est actuellement un Fulakunda.
Voici ce que les vieillards Fulakunda du village de Saareɓoyɗo pensent de l'origine des Fulakunda et de leur installation au Badyar.

« Quand dans un pays on est trop souvent pillé par les rois voisins, on le quitte. C'est ainsi que nos ancêtres ont quitté le Macina. Ils sont venus s'établir au village de Gabu, dans le Bhundu, au Sénégal. De Bhundu ils ont gagné Sonkunda Patiana en Casamance. Une partie alla ensuite à Gidali, dans le NGabu en Guinée portugaise 3, les autres s'installèrent dans une autre région de la Casamance. Mais ceux de Gidali vinrent au Badyar où ils voyagèrent sans s'installer définitivement. Le premier village fondé fut Kantutu, que les Fulankunda abandonnèrent pour aller se réfugier chez les Koniagui. A leur retour ils fondent Saareɓoyɗo, près de deux grands fromagers : ils y restent huit ans, puis vont vers Kantutu, à Tumbu Dama, où le chef de Boussoura a attaqué Alfa Yaya 4. De là les Fulakunda allèrent à Simbo, sur « la montagne » 5, près de Madina, de là, à Saréboyɗo, Sintiam Dunia, Sintiam Hoggo, Sintiam Beseuru, Sintiam Burem et Sonkunda. A Sonkunda, ils se sont séparés. Une famille est retournée en Casamance peupler le Firdu alors que celle de Demba Diao s'installait près de Kaparabina. De là les Fulakunda . du Badyar allèrent à Sambalde do Ferlo (sur la falaise ; ferlo : montagne), puis de là à Sambaldé dans la plaine. C'est de ce dernier village que sont venus les fondateurs de Sambayillo, de Kammabi et d'Akadasso » .

Mais le Badyar, quand les Fulakunda sont venus s'y installer, n'était pas vide d'habitants. Les Badyaranké occupaient les villages de Maru, Kutan, Kaparabina, Sunkutu (les autres populations actuellement dans la région y sont arrivées longtemps après les Fulakunda).
Les rapports des Fulakunda et des Badyaranké ont bien, changé depuis l'installation des premiers sur le territoire des seconds. Autrefois par exemple, tous les Fulakunda parlaient Badyaranké, aujourd'hui seuls quelques vieux le savent encore, et ce sont au contraire maintenant les Badyaranké qui apprennent le Fulakunda. Les Badyaranké ont conservé quelques prérogatives de « maîtres de la terre » , mais aujourd'hui les Fulakunda sont les plus nombreux et traitent les Badyaranké de « sauvages » . Autrefois les relations d'amitié qui existaient entre eux étaient marquées par des échanges. Chaque famille Fulakunda avait pour amie une famille Badyaranké. Quand les Fulakunda avaient une vieille vache, ils appelaient les Badyaranké pour cultiver leurs champs, et leur donnaient en échange la vache - les Badyaranké n'ont pas de troupeaux. Le Fulakunda n'aimait pas grimper au palmier pour chercher le vin de palme : le Badyaranké le faisait pour lui. Autrefois Badyaranké et Fulakunda mangeaient la même nourriture, et avaient de nombreuses coutumes semblables. Leurs croyances religieuses étaient très proches. Les Badyaranké ont conservé leurs cultes traditionnels, alors qu'aujourd'hui les Fulakunda sont musulmans, sauf quelques vieux qui veulent mourir en buvant le vin de palme. Ils disent : « Nous avons passé la moitié de notre vie, qu'on nous laisse mourir inchangés » .

Pas plus aujourd'hui qu'auparavant, on ne voit de mariage entre Fulakunda et Badyaranké. Les hommes Fulakunda ne veulent pas des filles Badyaranké « sauvages » , et qui ne voudraient pas changer leurs habitudes. D'ailleurs, même si un garçon fulakunda demandait une fille badyaranké et à supposer que le père accepte, la fille refuserait très probablement. Les Fulakunda épousent maintenant des servantes Fula.
Les Fulakunda sont en contact avec d'autres noirs. Ils disent que les Koniagui sont les parents de Koli Tenguela, conquérant Deniyanko dont les petits fils sont au Futa Toro, au Sénégal, depuis le 16e siècle. Un frère de Koli, fatigué du long chemin déjà parcouru, s'est arrêté dans une plaine : de lui descendent les Koniagui qui la peuplent actuellement. Les Badyaranké, comme les Bassari, Sérère, Dyola et Tyapi sont, disent les Fulakunda, les captifs de Koli Tenguela.

Les Fulakunda sortent peu de chez eux et connaissent mal les populations qui les entourent. Ils connaissent de nom seulement les habitants de la Guinée portugaise : Balantes, Papels, Dyola, Mandyak, Bidyoku. Ils racontaient en 1949 que ces derniers, qui vivent dans des forêts impénétrables, avaient, comme ils le font à peu près chaque trois ans, refusé de payer l'impôt.
Quant aux noirs en général, les Fulakunda expliquent ainsi leur origine : un père de famille avait conseillé à ses enfants de ne pas toucher de femmes. Mais un de ses fils passa la nuit avec une femme, qui mit au monde le premier noir, parce que l'homme n'avait pas écouté le conseil de ses parents.
Les Fulakunda ne connaissent pas l'existence d'hommes jaunes ; ils pensent que leurs ancêtres étaient plus grands que les Fulakunda actuels, mais qu'il existait aussi, autrefois, des hommes très petits.

Les hommes ont été créés après l'eau, la terre, et le feu. La terre, ronde et plate, est entourée d'eau. Au dessus, très profondément, se trouve une grande pierre : Feto sara. Les marabouts disent que la terre est supportée par un grand taureau posé sur cette pierre. Certains « grands savants » disent que la terre se déplace et non le soleil ; d'autres disent que le soleil fait le tour de la terre par le nord, la nuit, pour revenir le matin à l'est. La lune disparaît vingt-sept jours après son apparition, se repose le vingt-huitième, et réapparaît le vingt-neuvième ou le trentième au couchant. Le soleil est un homme, la lune une femme, pour les étoiles on ne sait pas. Voici quelques noms d'étoiles :

Fulakunda hommes et femmes sont très actifs. Leur courage au travail est fameux dans toute la région. Le chef de canton donne l'exemple ; il cultive son champ comme le plus humble de ses sujets.
Au village, tous travaillent, même les vieux, ne serait-ce qu'à garder le carré, sinon les troupeaux. Tout le monde travaille pour l'ensemble du carré ; mais le matin depuis le lever du jour, et le soir, après cinq heures jusqu'à la nuit, chacun, selon son courage, peut cultiver un petit champ personnel, dont il vendra la récolte pour s'acheter par exemple des pagnes. A la mort, ces propriétés personnelles reviennent
aux enfants, au fils aîné qui distribuera, probablement quelques pagnes à ses soeurs, à l'occasion de leurs mariages. Les vieillards s'occupent souvent à de petits travaux. Assis en tailleur sur un karta (épaisse natte de bambou tressé, qui sert généralement à faire des palissades), posé sur quatre pieds, à l'ombre, des vieillards font ainsi de la ficelle. ou réparent les calebasses cassées avec une ficelle serrant un morceau de chiffon, les trous pour la ficelle étant percés d'avance.
Mais les temps changent… autrefois les Fulakunda étaient riches, mais c'est parce qu'ils ne dépensaient pas leur argent. Le chef de canton n'avait qu'un pantalon et qu'un boubou, tous deux faits de robustes bandes de coton indigènes. Un mouchoir durait dix ans à une femme, car elle ne le mettait qu'aux jours de fête, c'est-à-dire peut-être, une fois tous les trois mois. Le reste du temps elle allait nu-tête. Un franc gagné restait dix ans sans être dépensé. Une fille allant à la fête, partait avec ses camisoles, ses pagnes, ses mouchoirs dans une calebasse sur sa tête. Elle s'arrêtait pour s'habiller quand elle voyait le village où elle se rendait.
Grâce à de telles habitudes d'économie, on était riche. On brûlait du mil pour faire de la potasse : une femme n'aurait jamais voulu laver ses boubous avec de la potasse de plantes sauvages, de la potasse « de brousse » . On faisait le savon avec la crème du lait ramassée chaque jour. Aujourd'hui pour obtenir la potasse qui entre dans la préparation de savon et de certains mets, on passe des cendres d'arbres dans un filtre de paille. L'eau entraîne la potasse, on la recueille dans une calebasse, et on fait déposer. Autrefois les greniers étalent toujours pleins, mais il n'y avait qu'un grenier par carré, et tous les boeufs d'une famille étaient la propriété d'un seul vieux , chaque femme du carré filait de quoi faire un boubou pour ce vieux, mais il ne mettait de boubou que s'il allait en visite dans un autre village, et pour deux jours au moins… les temps ont changé.

Notes
1. C'est au cours de deux séjours dans la région de Youkounkoun (Guinée- Française) l'un en 1946 grâce à une bourse de l'Ecole Française d'Afrique, l'autre en 1948-49 grâce à une subvention de la Commission pour la Célébration du Centenaire de la Révolution de 1848, que les observations rassemblées dans cet article ont été recueillies. Parmi tous les Fulakunda qui m'ont accueillie chez eux, je remercie en particulier Demba Boiro, chef de canton, qui a toujours facilité ma tâche, et aussi Samba Diao, dont le talent de conteur apparaîtra, je l'espère, dans les nombreux contes que j'ai recueillis de sa bouche.
2. Cf. article de M. de Lestrange sur la démographie de cette région, à paraître dans Population.
3. A propos des Fulakunda de Guinée portugaise, cf. José Mendes Moreira, Fulas do Gabu, 1948, et les autres publications du Centro de Estudos de Guine Portuguesa, Bissau.
4. Chef fula de la fin du siècle dernier.
5. Au Badyar, « la montagne » , c'est la falaise à 500 mètres au-dessus de la plaine.


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Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.