Institut Français d'Afrique Noire. Centre de Guinée, Conakry, 1950, no. 7, pp. 3-66
Deux jeunes garçons avaient prêté serment de ne jamais se tromper l'un l'autre. L'un des deux camarades était le fils d'un grand chef, c'était Hammadam-au-teint-clair, l'autre seulement celui d'un homme de bonne famille, c'était Hammadi-le-noir.
Dans une autre région, un chef de famille avait domestiqué un pou, qu'il gardait dans une calebasse. Mais le pou était si gros qu'il ne pouvait rester dans une calebasse ; l'homme le met alors dans une espèce de poulailler. Le pou grossit encore. L'homme le place dans une case de vannerie comme en ont les femmes 1. Le pou grossit, la case éclate. L'homme met le pou dans une grande case d'homme, aux murs de banco. Quand le pou a rempli la case, l'homme l'égorge. Ce pou avait été domestiqué sans qu'aucun membre de sa famille, femme, fils ou fille, ne le sache, seul un de ses griots était au courant. L'homme et ce griot ont dépouillé ce pou, en ont gardé la peau et jeté la chair.
L'homme avait une fille très belle, réputée comme telle dans tout le pays. Il annonça qu'il la donnerait en mariage à qui trouverait le nom de la peau qu'il avait étendue par terre.
La fille était d'une beauté presque surnaturelle. Le village se précipite sur la peau et chacun de citer à son tour le singe, le chimpanzé, le boeuf, la mouche, le koba, l'antilope, la biche, le chameau, la chèvre, etc… tous les animaux connus. Personne n'a trouvé, aucun habitant du village, et pourtant ils étaient tous venus. A cause de la taille du pou, on a dit l'éléphant, le buffle, mais nul n'a réussi.
C'est alors que les deux jeunes gens ont appris la nouvelle. Ils ont fait leurs adieux à leurs parents et sont partis quérir la main de la fille. En chemin, arrivés près d'un marigot, le fils du chef a dit à son camarade :
— Je vais à la selle, va m'attendre près de ce marigot.
Il entre dans la brousse, et, par surprise, voit deux biches qui se prêtent un unique oeil pour brouter. Le jeune homme attend ; au moment où les biches se le passaient, il vole l'oeil, et ne bouge pas. Celle qui avait tendu l'oeil croyait que c'était sa camarade qui l'avait.
La deuxième biche dit :
— Mais donne-moi l'oeil.
— Mais je te l'ai donné.
— Mais je ne l'ai pas reçu.
— Ah quelqu'un nous l'a volé.
Elles en restent longtemps stupides, enfin la première biche dit :
— Que celui qui a pris notre oeil nous le rende, nous lui dirons ce qu'il désire. Nous lui dirons le nom de la peau.
— C'est moi qui ai l'oeil, répond Hammadam-au-teint-clair, mais dites-moi tout avant que je ne vous le rende.
— Non dit la biche, rends-nous d'abord l'oeil, je ne te mentirai pas et je te dirai tout.
Le jeune homme a rendu l'oeil. La biche lui dit :
— Tu es en compagnie d'un grand ami. Tu as prêté serment de ne pas le tromper. Vous allez chercher une très belle fille, dont le prix est seulement de dire le nom d'une peau qu'on va vous montrer. Je vais te dire le nom de cette peau. Mais, quelle que soit l'amitié existant entre toi et ton ami, ne lui révèle pas que je te l'ai dit. Sinon tu mourras sur le champ. Hammadam accepte, et la biche ajoute :
— Tu diras d'abord le nom de cinq autres animaux, en sixième lieu tu diras : c'est la peau d'un pou. Tu auras la fille, mais il ne faut parler à personne.
Hammadam-au-teint-clair rejoint son camarade. Ils arrivent le soir au village de la jeune fille, ils disent le but de leur voyage. On les loge jusqu'au matin. Le père de la jeune fille appelle tous les habitants du village, il étend la peau devant les étrangers et leur dit :
— A celui qui dira le nom de cette peau, on va donner la fille. Le fils du chef dit à son camarade de commencer, celui-ci répond :
— A toi l'honneur.
Ils se contredisent quelques instants, enfin Hammadi-le-noir commence à citer le nom de tous les animaux qu'il connaît, sans trouver. A son le fils du chef va soigneusement examiner la peau revient s'asseoir, regarde le ciel l'air pensif, et commence par la peau de l'éléphant, celle du buffle, du chameau, de la girafe, de l'antilope koba, enfin il dit :
— C'est la peau d'un pou.
Tout le monde crie, on tape la tabala. La fille est à lui. Le père réunit les vieux, le mari achète des kolas, la
cérémonie du mariage est célébrée. Les nouveaux époux passent la nuit, et le lendemain le village entier les accompagne un moment sur la route. Puis, il ne reste plus avec Hammadam-au-teint-clair et sa femme que son camarade Hammadi-le-noir. Arrivés au marigot, celui-ci dit à Hamamadam :
— Nous avons juré de ne pas nous tromper, mais tu es le premier à le faire, je sais que tu es chanceux, mais pas à ce point là. Tu le savais, on te l'avait dit. J'allais bien te laisser dire le nom de la peau, mais il aurait mieux valu m'avertir. Les reproches n'étaient pas vifs et, se voyant dans l'erreur, le fils du chef, par dignité, avait décidé de raconter à son ami ce qui lui était, arrivé. Mais il lui dit :
— Quand j'aurai fini de te raconter mon. aventure, je mourrai.
Son camarade répond :
— Je ne te conseille pas de mourir, mais je sais que si j'étais à ta place je n'écouterais pas de pareils boniments.
Ils étaient juste arrivés à l'endroit où Hammadam était rentré dans la brousse. Hammadi ajoute :
— D'ailleurs, sois certain que même si tu meurs je ne t'abandonnerai pas, je mourrai avec ta femme.
Le fils du chef lui dit :
— C'est l'autre jour, ici même. J'ai trouvé deux biches qui, pour se nourrir, se prêtaient un oeil unique. Au moment où elles se le passaient, je l'ai pris. Une des biches a dit à l'autre « donne-moi l'oeil » alors que l'autre croyait que la première l'avait reçu. Une des biches a alors dit « que celui qui a pris notre oeil nous le rende, nous lui dirons ce qu'il veut », et une biche a ajouté qu'il allait chercher une femme et que, le prix de cette femme c'était de dire le nom de la peau étendue devant la porte de son père. Mais la biche lui a conseillé de ne parler de cela à personne, pas même à son bon camarade qui l'accompagne. Elle lui a dit de commencer par l'éléphant et de dire en sixième lieu « c'est la peau d'un pou ». Dès que le fils du chef a terminé son récit, il meurt.
La femme était un peu en avant, Hammadi l'appelle et lui dit que son mari est mort, que faire ? Hammadi reste là à pleurer, il veut tuer la femme et se tuer lui-même, mais la destinée l'en empêche. Ils restent là deux jours sans manger ni boire, à surveiller le cadavre qu'ils n'enterrent pas. Souvent il disait à la lemme :
— Ton mari est mort, nous deux nous mourrons ici, à moins d'une chance surnaturelle.
Le troisième jour les vautours viennent, et veulent manger le cadavre. Le premier qui le tente est tué, car Hammadi-le-noir avait coupé des bâtons pour empêcher tout animal de manger le cadavre de son ami. Plus de cent cinquante vautours sont venus, qui ont été tués de la même manière, pendant sept jours. Le huitième jour, le maître des vautours est venu, avec trois compagnons. Il était pâle et déplumé, Il avait la tête blanche (les vautours ne meurent pas d'eux-mêmes, il faut, comme les hyènes, qu'ils soient tués). Voyant que tous ses camarades ont été tués, il interdit à ses trois compagnons de descendre, et lui seul le fait.
Hammadi a perdu connaissance, il est presque à la mort, mais il voit quand même qu'en descendant le maître charognard sort un petit sac duquel il tire un charme fait d'une espèce de queue poilue ; il se prépare. Le charognard a touché de son charme un charognard mort, et celui-ci s'est levé… ainsi le maître charognard a fait revivre ses cent cinquante compagnons. Au moment où ce maître charognard prenait son élan pour remonter vers le ciel, Hammadi a lancé son bâton, qui a touché le charognard juste là où était accroché son sac. Le charme est tombé. Hammadi se précipite dessus, il sort la queue, il va en frapper son camarade qui se lève brusquement et lui dit :
— Je t'ai trompé et tu m'as rendu la vie. Je te prie de me dire tout ce que tu veux. Je le ferai, même s'il faut détrôner mon père ; te donner la chefferie, de l'or, des boeufs, des captifs, je suis prêt à te servir.
Mais Hammadi lui répond :
— Non, tu ne pourras pas faire ce que je te demande, c'est inutile de me le promettre. D'ailleurs, ne reparlons plus de ce qui s'est passé entre nous.
Les deux jeunes hommes rentrent dans leur village et y sont accueillis par tous les habitants. Le fils du chef continue à demander à son camarade quel service il peut lui, rendre. Il le lui demande tous les jours. Un jour, Hammadi lui répond :
— Puisque tu m'as fatigué à me demander ce que je veux, je vais voir si tu as le courage de me servir. Je te dis depuis longtemps que tu ne pourras pas le faire. Tu me contredis. Je vais te le dire aujourd'hui. Je voudrais que tu me mettes en relation d'amour avec la femme que ton père vient d'épouser, il y a une semaine… Si tu fais cela sans que cela crée d'histoire, tu auras effacé tout le bienfait que je t'ai fait.
Le fils du chef était bien embarrassé, puisqu'il s'agissait de sa belle-mère. Or, chez les Peul, parler d'amour à la femme de son père, c'est quelque chose de terrible. C'est une malédiction, un déshonneur qui porte malheur. Et le fait que son père était craint empirait encore les choses : son père était un grand roi. Hammadan a essayé pendant une semaine. Mais il hésite ; à chaque fois il a peur et honte devant la femme. Un jour il lui dit :
— Belle-mère, je voudrais vous dire quelque chose, mais sachez que si je vous le dis, c'est que je me trouve dans une pénible situation. Mon ami m'envoie vous demander d'être son amante. C'est lui, vous l'avez sûrement appris, qui m'a sauvé la vie. Pour sa récompense il m'envoie chez vous. A vous de sauver mon honneur ou de me faire honte.
La belle-mère, après quelques minutes de silence, lui réponds :
— J'accepte, ton honneur est sauf, mais tu connais bien ton père.
Le jeune homme la remercie et va dire à son camarade qu'elle a accepté. Celui-ci lui répond :
— Mais ce n'est pas fini. Va demander à ta belle-mère par quel signe elle me dira d'entrer ou non dans sa case, puisqu'elle passe parfois la nuit avec ton père et d'autres fois non.
Le fils du chef s'en retourne et interroge sa belle-mère. Celle-ci lui dit :
— Va dire à ton camarade que le jour où il viendra qu'il regarde dans ce petit canari qui est près de ma case. S'il n'y trouve pas deux kolas, il n'a qu'à retourner chez lui. S'il trouve une seule noix, il est libre d'entrer dans ma case.
Le fils du chef est allé répéter ça à son camarade. Les relations entre la femme et Hammadi sont devenues très intimes. Il allait souvent la voir, quand il ne trouvait qu'une seule noix. Cela dura sept nuits. Mais un jour, par malheur, la femme donne à sa servante deux noix de kola à mettre dans le petit canari — le chef devait venir passer la nuit avec la femme — et la servante, au lieu de mettre les noix tout doucement dans le canari les jette, une seule noix est restée dedans, l'autre a roulé hors du canari. Dans la huit, le jeune Hammadi vient : il trouve une seule noix. Il entre dans la case. Il avait mis un pagne en écharpe autour de son cou, et portait au doigt une bague que la femme avait reçu de son mari. Tatonnant en cherchant le lit où le vieux était assis, il touche la barbe du vieux. Celui-ci se précipite sur sa main gauche et lui arrache son écharpe et sa bague. Le jeune homme a fui ; tremblant de peur, il a raconté l'histoire à son camarade et lui dit :
— Je ne dis rien contre toi, tu as fait ton devoir, ta marâtre aussi. Mais un malheur est arrivé. Tu connais la fureur de ton père, je serai égorgé demain. Si tu as le pouvoir de me sauver, voilà l'occasion. Mais même si je suis égorgé, je sais que ce n'est ni de ta faute ni de celle de la femme.
— J'attendais, répond le fils du chef, un jour comme celui-ci pour te montrer ma bravoure. Va te coucher et n'aies pas peur.
Hammadi n'a pas voulu quitter son ami. Il a passé la nuit avec lui. Vers minuit, Hammadan qui connaissait un endroit où un lion avait ses petits, y part armé de son sabre. Avec un courage surhumain, il attaque la lionne, furieusement. Il est blessé, mais il tue la lionne. Il prend un petit lion, le ramène chez lui dans la nuit. Son camarade ne savait rien de tout cela.
Au matin, le chef tape sa tabala. Tous les vieux et tous les hommes et toutes les femmes du village se réunissent. L'un après l'autre, il leur demande à qui appartient l'écharpe. Tous répondent que cette écharpe parait être celle du camarade de son fils :
— Celui-là devrait être égorgé
On convoque le fils du chef et son camarade. Ils arrivent, et tous les regards sont tournés vers eux. Hammadi tremblait. C'était lui le suspect. Le chef lui demande si l'écharpe lui appartient et ce qu'il allait faire dans sa case la nuit. Il a déjà donné l'ordre à ses captifs de le coucher pour l'égorger. Mais entre temps son fils demande la parole, et on la lui accorde. Il dit à son père :
— C'est mon camarade qui a été vous déranger cette nuit. Nous avions discuté hier la question suivante. Je lui ai dit « Je préfère me battre avec un lion ou même avec une lionne ayant des petits, plutôt que d'aller vous déranger chez vous la nuit. Lui a préféré aller vous déranger, plutôt que d'aller se battre avec un lion ou une lionne. Chacun de nous a promis de faire ce qu'il avait dit. Je lui ai dit que moi je partirai tuer la lionne que vous connaissez tous sur cette montagne et que je rapporterai son petit. J'ai tué la lionne, et le petit est dans ma case. Envoyez quelqu'un le chercher. Lui, il m'a demandé la bague d'une de vos femmes, pour
prouver qu'il a été là-bas et son écharpe. C'est pour cela qu'il a été toucher votre barbe et qu'il s'est laissé prendre par vous, en s'en allant, son écharpe et la bague de ma belle-mère ».
Le chef dit alors :
— Apportez-moi d'abord le petit lion.
Des gens sont allés le chercher, l'ont amené, et tout le monde a vu le lionceau. Les gens ont claqué les mains de joie et le chef a dit :
— C'est bien, je sais maintenant que vous me craignez, puisque vous me comparez à une lionne qui a eu des petits.
Le jeune homme était sauvé.
Note
1. Un carré se compose des cases du vieux chef de carré et de se femmes, de ses fils mariés et de leurs femmes, de ses fils non mariés. Les filles non-mariées partagent la case de leur mère. Le père étant chef de carré, les fils mariés y amènent leurs femmes. Quand le père meurt, son fils aîné hérite et devient chef de carré à son tour. Les femmes du défunt passent à son frère cadet, mais seules les femmes encore jeunes partent chez ce frère, les vieilles restent au carré du défunt avec leurs enfants.
Dans les villages, les cases sont alignées des deux côtés de larges rues, remarquables par leur propreté. Les greniers, sur pilotis, sont généralement un peu en retrait des cases. Il y a un grand grenier à mil par carré, c'est-à-dire par famille, et des petits greniers personnels : là des femme gardent leurs arachides ou leur riz (souvent dans des paniers fermés avec de là terre) et aussi celui qui est assez courageux pour se faire un champ personnel auquel il travaille en dehors des heures qu'il doit aux champs de sa famille, le matin de bonne heure ou le soir tard. Chaque soir, ou chaque deux soirs, un jeune fils du chef de carré distribue aux femmes le mil pour le lendemain ou pour deux jours. Chaque femme, même si elle n'a pas de fils, doit préparer une calebasse de nourriture, chaque soir, pour les jeunes gens. Elle la leur porte au milieu du carré, là où ils se réunissent pour manger assis sur un cercle de grosses pierres ou quelques grossiers sièges de bois. La femme peut garder une poignée de nourriture pour son mari, mais les jeunes gens, s'ils la voient, lui disent :
— Où est le riz qu'on t'a donné hier ?
Ils n'ajoutent rien d'autre sur le moment mais ne donnent pas de grains le lendemain à la femme. Ceci sauvegarde les orphelins et les célibataires.
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