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Etudes guinéennes


Mlle. Monique de Lestranges
Contes et légendes des Fulakunda du Badyar


Institut Français d'Afrique Noire. Centre de Guinée, Conakry, 1950, no. 7, pp. 3-66


Gorosigi

Un roi bambara avait un femme peule nommée Gorosigi. Il se montrait d'une extrême jalousie à l'égard de cette femme, qui ne sortait qu'une fois l'an. Il voulait que personne ne la voie, de peur qu'elle ne rencontre un homme et qu'elle ne l'aime. La femme a su patienter et vivre avec lui cinq ans, sans jamais voir un homme qu'elle aurait pu aimer,
car même le jour où elle sortait, elle ne voyait seulement que les serviteurs du roi.
Un jeune homme du Maasina nommé Gelaajo, avait entendu parler de la beauté de la femme peule, épouse d'un Bambara fétichiste. Pour ce qu' on lui en avait dit, il était amoureux de la femme qu'il n'avait jamais vue. Mais ayant appris que la femme ne sortait jamais, il se demandait comment entrer en liaison avec elle. Selon la coutume, il est allé voir plusieurs marabouts, qui n'ont pu lui donner de chemin, de moyen par lequel voir la femme.
Il est ainsi allé de village en village. Il est arrivé au village où habitaient la femme et le roi. Il a vu tous les marabouts du village, mais sans aucun résultat. Un jour, en se promenant, il découvre, par hasard, une vieille femme qui habitait au bout du village. Elle avait dit-on soixante dix ans d'âge, et vivait avec une de ses petites filles de huit ans. Gelaajo salue la vieille très poliment, lui demande des renseignements au sujet de la femme et, ayant confiance en elle, lui dévoile tous ses secrets. La vieille lui répond :
— Parce que j'ai entendu parler de ton courage, je vais te donner un moyen très simple de voir la femme. Retourne chez toi et reviens dans une semaine avec toutes tes provisions.
Très content, Gelaajo retourne chez lui. La vieille femme va trouver le roi et lui dit :
— Roi du Maasina, parmi tous tes suivants tu n'as confiance qu'en un mon fils. Tu l'as envoyé guerroyer il y a trois mois. Ses habits, ses charmes, tous ses effets sont chez moi. Tu sais que je suis vieille, je ne pourrai pas résister aux voleurs qui m'ont menacée hier. Je te demande de me faire faire une grande malle dont je te donnerai les mesures, pour pouvoir ranger tous les effets de mon fils en attendant son retour.
Sans réfléchir, le roi fait faire par les forgerons une grande malle 1 qui pouvait contenir un homme grand, et l'envoie à la vieille. Celle-ci avait pris prétexte des charmes qu'elle seule pouvait ranger pour que les gens ne voient pas les effets : à la vue de certaines personnes, les charmes pouvaient perdre leur valeur.

Le septième jour., comme la caisse était finie, la vieille fait chercher Gelaajo. Celui-ci arrive avec tous ses effets et ses provisions. Il se place dans la caisse, assez vaste pour pouvoir y respirer librement.

La caisse avait une serrure à deux clefs. Gelaajo s'enferme avec une, la vieille garde l'autre chez elle, la vieille n'a pas eu le temps de dire à Gelaajo pourquoi, il le sait déjà, l'ayant deviné. Après quoi la vieille retourne chez le roi et lui dit :
— J'ai fini de mettre les charmes et les habits de mon fils dans la caisse. La malle est. fermée par une serrure, dont j'ai la clef avec moi. De peur qu'on incendie ma case et que je ne puisse prendre ma caisse, je te prie de la faire amener dans ta chambre et de la mettre sous ton lit.
Ce qui fut fait immédiatement.
Le roi allait souvent passer la journée à une lieue du village, partant à huit heures pour ne revenir qu'à huit heures du soir. Un jour qu'il était parti, au grand étonnement de la femme, Gelaajo sort de sa caisse, avec ses beaux habits. A la seule vue de Gelaajo la femme crie :
— Ah Gelaajo, je ne t'ai jamais vu, mais je sais que ça doit être toi. J'ai entendu parler de toi plusieurs fois, j'ai entendu parler de ta beauté, et c'est à juste titre… A toi je donne mon coeur et mon âme, sois mon époux si tu as ce courage et si tu en as le pouvoir
Comme la case où habite Gorosigi est toujours fermée en l'absence du mari, ils passent toute la journée à jouer, et à faire tout ce qui leur plait. Quand ils entendent le tambour qui accompagne le roi à son retour, Gelaajo s'enferme à nouveau tout doucement dans sa caisse. Le roi arrive ; à la porte de la maison, sentant l'odeur d'un homme autre que lui, il tombe évanoui pendant une heure. Se relevant il demande à Gorosigi avec quel homme elle a passé la journée. Celle-ci, à cette méchante question, tombe à terre en pleurant et en se plaignant d'être l'épouse d'un fétichiste, après quoi elle se relève, toujours triste et dit à son mari :
— Tu as demandé ma main en plein Maasina, où il y a des hommes aussi bien que toi et même mieux ; des rois plus beaux, plus nobles et plus riches que toi, ainsi que des fils de chef et de roi ont demandé ma main et n'ont pu l'obtenir, et toi, Bambara fétichiste, dont les biens ne peuvent pas réellement m'entretenir pendant un mois, toi avec ton petit royaume, tu es allé demander ma main, je t'ai vu et tu m'as plu. Mes parents ayant pitié de moi t'ont accordé ma main ; je suis venue chez toi… et tu m'accuses aujourd'hui d'avoir passé la journée avec un autre homme. Si aujourd'hui tu me hais, rends-moi à mes parents et je pourrai bien trouver un autre mari ». Le roi s'agenouille devant sa femme, les mains derrière le dos, et lui demande pardon. Mais ce manque de confiance demeure entre eux.

Un autre jour que le roi est parti, Gelaajo sort de sa caisse et joue avec la femme… . Le roi, qui a des soupçons, a fait exprès de laisser sa tabatière, en partant ce jour là sous les arbres. Au lieu de l'envoyer chercher, à midi, sans que nul ne le suive, car il veut que personne ne le voie, il vient chercher sa tabatière. Entrant très doucement, il trouve sa femme et Gelaajo sur le lit, et tombe immédiatement évanoui. Gelaajo en profite pour se réenfermer dans sa caisse. La femme, avec un air très naturel, « faisait le malin ». Le roi se lève, jure d'avoir vu sur le lit avec sa femme un homme au teint clair qu'il croit bien être Gelaajo. La femme se remet encore à pleurer, à parler, à dire des injures et à jurer. Furieux, le roi dit :
— Je jure d'avoir vu un homme avec toi sur mon lit. Tu peux pleurer pendant dix ans, je jurerai toujours, même devant l'autel, que je t'ai trouvé avec un homme. Et puisque tu dis le contraire, je t'invite à jurer devant l'autel 2 dès demain matin. La femme consent à la proposition de son mari. Elle passe toute le nuit à pleurer.
Mais pendant ce temps, la vieille s'informait chaque jour s'il n'y avait pas d'histoire dans le carré du roi, et un jour elle apprend que le roi avait trouvé sa femme avec un homme. Voyant la situation telle qu'elle est, et le danger qui menace son hôte, elle va elle-même trouver le roi et lui dit :
— Mon fils a fait dire qu'il doit revenir après demain et vient trouver tous ses effets chez moi et non chez une autre : il a appris que je vous ai confié surtout ses charmes et craint que ceux-ci ne perdent leur valeur.
Le roi, qui est en colère, sans même répondre, appelle quatre de ses captifs et leur donne la caisse à porter… On se demande, de Gelaajo et de la femme, quel est le plus content…

Le lendemain, la femme et son mari devaient aller jurer devant l'autel. Gelaajo reçoit ce conseil de la vielle :
— Demain, ton amante et son mari jureront devant l'autel. Le roi est si fâché qu'il désire faire marcher sa femme à pied, lui et tous ses suivants allant à cheval. Toi, je te laisserai partir le dernier ; rejoignant les gens, tu trouveras certainement la femme à pied. Toi, tu la prendras et la mettras sur ton cheval. Vous arriverez les derniers. S'il arrive que le roi, un de ses suivants ou un autre te demandent comment tu oses porter la femme du roi à cheval à côté de toi, tu répondras ceci : « Je suis un étranger, je ne connais pas vos lois. Mais chez nous, quand on rencontre la femme d'un roi à pied alors que tous les autres sont à, cheval, la coutume dit de la porter sur son dos si l'on a pas de cheval ni d'autre monture. Voilà pourquoi j'ai eu pitié de la reine et l'ai prise sur mon cheval.

Bien instruit, Gelaajo passe une mauvaise nuit : il ne ferme pas l'oeil. Le matin de bonne heure, il met ses beaux habits, après avoir lavé son cheval. A huit heures les tambours annoncent le départ pour l'autel et Gelaajo s'impatiente. A neuf heures la vieille lui donne l'ordre de partir et il se dirige vers l'autel. A deux lieues du village il trouve la femme à pied, la prend, la met sur son cheval en lui donnant ce conseil :
— Quand on te dira de jurer, tu jureras que tu n'as jamais été assise nulle part avec un homme, si ce n'est celui sur le cheval duquel tu es, ainsi tu seras sauvée et ainsi nos souhaits seront réalisés puisque la coutume dit qu'aller jurer devant l'autel, c'est le divorce 3.
Gelaajo se presse de rejoindre la troupe, pour ne pas éveiller des soupçons, et va jusqu'à l'autel auprès du mari de la femme, côte à côte avec lui. Là, il saute de son cheval et fait très poliment asseoir la femme auprès de son mari, qui recule. Quand tout le monde est assis, un suivant s'adressant à Gelaajo lui dit :
— Etranger, comment as-tu osé porter la femme du roi sur ton cheval ?
Et Gelaajo de répondre :
— Mon ami oui, c'est peut-être un tort : je suis un étranger, je ne connais pas vos lois. Mais chez nous, quand on rencontre la femme d'un roi à pied alors que tous les autres sont à, cheval, la coutume dit de la porter sur son dos si l'on a pas de cheval ni d'autre monture. Voilà pourquoi j'ai eu pitié de la reine et l'ai prise sur mon cheval.

Tout le monde approuve ces paroles. Après quoi le propriétaire de l'autel s'adresse au roi et lui dit de jurer le premier. Le roi se lève, fait ses ablution, s'en va devant l'autel de l'esprit et jure :
— Si je n'ai pas trouvé ma femme avec un homme, que l'esprit m'ôte l'âme sur champ.
Il jure ainsi trois fois sans qu'il lui arrive malheur. C'est le tour de la femme ; elle arrive, fait ses ablutions, se prosterne devant l'autel et dit :
— Je jure devant l'autel. Que mon âme me soit enlevée si jamais je suis restée auprès d'un homme qui ne soit pas mon mari, si ce n'est cet étranger qui, à la vue de tout le, monde m'a mis sur son cheval.
Elle jure aussi trois fois sans que malheur lui arrive, à l'étonnement de tous, qui croyaient aux paroles du roi 4. Une deuxième fois, le roi et sa femme ont juré chacun trois fois, sans autre résultat
Ainsi le divorce était accompli. Les gens se dispersèrent. De fureur le roi s'arrache les cheveux, tombe évanoui et fait toutes sortes de grimaces, surtout pour être divorcé de Gorosigi, qu'il estimait ! Mais on ne pouvait revenir sur l'affaire, car l'esprit se vengerait. Tristement le roi rentre chez lui.
La femme était très contente d'être la future épouse de Gelaajo. Quoique mécontent du divorce, le roi prend toutes les richesses qu'il avait donné à sa femme et lui donne des porteurs pour les ramener chez ses parents. Le même jour Gelaajo a devancé la femme et a été l'attendre chez ses parents, et faire les démarches pour l'épouser. Comme sa main lui a été accordée, le mariage fut célébré le jour même de l'arrivée de Gorosigi.

Notes
1. Le Fulakunda n'ont pas de lawɓe ou artisans du bois. Ils font faire leurs pirogues, par exemple à des lawɓe de Guinée Portugaise.
2. Pour désigner les cultes non musulmans, les Fulakunda d'aujourd'hui emploi un seul mot : jalan, aussi bien pour l'ancienne religion des Fulakunda que pour celles des actuels Badyaranké ou Coniagui, auxquelles la première ressemblait beaucoup, disent-ils. Le jalan des vieux Fulakunda non islamisés, c'était une pierre ou un grand arbre, néré ou fromager, dans les champs, en brousse ou dans le carré, auquel des sacrifices étaient rendus. Il y en avait un par famille. Certains avaient une grande puissance, d'autres une beaucoup moindre.
3. Si on en vient à jurer devant l'autel, c'est qu'on n'est plus d'accord.
4. Les Fulakunda connaissent d'autres épreuves. Un morceau de fer est mis à chauffer dans la forge. Ce fer rouge posé sur la langue l'emportera si l'on a menti, sinon ne fera aucun mal. Ceci a été fait il y a trois ans encore en Guinée Portugaise, me dit-on en 1949.


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