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Institut Français d'Afrique Noire
Centre de Guinée
Etudes Guinéennes

Numéro 2. 1947


Notice sur les Coniagui

Rédigée par un missionnaire et communiquée par M. Stainer
Chef de subdivision à Youkounkoun


Les Koniagui, d'après la tradition, viendraient du Nord-Est. Il y a une fable qui s'en fait l'écho et accuse en même temps la parenté qui existerait entre les Badyar établis sur le plateau auquel ils ont donné leur nom et les Koniagui :

Un père et son fils venant de Damantan pour s'établir sur un pays neuf arrivèrent un beau jour épuisés de fatigue et de chaleur sur le territoire de Youkounkoun. Ils se mirent à leur aise et s'étendirent à l'ombre pour dormir. Ils avaient leurs affaires à côté d'eux.
Mais pendant la sieste le vieux ramassa à la hâte toutes les hardes et, abandonnant son fils, partit vers l'Ouest. Quand le jeune homme se réveilla il était seul, dépouillé de tout et ne sachant où aller. Il s'établit sur place, l'autre s'établit à son tour sur le plateau du Badyar. L'un est le père des Badyar qui savent tisser et sont vêtus, l'autre est le père des Koniagui qui ne savent que labourer.

Quoi qu'il en soit, il reste encore au Sénégal quelques villages coniagui comme Damantan, où l'on retrouve les vieux sacrifices des anciens.
Le Koniagui a ceci de particulier : outre son costume national fort réduit, il n'a pas de case permanente et vit dans les hameaux ambulants. Sa case est individuelle une muraille en bambous tressés d'un diamètre de 2 m environ, surmonté d'une petite toiture de paille à la pointe très effilée ; le tout retenu solidement en terre par des pieux. Chaque personne adulte de la famille a sa case. Les petits enfants logent avec leurs mamans. Pour tout meuble il y a un lit de bambous surélevé d'environ 50 cm et quand le froid sévit on fait le feu au pied et même au-dessous du lit.
Les jeunes gens habitent un quartier à part, au centre du village, c'est le tyareg ; cases militairement alignées et plus ornées que les autres, jadis c'étaient les guerriers chargés de défendre le village. On ne leur demandait pas de travailler les champs. Ils faisaient des rondes autour du pays pour assurer la tranquillité et en cas d'alerte tout le village se repliait sur le tyareg. On les nourrissait, et encore maintenant, quoiqu'ils fassent eux-mêmes leurs champs et qu'il n'y ait plus d'incursion de Foulah à craindre, la coutume persiste de leur apporter le soir de bonnes calebasses de nourriture.
Revenons maintenant à ces déplacements si caractéristiques des villages. Un hameau Koniagui est axé ordinairement sur un boqueteau de fromagers et de caïlcédrats. C'est là le point fixe autour duquel se trouve l'aire à cultiver. Supposons-la donc divisée en trois fractions A, B, C. Supposons encore que nous sommes au début de la saison sèche. Le hameau est sur une ou deux lignes au bord de la fraction A qui avait été ensemencée d'arachides, tandis que les fractions B et C l'étaient en mil. Alors, de 15 en 15 jours ordinairement, à jours fastes, le mercredi et le vendredi, on voit les hommes de chaque carré porter leurs cases d'à peu près 15 à 20 m en avant, tandis que les femmes transportent leurs jarres et toutes leurs calebasses. C'est vite fait : le toit par terre, quatre hommes suffisent pour cela, la muraille de la case est roulée jusqu'à l'endroit prévu, fixée de nouveau à ses pieux et l'on remet le toit, puis on aménage. A l'endroit abandonné, on laisse les cendres des foyers, les fumures de poules et des cabris et toutes les petites saletés domestiques. Ainsi quand la saison sèche est terminée, en juin, on se trouve avoir parcouru toute la fraction A et l'avoir fumée pour les emblavures prochaines. Elle sera ensemencée de mil bougie, de mil panache et de haricots rampants. On attend encore que ce mil soit sorti de terre et en herbe de quelques centimètres pour aller prendre l'emplacement d'hivernage au bord de la fraction B. Alors tout le monde se déplace le même jour et prend position aux endroits déterminés par les vieux qui ont aussi à l'avance partagé à chaque famille les lots parallèles qu'on va ensemencer d'arachides. Pour l'hivernage, le hameau se trouve plus serré, plus ramassé, car il s'agit de perdre le moins de place possible. On a donc à cette époque de véritables rues formées d'un côté par les cases d'habitation et de l'autre par les greniers. L'année suivante, c'est la fraction C qui recevra le hameau et tous les trois ans le cycle recommence.
C'est au beau milieu de la saison des pluies, un peu avant la coupe du mil bougie, qu'ont lieu les fêtes des jeunes gens ou du Noemba. Il est assez curieux de constater que les Koniagui, qui ont toujours su garder leur indépendance par rapport à leurs voisins, soient pour leurs fêtes rituelles et pour leurs principaux sacrifices, sous la dépendance des Bassari leurs voisins. Ainsi, c'est chez les Bassari qu'ils vont chercher au mois d'août la corde dont les nœuds leur permettra de décompter les jours jusqu'à la fête du Noemba, et c'est un Bassari qui viendra pontifier à cette fête. Mais qu'est-ce au juste que le Noemba ?
C'est certainement autre chose que Dieu ; car ils ont la conception d'un Dieu créateur et maître souverain. C'est plutôt un esprit secondaire, en quelque sorte le père des Koniagui de sexe masculin, puisque c'est de lui qu'ils naissent et c'est lui qui leur donne à l'occasion de sa fête, le moyen de boire de bons coups de bière de mil au nez des femmes. C'est à la fête du Noemba que les jeunes gens de 16à 18 ans commencent leur initiation. Ils vont être avalés par l'esprit et, si l'on veut, naître de lui à une vie nouvelle qui fera d'eux des jeunes gens, des hommes. Auparavant, la veille et toute la matinée les jeunes gens déjà initiés exécutent leurs danses. On les appelle danses du Coq. En effet, le grand cimier rouge bordé de plumes blanches d'un diamètre de 1 m 50 environ et la visière énorme habillée de plumes, qui cache la figure des jeunes gens, rappellent la crête du coq et ses babines pendantes. Enfin à midi tout le monde masculin quitte le hameau pour aller à la cérémonie du Noemba. Cela se passe loin du regard des femmes et des enfants dans un endroit déterminé de la brousse. On y boit tout ce qu'on peut de bière de mil et puis, dans une cérémonie très rapidement faite, un escamotage, le Noemba avale les initiés et l'on revient au village à la nuit tombante non sans avoir administré à ces nourrissons du Noemba de sérieuses raclées en mémoire de celles qu'on avait reçues soi-même jadis.
Les initiés sont alors isolés pendant les trois semaines qui suivent, gavés de nourriture, mais aussi de coups. Après quoi ils feront leurs premiers pas dans le village. Comme des nourrissons on devra les soutenir, leur apprendre à marcher, à voir, à connaître tout, car, de leur première vie ils ne doivent garder aucun souvenir. Peu à peu, dans de petites cérémonies qui sont prétexte à libations plus ou moins abondantes, on leur fera connaître leur mère, leurs parents. Et la mission catholique qui cherche à s'adapter partout au mieux de tous, se plie elle aussi à cette coutume. Elle reprend à l'internat pendant quelques mois les initiés catholiques pour leur apprendre au moins d'une façon symbolique, qui sauve la face, le catéchisme et ce qu'ils savaient auparavant du français. Il y a cependant un petit point de la coutume qu'elle ne supporte pas et qu'elle emploie toute son influence à faire disparaître, c'est celui de frapper les femmes. Avant qu'on leur ait fait reconnaître leurs mères et leurs parents, en effet, les initiés ont la coutume très curieuse de se jeter sur toute femme ou jeune fille qu'ils rencontrent pour la frapper, même leur mère puisqu'ils ne la connaissent pas encore.
Les jeunes filles ont aussi leur fête et leur initiation, c'est à l'occasion de l'excision. Après avoir subi la douloureuse opération, on les pare de leurs plus beaux pagnes, on les coiffe en cimier, on les couvre d'une profusion de perles et de médailles et sans manifester leur souffrance, sans faiblir, malgré le sang qui ruisselle parfois le long de leurs jambes, elles doivent danser sous le soleil de mai tout le reste du jour et jusqu'à la nuit. Ensuite on les isole pour les soigner et les initier à leur vie de jeunes filles pendant une quinzaine de jours.

Voilà donc quelques brindilles de la savane coniagui.
Au demeurant, le Koniagui est d'une race intéressante, au type bien spécial, d'allure fière mais débonnaire. Paisible, saufil a pris un coup de trop, alors très prompt à jouer du couteau. Il est prolifique ; il se multiplierait rapidement si l'hygiène était mieux sauvegardée. Mais l'habitat Koniagui, si pittoresque, s'avère très insalubre. Dans sa petite case de bambous exposée au grand soleil, le Koniagui se défend mal contre la grande chaleur, il s'y défend aussi mal contre le froid et la pluie. Il vit dans un sable souillé de toutes les ordures, rempli de germes malsains. On voit au pays coniagui beaucoup d'aveugles et des lépreux, mais bien peu de vieillards bien conservés. Il lui faudrait, en dépit du pittoresque, se fixer dans de bonnes cases de terre à l'ombre des grands arbres. Il lui faudrait aussi avoir plus de confiance en ceux qui sont venus pour le soigner et lui faire du bien. Mais tout cela suppose qu'il devrait piétiner des coutumes ancestrales et de lui-même, le Koniagui n'est pas près d'y songer.


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