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Institut Français d'Afrique Noire
Centre de Guinée
Etudes Guinéennes. Numéro 2. 1947


Rév. P. Lassort (Samoé)
La langue Kpèlè

p. 21-25


De part et d'autre de la frontière franco-libérienne, c'est la même race kpèlè (ou guerzé ou kpèse ou encore kpèsi autant de noms suivant les régions) que nous trouvons. C'est aussi la même langue qui est parlée.
J'ai pu parler, me faire comprendre, et comprendre ce qu'on me disait, et cela jusqu'à Monrovia inclusivement, tant à l'aller qu'au retour. Je puis dire qu'il n'y a pas plus de, différences entre le parler du Libéria et celui de Yomou qu'entre ce dernier et celui de Gouèkè par exemple, et mon passage à Yomou m'a servi, car c'est le parler des gens d'ici qui tient le milieu entre le Nord et le Sud.
Il y a cependant des distinctions à faire entre ces diverses régions, qui s'étendent sur une longueur de 171 km et plus.
Le canton de l'Ouna du cercle de Nzérékoré se prolongeait autrefois jusqu'à Naama, et tous les gens de ce pays ont encore absolument le même langage.
Le pays compris entre le village de Naama et Gbanga s'appelle le Dyokoèlè, du nom de la rivière Dyo, ce qui veut dire à côté du Dyo. Mais leur langage s'appelle Dyoghota wo, parler du Dyoghota. Or le Dyoghota en question n'est autre qu'un tout petit canton du cercle de Nzérékoré, à côté du Diani, au Sud du village de Koulè, sur la route de Macenta-Nzérékoré. C'est de là qu'ils viennent, et ils en ont gardé le langage. Plus au Sud, dans la région de Kakata, les gens disaient en parlant de moi : « Il parle le dyoghota wo ». C'est donc que ce langage et le mien se ressemblaient.
Au Nord, dans le district de Zorzor, la partie avoisinant. le Diani est guerzé, et les gens de cette région ont le même parler que ceux d'ici. Les relations familiales et d'amitié ont par suite continué malgré la frontière.
Par contre au Sud, de Bopolu à Kakata, de côté et d'autre du Saint-Paul et jusqu'à White-Plains, où les Guerzé sont serrés dans une bande de terrain de 50 à 60 km de large, la langue guerzé a davantage subi l'influence des étrangers : Bassa, Vèï, Gola, Bele, Gbande. C'est surtout dans cette région de Kakata-White-Plains-Bopolu, qu'il y a des différences avec le langage des gens du Nord. N'ayant aucune connaissance des langues avoisinantes, je n'ai pu voir de quel côté, et dans quelle proportion, venaient ces changements; et je ne puis donner ici que les variantes glanées ici ou là.

a. Variantes dans la morphologie.

1. Changements par interversion des mots composés (le ^ sur une voyelle : le tilde).

koèli ho bicyclette
deviendra
ho koèli
gbî pele chemin, automobile
 "
pelé gbî

2. Changements des consonnes par vélarisation, nasalisation, addition ou suppression de consonnes

nyanin lune
deviendra
nalou
écrire
 "
pênyê
monoun riz
 "
molon
kène grand
 "
kète
kpèlèmoun guerzé
 "
kpèlènou
po dix
 "
pu
teê vérité
 "
teyâ
tègan arachide
 "
tèlan
nenen faute
 "
lénen
ya li c'est ça
 "
yani
ba sur
 "
ma
toulo pluie
 "
tounâ

3. Mots nouveaux d'origine guerzé, ou simplement changement du sens d'un même mot.

à toi deviendra biyè
e tu
"
ba
kpelin chaise
"
siè de hie ou sie s'asseoir
gbaha grosse natte en lamelles de bans
"
gbatala au Nord, banc en bans
haga natte en jonc
"
pen dyen : chose bigarrée
yele koulou avion, litt. train d'air
"
kon gelèn : barque qui vole, au Libéria il y a des hydravions
ti kè faire les champs
"
ti kè : faire un travail quel qu'il soit
tomoun chef
"
kalon
woun ga mèlay ma tête se fend
"
woun ga dyoli : ma tête me pique
yèkè petit habit court
"
yèkè : uniquement chemise
hadyali perdrix
"
kokoè : perdrix, onomatopée
kpogolo poudre de riz pilé
"
kwi kpogolo : farine à pain ; au Nord: kwi lébè
kwigen rencontre
"
kwen : limite des chemins d'un village à un autre ; Nord : nyen
kwea la loin
"
kwa ma

4. Mots d'origine étrangère, mais noire

gegen cuvette deviendra pani
nèbè papier
"
kolo
ninê nyêy kow pourghère
"
bamou
yele tega papaye
"
doholo
bolo mouchoirs
"
lokpa
gbolohè patate
"
kwigê
bè ti là-bas
"
manan
ya hvoulo eau chaude
"
yè fan

5. Mots d'origine européenne passés dans la langue

mènañ caoutchouc deviendra laba de rubber
mobili auto-camion
"
moto
lakoèfija écoliers de école
"
soukouga (de school) ; soja (de soldier)
minision de milicien est passé dans le guerzé du Nord, déformé en masson, ce qui désigne le garde-cercle

b. Variantes dans les règles de grammaire.

Extension plus grande du pronom-adjectif possessif première et troisième personne du singulier n ou ne et na.

Dans le Nord, pour parler des parties du corps ou des parents, c'est n qui signifie mon ou ma, son ou sa, suivant le ton aigu pour la première personne et grave pour la troisième, ce n influera sur la consonne initiale du mot désigné, et il en résultera l'assimilation de cette consonne, si elle est assimilable.
Dans le Sud on prononcera ce pronom en entier, et il n'y aura pas d'assimilation, du moins dans certains cas.

nye nyoho (ma mauvaise main); au Sud : ne (e muet) ye nyono
dyabolo (mon beau-frère); au Sud : ne habolo
dyabolo (son beau-frère) ; au Sud na habolo

J'ai aussi entendu : ne le ba gbè pour na ba gbè du Nord. Son nom est quoi ?

En dehors de cela, je n'ai pu constater de différences pour la grammaire et particulièrement pour la syntaxe, que dans les verbes.
J'ai retrouvé ces formes de temps, avec changements dans les pronoms ou les auxiliaires, que Westermann avait notés comme étant guerzé. C'est vraiment du guerzé, mais parlé seulement dans la partie comprise entre Kakata, Bensonville, White-Plains et Muhlenberg d'une part, et Bopolu, Zawolota et Sanoye, d'autre part, la seule partie que Westermann ait visitée, et encore je ne suis pas sûr qu'il soit allé jusqu'à Sanoyé.

Exemples:
ga pay (il devient) : a pay
e wèli ka ma (ton amour est sur moi, je t'aime) : ga e wèli (litt. je t'aime)
ga bè (je suis ici) : ha ka bè
na pa (je suis venu) : na na pa
ga pay (je suis en train de venir) : ha ka pay

Comme on le voit, le verbe reste entier, ce ne sont que les pronoms ou les auxiliaires qui varient.

Quelques autres remarques
La postposition ba (sur, dessus) se dira toujours ma.
Hanoye tè bè ba : Hanoye tè bè ma : Hanoyé est plus grand
diè à eux se dira di ma.

Il est à noter que ces remarques s'appliquent aussi en grande partie au pays konon, à l'Est du cercle de Nzérékoré, région avoisinant la Côte d'Ivoire. Les Konon sont en effet une partie des Guerzé, mais il y a certes plus de différences entre eux et les Guerzé de la région de Nzérékoré, qu'entre ces derniers et les Libériens.
Faut-il voir là dans ces rapports de langue un confirmatur de ce que nous disait un District commissionner, celui de Gbanga, à savoir que les vrais Guerzé sont les Konon et que tout le reste n'est qu'une déformation du konon ? N'est-ce pas plutôt le contraire ?


Le remarquable serpent Kale enroulé sur une case de Hanoye (Libéria) (noir et ocre)


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