Bulletin du Comité de l'Afrique Française & Bulletin de l'IFAN
Tome 1, nos. 2-3, avril-juillet 1939, pp. 630-644
Instituteur-Adjoint
Pays de montagnes et de plateaux latéritiques, le Fouta-Djallon est essentiellement une contrée d'élevage. Les filets d'eau sillonnent les régions à tel point qu'on ne parcourt pas quatre kilomètres sans en avoir un à traverser. Des prairies les bordent sur des kilomètres dans les bas-fonds. Ces herbages, joints à ceux des hauts plateaux, sullisent amplement ait cheptel pendant tout l'hivernage.
En saison sèche, la pratique de la transhumance dans les prairies humides, domaine du ndioban et du kerqué, hautes graminées fort goûtées de tous les ruminants, assure aux troupeaux de la majeure partie de la région une abondance particulière. Les Foulbés, peuple pasteur et semi-nomade, ont trouvé ici tous les avantages qu'ils cherchent dans un habitat.
Si on demande, dès lors, pourquoi les troupeaux vont diminuant, tant en quantité qu'en qualité, on sera forcé d'admettre que le mal provient des pratiques empiriques de la zootechnie indigène. L'éleveur, tout le monde le sait, est le plus têtu, le plus fier et le plus routinier des hommes. Il tient à ses superstitions et à ses pratiques surannées et ancestrales comme il tient à son troupeau. Un conseil ne suffit pas pour les lui faire abandonner : s'il n'y voit pas un intérêt immédiat, presque palpable, si cela dérange quelque peu ses habitudes, il vous dira, par respect: « Oui, j'ai entendu, j'ai compris et j'accepte ». Ce oui n'en est pas un ; c'est un oui qui ne l'engage pas, un oui qui ne se fait jamais. Les instituteurs vivent avec les enfants ; ils sont en contact direct avec la masse des habitants dont ils cherchent, tant par des exemples que par des conseils, à transformer les habitudes restées primitives et la mentalité fermée à toute innovation. Les vétérinaires, eux, guident les éleveurs en particulier.
Instituteurs et vétérinaires auront donc tout intérêt à posséder à fond les habitudes des éleveurs, telles qu'on se les transmet dans la région, de père en fils ou moyennant finances. En admettant que la routine est une maladie, l'ensemble de ces habitudes en constitue le diagnostic. Ils pourront partir de tel procédé en usage dans le pays, donc connu des éleveurs, pour propager la réserve fourragère, par exemple, ou bien commenter les effets désastreux de tels préjugés, pour combattre telles méthodes de thérapeutique locale.
C'est l'objet de cette étude malheureusement fort incomplète. Des collègues curieux voudront vérifier les renseignements qui suivent et nous signaler les différences probables et les omissions certaines qu'ils auront pu constater.
Elle se nommait « Dialli Yéra », du nom de l'endroit où on l'a capturée, une mare d'eau dans le Macina, dit-on. C'est un Labbo, artisan en bois, qui s'est spécialisé, dans la fabrication des calebasses en bois, qui l'a vue, le premier. Il l'aperçut au bord de l'eau, suivie de son veau, paissant tranquillement une herbe jeune. Deux taches blanches émouvantes sur une nappe verte près d'un étang. Ce beau tableau ne fut pas sans quelque effet sur l'imagination du pauvre labbo qui, après avoir rudement travaillé, venait là, suivant son habitude, apaiser sa soif et respirer la fraîcheur. Il s'arrêta et, pendant longtemps, admira les deux bêtes. Il se mit à marcher vers elles ; mais le bruissement des feuilles sèches sous ses pieds éveilla leur attention : elles se précipitèrent dans l'eau et y disparurent. « Tiens, se dit l'homme, voilà quelque chose d'étrange. Allons quand même boire. Je reviendrai demain à la même heure, et si pareil fait se reproduit, j'aviserai quelques amis pour ne pas être seul à jouir de ce spectacle ». Le lendemain, même scène et même dénouement. Le surlendemain, le Labbo se fait accompagner d'un Poullo Djéri Kolédio (un nomade) et d'un Bambaɗo (griot guitariste). A trois, ils avisent comment capturer ces deux bêtes. Ils tirent un piège, un piège très solide, attaché à une grande branche d'un ficus qui croissait non loin du rivage. Ils dissimulèrent le noeud coulant du lasso dans une botte d'herbe placée à terre et, le long de la grosse corde, ils attachèrent des gerbes ; tous trois, couverts de feuilles, grimpèrent à l'arbre, tenant la corde et attendant que l'animal, attiré par l'herbe tendre, se fasse prendre. Le destin ne les fit pas attendre ; ce qui devait se produire arriva. Longue et terrible fut la lutte. Les trois hommes n'eurent pas leur courage en défaut et la victoire vint les récompenser. La vache, épuisée, lasse et meurtrie autant par ses propres mouvements que par la brutalité de ses adversaires résolus et décidés, se soumit. Son petit, que l'instinct de conservation avait poussé à fuir, ne tarda pas à revenir, se laissa attacher, dompter et subit le sort de la mère.
La vache fut attachée là pendant trois jours, solidement maintenue dans une des positions des plus fatigantes. La faim et la soif aidant, la soumission complète s'obtint sans autres difficultés.
Les trois compagnons différaient de caractère comme de corps. Le Labbo, instigateur de l'entreprise, ne voulait, pour rien au monde, délaisser ses occupations habituelles pour se consacrer à l'élevage de leurs captures. Le Bambaɗo, de son côté, préférait la flanerie entre ses camarades qu'il divertirait par ses propos comiques. Le Poullo s'attacha donc à leurs conquêtes, les apprivoisa au point de se substituer quelquefois au veau au moment des têtées.
Ses deux amis le surprirent un jour tètant et avalant de belles gorgées de lait.
— « Ali, lui dirent-ils ensemble, tu prends plaisir à çà. Ce doit être intéressant. Fais-nous en goûter ».
Le Poullo trait la vache dans une calebasse. Nos deux hommes boivent le liquide qu'ils trouvent agréable.
— « Hé, hé, dirent-ils, à nous trois le pot au lait tous les matins. Nous viendrons, ne nous en prive pas surtout ».
Le Labbo creuse une écuelle dans le tronc d'un figuier et l'apporte avec lui le lendemain. Le Bambaɗo et lui reçoivent leur part. Le Poullo tète à même le trayon de l'animal. Ce que voyant l'artisan et le griot laissèrent la vache sous sa garde, lui demandant toutefois de leur réserver leur part de lait. Le Poullo acquiesça et le pacte fut conclu.
Un jour, quelques affaires importantes retinrent nos deux co-propriétaires. Le Poullo, n'ayant pas été prévenu, garda, suivant leur convention, ce qui leur revenait de la traite quotidienne. Ils revinrent le troisième jour seulement. Le lait s'était caillé. Le pasteur ne le croyait plus bon à rien. Il se réjouissait intérieurement du tour qu'il avait joué pour payer ses camarades de leur façon de se comporter. Aussi, quand ils lui réclamèrent leur part, se borna-t-il à leur montrer du doigt, dans un coin, d'un air indifférent et détaché.
— « Goûtez çà et vous verrez ce que rapporte une irrégularité. »
Ils lui obéirent pour voir que c'était. L'hésitation du début fit place à des lampées franches. Les mines changèrent; les langues claquèrent. La satisfaction déclancha des rires homériques. Intrigué de la tournure que prenait sa farce, le Poullo arracha la calebasse de lait des mains de ses deux amis, avala une lampée, puis une autre et une autre encore. Relevant les yeux :
— « Veinards! leur dit-il. Vous avez toujours le bon hasard avec vous ».
Telle est l'origine du lait caillé.
A partir de ce moment, le Poullo s'intéressa davantage aux changements d'état de son lait. Il le goûta chaque fois qu'il s'en produisait un. C'est ainsi qu'il remarqua la formation du beurre par l'effet de la chaleur sur la crème abandonnée toute seule au soleil.
— « Je suis seul à m'occuper de ces bêtes, se dit-il un jour. J'en ai assez. Je vais me sauver avec elles pour être seul à en profiter ».
Il le fit et alla s'installer dans un bas-fond très éloigné où les herbages étaient abondants. Les autres se mirent à sa recherche. Deux mois après, ils arrivèrent, s'enquirent de sa présence, posant des questions à tous ceux qu'ils rencontraient el leur décrivant tantôt l'homme, tantôt les anirnaux. Un beau jour, ils le surprirent dans une prairie à l'ombre d'un arbre surveillant ses deux bêtes, pas loin de la hutte qu'il s'était construite dans un bosquet voisin, à mi-côté d'un mamelon, au flanc très boisé ; notre berger jouait d'une guitare et accompagnait d'une voix mélancolique l'air pastoral. Le regard discret, tout à sa musique, à la beauté du paysage qui l'environne, il n'était plus de ce monde tant il était heureux.
— « Salam alaykoum! » lui lanca le Labbo
Le Poullo sursauta, interrompit sa rêverie et, dans son trouble, moitié éveillé, moitié dormant, il répondit :
— « Wa alaykoum salâm. »
Et il déposa sa guitare, s'affaira pour lui trouver une place convenable.
Les formules de salutations plurent de part et d'autre. Le Labbo ouvrit la conversation :
— « Maudit Poullo, pourquoi nous as-tu abandonnés ? Pourquoi t'es-tu évadé avec nos boeufs ? Pourquoi nous as-tu trompés ? »
« Oh, vous savez, nos bètes manquaient d'herbage dans notre village. Je les voyais maigrir de plus en plus. J'ai jugé alors plus à propos de changer de lieu. Je n'ai eu aucun mauvais dessein en cela. Voyez-les aujourd'hui : la génisse a pris du corps, elle ne tette plus. La vache semble être pleine. Tout me permet de croire à l'accroissement de notre troupeau dans un avenir prochain ».
Ainsi s'expliqua le Poullo, noyant le plus qu'il put la vérité dans une longue démonstration établissant ses bonnes intentions et dissipant tout soupçon chez ses partenaires. Il va sans dire qu'il y parvint, tant par son accueil cordial et empressé que par son attitude désintéressée.
Il les conduisit enfin dans sa hutte. Il leur prépara à manger : du couscous, du beurre et de la crème en quantité. Ce menu ne fut pas sans effet sur le Labbo. Le soir, le même menu fit naître les mêmes sentiments. Le Bambaɗo restait jusque là muet. Une idée le travaillait, le tourmentait et ne laissait pas son esprit en repos :
— « Et ton instrument de ce matin, fit-il en fin de compte, voudrais-tu nous en jouer encore ? »
— « Bien volontiers », répartit le Poullo.
Il allonge alors ses jambes, s'adosse à un pilier de la hutte, pose sa guitare sur ses genoux, redresse sa castagnette, accorde l'instrument et entame un air lent, traînant, avec des soupirs, un air qui captive l'attention, plonge dans la rèverie, une harmonie où la plainte s'allie à la prière.
Bouche bée, le regard vague, les deux auditeurs le fixaient, charmés et inconscients. La demi obscurité et la tiédeur du lieu, jointes à la disposition favorable que procure un bon repas, transportèrent nos trois amis dans une vie de volupté telle qu'en décrit l'auteur des Mille et Une Nuits.
— « Que me faudra-t-il te donner pour avoir la guitare », lui demanda le Bambaɗo. «
— Bien, rien et rien », dit le berger.
« Même la part te revenant dans ce troupeau ? »
« Si », se dépècha-t-il de dire.
« Adjugé, mon ami, avec une condition tout de même : tu me donneras un taureau de trois ans au moins chaque fois que je viendrai te rendre visite ».
« Et moi, ajouta le Labbo qui écouta jusqu'à leur marchandage, et moi tu m'abreuveras de ce lait toutes les fois que je me trouverai chez toi ».
— « Marché conclu, mes gaillards. Mille voeux pour notre bonheur, notre salut et la prospérité de notre troupeau ».
Et c'est depuis ce temps que tout éleveur a beaucoup d'égard pour le Labbo et le Bambaɗo. Au premier, il donne toujours du lait, sous peine de voir crever tous ses veaux. Au second, il n'a jamais marchandé le taureau qui l'abrite de ses malédictions dont l'effet est de décimer le troupeau.
Les qualités physiques, la disposition des cornes, la couleur et les taches de la robe, les épis, voilà ce que considère minutieusement le Poullo avant d'acheter une vache. Nous passerons donc en revue les différents cas qui peuvent se présenter et nous verrons le jugement qu'il en fait découler. Est réputée bonne vache laitière, toute vache qui possède un gros ventre, des épaules bien prises, une encolure et une tête fine, ne rappelant toutefois en rien celles d'une antilope, des pattes peu grosses mais bien d'aplomb, une taille moyenne, une courbe dorsale très légère, la lèvre supérieure et le nombril très développés, une longue queue, avec une touff e abondamment garnie de poils de même couleur. Les vaches dont l'encolure ressemble à celle du taureau sont reconnues infécondes et taurelières. Elles s'engraissent facilement. Le ftus n'a pas de temps de se développer, étouffé par la graisse. Les vaches de haute taille ont une panse volumineuse, difficile à remplir, surtout pendant la saison sèche. Peu de taureaux parviennent à les couvrir facilement et les veaux qu'elles peuvent mettre bas sont de ce fait si petits qu'ils n'ont pas la taille voulue pour atteindre les mamelles de leur mère. Au total, avec ces bêtes, on a des veaux mal formés, mal nourris, de peu de valeur et prêts à succomber dès les premiers moments de la privation de février-mars-avril. On ne les apprécie que pour leurs qualités marchandes. Grosses et grasses, les bouchers et les exportateurs les recherchent beaucoup.
L'accentuation de la courbe dorsale annonce que le troupeau dépérit. Rien de si vrai puisque, en effet, ce signe n'apparaît que chez les sujets faibles, mal nourris, jamais soignés. Aux propriétaires de prendre les précautions pour que la courbe de sa fortune ne fléchisse pas à l'échelle de l'échine de ses animaux. Les oreilles d'une bonne vache laitière sont velues. L'intérieur du conduit auditif est rose avec des poils et beaucoup de cérumen.
La bonne vache a des cornes égales, redressées sur la tête ou formant figure régulière. Nombreuses sont les superstitions n'ayant de base que la disposition des cornes. En voici quelques-unes : si les cornes avancent et surplombent le front, tout en étant parallèles, le troupeau où se trouve cette vache augmentera rapidement ; quand elles avancent sans être parallèles, il faut voir la corne. qui tombe le plus bas : si c'est la gauche, la femme du propriétaire se gardera de donner le lait qu'elle en tire à son amant. Son mari sera au courant et gare aux conséquences malheureuses qui peuvent en résulter. Si au contraire la corne droite est la plus basse le mari devra tout faire pour ne pas comparaitre en justice. On assure qu'il perdra tout procès tant que l'animal sera en sa possession.
Si les cornes forment un cercle complet, sans que le bout d'aucune ne dévie, c'est bien, c'est encore de la prospérité à condition que le cercle soit grand ; si l'une des cornes dévie, il faut l'éliminer : elle annonce des dégâts chez les autres bêtes (la gauche désignant les femelles et l'autre les mâles).
Si les bouts des cornes redressées retombent un peu en arrière, elles figurent une charge sur une tète, un cercueil ou les mains de celui qui commence à faire salam : « Malheureux propriétaire, ta vache t'annonce un décès, peut-être le tien, et on l'immolera en sacrifice ce jour-là ». En résumé, une disposition régulière des cornes est fort recherchée. Les voleurs modifient parfois cette disposition pour égarer les recherches. Ils chauffent un fer au rouge blanc et l'appliquent
au pied de la corne celle-ci se ramollit ; ils donnent de la terre salée à l'animal : les cornes sont alors molles et on peut les tourner comme on veut.
Si l'animal n'a pas de cornes, l'examen doit se porter sur l'emplacement des épis.
Sur la tête, si la tache traîne, s'élargit, c'est le linceul du propriétaire que figure la tache : il mourra avant un an. Grande et ronde, toujours sur la tète, c'est l'autorité et l'influence du patriarche de la tribu qui augmente. Ronde et petite, c'est toute la famille qui acquiert de l'importance. Sur les genoux antérieurs, la tache dit que l'animal sera mordu.. En face des épaules : son maître contractera une maladie qui le retiendra longtemps au lit. Une tache sur les pattes de derrière ou sur la croupe chasse l'animal du troupeau.
En règle générale, toute tache renforce le jugement de l'épi auprès duquel elle est placée ; toute tache du ventre annule toutes les autres.
Les bêtes à poil jaune foncé sont recherchées. Elles sont plus fécondes, plus laitières et douées d'une grande longévité. Il est vrai que celles qui ont le pelage fauve grossissent vite et possèdent plus de force, mais elles résistent mal à la maladie.
Les Foulbé préfèrent les premières aux dernières. D'abord, parce que les veaux des dernières ont souvent des plaies : leur peau n'étant pas suffisamment épaisse, les tiques les attaquent sans difficulté. De plus, il est rare d'en trouver une vingtaine dans un même troupeau. L'éleveur mourra bien avant d'atteindre ce chiffre. C'est bien que les taches des wolodji, comme on les appelle, restent invisibles pour des. yeux non exercés, la tache étant seulement une coloration différente du teint dominant du pelage. Tel n'est pas le cas avec les nabi ou vaches à poils jaune-foncé. Les wolodji ont généralement une mauvaise chance, surtout lorsqu'elles sont nées pendant la nuit. Qu'on les élimine ou non, c'est toujours pareil. Les voleurs d'ailleurs falsifient les taches naturelles, en en provoquant une au ventre, au moyen d'une bouillie chaude qu'ils y appliquent pendant quelques secondes. Tous les poils de l'endroit tombent. A la place poussent d'autres poils de couleur blanche. Les vaches à pelage noir ne prospèrent pas. Si on les élève avec des nabi, elles les « mangent », et appauvrissent ainsi leur propriétaire. De plus, elles sont loin d'être laitières.
Seules les qualités physiques vont retenir notre attention, le reste ayant été rapporté à propos (les vaches.
Le bon taureau doit être nawri, n'dioumri, raɓɓiri, sokidi, belle phrase lapidaire où le Poullo résume ces qualités. Elle signifie un taureau de teint rouge-clair, ou tirant sur le jaune miel, trapu et bien membré.
Le taureau vit en liberté avec les vaches. On les choisit mais on ne limite pas le nombre des femelles qu'il aura à couvrir. Les saillies sont faites au hasard. Aussi, les veaux bien venus très gros sont-ils rares dans le Fouta.
On castre les taurillons de deux à trois ans. On se borne à écraser avec un marteau le cordon spermatique en le placant sur une pierre polie. On enduit la meurtrissure avec un mélange émollient de beurre et de sel marin. On graisse également le trou de sortie de la verge et toute la gencive du patient dont l'opération a ébranlé la dentition. Les mâles seuls, sont castrés.
La vache a un parc. On ignorait jusqu'à ses derniers temps l'usage du hangar. Les bêtes adultes toute la journée vivent en liberté, surtout si c'est pendant la saison sèche. Le soir, les femmes les ramènent dans un enclos où elles les attachent avec une corde à un piquet. Pluie, vent et froid les trouvent là. Personne ne s'en soucie. Ne dit-on pas ici communément : « Qui plaint les vaches sous la pluie ? » Les veaux reviennent sous la vérandah de la case ou dans la case même et, quelquefois, dans une hutte construite au centre du parc.
L'emplacement de l'étable change suivant la saison. Pendant l'hivernage, on choisit un terrain en pente douce, un peu caillouteux, loin de tout ce qui entretient l'humidité. En été, on les installe sur un terrain de caractère tout opposé. Les lieux dits « hantés » conviennent à merveille. Le parc ne doit pas être nu et découvert, à la vue de tout le monde. La vache conseille à son propriétaire : « Cache-moi, je te cache. Mets-moi à nu, je te mettrai à nu. » Le fonio sauvage est un bon indicateur d'emplacement d'étable. Les Foulbé disent que cela porte bonheur aux bêtes.
Les boeufs trouvent du n'dioban (avoine élevée) et du kerké (panicum articulé) en abondance dans les prairies naturelles et au flanc des montagnes. Les hauts plateaux aussi ne sont pas avares de leurs herbages gras pendant tout l'hivernage. Les petites plaines qui bordent les cours d'eau fournissent du foin jusqu'en février, époque où les feux de brousse parcourent toute la région, brûlent tout et enlaidissent tout. Alors, commence la dure période des privations. Parcimonieusement, on leur donne les fanes d'arachides et de patates qu'on leur avait réservées, les feuilles
de monko (variété de ficus), de tyimmé, grand arbre de la famille des morées 1, les épluchures des patates, des papayes et les peaux d'oranges. Le lait caillé a alors l'odeur des feuilles ; une mince couche de crème surnage. Impossible de la consommer, tant elle sent mauvais.
On offre au bétail du sel, au début de chaque trimestre à peu près. C'est parce que les boeufs reçoivent rarement du sel que la fièvre charbonneuse les décime, disent les Foulbé. L'homme qui en consomme suffisamment et tout le temps résiste mieux à cette redoutable maladie qui, chez l'homme, est connue sous le nom de maladie du sommeil. Le sel du pays ne convient pas, c'est le sel marin qu'il faut ; c'est lui qui agit vraiment sur le goût, engraisse et fortifie. On mélange le sel à l'argile tendre d'une termitière en pleine activité, délayée dans de l'eau avec plusieurs poudres d'écorces et des feuilles médicinales. Les boeufs sont amenés dès le matin au lieu où l'on a préparé le breuvage. Ils en boivent, avides, à satiété. Puis, on les couche un à un, de côté, la tête en l'air et on les gave avec le reste. Chargé de la part des veaux, des moutons et des chèvres, on rentre au village. Des plats de riz arrosés de lait caillé y attendent tout le monde. On fait bombance, car c'est un jour de fête du village, et quelquefois de la région, puisque les éleveurs s'entendent pour donner le sel à la même date. On se sépare avec des souhaits de bonheur, de prospérité et de sécurité.
La petite vache du Fouta-Djallon ne peut donner plus de trois litres de lait par jour. Encore cela est-il le maximum. On la trait deux fois. Ce soin revient à la femme. Elle trait dans une écuelle en bois de figuier, ou dans une calebasse si elle a ses règles. De janvier en avril, il y a peu ou pas de lait dans de nombreux villages.
Le beurre est tiré de la crème du lait caillé, c'est-à-dire du lait qu'on a laissé reposer trois jours. La crème est battue avec une petite calebasse à queue. On y ajoute de l'eau froide. Le beurre se prend et flotte. On le ramasse, on le malaxe dans de l'eau claire. Ce beurre est mis à fondre et à cuire dans les douze heures. Il rancirait vite si on le conservait tel quel.
Le mardi, aucun produit de la vache ne doit sortir du carré. Le mercredi et le samedi, on ne doit donner son lait à qui que ce soit. Aucun animal ne quitte définitivement l'étable.
On donne aussi les conseils suivants : “n'accepte pas que la pluie mouille ton veau. Fais-lui du feu quand il fait froid ou, mieux, loge-le dans une case. En février, donne-lui du goumbambé pilé. Tu le coucheras d'un côté, tu lui donneras la moitié du breuvage, puis tu le feras changer de côté et donneras le reste. Garde-lui de la fane d'arachide.”
Au début d'avril, chauffe de l'eau, délave de l'argile dedans, ajoute du sel et donne à boire à ton petit bétail. Le froid et l'humidité de l'hivernage ne lui feront rien du tout. De plus, il ignorera ce que c'est que le diwni, ce fléau de la jeunesse bovine.
Si une vache a trop de peine à mettre bas, place-lui un cola dans la gueule. Aussitôt qu'elle l'aura croqué, le veau tombera ; pour évacuer le délivre, il suffit de piler du maïs, d'en mélanger la pâte avec de l'eau salée qu'elle prendra. L'accouchement terminé, on procède au massage, le long de l'échine, avec des feuilles chauffées au préalable, surtout si c'est une primipare.
Ce doit être un homme sans autre ambition que celle de chercher à vivre. Une femme ayant dépassé la quarantaine, ou s'en approchant quelque peu, peut remplir le même rôle. On rémunérait ainsi le berger autrefois :
Les bêtes rentreront au complet, tous les soirs, à l'étable. Il les mènera à un pâturage abondant.
Elles ne pénétreront de la journée dans aucun champ, dans aucun enclos. Le berger est responsable des dégâts qu'elles peuvent commettre. Il ne les frappera qu'avec des bâtons de sindia (cassia siébéfiana), de boylé, etc.
Nourrir le berger et le vêtir, lui donner un parapluie en bambou. Le jeudi et le dimanche matin, lui remettre tout le lait du troupeau, qui lui appartient de plein droit.
Notes
1. Chlorophora excelsa.
2. Psrospermum guineense (Hypercaricae).
3. peut-être Parinari marrophylla
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