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Seydou Nour Bokoum

Saidou Bokoum. Chaîne.

Paris, Denoël, 1974

Lire également Interview de Saïdou Nour Bokoum, écrivain guinéen à Paris


Littérature guinéenne

L'Harmattan. Paris, 2005. 175 pages
Notre Librairie.
N°88/89 Juillet-septembre 1987. Pages 178-79


Saïdou Bokoum est plutôt un homme de théâtre. Fondateur de plusieurs troupes depuis 20 ans il a présenté deux de ses pièces au Festival d'Avignon en 1970 et 1976 et dirige actuellement en Côte d'Ivoire La companie du Phénix. Mais le seul ouvrage qu'il a publié (à notre connaissance) est un roman de plus de 300 pages aux éditions Denoël. Et quel roman ! O plutôt quel témoignage ! Il avoue à Moncef S. Badday (in L'Afrique littéraire et Artistique, n° 24 de décembre 74) que rien dans sa démarche n'a été con√ßu de façon littéraire :
— Je ne suis pas un écrivain nègre ou même un écrivain africain. Je suis un homme qui est allé au bout d'une expérience atroce, qui a connu la déchéance physique, morale, et qui a voulu témoigner.
Ce parcours autobiographique (l'auteur ne cache rien, il a seulement dû transposer quelques noms de personnes) à travers l'univers parisien des immigrés, étudiants comme travailleurs, se révèle d'une violence inouïe, mais sans aucun parti pris idéologique : aventure individuelle, désespoir d'un homme, descente aux enfers d'un fils de Cham qui n'a strictement rien à revendiquer (j'étais moi, un point quatre traits), sorte de nausée sartrienne qui le mène tout au bord du suicide. Il ne cesse de faire le bilan de sa vie et décide de s'en aller sans regret, emportant seulement les tristes souvenirs d'une escale dans un monde de poubelles répandues par des verrats. Rien ne le rattache à la vie : Mon père et ma mère sont morts. Le sort des 3 milliards de hannetons ne m'intéresse pas (…) Je ne ressens aucun lien affectif qui me lie à ce qu'on appelle l'humanité.
Kanaan Niane, (c'est son nom, et il est symbolique de la malédiction qui pèse sur les Noirs depuis l'aube des temps) s'apprête à se jeter dans le vide depuis les hauteurs de Montmartre lorsque l'attire une lueur soudaine dans la nuit. Il se ravise, marche vers cette lueur qui grandit et se retrouve devant l'incendie d'un foyer d'ouvriers africains. Entraîné plus ou moins volontairement dans la tentative de sauvetage de quelques biens, il va se faire des amis et découvrir dans ce milieu une solidarité et une fraternité moins factices que celle du monde étudiant où il a jusque là vécu. Sa lutte réelle contre les injustices s'accompagne d'une redécouverte progressive de son identité malinké et de certaines valeurs que ses nouveaux compagnons ont conservées, mais la dernière partie de l'ouvrage fait ressurgir le cauchemar du début, à propos d'une grève générale que les travailleurs noirs s'apprêtent à faire. Vision apocalyptique d'une violence rare, où les immigrés africains, chassés d'Europe, errent tout autour des ports africains, misérables boat-people dont l'Afrique ne veut même pas. La chaîne n'est pas près de se briser, Cham reste maudit !
Ce livre puissant et antiacadémique n'a pas eu la fortune qu'il méritait, même si son prix de vente le rendait peu accessible au public africain. Les réceptions critiques, sans être éreintantes, s'accompagnent de reproches exagérés concernant les personnages (jugés à peine esquissés), le style (reconnu énergique, mais trop proche de celui de Ouologuem dans Le Devoir de violence et l'intrigue (qualifiée de bien mince en regard de passages oniriques excessifs). Il nous semble que l'on a trop tendance à oublier que Chaîne n'est pas un roman, mais un témoignage, et que l'auteur, sans aucune visée littéraire, ne s'est guère soucié de la psychologie des personnages secondaires gravitant autour de Kanaan. En fait, mais cela a été soigneusement occulté, le côté dérangeant du livre nous paraît être à l'origine de sa faible diffusion, de l'absence d'une réédition en format de poche et peut-être de sa parution chez Denoël, grand éditeur parisien mais sans lien véritable avec l'Afrique. Le “roman” aurait-il été refusé partout ailleurs ? Seul l'auteur pourrait nous éclairer à ce sujet. Les coups pleuvent en effet dans toutes les directions : gouvernements africains, gouvernement français, petits et grands bourgeois noirs et blancs, coopération franco-africaine, intellectuels de tous bords et couleurs, étudiants, marabouts, tenants de la négritude, toubabesses négrophiles. … Personne n'est épargné.
Dans l'interview citée plus haut, Saïdou Bokoum ne mâche pas ses mots :
— Je ne sais pas ce que c'est qu'une culture africaine et ma propre expérience me démontre que les problèmes vont au-delà de la culture. La seule question valable à mes yeux est la suivante : pourquoi et pour qui doit-on écrire ? Le reste n'est que procès d'intention et tentative de camouflage de l'inexistence de la personne noire.”

Dérangeant, on vous le disait bien. Mais un bien beau livre. Et un véritable écrivain, malgré qu'il en ait.

Alain Rouch

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