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Tierno Monenembo
Un attiéké pour Elgass

Paris, Editions du Seuil. 1993. 170 pages


Un attieke pour Elgass


Table des matières


Notes

Farine de manioc et poisson frit, l'attiéké est un plat qui se mange chaud dans les maquis de Bidjan-là-même. Nul doute que les exilés guinéens de la capitale ivoirienne s'en régaleront ce soir, chez tantie Akissi, à la santé de leur jeune compatriote Idjatou qui doit s'envoler demain pour l'Europe.
Mais depuis quand Elgass est-il mort ? Elgass, c'était l'aîné, le précurseur, la conscience paradoxale qui avait servi de fil-à-plomb à leur insouciance dans la sauvagerie de la grande cité. Il a suffi qu'il meure pour que renaissent les vieilles querelles, les suspicions enfouies, désormais en suspens dans l'air vicié de la lagune. Après nombre de déambulations et péripéties dilatoires à travers les bus et les quartiers de Bidjan, l'heure est venue de regarder les choses en face, de mettre sur la table ces petits mensonges, ces mesquines vilenies de chacun qui font le remords de tous.
Où sont passés les deux cent mille d'Elgass, Habib ? Et ce fétiche dont nul ne se souvient, Arsike ? Et Badio lui-même serait-il sans tache ? « Jeu d'awélé, jeu de vérité. » Personne n'en sortira grandi, sinon la formidable rumeur de la métropole, toute bruissante déjà de ses trafics et de ses légendes, vie et mort mêlées dans la même grandeur et la même dérision. Tout juste le temps de préparer un nouvel attiéké
Au fait, depuis quand Elgass est-il mort ?

Tierno Monénembo est né en 1947 en Guinée. Exilé en 1969, il vit aujourd'hui en France. lI est l'auteur de trois romans, publiés au Seuil : Les crapauds-brousse (1979), Les écailles du ciel (1986), Un rêve utile (1991).


Avec Les Crapauds-Brousse, le romancier né en Guinée en 1947 avait introduit le thème de l'exil politique. Il reprend ce thème dans son 4ème roman car sa patrie est toujours gouvernée par “Boubou-Blanc” dont les habitudes de gouvernement confinent au pire pouvoir dictatorial.
« Saloperie d'indépendance, c'est même plus un pays, c'est un vieux rafiot en feu d'où chacun s'échappe selon les moyens de sa peur. » Aussi n'est-on pas surpris de retrouver ici un groupe de jeunes Guinéens réfugiés, cette fois-ci en Côte-d'Ivoire. Et c'est l'un d'eux, Badio, qui est le narrateur.
Encore étudiants et donnant des cours dans des collèges qui parfois les paient, ils se retrouvent souvent dans les “maquis” de Bidjan-la-même. Par exemple chez tantie Akissi où on se régale d'attiéké, un plat à base de farine de manioc et de poisson frit. C'est là aussi qu'ils doivent fêter le départ pour l'Europe de l'une des rares filles du groupe, Idjatou, la petite soeur d'Elgass. Mais entre Mermoz, le quartier du campus où ils habitent, et le maquis où Idjatou les attend, c'est presque toute la ville qu'il faut traverser en Bus, par la Ligne 12. Contourner Cocody, longer le Plateau, franchir le pont et se retrouver à Treichville.
Comme des pauses sont inévitables — et qu'on est dimanche — on prendrait bien une bière puis une autre servies par Kouassi Kouassikro, fier descendant de prince guinéen, au bar du Libanais, séducteur invétéré. Badio et ses amis vont faire attendre Idjatou. Mais quand ils la rejoignent au bar Hélène, à minuit passé, la fête va déraper au fil des parties d'awélé. Plusieurs années auparavant, mais après la mort de son frère aîné Elgass, la jeune Idjatou était venue toute seule de Guinée à la recherche de son sassa et Elgass avait laissé derrière lui pas mal d'argent. Tout le monde ne sortira pas indemne de cette ténébreuse affaire.
« Si certains croient se souvenir d'avoir vu le sassa épinglé au-dessus de son lit, c'est parce qu'on en a parlé récemment. A l'époque, tout le monde n'avait dû y voir qu'un machin pour touristes comme il en pullule sur les côtes africaines. Une gourde de Touareg, par exemple, puisqu'il avait été instituteur nomade au Niger ; un sac de donso bambara puisque c'est au Mali qu'il avait contracté son premier mariage ; un décorum lobi ou bobo puisque c'est en Burkina Faso qu'il lui était arrivé cette histoire de faux billets de banque avec un prétendu commissaire de police ; un fétiche éwé puisque c'est au Ghana qu'il avait été orpailleur…
Où est-il passé, ce sassa ? II existe bien, pourtant. Sinon le lignage ne se serait pas amusé à pousser une collégienne plus prédisposée au jeu de marelle qu'aux finasseries de l'ésotérisme à parcourir des centaines de kilomètres depuis le pays jusqu'à Bidjan. »
Dans un style fleuri, n'hésitant pas à utiliser des termes de langues locales, le romancier peint un savoureux tableau de Bidjan-la-même, avec ses riches et ses paumés, ceux qui fréquentent la faune du bar de l'hôtel Ivoire, et ceux qui rencontrent les toutou dans les bouges de périphérie — « Yopougon à côté c'est la bourgade des innocents ».

Wodka Over


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