Paris. Librairie Plon. 1929. Tome IV. pp. 259-71
L'ancien régime n'avait jamais perdu de vue que des établissements d'une certaine importance pourraient être formés au delà de la Gambie et l'on a vu les tentatives faites à diverses reprises pour prendre pied soit aux îles Bissagos, soit à Sierra-Leone. Aucune n'avait duré longtemps. Le régime issu de la Révolution Française (1789) devait aboutir à des résultats plus positifs. En même temps qu'au Sénégal on cherchait à s'éloigner des côtes pour pénétrer dans l'intérieur du pays et y faire de la colonisation agricole, les gouverneurs poursuivirent et obtinrent l'acquisition de nouveaux postes sur les côtes méridionales. Dès 1827, Roger acquit l'île de Diognè à l'embouchure de la Casamance. Deux ans plus tard, un négociant français nommé Blanchard, voulut établir un dépôt de marchandises sur le marigot
de Cagnat, dans la même région, mais les Portugais qui occupaient Ziguinchor s'y opposèrent. Tout en respectant la situation spéciale de nos concurrents, le gouverneur Pujol donna, en 1836, à Malavoix, commandant de Gorée, l'ordre de créer un poste à Carabane. Devenu à son tour gouverneur au départ de Pujol, Malavoix fit installer l'année suivante deux nouveaux postes, l'un à Sédhiou et l'autre à Diambéring, au sud de Carabane. Les emplacements nécessaires nous avaient été cédés respectivement par les indigènes les 24 mars et ler avril 1827.
Ces travaux d'approche devaient nous conduire rapidement aux « Rivières du Sud », la Guinée actuelle. Les Landoumans du rio Nunez ayant, en 1838, maltraité des commerçants sénégalais, la goélette la Fine fut envoyée l'année suivante pour exiger des réparations et un traité conclu le ler août 1839 avec le chef des Landoumans donna libre accès aux Français et à leurs ressortissants dans le rio Nunez, moyennant, il est vrai, le paiement de coutumes. Dès 1840, trois maisons françaises y étaient installées. Le lieutenant de vaisseau de Kerhallet, commandant la canonnière l'Alouette, consacra cette situation le 10 janvier 1842 par une convention qui renouvelait et précisait nos droits.
Nouveaux progrès en 1845. Le lieutenant de vaisseau Laffon de Ladébat agrandit notre domaine en effectuant d'abord la reconnaissance de la Mellacorée et en passant le 18 avril avec le chef Mouri Laye, une convention nous assurant le monopole du commerce dans la vallée de cette rivière. Puis il dirigea une expédition contre les Baga, qui gênaient notre commerce dans la région du rio Nunez et obtint d'eux le 27 mai un traité analogue à celui conclu avec les Landoumans. Boké fut acquis dans les mêmes conditions, le 27 juillet 1848, par le lieutenant de vaisseau Ducrest de Villeneuve. Le roi des Landoumans ayant refusé l'année suivante de supprimer la traite des esclaves, la corvette la Recherche bombarda Boké au début d'avril et occupa définitivement ce point ; le roi fut détrôné et remplacé par son frère ; tous les habitants du rio Nunez reconnurent notre souveraineté. Enfin, nous prîmes pied au rio Pongo en 1851 et à la rivière Kitafini, dite encore rio Cassini, en 1857.
Un traité conclu le 28 novembre 1865 avec Youra, roi des Nalous, nous assura la propriété de la région de Victoria, mais tous ces traité ou accords n'avaient qu'une valeur relative : les chefs indigènes étant la plupart du temps liés à la fois ou successivement vis-à-vis de plusieurs puissances européennes. C'est ainsi que le 15 février 1876 John Cotty, roi du rio Pongo, conclut un traité par lequel il reconnaissait notre protectorat, tandi que nous lui assurions une pension annuelle de 500 francs ; mais John Cotty recevait, par ailleurs, une subvention analogue du gouverneur anglais de Sierra-Leone. Cette circonstance détermina le commandement de Gorée, de qui relevaient encore les Rivières du Sud, à consolider nos droits sur le rio Pongo en établissant un petit poste à Boffa. Avec ceux précédemment créés à Boké (rio Nunez) et à Benty (Mellacorée), cela portait à trois le nombre de nos postes dans cette partie de l'Afrique.
Telle était la situation des Rivières du Sud, lorsque notre colonie du Sénégal, que Faidherbe avait poussée jusqu'aux approches du Niger mais dont la guerre (franco-allemande) de 1870 avait retardé le développement, commença à sortir de ses limites et à envahir le Soudan. Les Rivières du Sud devaient, bien que dans des bomes plus restreintes, participer à ce mouvement en avant.
C'est alors que fit sa première apparition dans le pays un ingénieur nommé Aimé-Olivier Pastré de Sanderval, qui devait jouer un rôle considérable dans la pénétration française au Fouta-Diallon. Sans doute était-il guidé principalement par des buts personnels et par une ambition qui, d'ailleurs, avait sa noblesse ; mais il était amime, en même temps que d'une rare énergie, d'un vif sentiment
de patriotisme, et il n'est que légitime de signaler les services rendus à la cause française par cet aventurier de génie, dont nous aurons l'occasion de parler, de nouveau, un peu plus loin.
Aussi bien, on en était encore à la période de l'exploration, une fois lancés loin des rivages de la mer. Tandis que Sanderval commençait à nouer des relations avec les autorités indigènes du Fouta-Diallon, deux employés d'une maison de commerce de Marseille parvenaient à découvrir les sources du Niger. Le chef de cette maison, M. Verminck, avait chargé l'un de ses agents, nommé Zweifel, employé à Rotombo, dans la colonie de Sierra-Leone, de rechercher le point d'origine du grand fleuve. M. Zweifel s'adjoignit, pour l'accomplissement de cette mission, son collègue Moustier, qui représentait la maison Verminck à Boké et qui parlait couramment le soussou et le peul. Tous deux partirent de Rotombo, le 8 juillet 1879, traversèrent les pays habités par les Timéné et les Limba, puis le Kouranko, arrivèrent le 26 août à Falaba sur la haute Scarcie, et, le 19 septembre, aperçurent le mont Tembi, d'où on leur dit que sortait le Niger. Enfin, le 30 septembre 1879, ils découvrirent, près du village de Foria, l'emplacement de la source principale du Tembiko, bief supérieur du Niger. Ils ne purent toutefois le visiter, les prêtres voués au culte de la source s'y étant opposés. Les deux explorateurs quittèrent Foria le 4 octobre, et, le 7 novembre, ils étaient de retour à Rotombo.
La même année, un traité avec le chef du Samoh avait agrandi quelque peu nos droits territoriaux au voisinage de la mer. En 1880, nous nous établissions dans la région de Dubréka, et nous acquénions des droits sur l'île Toumbo, où devait s'élever plus tard Conakry, le chef-lieu de la nouvelle colonie. Cette île — qui n'est plus qu'une presqu'île à marée basse — présentait une grande importance, du fait qu'elle abrite un mouillage utilisable par les navires et qu'elle commande le petit groupe des îles de Los, lesquelles appartenaient alors à l'Angleterre. Elle faisait partie du royaume du Kaloum, qui englobait également Dubréka et à la tête duquel se trouvait un chef nommé Balé Demba. Le capitaine Chapelet, commandant du poste de Benty, mettant à profit la crainte qu'avait Balé Demba de voir son royaume annexe par les Anglais des îles de Los, détermina ce prince à placer ses Etats sous le protectorat français.
C'est également en 1880 que Sanderval se rendit à Timbo. Son intention était de pousser jusqu'aux mines d'or du Bouré, dans le Manding. Mais il ne dépassa pas le Fouta-Diallon, où il fut retenu par les beautés pittoresques du pays, le charme du climat et l'espoir qu'il avait d'y fonder un établissement prospère. Parti du rio Grande en février 1880, il arriva le 7 avril à Timbo. Il ne tarda pas à acquérir une influence considérable auprès de l'almami et des notables du Fouta-Diallon, qui lui cédèrent en toute propriété les hautes terres du Kahel. Il s'en fit reconnaitre roi par les indigènes, avec l'agrément de l'almami du Fouta-Diallon, y installa une ferme modèle et explora méthodiquement son royaume, pendant que deux de ses agents, MM. Gaboriaud et Ansaldy, obtenaient pour lui, le 27 juin, de l'almami de Timbo, la
concession d'une voie ferrée devant relier le Fouta-Diallon à la mer. En août, il ralliait la côte à Boké et se rendait en France, afin de s'y approvisionner en matériel. De retour au Kahel, il levait et équipait une armée qui lui servit à maintenir l'ordre dans son royaume et faisait même battre monnaie à son nom et à ses armes. Le pouvoir qu'il exerça au Kahel durant une quinzaine d'années fut réel et il l'employa efficacement à préparer l'occupation du Fouta-Diallon par la France et à combattre les visées britanniques sur cette province. Il devait aider puissamment en 1888 la mission politique du lieutenant Plat et en 1889 celle du capitaine Levasseur. Enfin, en 1896, lors de notre établissement définitif au Fouta-Diallon, il devait contribuer, avec son armée et ses partisans, à la défaite de notre ennemi Bokar Biro, et faire ensuite abandon à la France des droits qu'il avait acquis.
Il n'était pas indifférent pour nous qu'Olivier de Sanderval eût pu pénétrer à Timbo dès 1890 et y eût fait prédominer l'influence française. En 1881, en effet, le gouverneur anglais Goldsbury, qui avait alors la charge des établissements britanniques de la Gambie, remontait ce fleuve jusqu'à Yarboutenda, et, par Kadé, arrivait en avril à Timbo. Il voulut y conclure avec l'almami un traité de protectorat, mais, grâce à Olivier de Sanderval, l'almami s'y refusa absolument et consentit seulement à signer un traité de commerce. Prévenu des desseins du gouverneur Goldsbury, Brière de l'Isle, avant de quitter le gouvernement du Sénégal, avait chargé le docteur Bayol de se rendre au Fouta-Diallon et d'en obtenir le protectorat pour la France. Accompagné de l'explorateur et futur administrateur Noirot, le docteur Bayol quitta Boké le 17 mai, arriva à Timbo le 12 juillet et, le 14 juillet 1881, il concluait avec l'almami Ibrahima Sori un traité plaçant le Fouta Diallon sous le protectorat français. Les droits résultant de ce traité devaient être reconnus en 1882 par la Grande-Bretagne, en 1885 par l'Allemagne et en 1886 par le Portugal.
Le 28 juin 1882, une convention franco-anglaise reconnaissait nos droits sur le rio Nunez, le rio Pongo, le Kaloum, la Mellacorée, et, comme nous venons de le dire, sur le Fouta-Diallon, et fixait les limites entre nos possessions des Rivières du Sud et la colonie britannique de Sierra-Leone.
Un décret du 12 octobre de la même année organisait nos établissements des Rivières du Sud et, tout en continuant à les faire relever du gouverneur du Sénégal, les plaçait sous la direction d'un lieutenant-gouverneur spécial, qui fut le docteur Bayol.
Un traité avec le chef de Bramaya, en 1883, et un autre avec le chef de Lakata, en 1884, élargirent vers l'Est et vers l'Ouest, nos territoires du rio Pongo, dont le centre était Boffa. Le 30 janvier 1884, le docteur Bayol signait avec Youra, roi des Nalou, un accord comportant la cession à la France du territoire compris entre les marigots de Caxiope et de Ropas, dans la région de Boké.
Ainsi notre prise de possession faisait quelques progrès. Mais elle allait être sérieusement contrecarrée par les ambitions allemandes, qui se faisaient jour au moment où celles de l'Angleterre semblaient s'être éteintes. Le 31 décembre 1884, prétextant que le territoire compris entre l'estuaire de Dubréka et la rivière de Bramaya ne relevait ni du Kaloum ni du royaume de Bramaya, avec lesquels nous avions des traités de protectorat, et se trouvait par suite être res nullius, le capitaine allemand Scheiden annexait ce territoire. L'année suivante, des commerçants allemands établis à Dubréka signalèrent à leur gouvernement que nous n'avions pas de traités avec les cantons de Kabitaye, Koba et Korréra. Un croiseur fut envoyé aussitôt, avec mission de prendre possession de ces cantons. Il vint mouiller en face de Dubréka, et le docteur Nachtigal, chef de l'expédition allemande, fit procéder à l'occupation de Korréra, dont le chef accepta le protectorat de l'Allemagne. Or, Korréra dépendait manifestement du Kaloum, dont le roi Balé Demba s'était placé en 1880 sous le protectorat français. Le gouvernement de Berlin, saisi d'une protestation de notre ministre des Affaires étrangères, reconnut, par une convention du 24 décembre 1885, nos droits sur les territoires situés entre la rivière de Bramaya et l'île Toumbo, ainsi que sur cette dernière ; en échange, nous abandonnâmes à l'Allemagne les villages de Petit-Popo et de Porto-Seguro, sur la côte des Esclaves.
Le 12 mai 1886, le Portugal reconnaissait de son côté nos droits sur le rio Nunez et le rio Componi, ainsi que sur le Fouta-Diallon, et la frontière était fixée entre ses possessions et les nôtres. Ainsi la colonie des Rivières du Sud se trouvait constituée du point de vue international, allant, sur la côte, de l'estuaire du rio Componi jusqu'à celui de la Mellacorée inclus, sans solution de continuité, et avec les portes libres du côté de l'intérieur ; seules, les six îles de Los demeuraient encore propriété de l'Angleterre : elles l'étaient depuis 1818. Des décrets du 16 juin et du 4 août de la même année augmentèrent les pouvoirs du lieutenant-gouverneur des Rivières du Sud, en plaçant sous sa haute autorité, en qualité de dépendances, les établissements français de la Côte d'Or (aujourd'hui Côte d'Ivoire) et du Golfe de Bénin (aujourd'hui Dahomey).
En 1887 mourut Youra, roi des Nalou , remplacé par son neveu Dina Salifou, dont nous aurons à reparler plus loin. C'est cette même année, le 8 mai, que nous fîmes pour la première fois acte d'occupation sur l'emplacement de la ville actuelle de Conakry. Nous y fûmes amenés par une prétention inattendue des Anglais qui, sous prétexte que la presqu'île de Tombo est une île à marée haute, affirmaient qu'elle faisait partie du groupe des îles de Los et, par conséquent, appartenait à la Grande-Bretagne.
Pour empêcher cette singulière prétention de s'appuyer sur le fait de la non-occupation du point en litige par la France, le docteur Bayol prit possession du terrain cédé par Balé Demba en 1885.
L'année 1888 vit deux missions, l'une politique, l'autre, militaire, traverser le Fouta-Diallon. L'une et l'autre venaient du Soudan français et avaient été envoyées par Gallieni. Le capitaine Oberdorff, qui commandait la première, mourut en route, le 9 janvier 1888. Le lieutenant Plat prit sa succession. Arrivé le 6 mars à Timbo et le 9 à Fougoumba, la ville sainte des musulmans du Fouta-Diallon, il y renouvela, le 30 mars, avec l'almami Ibrahima Sori, le traité de protectorat conclu en 1881 par le docteur Bayol, en faisant mentionner que le protectorat français s'étendait sur les dix diiwe ou cantons du Fouta-Diallon.
Cette fois encore, Sanderval mit toute son influence à notre disposition. Le lieutenant Plat continuant son voyage atteignit Benty le 1er mai.
L'autre mission, partie de de Siguiri, sous le commandement du capitaine Audéoud, traversa le Fouta-Diallon dans toute sa largeur, en donnant aux habitants l'impression de notre force militaire, et aboutit, elle aussi, à Benty.
L'exposition universelle de 1889 fournissait une occasion de faire voir la civilisation française dans toute sa splendeur aux chefs des peuplades arriérées qui s'étaient placées sous notre protection.
Le nouveau chef des Nalou, Dina Salifou, fut invité à venir à Paris où il fut reçu avec les honneurs royaux. On pensait ainsi lui inculquer une idée salutaire de notre force et des progrès que nous étions en mesure de réaliser sur les rives du rio Nunez. Le résultat fut différent de celui que l'on avait escompté. Grisé par les attentions dont il fut l'objet, enorgueilli de se voir traité en égal du shah de Perse et d'être invité à côté de lui à l'Elysée et à l'Opéra, ce principicule d'une petite peuplade nègre se crut un grand monarque. De retour dans son pays, il se livra à des fantaisies de nabab oriental, mit le trouble dans sa tribu et se révéla aussi insolent qu'incapable ; dès l'année suivante, on dut lui enlever son trône et l'interner au Sénégal, où il mourut en 1897, après avoir été officiellement destitué en 1895.
Cependant le docteur Noel Ballay, envoyé en mission spéciale aux Rivières du Sud pour y exercer l'intérim des fonctions de lieutenant-gouverneur durant l'absence du docteur Bayol, allait apporter au développement de la jeune colonie les hautes qualités de dévouement, et de sagesse politique qui le caractérisaient. Il commença par obtenir de Balé Siékha, successeur de Balé Demba, le 8 juillet 1889, la cession en toute propriété de l'île ou presqu'île de Tombo, dont il voulait faire le port et la capitale des Rivières du Sud et, sans plus attendre, il se mit à tracer le plan de la ville de Conakry, dont il est considéré à bon endroit comme le créateur.
Peu après, le 1er août 1889, intervenait un décret, applicable à dater du 1er janvier 1890, qui modifia à certains égards la situation administrative de nos établissements de la côte occidentale d'Afrique. Le lieutenant-gouverneur des Rivières du Sud, tout en continuant à relever du gouverneur du Sénégal, était autorisé à ne lui envoyer que la copie de ses rapports politiques et à correspondre directement avec le secrétaire d'Etat des colonies : c'était le début d'une véritable autonomie. Quant aux établissement français de la Côte d'Or et du Golfe du Bénin, ils continuaient à relever hiérarchiquement du lieutenant-gouverneur des Rivières du Sud, mais le résident placé à la tête de chacune de ces deux unités administratives correspondait directement, lui aussi, avec le gouvernement métropolitain.
Quelques jours après la publication de ce décret était conclue la convention franco-britannique du 10 août 1889, qui, sur les bases de l'arrangement antérieur du 28 juillet 1882, définissait les limites des Rivières du Sud et de la colonie de Sierra-Leone et confirmait la reconnaissance de nos droits sur le Fouta-Diallon.
On se préoccupa dès lors d'assurer la pénétration économique au moyen d'une voie ferrée. Sanderval avait bien obtenu de l'almami du Fouta-Diallon la concession d'un chemin de fer destiné à relier cette province à la mer, mais il n'avait pu trouver les moyens financiers de réaliser sa conception. Il fallait d'ailleurs étudier un tracé. Une mission fut constituée à cet effet en 1890, sous les ordres du capitaine Brosselard-Faidherbe, qui, accompagné de l'écrivain Félix Dubois et du peintre Adrien Marie, partit de Benty en remontant la Mellacorée et en se dirigeant vers Timbo et le haut
Niger : dès cette date, en effet, l'idée dominante était, non seulement de mettre le
Fouta-Diallon en communication avec les rivages de l'Océan, mais encore de relier
la côte des Rivières du Sud au bief supérieur du grand fleuve soudanais. La mission Brosselard-Faidherbe termina ses travaux en 1891 et rapporta un projet de tracé qui, par la suite, devait subir de très sérieuses modifications, tant à l'égard de son point de départ sur la mer, qui devait être transporté de Benty à Conakry, qu'au point de vue de son lieu d'aboutissement au Niger, qui devait être reporté de Farana à Kouroussa.
A la même époque, la partie occidentale des Rivières du Sud était explorée par le voyageur Madrolle et l'administrateur de Beeckmann était envoyé en mission au Fouta-Diallon pour préparer l'exercice de notre protectorat.
Le 17 décembre 1891, un nouveau décret donnait à la colonie son autonomie pleine et entière, en la détachant complètement du Senégal et en lui accordant un gouverneur titulaire, qui conservait les pouvoirs de haute juridiction sur les résidents du Grand-Bassam et de Porto-Novo, et qui fut le docteur Ballay. Le 10 mars 1893, le nom de « Rivières du Sud » , qui n'avait plus sa raison d'êêtre depuis que le territoire auquel on l'appliquait n'était plus une dépendance méridionale du Sénégal, fut remplacé par celui de « Guinée française », en même temps que les établissements de la Côte d'Or et du Golfe de Bénin étaient érigés à leur tour en colonies autonomes, sous les noms de « Côte d'Ivoire » et de « Bénin ».
Bientôt, grâce à l'activité du gouverneur Ballay, l'île de Toumbo se trouva couverte d'une ville régulièrement dessinée, harmonieusement bâtie, percée de larges boulevards ombragés, égayée par des jardins; un petit port, très fréquenté, desservi par une jetée provisoire, donna de l'animation et de l'importance à Conakry ; un pont mit l'île en communication avec la terre ferme et une route atteignait Friguiagbé en 1895. Le capitaine du génie Salesses, chargé d'en étudier le prolongement dans la direction du Niger, proposait en 1896 de la doubler d'une voie ferrée qui traverserait le Fouta-Diallon et dont il devait être à la fois le promoteur et le réalisateur.
Notre situation au Fouta-Diallon, qui n'avait été jusqu'alors que diplomatique, en quelque sorte, se consolida, au cours de cette même année 1896, par une occupation effective. L'administrateur de Beeckmann y fut envoyé pour y exercer les fonctions de résident auprès de l'almami ; il se rendit à Timbo et y trouva l'almami Bokar Biro, avec lequel il renouvela solennellement, le 13 avril 1896, les traités conclus avec son prédécesseur Ibrahima Sori. Mais ce Bokar Biro, qui arrivait alors au terme de sa magistrature, refusa de céder le pouvoir à Oumar Bademba, qui avait été élu par les notables à l'effet de recueillir sa succession. Une guerre civile s'ensuivit, dans laquelle Oumar Bademba avait pour lui, non seulement les droits consacrés par une vieille tradition coutumière, mais encore l'appui des principaux personnages du Fouta-Diallon, notamment d'Alfa Yaya, chef du canton de Labé. Bokar Biro fut battu par son rival et dut se réfugier chez les Soussou. Mais, ayant réussi à recruter de nombreux partisans, il vainquit à son tour ses adversaires et se reinstalla en maître à Timbo.
Le gouverneur Ballay décida d'user de la force vis-à-vis de ce chef qui méconnaissait les lois de son pays. Aussitôt la saison des pluies terminée, trois compagnies de tirailleurs furent envoyées. Bokar Biro s'enfuit de Timbo, que nos troupes occupèrent sans difficulté, le 3 novembre 1896. Oumarou Bademba fut installé dans ses fonctions d'almami et l'administrateur de Beeckmann dans celles de résident de France. Le capitaine Muller, s'étant lancé à la poursuite de Bokar Biro, l'atteignit près de Porédaka et lui infligea une sanglante défaite, à laquelle participèrent les troupes de Sanderval. L'agitateur réussit cependant à nous échapper, mais, capturé peu après, par des partisans de son ennemi Sori Illili, il fut décapité par eux. Sori Illili, à son tour, fut assassiné par les fils de Bokar Biro. L'almami Oumar Bademba, s'étant déclaré impuissant à faire cesser cette suite de sanguinaires vengeances et le trouble qu'elles causaient dans le pays, fut remplacé dans ses fonctions par un fils de Sori Illili, nommé Baba Alimou. Mais nous ne laissâmes à ce dernier que son pouvoir spirituel et ses prérogatives religieuses, et le Fouta-Diallon, partagé en cercles, fut administré directement par nos soins.
En novembre 1897, une tentative de révolte fut fomentée par Tierno Siré, frère de Bokar Biro. Elle fut étouffée par l'administrateur Noirot, qui avait succédé comme résident à M. de Beeckmann, et qui procéda à l'arrestation de Tierno Siré.
Vers la même époque, l'explorateur Bailly, accompagné du naturaliste Pauly, tenta de pénétrer par Kissidougou dans les régions, encore inconnues, habitées par les
Toma et les Guerzé ; les deux voyageurs furent massacrés le 17 mai 1898 à Zolou, dans l'arrière pays du Libéria.
L'année suivante, en 1899, les cercles soudanais de Kouroussa, Siguiri, Kankan, Beyla, Kissidougou furent rattachés à la colonie de la Guinée française, dont les limites se trouvèrent ainsi reportées vers l'Est au delà du Niger. A la même époque commencèrent les travaux de construction du chemin de fer, sous la direction du commandant Salesses, qui avait arrêté le tracé définitif en 1897-1898.
Le docteur Ballay, appelé en 1900 au gouvernement général au moment de la grande épidémie de fièvre jaune du Sénégal, fut remplacé en Guinée française par son plus fidèle collaborateur, M. Cousturier, qui continua à Conakry la politique du grand organisateur de la colonie.
Le seul point où la situation laissait à désirer était le Fouta-Diallon. La masse de la population nous semblait acquise, mais les rivalités des grandes familles et le déclin de leurs anciennes prérogatives étaient la source ou le prétexte de troubles fréquents. On dut en 1900 procéder l'annexion du canton de Labé et, par imitation de la politique suivie par Faidherbe au Fouta sénégalais, on réduisit l'autorité de l'almami déjà fortement amoindrie, aux trois provinces de Timbo, Bouria et Kolen. L'agitation avait son principal foyer à Foukoumba : Alfa Ibrahima, qui s'en était revélé l'un des instigateurs, fut révoqué de ses fonctions de chef et remplacé par Alfa Mamadou, qui paraissait dévoué à notre cause ; mais, ayant recruté des partisans parmi les musulmans les plus fanatiques, Alfa Ibrahima tenta d'incendier le poste que nous venions de créer à Ditinn ; son fils Boubakar assassina Alfa Mamadou. Une opération de police était indispensable : elle eut pour résultat la défaite à Dalaba de Boubakar, qui fut tué au cours du combat, et l'arrestation d'Alfa Ibrahima, qui fut condamné à mort.
L'ordre, ainsi rétabli, fut menacé deux ans plus tard dans l'extrême nord de la colonie, chez les Koniagui, peuplade barbare et très arriérée. Le 18 avril 1902, le lieutenant Moncorgé, qui occupait le district compris entre Kadé et Youkounkoun, fut assassiné à Boussoura ainsi que le sergent Ricard, par des hommes d'Allouthène, chef du village koniagui d'Ithiou. Ce double meurtre ne fut vengé qu'au bout de deux ans, par le commandant Dessort, qui, le 9 avril 1904, enleva et détruisit le village d'Ithiou et, le 13 avril, battit et tua le chef Allouthène.
La même année, par une convention du 8 avril, la Grande-Bretagne nous céda les six îles de Los, dont la possession par elle, à trois milles de Conakry, était devenue un anachronisme et nous causait une gêne appréciable, sans lui rendre aucun service. Ainsi se trouva complètement constituée la colonie de la Guinée française, au moment où M. Cousturier cédait les fonctions de gouverneur à l'inspecteur des colonies Frézouls et où, d'autre part, on procédait à la réorganisation, sur les bases actuelles, du gouvernement général de l'Afrique occidentale française.
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