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Tierno Chaikou Balde, 1907-1972

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Les associations d'âge
chez les Foulbé du Fouta-Djallon

Introduction

L'étude que je présente concerne spécialement la région de Labé, où je suis né et où j'ai passé mes quatorze premières années. L'essentiel de cette organisation est le même dans le Cercle de Mamou. J'ai pu le vérifier au cours de mes neuf années de service dans cette région (Timbo, Ditinn, Dalaba, Mamou) et j'ai signalé, en leur place, les variantes concernant Timbo.
Dans le temps, l'organisation que je décris, se situe à l'époque de ma jeunesse (1913-1928). Mes aînés me disent que rien n'a changé dans ce domaine depuis leur enfance. Je puis donc dire que le yirde de mon jeune âge conservait son organisation primitive.

C'est dès l'âge de quatre ans que prennent naissance les associations dont il va être question dans cette étude. Elles se forment à l'occasion des fêtes du village, religieuses et familiales. Que ce soit, en effet, la fête du Ramadan, la fête de la Tabaski ou la fête du nouvel an lunaire, chaque mère de famille tient à honneur de préparer, pour chacun de ses enfants et suivant son degré d'aisance, un plat de riz, de couscous ou de fonio qu'il mangera en compagnie de tous les garçons ou les fillettes du village du même clan que lui.
Les groupes d'enfants vont d'une case à une autre, d'un enclos à un autre, tout seuls, ou accompagnés d'une grande fille ou d'un grand garçon, suivant leur sexe, s'ils sont tout jeunes. Après les repas, ils se promènent par le village, en bandes serrées, courant, criant, très joyeux, sous le regard amusé des parents. Ils se ruent sur la première personne connue qu'ils croisent, si toutefois ce n'est pas une personne âgée. Ils l'entourent, l'arrêtent, qui du bras, qui du boubou, tels des policiers entourant un malfaiteur. Ils lui lancent à qui mieux mieux des « Donne-nous le cola de la fête, donne-nous le cola de la fête ». Il faut s'acquitter. C'est un droit que les enfants exigent. Si l'on n'a rien en poche, la marmaille se fait un jeu de vous poursuivre, de plus en plus pressante, de plus en plus agaçante, et il est quelque peu gênant de traîner cette chaîne de bambins sous le regard ironique de tout le monde, surtout lorsque cette chaîne est formée de fillettes.
Les jours de fête, il est comique de voir ces petites filles ceintes d'une écharpe blanche, poursuivre à toutes jambes, parmi la foule des promeneurs, des garçons quelque peu plus âgés qu'elles et qui, ne pouvant trouver de quoi donner, mais confiants en leur supériorité à la course, profitent d'une distraction de leurs tyrans pour se dérober et fuir. Les fillettes, aussi décidées qu'eux, se mettent âprement sur leurs traces et quelquefois, parviennent à les rejoindre, haletantes, pleines de colère. On devine les figures et les gestes de ces mauvais coureurs.
Au coucher du soleil, toujours trop tôt venu, les bandes d'enfants de moins de sept ans se disloquent. Les mamans les rentrent tels des moutons qui ne reviennent dans la bergerie qu'escortés de leurs gardiens.
Il n'y a pas d'organisation à proprement parler dans ces groupements. Jouer et manger en commun est leur programme.
A l'âge de sept ans, vient le moment de commencer l'éducation religieuse des enfants. Tous les enfants, garçons et filles entrent à l'école coranique ; grande fête familiale célébrée avec solennité pour marquer la fin du rôle prépondérant de la mère dans l'éducation du garçon. A partir de cet âge, celui-ci ne doit plus ni s'asseoir ni à plus forte raison se coucher dans le lit de sa maman ou celui de son père. Il rejoint ses aînés dans leurs cases particulières. Ceux-ci les emmènent avec eux dans la brousse à la recherche du bois sec, à la surveillance et au sarclage du champ paternel, à la rentrée des vaches, des veaux et du petit bétail.
C'est au cours de ces sorties autorisées que le petit enfant fait connaissance avec les premièref réalités de la vie. II change de langage et son caractère se tranforme. Les différents jeux pratiqués en commun, au grand air, le fortifient et l'assouplissent.
Ne prenant plus régulièrement ses repas, il se prépare petit à petit à la sobriété étonnante du Poullo. Ceci est remarquable dans les grandes familles, où celui des membres qui arrive en retard pour prendre son repas ne trouve plus rien à manger. Ses commensaux habituels, non seulement ne lui ont pas gardé sa part, mais se sont réjouis de constater l'absence de sa main dans la calebasse commune.
Les enfants lient alors connaissance entre eux, se fréquentent après les heures de lecture coranique et se fixent un emploi du temps commun.
A partir de ce moment, on ne les trouve que bien rarement dans la maison. Ils vivent à la suite de leurs aînés immédiats : les mawnan, auprès desquels, eux, les minyan, s'initient progressivement à la discipline d'association. Les plus éveillés, les plus dégourdis, se font incorporer dans l'association aînée, laquelle d'ailleurs n'exige pas d'eux l'exécution intégrale des obligations statutaires. Les mawnan les tolèrent le plus longtemps possible. Ce sont des novices ; c'est leur formation sociale qu'on poursuit. On réclamera d'eux, mais bien plus tard, le respect sans récrimination et la soumission complète aux obligations qu'impose à tous le règlement de la société.
S'ils se refusent obstinément à obéir, ils sont exclus sans autre forme de procès. En général, ils ne le déplorent pas.
Ils groupent autour d'eux leurs camarades d'âge et font reconnaître comme chef le plus hardi d'entre eux. L'enfant a neuf ans. Il commence à être rusé. Il a abandonné sa belle franchise d'enfant. Il a appris à se mettre en garde contre les bruyants revirements d'humeur de ceux qui ont tout pouvoir sur lui. Il distingue les propos qu'il peut ou ne doit pas tenir devant papa et maman. Il connaît les actes qu'il peut se permettre d'accomplir en leur présence sans risque de réprimande. Et cette petite expérience, acquise souvent à ses dépens, il la met à profit.
Il passe souvent ses nuits hors de la concession paternelle ; le soir, après la lecture à tue-tête, autour du grand feu allumé clans la cour, il se rend à la danse, d'abord en simple gamin, ami du bruit, courant et poursuivant un camarade autour du cercle des danseurs et des danseuses. Avec le temps, il finit par comprendre les chants. Son âme s'est, par moments, soulevée d'enthousiasme en entendant les éloges d'un frère ou d'un ami célébrés par une grande soeur dont la voix chaude et vibrante se répercute aux quatre coins de l'horizon. Il a vu ses aînés former des groupes amis où ne figuraient que des jeunes gens de même âge et des deux sexes. La cousine une Telle était sympathique, bien sympathique. Elle s'amusait gaîment avec le frère un Tel. Il l'a bien remarqué car cela n'est pas clans les habitudes permises de la maison. Avec la secrète complicité d'une nuit sans lune, il a, plus d'une fois, suivi des grands clans leurs cases particulières. Il se souvient bien que les mawnan n'y riaient pas tout seuls. Les grandes soeurs leur tenaient compagnie; de plus, celles-ci n'en paraissaient pas du tout gênées. Et dire qu'avec tout cela, les vieux fermaient les yeux et ne corrigeaient personne.
C'est à ne pas y croire. Les parents ne paraissent se préoccuper que des travaux quotidiens. Que ceux-ci soient bien exécutés, et on peut impunément se permettre bien des licences.
« Pourquoi ne ferais-je pas comme eux ? se dit alors en lui-même le petit garçon. J'ai bien des camarades d'âge de deux sexes et rien ne s'opposerait à ce qu'on imite les aînés. Je vais soumettre, sans retard, la question à mes amis, quand nous irons au bois. Nous organiserons une société à nous, à l'image de celle des grands et nous vivrons leur vie. C'est ainsi que naissent ces « amicales » qu'on appelle, dans le pays, gire (yirde au singulier).
Toute génération compte quatre gire, deux chez les Foulbé et deux chez les anciens serviteurs.

Le « yirde » des garçons chez les Fulɓe

Tout yirde a son organisation propre défmie par une hiérarchie, un règlement statutaire et un règlement disciplinaire dont tout membre est tenu d'observer les prescriptions, sous peine d'exclusion.
Le but permanent d'un yirde est le groupement des forces matérielles, morales et intellectuelles d'une génération en vue d'une action d'ensemble. C'est, en quelque sorte, une école de la vie, dans ce que celle-ci a de plus complexe et de plus respectable. Sa durée est limitée, mais l'obéissance passive au règlement cesse à l'âge de trente à quarante ans.
Les membres ne diffèrent d'âge que de un à quatre ans au maximum.

Hiérarchie

A la tête de l'amicale se trouve un président que nous appellerons quelquefois Chef au cours de cettenétude; puis viennent, par ordre d'importance, le premier ministre, dénommé Jaggal, puis le trésorier, le juge, le commisaire et les griots.

Le président

C'est le lanɗo yirde, le chef de l'association. La présidence est une fonction enviée, fort briguée pour les multiples avantages honorifiques qu'elle confère. Le Président est élu pour une durée indéterminée, par l'ensemble des enfants. Il n'est pas forcément le plus âgée, mais il faut qu'il soit d'une bonne famille du village ou du clan. Il doit, cela va sans dire, jouir de l'estime et surtout de la confiance de tous ses camarades. II représente la société auprès des organisations similaires, soit aînées, soit cadettes et auprès du chef de village. II s'engage en son nom et n'est responsable, devant la société, que des faits relevant de son actïvité effective. Il décide de toutes les questions intéressant la société. Son approbation est requise pour que les résolutions des membres aient force de loi. Il a droit de veto mais en use rarement. Il a droit de grâce, sauf dans le cas d'une peine prononcée pour dilapidation de la caisse. Il a droit de primauté et se porte en tête en toute circonstance, y compris en cas de danger. Dans les cotisations, il verse une part double. Dans tout partage, il a la part du lion, le quart environ. Les autres membres, quels qu'ils soient, se partagent également le reste.

La nomination d'un yirde de garçons âgés

La première place d'une association où les dignitaires sont désignés au vote, est toujours enviée et disputée. Chaque membre ambitionne de l'occuper, et quand il est en place, de la conserver. Aussi, la présidence d'un yirde est l'objet d'une lutte acharnée entre les enfants, et force intrigues se nouent au sein du groupement pour en provoquer la vacance. Les prétendants relèvent les fautes du chef et les encadrent de commentaires malveillants qui en accentuent le relief. Des amendes provoquées par ces compétiteurs, pleuvent sur lui et finissent par le lasser. Le découragement fait le reste. Devant l'évidence d'une incapacité manifeste les enfants, en assemblée. le dénoncent aux mawnan, qui le déposent.
La campagne électorale s'ouvre, ardente, rude. Les pères et mères des divers candidats s'affrontent. Ils tiennent à ce que leurs fils sortent vainqueurs. C'est que le chef d'un yirde deviendra généralement le chef du hameau, du canton s'il a pu conserver son prestige. Le rôle des mères, dans ces compétitions, est considérable. Elles sollicitent le concours des mères de leur entourage qui usent de leur influence sur leurs enfants.
Le jour de l'élection venu, le yirde, dans une assemblée préliminaire choisit, par vote individuel, celui des candidats qui présente le plus de garantie, d'indépendance et d'égalité d'humeur et le propose à l'agrément des mawnan et des minyan.
Ceux-ci, réunis en congrès dans le waaleru des aînés par la voix du grand Jaggal et du grand juge, le proclament chef dans un silence solennel et en ces termes : « L'association aînée et l'association cadette ici présentes en assemblée, déclarons recevoir la candidature d'un Tel dans la succession d'un Tel. Nous pensons que c'est d'un commun accord que vous nous le présentez. Nous ratifions donc entièrement votre choix si heureux en ralliant tous les suffrages. Nous le nommons votre chef. Vous l'appellerez moodi (monsieur) à partir de ce jour. » Les applaudissements crépitent ; les cris d'enthousiasme des partisans de l'élu couvrent les bruits de l'assemblée.
Le chef des mawnan se lève et serre la main à son nouveau collègue de l'association cadette. Le Jaggal continue ensuite son discours d'investiture dans le même cérémonial.
« Nous lui concédons tous les droits d'un chef. Nous vous prions de suivre notre exemple. En cas d'abus de pouvoir, la justice est là, souveraine, indépendante, impartiale. Vous vous reporterez à son verdict ». Et se tournant vers le nouveau Président, il ajoute :
« Tes camarades d'hier, vos camarades d'aujourd'hui vous chargent de la direction de leur société, de la conduite de leurs affaires, de la défense de leurs intérêts. Il dépendra de vous de mériter leur estime et de vous montrer digne de leur choix et de la confiance qu'ils ont mise en vous. Soyez un exemple éclairé dans le respect du règlement et des statuts de votre organisation et veillez à ce qu'aucun membre ne soit ni inquiété, ni brimé, ni molesté. Nous aussi, nous applaudissons chaleureusement à votre nomination. Employez-vous à ne pas décevoir la confiance que nous avons tous en vos capacités ».
Cette harangue achevée, on commence les réjouissances, aux frais du nouveau promu : énormes calebasses de riz,de fonio, viande, colas en quantité et, si la famille jouit d'une certaine aisance, des dons en argent ou en nature aux griots. La jeunesse accompagne ensuite, en triomphe, le nouveau chef au waaleru du groupement cadet.
A Timbo, cette cérémonie revêt une pompe et un apparat particuliers. L'enfant nommé Président là-bas, est toujours un fils du chef en exercice. Il porte un turban et est promené par tout le village. Les vieux le bénissent et lui font des présents appréciables que la foule se partage. Le nouveau chef choisit ses collaborateurs. Les statuts de la société lui donnent ce droit et il use toujours de ce droit au profit de ses partisans de la première heure. C'est un changement d'équipe gouvernementale.
Le juge seul fait exception à cette règle. Lui, en principe, est à l'abri des fluctuations politiques de l'association. Une fois élu, il conserve sa fonction tant qu'il ne se départit pas de l'impartialité qu'on exige de lui.

Droits judiciaires du chef de yirde

Au point de vue judiciaire, le Chef peut réformer tout jugement qu'il estime rendu contrairement à l'esprit du règlement.

Le chef du yirde et la discipline

Il n'est responsable devant la société, avons-nous déjà dit, que des faits relevant de sa propre activité. Dans ce cas, il est poursuivi devant l'assemblée des sociétaires quand il dilapide l'avoir du groupement. La restitution intégrare des biens escroqués lui est imposée, sans parler des risques de destitution qu'il court. Le même tribunal le juge et le condamne quand il dévoile un secret, quand il fait preuve d'incapacité flagrante dans la défense des intérêts de la communauté en général, et de ceux de chacun en particulier. Il est traduit devant les aînés pour abus de pouvoir. (Le fait d'infliger, de sa propre autorité, une amende en est un ; battre les faibles, en est un autre, etc. …).
A part la déposition, les peines qu'on lui inflige sont celles du droit commun, prévues et édictées par le règlement en vigueur dans la société. La flagellation est rare pour lui, et quand elle est appliquée, on exécute la sentence comme suit : tous les enfants habillent de leur boubou le malheureux condamné et on le fouette ainsi habillé. Les vêtements amortissent suffisamment le choc du foùet, mais l'humiliation reste et le prestige est détruit. Le rachat de cette peine est autorisé. Le condamné eh fait la demande à l'assemblée, qui lui fixe la somme à verser. S'il est fils d'un chef de village ou de canton, les enfants, par crainte de représailles contre leurs parents, se bornent à s'écarter discrètement du fautif et, en secret, reconstituent la société avec un autre chef connu d'eux seuls.
Le vol est aussi une cause de déchéance pour un chef. Il est entendu que la maraude de fruits et de tubercules n'est pas considérée comme un acte infamant.

Le premier ministre ou Jaggal

Il est choisi par le Président et nommé par l'Assemblée générale. Le Jaggal supplée le Président en cas d'absence. Il est le conseiller intime de celui-ci, son inspirateur et son porte-parole. Il est responsable devant la société de la bonne gestion des finances de la société et, en général, de toutes les affaires de la communauté. Aussi il est tour à tour malmené, félicité et critiqué. Tous lui doivent respect et obéissance dans l'exécution de ses attributions. Sa destitution est immédiate, s'il dépasse ses prérogatives. Il veille au recouvrement des cotisations, des amendes et en fait le compte-rendu détaillé à l'assemblée en présence du trésorier. Tous les dignitaires de la société sont sous ses ordres. Son activité est grande.

Le trésorier

Il est nommé par l'assemblée constitutive, après la nomination du ministre. Il a la garde des biens de l'association. II ne s'en dessaisit que sur l'ordre motivé du président, appuyé du témoignage d'au moins deux membres n'exerçant aucune fonction dans le yirde. Il doit rendre des comptes précis sur l'emploi des fonds à tout membre qui le désire. Il est pécuniairement responsable des biens dont il est dépositaire comptable. L'assemblée des enfants seule a qualité pour reconnaître les cas de force majeure. Elle seule peut les juger et les estimer de nature à le décharger entièrement ou en partie. Il remplace le ministre dans ses attributions statutaires tout en restant trésorier. Au retour du Jaggal, il reprend sa fonction après un compte-rendu complet de sa suppléance et une mise au courant de la situation intérieure et extérieure du yirde. Il ne supplée le lanɗo que pour des faits d'infime importance, n'engageant pas financièrement la société. Dans ce cas, il aura cessé d'être trésorier avant de prendre le titre de chef intérimaire (halfinaaɗo).

Le juge

Il est élu par l'assemblée constitutive. C'est un des plus âgés, fin, le plus calme, dont la franchise a été mise à l'épreuve plusieurs fois et la droiture de caractère reconnue par tous. Sa force physique importe peu, car il n'a pas à craindre de représailles de la part de ceux qu'il condamne. Les statuts le protègent. Le Président ne peut le révoquer. Il connaît de toutes les affaires, sauf quelques cas particuliers concernant le Président et ceux où il est question d'effusion de sang. Il arbitre en principe, en dernier ressort, toutes les contestations. Les verdicts, dans toutes les questions pour lesquelles il est compètent, sont sans appel. Toutefois, certains justiciables passent outre et font appel devant les aînés.
Un jury, choisi par les membres, l'assiste et l'éclaire de son avis exprimé à huis-clos. L'opinion publique seule est juge de ses sentences. La moindre partialité est relevée, épinglée, souvent elle provoque des critiques violentes et acerbes. Si le fait se renouvelle plus de deux fois, on révoque le juge.
Le juge ne peut témoigner dans une affaire qu'il est appelé à connaître. Son frère serait cité dans sa juridiction qu'il se verrait obligé de descendre de son siège de magistrat pour laisser la place à un membre qu'on désignerait sur-le-champ.
Le juge forme, avec le ministre, le conseil privé du Chef.

Le commissaire

Il est, lui aussi, élu par tous les sociétaires, sur la présentation du Président cette fois. C'est un des gaillards de la bande qui en impose à tout le monde par son physique et qui parle au nom du règlement. Ses ordres sont impératifs et immédiatement exécutoires. Ceux qui s'estiment lésés gardent toute liberté de demander explication ou réparation, mais plus tard, au ministre sous les ordres de qui agit le Commissaire.
La police de toutes les assemblées est à sa charge. Des aides dévoués lui sont adjoints. Il constate les absences, les manques de courtoisie, de prévenance et les signale à son chef direct. Il assure la perception des cotisations sous le vigilant contrôle du ministre : amende à faire payer, flagellation à infliger. C'est un agent de renseignements qui enquête sur tout le monde et dont on se méfie avec juste raison. Dans les invitations, il est le maître du protocole. Fort de ce titre, il assigne à chacun sa place. Toutes les commissions à faire lui sont transmises. A lui de choisir, parmi les membres, le garçon le plus apte à remplir chacune d'elles. Lui seul aussi recevra le compte-rendu de l'envoyé pour le communiquer ensuite au Jaggal. Il sert enfin de trait d'union entre le yirde des garçons et celui des filles.
On le révoque dès qu'il devient brutal.

Les griots

Se fait griot qui veut 1. Avoir le langage facile, être spirituel et effronté, voilà les conditions requises et nécessaires pour donner satisfaction à tout le monde. Les griots sont en effet les comédiens bouffons de la société. Leur rôle est d'égayer et de récréer les membres dans les réunions. Bons conteurs, bons chanteurs, excellents improvisateurs sur tous les sujets, hérauts et musiciens à la fois, ils chantent les éloges de leurs camarades et les mordantes satires composées à l'adresse des sociétaires exclus ou de n'importe quel individu qui les éconduits.
Ils reçoivent des cadeaux et sont, cela va sans dire, craints à cause de leur méchanceté. C'est le soir d'une fête qu'il faut les voir. Debout au milieu de leurs aides, les mains aux hanches, comme un chef d'équipe, dodelinant de la tête, ils crient à tue-tête des chants dans lesquels il est question de la bonté et de la générosité d'un tel, de la beauté angélique de telle fille, du pittoresque de tel lieu, de l'infamie ou de la traîtrise de telle femme, etc., tout cela mêlé à des mots spirituels et des boutades du plus haut comique. Ces comédies obéissent à une métrique particulière. Pas de rime, ni de limitation du nombre de pieds. Le rythme seul compte et se confond avec la phrase musicale dont l'étendue équivaut à une longueur d'haleine. Toute phrase musicale exprime une idée complète, indépendante. Pour lui permettre de réfléchir sur la suite du développement du sujet et lui donner le temps d'ordonner son inspiration, les aides du chanteur occupent le chant de refrains entonnés en choeur. Des calebasses vides renversées sur un tas de hardes et battues à coups de poing, accompagnent cette singulière chorale d'un bruit rappelant de très loin la grosse caisse.
Tout assistant, objet d'une citation élogieuse dans les chants, s'enthousiasme, prend acte des termes par un petit discours enflammé et se fait un honneur de récompenser le zèle du griot, lequel partagera le gain avec ses aides, après la séance. Les autres assistants qui n'ont été que des spectateurs muets recevront, concurremment avec le président, le tiers des recettes.

Le siège social

C'est une case construite aux frais de la société dans le carré le plus éloigné possible de celui des vieux. On l'appelle waaleru. Tout le monde, en principe, doit s'y retrouver le soir. Néanmoins, la présence effective n'est obligatoire que deux fois au moins dans la semaine, et encore, on peut faire acte de présence et s'en aller passer la nuit ailleurs.
Tous les jeunes gens, et eux seuls, ont libre accès dans le waaleru.

Les réunions

Le yirde se réunit au grand complet à l'occasion de l'élaboration définitive des statuts et du règlement intérieur de la société, à l'occasion de la discussion et de la fixation du montant des cotisations individuelles, des procès retentissants, des invitations, de l'admission dans la société et enfin à l'occasion des fêtes villageoises, religieuses et familiales.
Les assemblées constitutives fonctionnent sous la présidence du grand, un dégourdi. Elles ont lieu partout dans le village et ses alentours s'il s'agit de gamins s'unissant pour la première fois. Les membres du gouvernement sont élus et c'est la seule fois où ils auront à décider de tout. Dans l' avenir, le titre de chef n'appartiendra qu'à celui des enfants désigné comme tel par les mawnan.
Le Président, chaque fois que l'intérêt social l'exige, convoque les membres pour discuter un ordre du jour comportant généralement un compte rendu détaillé des décisions prises dans l'intervalle des sessions et des questions sur lesquelles il n'appartient qu'à la communauté entière de statuer (blâme, exclusion d'un membre, cotisations, allocation, etc.).
La présence d'une majorité des 3/4 aux 4/5 est nécessaire pour que les délibérations de grande importance aient quelque valeur.

La séance

Le président expose en quelques mots l'ordre du jour de la réunion. Son Jaggal justifie les projets présentés, commente et défend les décisions prises. Le tout est soumis à la discussion publique. Tout membre ayant une objection à faire la présente séance tenante, car serment a été pris par tout le monde de ne jamais laisser sa façon de voir dans l'ombre. Il éclaire ensuite le congrès sur le bien fondé de son objection. On passe au vote public. Les voix « puissantes », pour entraîner des adhésions en faveur de leurs thèses, font précéder leur vote d'explications qui sont autant d'amendements lesquels, comme on le pense, n'approuvent pas toujours les actes des dirigeants. Le point de vue de ceux-ci peut être d'ailleurs discuté, combattu et même écarté par le vote. Ces joutes oratoires ne sortent jamais du sérieux et de la courtoisie. Nul ne se permet des invectives blessantes à l'adresse de son adversaire. Le commissaire est là pour veiller à la correction du langage et à l'ordre dans l'assemblée.
Le yirde se réunit aussi pour juger. Là, le chef écoute beaucoup plus qu'il ne parle et cela afin que, dans le cas où il jugerait utile de réformer le jugement du magistrat populaire, il puisse appuyer son verdict d'une conviction qu'en son âme et conscience il estime le plus équitable. Le juge, lui aussi, écoute, se fait expliquer les points obscurs des diverses dispositions, se fait développer les propos pleins de réticences, et possédant ainsi les éléments qui lui sont nécessaires, prononce ou l'acquittement pur et simple, ou la culpabilité et la peine. Si l'argumentation de ses attendus a convaincu l'assemblée, le jugement est ratifié, définitivement. Le condamné conserve toutefois son droit d'appel devant les mawnan, lesquels instruisent de nouveau l'affaire et la tranchent, en dernier ressort, par un jugement définitif.
Les contestations entre deux sociétés sont réglées par une commission composée de délégués de chacune des sociétés en cause devant un arbitre, le chef d'une troisième association aînée des deux premières, ou devant cette association entière. Chacune de ses délégations comprend, en général, le chef, le secrétaire, le juge et un membre choisi parmi les plus expérimentés.

Les adversaires s'affrontent devant ces cours de justice à tour de rôle, président contre président, Jaggal contre Jaggal et ainsi de suite. Chacun expose son cas et se retire. Les témoins font de même. La cour délibère à huis-clos. Le verdict est sanctionné par un vote. On introduit ensuite les parties opposées et on leur signifie le jugement. La partie qui perd paie une amende que la société qui a jugé partage en parties égales avec la société qui a obtenu gain de cause. La perte d'une cause dans ces procès est considérée comme la manifestation flagrante de l'incapacité d'un chef. L'association qu'il dirige n 'arrive pas à comprendre les raisons de son échec et, sans s'en référer à qui que ce soit, elle le juge à huis-clos et le dépose, prenant prétexte de sa mollesse, de son manque de sérieux et de persuasion.

Statuts et règlement intérieur d'un yirde

Le président a le titre de moodi (monsieur). Le juge ne prend pas part aux discussions. La cotisation est due par tous les membres dès l'instant où l'assemblée a approuvé les modalités proposées par le chef quant au montant de la quote-part et au délai de versement. Ceux qui ne s'acquittent pas de cette obligation première sont punis de coups de fouet et de l'exclusion temporaire. En cas de récidive, l'exclusion est définitive. Est considéré comme secret et par conséquent inviolable, tout ce que les vieux doivent ignorer (relations d'amitié entre les garçons et filles, entre jeunes gens et jeunes femmes, etc.).
Le vol entraîne l'exclusion pure et simple, l'association tenant à ne pas souiller sa réputation. La maraude de fruits et de tubercules bien entendu, n'est pas qualifiée de vol. C'est un jeu récréatif et c'est tout.
On ne parle dans les assemblées qu'après autorisation.
Les injures aux parents sont plus qu'interdites. Les contrevenants sont passibles de réprimandes publiques, sans compter. la correction que l'outragé a toute latitude d'infliger.
Calomnier un camarade est puni du blâme et de l'exclusion temporaire suivant la gravité de l'accusation.
S'absenter des réunions sans raison majeure et proférer des injures à l'égard du président sont passibles d'amende.
Manquer de respect à une jeune fille, si l'on règle l'incident à l'amiable, entraîne une forte amende. Que l'insolent retombe dans la même faute et on s'en remettra à la sagesse des coups de poing de ceux qui ont la charge naturelle de défendre l'honneur de la fille : ses frères, son amant.

Discipline

Les peines infligées aux membres d'un yirde sont, par ordre d'importance croissante :

  • la réprimande
  • le blâme public
  • la huée
  • l'amende
  • la huée et l'amende
  • l'amende et l'exclusion temporaire
  • la flagellation simple
  • l'exclusion temporaire et la flagellation
  • la huée
  • le blâme chanté avec interdiction absolue de faire partie d'une association quelconque de la région, d'assister à toute cérémonie, à toute réunion.

Cette dernière peine est la plus tenible, la plus redoutée, à juste titre. Celui qui a le malheur d'en être frappé en pâtit pendant tout le reste de sa vie. « On le rend à sa mère », suivant l'expression consacrée. Il vit avec lui-même, pour lui seul, dans un isolt(ment de pestiféré au milieu de la réprobation générale. Il ne peut sortir de chez lui sans avoir à rougir des vexations sans nombre et des injures où quelquefois ses parents mêmes ne sont pas épargnés. Un seul moyen s'offre à ses parents éplorés pour mettre fin à ce martyre; c'est de demander « pardon ». Cette demande consiste en une invitation de toute la jeunesse de la région, c'est-à-dire depuis les enfants de douze ans jusqu'aux jeunes gens encore célibataires, à un festin général. Un taureau est égorgé à cet effet pour servir de soupe. Des calebasses de riz sont préparées, des colas distribuées en abondance. Le repas terminé, le fautif vient, accompagné de ses parents. Ceux-ci l'invitent à s'incliner devant ses camarades et à promettre à tous, et pour jamais, qu'il ne sortira plus des limites du règlement de l'amicale. Après quoi, on le relève ; on interdit sur le champ tout blâme contre lui ; on le réintègre. Mais le mal est fait. Il restera maussade et fermé, méfiant et retiré, sa vie durant. Ce choc moral, la plupart du temps, abrège la vie du malheureux.

Les cotisations

Leur montant, le délai maximum pour s'en acquitter et les peines réservées à ceux qui, volontairement s'y refuseraient, sont fixés par l'assemblée générale.
Les cotisations sont en argent, en plats de riz, en poulets, suivant les circonstances. Elles sont destinées à couvrir les frais des fêtes, des réceptions, des secours accordés aux sociétaires et au paiement des amendes judiciaires infligées à l'association et des tributs dus aux mawnan à l'approche de chaque fête locale.
Sauf les plats de riz, la garde de ces biens incombe au trésorier. Chaque membre a le droit, avons-nous déjà dit de se renseigner auprès de celui-ci sur la situation financière de la communauté et la justification des dépenses effectuées. De même, une explication aussi détailllée et aussi claire que possible lui est due, car, il peut, s'il se juge lésé, demander à rentrer dans ses fonds, etc., se retirer de la société si les autres camarades n'approuvent pas sa façon d'agir.
Ce droit est une arme dangereuse pour le Chef et son Jaggal, individus souvent tentés d'utiliser la « caisse » pour leurs besoins personnels. Le jour où ils sont pris - et on n'y parvient que par l'usage de ce droit de contrôle exercé par un « puissant » — on met fin à leur malhonnête exploitation par une destitution immédiate suivie de l'obligation de rembourser, en totalité, les bien escroqués.

Le yirde et le village

Un yirde est une équipe de travail. Le village fait appel à la main-d'oeuvre de première valeur que constituent ces communautés. Qu'il s'agisse de labourage, de semailles, de la moisson, du battage, de réparation de clôture ou de toiture de case, de l'abatage d'arbres et elu transport des bûches pour le séchage du maïs nouvellement récolté, on utilise chaque fois, et avec profit, le secours de leurs bras. Les équipes qui se forment ainsi sont appelées kilè.
Tous les membres de l'association ont droit au kilè à la seule condition que l'intéressé ait toujours participé aux travaux organisés chez les autres. Le demandeur profite d'une réunion du yirde pour formuler sa demande. Le Président s'en réfère à la décision des camarades présents qui accueillent favorablement la requête, ou la repoussent. S'il s'agit d'une personne étrangère à l'amicale elle doit s'adresser à celui des sociétaires avec lequel elle a des relations suivies. Celui-ci interviendra en sa faveur en procédant comme il vient d'être dit ci-dessus. L'intermédiaire ainsi utilisé s'assure à l'avance que ses amis seront bien rénumérés. Inutile de parler ici en détail du kilè.
Le Chef du yirde défend les intérêts de la société et ses membres auprès du chef de village et devant les tribunaux.

Le yirde des filles

Les filles de même âge s'associent comme les garçons. Mais elles n'ont qu'une présidente. C'est la différence essentielle entre ces groupements. Elles préfèrent noyer leurs querelles intestines dans le tintamarre de leurs réunions plutôt que de les faire juger. Aucune d'elles, en effet, n'accepte d'être commandée. Néanmoins, comme dans toute société, certaines, et ce ne sont pas toujours les plus belles, parviennent à s'imposer par leur volonté inflexible et leur cran.
En fait de ressources collectives, elles n'ont rien. Elles ne se cotisent pas. Le jour de fête, chacune apporte son plat et toutes se régalent ensemble. Pour les invitations, elles procèdent de la même manière.
Quand leurs aînées exigent d'elles un tribut de colas, ce sont leurs « gars » qui paient à leur place. Le règlement de ces asso
ciations est le même que celui des garçons, tout comme les peines disciplinaires, la flagellation en moins.
Les différences entre garçons et filles se règlent par les deux sociétés réunies. Si la fille est condamnée, elle paie une amende consistant en une calebassée de riz et de lait.
Les Guiré de même âge se retrouvent presque chaque soir à la danse et clans le waaleru, dont l'entretien du sol incombe aux filles. D'innocentes amitiés naissent et se déclarent au cours de ces contacts et de ces fréquentations. Toute la jeunesse en est au courant, mais personne ne crie au scandale. Les mamans ne l'ignorent pas totalement, mais elles font les aveugles. Il est fort regrettable que ces jeunes gens n'arrivent pas souvent à se lier par le mariage. Aucun d'eux, en effet, n'est consulté lors de son premier mariage ; d'autre part, les filles se marient à seize ans au plus tard, tandis que les garçons doivent attendre l'âge de vingt ans. Combien alors regrettent amèrement leurs premières amitiés.
Les filles contribuent à la dépense dans les invitations que se font leurs frères. Aidées de leurs mères, elles préparent de grands plats de riz qu'elles remettent, le soir, soit à leur propre frère, soit au défenseur éventuel de leurs intérêts. Elles ont même, quoique ce soit sous une forme occulte, l'autorisation d'aller souhaiter la bienvenue aux invités et de leur tenir compagnie, ne fût-ce qu'une certaine partie de la soirée.

Utilisation de la société des filles

Petites, elles vont d'un carré à l'autre, par équipes, transporter du feuillage vert pour couvrir le champ de taro de chaque maman; grandes, elles s'aident mutuellement dans le filage du coton, dans le binage du maïs et de l'arachide. Ensemble, elles dament le sol des cases de leurs familles et transportent le gravier fin qui couvre la cour.

Le yirde des haaɓbe. (kaaɗo au singulier) ou anciens serviteurs

A tout yirde d'hommes libres correspond un yirde d'anciens esclaves. L'organisation est la même, à tous les points de vue, quel que soit le sexe.
Chaque enfant a, dans l'association d'en face, un ami, un frère presque. Quel que soit l'objectif que poursuit l'homme libre, il ne manque jamais d'avertir son ami, de prendre son avis et de suivre ses conseils. Nul mieux que ce Kaaɗo ne sert ses intérêts et ne les défend. Avec l'âge, ces relations ne font que s'accentuer. Devenus tous deux adultes, l'homme (ou la femme) de la classe servile, à la tête de son yirde, vient labourer, semer et moissonner le champ de son ami, couper du bois pour lui, réparer ses cases et la clôture de sa concession. Dans l'intimité, aucun d'eux n'a de secret inviolable pour l'autre et le Kaaɗo pénètre dans les cases du Pullo, à toute heure, sans formalité.
L'homme libre (dimo au singulier, rimɓe au pluriel) a aussi des obligations. Il ne peut se charger d'un gros travail à cause de sa faiblesse constitutive, mais il peut doter une femme, donner de temps en temps une chèvre, un boubou.
C'est là un service qu'il considère digne de l'inlassable obligeance de son ami.

Les gire dans la vie du village

Les garçons

Ils sont circoncis en même temps, mais ils se marient suivant leurs moyens de fortune, convenances particulières, à des époques différentes.
Quand l'un d'eux se fiance, ses camarades se joignent à lui pour aller prêter main-forte à ses futurs beaux-parents dans leurs travaux saisonniers: semailles, moisson, etc.
Lorsque l'un d'eux se marie, les autres se chargent d'organiser la cérémonie. Ils subviennent à la dépense pour une large part. Pendant que certains reçoivent les beaux-parents, les installent et pourvoient à toutes les exigences des formalités coutumières, d'autres veillent les nouveaux mariés et les ramènent dans leurs cases à minuit, d'autres enfin organisent les séances récréatives.
A l'opposé des filles, les liens d'amitié entre les garçons ne font que se renforcer avec l'âge. Quelque place que vous occupiez dans le village, dans le canton, votre camarade de yirdévous parlera toujours avec le ton d'amitié et de courtoisie qu'il a gardé de l'enfance.
C'est dans la vie, le conseiller le plus sûr, le confident le plusdiscret. Il ne parle pas avec réticence. Il est vrai aussi que les rivalités nées clans l'enfance s'accentuent mais on ne se refuse jamais l'aide et l'assistance que l'on se doit naturellement. La conscience y veille et veille bien.

Les filles

Au mariage de chacune d'elles que de larmes de sincérité douteuse ses compagnes versent. Toutes font partie du convoi de noce et ne reviennent, si le village du marié est loin, que le lendemain, laissant là-bas, à regret, leur soeur de jeux. A la première visite que fera celle-ci à ses parents, elles sauteront de joie et, ensemble, iront loin au devant d'elle. Se retrouver après une si longue absence, cela mérite qu'on pleure. Alors elles font couler encore des larmes pendant que le reste du village se donne entièrement au plaisir de chanter, de danser en ronel, autour de la visiteuse.
La cohue disloquée, les parents de l'épouse repartis chez eux, nos filles volent chez leur amie d'enfance, en quête de renseignements. Dieu seul et les intéressés connaissent ce qui se dit et se communique dans ces comptes rendus. En tout cas, elles ne quittent plus la nouvelle mariée jusqu'à son retour définitif clans la famille de son mari.
La période des semailles venue, elles viennent l'aider dans ses premiers travaux d'installation. Elles lui plantent, en un jour, tout son taro et, quelques semaines plus tard, reviennent biner le maïs et planter l'arachide.
S'il est aisé, le mari tue, à cette occasion unique, un mouton, une chèvre pour récompenser l'obligeance de ses visiteuses.
Avec la dernière fille du groupe s'éteignent ces obligations. Les relations se relâchent ensuite entre elles, chacune s'occupant désormais de son ménage et de ses enfants. Avec les garçons, devenus eux aussi des jeunes gens, ces relations sont apparemment rompues car les maris ne tolèrent pas la galanterie empressée de ces individus entreprenants. Cela ne veut pas dire qu'ils ne se voient pas, loin de là, mais seulement sous le sceau du secret le plus absolu.

Le parler du Yirde

Les associés emploient parfois entre eux un langage spécial : ce n'est pas un argot, mais du peul déformé par des inversions de syllabes; ce qu'on exprime par : dyunnitude haala, mettre le langage sens dessus-dessous.
Voici quelques-uns de ces procédés :

  1. Les consonnes initiales sont interverties :
    Ex: prête-moi la plume: luɓan karambol, devient: kuɓan larambol.
  2. La syllabe initiale est remplacée par une syllabe conventionnelle, et reportée en désinence :
    Ex : les Peuls et les Européens : fulɓe e portoɓe, devient : 'ilɓefu e 'irtoɓepo.
  3. Une syllabe conventionnelle est préfixée devant chaque syllabe :
    Ex: j'ai apporté la nourriture : mi 'addii nyiiri devient : mi a mi di mi nyi mï ri 2.

Notes
1. Ce rôle de ‘griot’ était générationnel et temporaire donc ; il relèvait des rites de passage au sein de la société Fulɓe en général. Il ne doit pas être confondu avec la fonction sociale et le statut permanent et héréditaire de la caste des griots (Awluɓe, au sing. Gawlo) — T.S. Bah
2. Les langages spéciaux du Fouta Sénégalais ont été étudiés par le Gouverneur H. Gaden dans Le Poular, page 327 et suivantes.