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Institut Français d'Afrique Noire - Etudes guinéennes — n° 3, 1950


Marguerite Verdat

Archiviste-Paléographe Archiviste de l'A.O.F. — I.F.A.N. Dakar

Le Ouali de Gomba
Essai Historique


Pièce annexe n° 2.
Notes sur l'Islam en A. O. F.
Les Chadelyia.

Il semble intéressant de publier ici, en pièce annexe et à peu près intégralement, le rapport si documenté de M. Mariani, rapport souvent utilisé du reste par certains historiens et pas toujours avec référence à l'auteur.

Les tendances spiritualistes des premiers Chadelyia, leur connaissance approfondie des doctrines mystiques et leur abstention en matière politique ont fait d'eux des Chefs d'une école plutôt philosophique que purement religieuse et assurent encore à leur ordre la clientèle des classes instruites. Mais les miracles attribués à Aboul Hassem Chadeli ont été si nombreux que pour donner satisfaction aux aspirations de la masse ignorante beaucoup de ses disciples se déclarèrent possesseurs de la Baraka ou parcelle divine que Dieu lui avait accordée et fondèrent des confréries religieuses avec leurs règles, leurs prières et leurs pratiques spéciales. Et l'exaltation produite sur les initiés par la récitation répétée des Dikr et des Ouerd amena parfois les Cheikhs Chadelyia à une action politique contraire aux principes de l'ordre et les fit entrer en lutte, contre les détenteurs du pouvoir temporel.
En Guinée, depuis l'arrivée des Tidjania, l'ordre des Chadelyia n'a plus les nombreux adhérents qu'il comptait autrefois ; il n'a de représentants que dans les cercles de Kindia, Pita, Kadé, Tougué et Yambéring et surtout le Labé où se trouve la Zaouia de Bouroudji. Mais on n'ignore pas que Tierno Ibrahima, chef de N'Dama, était initié à cet ordre auquel ses fils restent toujours attachés et j'ai pu établir que contrairement aux renseignements envoyés à Dakar, Tierno Aliou et ses talibés dans le Goumba et dans le Kebou sont des adeptes de la doctrine Chadleune. L'importance de ces deux marabouts 1, dont le rôle absolument identique paraît avoir été de grouper tous les mécontents, et sous prétexte de religion de fonder à leur profit des provinces indépendantes, rendent utiles des indications sur les Chadelyia en Guinée et sur les pratiques auxquelles ils s'adonnent.

Les Chadelyia de Guinée semblent être une branche des Zéroudiaya et se rattachent, par l'enseignement que leurs cheikhs ont reçu, à la confrérie des Nasseryia dont la maison mère est à Tamégroul dans l'Oued Draa. Leurs doctrines ont été importées au Fouta par Cheikh Ali le Soufi, décédé à Dara (Timbo) et elles ont été successivement transmises à Cheikh Ismail, Cheikh Gassem et Cheikh Ibrahima, ancêtre de Cheikh Mohamed Chériff, actuellement directeur spirituel de la Zaouia de Bouroudji (Labé). Cheikh Ali le Soufi avait été initié par Cheikh Abdel Gader de Fez ; aussi, le nom de cette ville n'est-il jamais écrit par les lettrés de Bouroudji sans qu'ils formulent des voeux pour que Dieu la protège.
On connaît les règles imposées aux Chadelyia ; ils doivent :

Les Khouans de la Guinée semblent les observer et tous les vendredis on peut les voir se rendant en grand nombre à la Zaouia de Bouroudji et surtout à la mosquée de Goumba.
Parmi eux, il y en a qui vont à la Zaouia dès le jeudi soir et le dimanche soir à Goumba et qui, toute la nuit, ne cessent de chanter à haute voix les louanges de Mahomet, car les Chadelyia, comme les Houbbous semblent montrer pour honorer le Prophète une ardeur particulière dont l'exagération évidente surprend et inquiète.

En entrant dans la mosquée, ils prononcent à différentes reprises, 10, ou 30 fois, selon les localités, la même formule appelant sur le Prophète les bénédictions divines et ils se mettent à lire Ibn-Mouhib en commençant par la poésie connue sous le nom de Tabarraka et en continuant par les suivantes. A Bouroudji chaque vers est psalmodié dix fois par l'un des fidèles et chaque fois les assistants répètent en choeur « O Dieu, O Miséricordieux, répands tes bénédictions sur notre Mohamed. »
Cette formule serait remplacée à Goumba par la suivante :
« Accorde-lui le salut. O notre Maître » et les mêmes vers seraient lus à haute voix jusqu'à 100 fois. Ces différences, pour si légères qu'elles soient, me semblent indiquer chez le Ouali le dessein de se séparer des autres chadelyia. C'est pourquoi je ne crois pas inutile de les signaler.
Quoiqu'il en soit, la plupart des Chadelyia du Labé ont l'habitude de réciter, outre leur Dikr, l'Ouerd connu sous le nom d'El Mousabaïat el Achra et ils font des prières surérogatoires dont le nombre varie selon la piété ou les occupations des fidèles.
C'est ainsi qu'ils font deux rakaa avant la prière de l'après-midi, deux ou six rakaa après la prière du soir et, s'ils se réveillent durant la nuit, 3, 11, 13 rakaa constituent la prière qu'il est méritoire pour tous les Musulmans d'accomplir. Dans tous les cas, ils font tous les soirs, après la prière de la nuit, une lecture aussi longue que possible du Coran et tous les jours ils lisent un chapitre de Dalaïl, ouvrage qu'ils lisent en entier le vendredi et dont j'ai déjà signalé l'importance.

Voici, à titre documentaire, les oraisons particulières aux Chadelyia qui sont dites tous les jours après la prière du matin ou après celle de l'après-midi. Ces oraisons sont généralement précédées de la récitation de l'Ouerd el Mousabaïat el Achra qui avait été révélée par El Khird 2 dont l'efficacité est telle que tous les péchés petits et grands sont effacés, aucun d'eux n'étant inscrit par les anges enregistreurs. Je commence donc par cet Ouerd.

L'Ouerd el Mousabaïat el Achra (les dix oraisons répétées sept fois) consiste à dire sept fois :

L'Ouerd terminé, le fidèle répète 30 fois « O puissant » et il récite ensuite les prières ci-après :

Telles sont les pratiques rituelles des Chadelyia de la Guinée et, plus particulièrement, des Chadelyia de Bouroudji. Si l'on veut bien se rappeler l'abstinence absolue que s'imposent la plupart des Foulas, abstinence que les Chadelyia semblent observer plus scrupuleusement que les autres races parce que quelques-uns de leurs Cheikhs, à l'instar des Khelouatiya, avaient l'habitude de s'isoler pendant 40 jours dans la retraite la plus complète ; il est facile de comprendre l'exaltation de quelques-uns de leurs membres et l'on conçoit aisément qu'ils deviennent des instruments dociles entre les mains de Cheikhs habiles, intéressés à propager les doctrines hamologiques parce que notre Administration, malgré la bienveillance dont nous faisons preuve à leur égard, les empêche de jouer un rôle politique et sont parfois amenés à combattre notre influence parce que notre civilisation les inquiète très sincèrement dans leur foi.

Signé : Mariani
Inspecteur de l'Enseignement musulman
en A.O. F.
Dakar, le 8 août 1909.

Notes
1. Tous deux ont reçu de leur vivant le titre de Ouali, c'est-à-dire Saint qui, en Afrique Septentrionale, n'est jamais accordé qu'après la mort.
2. Personnage mystérieux qui aurait trouvé la Fontaine de la vie, bu ses eaux et acquis ainsi l'immortalité. On le croit le même que Pincahs (sic !), fils d'Eliazar, fils d'Aaron, dont l'âme aurait successivement passé dans le corps d'Elias et ensuite dans celui de Saint-Georges.
3 Un marabout Chadeli de Tougué, répète cette formule 1000 fois toutes les nuits ; le jeudi soir, il la répéterait 10 000 fois.
4. Le texte arabe de ces prières m'a été remis à Labé-Bouroudji et Touba. Le Ouali de Bouroudji m'a aussi fait parvenir une poésie composée par lui qui témoigne de sa grande culture intellectuelle.


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