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Guinée Française
L'implation coloniale


P. Humblot
Une ville-champignon au Fouta-Djallon : Mamou.

Renseignements Coloniaux et Documents*
N°8 pages 297-309. 1912


I. — La Formation de Mamou

Il y a trois ans, le nom de Mamou appliqué à un centre habité ne figurait pas sur les cartes de la Guinée. Mamou n'était alors que l'appellation d'une rivière de moyenne importance, qui prend naissance dans un massif de la partie sud du Fouta-Diallon, le mont Billima-Kanté, vers 14°30' de longitude ouest et 20°20' de latitude, non loin de la source du Bafing, branche du Sénégal, et qui va au Sud constituer avec la rivière Kaba, la petite Scarcie, fleuve côtier du pays de Sierra Leone.

C'est vers le confluent de la rivière Mamou et d'un de ses petits tributaires, le Téliko, que le chemin de fer de Conakry au Niger devait franchir le point culminant de son tracé, vers 750 mètres d'altitude, à une distance de 300 kilomètres de Conakry.

Dès le début de 1907, le gouvernement de la colonie s'occupa à choisir l'emplacement d'une future ville centrale, destinée à devenir l'aboutissement de la deuxième section du chemin de fer dont les travaux avançaient rapidement et l'arrêt de nuit des trains allant de Conakry à Kouroussa, lorsque la voie aurait atteint le Niger. Comme telle , cette ville devait posséder une gare puissamment outillée et devenir une centre commercial important. Administrativement, elle serait le chef-lieu du cercle de Timbo ou tout ait moins le chef-lieu d'une circonscription formée d'une portion de ce cercle, dont on envisageait le partage
en vue de mettre fin aux querelles et aux intrigues désastreuses des Soryas et des Alfayas, partis politiques peuhls qui s'y disputaient le commandement et qu'il était possible de répartir dans deux territoires.

Une commission spéciale, composée des chefs de service et des administrateurs compétents, fut nommée et délibéra sur deux projets d'emplacements. Certains préconisaient le plateau de Koumi-Leye, vers le kilomètre 310 de la future voie ferrée, d'autres un flanc de côte enserré dans le confluent du Mamou et du Téliko, vers le kilomètre 296, entre les cols de Sourni et de Koumi, non loin d'un gîte d'étape de la route de la mer au Niger, qu'on appelait le caravansérail du Mamou.

Mamou obtint la préférence. Mais avant toute installation officielle, une agglomération de traitants et de revendeurs se constitua dans le caravansérail et tout autour de lui. Il n'y eut d'abord que deux Syriens et une vingtaine d'indigènes ; puis, en décembre 1907, les Syriens étaient quinze ; vers le commencement de 1908, ils étaient vingt-six, les revendeurs étaient vingt-trois et ces trafiquants étaient entourés d'une population interlope qui rendait le caravansérail inabordable aux voyageurs.

Un mouvement d'exode des traitants de Souguéta et de Kindia se dessinait, qui préjudiciait considérablement au commerce installé dans ces centres, en empêchant les caravanes d'y porter le caoutchouc et les produits locaux. Aussi, dans les premiers mois de 1908, l'administration faisait évacuer l'emplacement de la future ville, où personne n'avait encore de concession, pour ne tolérer que les boutiquiers vendant les denrées nécessaires aux manoeuvres des travaux neufs du chemin de fer et autorisés par ce service à s'installer précairement sur son emprise.

Dans le même temps, l'administrateur du cercle de Timbo demandait la création à Mamou d'un poste administratif pourvu d'un fonctionnaire européen qui serait chargé du transit du personnel et du matériel que les trains allaient pouvoir amener jusque-là.

Par décision du 2 avril 1908, le service de transit de Souguéta était transféré à Mamou; dans la première quinzaine de mai, un poste provisoire était construit et on amorçait les travaux d'une route destinée à relier le nouveau poste à celui de Farana.

Le 30 mai 1908, M. Millès-Lacroix — ministre des Colonies, - le gouverneur général et le gouverneur de la colonie, inauguraient, au col de Koumi le terminus de la deuxième section du chemin de fer de Conakry au Niger et consacraient par leur présence la naissance administrative du poste de Mamou qui devait rapidement grandir.

En juillet, le plan de lotissement était levé et approuvé. Le 1er août le tronçon Souguéta-Mamou du chemin de fer était ouvert officiellement à l'exploitation et, le 6 septembre, une décision transportait à Mamou le chef-lieu du cercle de Timbo, pour compter du 1er janvier 1909. Mais l'administrateur appelé par la création de la ville nouvelle allait s'y fixer au début de décembre. Sur deux cents parcelles mises en adjudication à Conakry, le 3 novembre 1908, cent neuf étaient été occupées immédiatement, soixante-treize avaient été occupées avant la fin du mois. En même temps que les particuliers commençaient à bâtir, les Travaux publics entreprenaient la construction d'un logement en pierres pour l'administrateur.

Au 1er décembre , le siège du tribunal de province de Dara-Bhouria était transféré à Mamou et l'almamy alfaya quittait Timbo pour venir se fixer au nouveau chef-lieu.

Par décision du 9 janvier, l'agence spéciale de Timbo était transportée à Mamou. Enfin, le 25 janvier 1910, l'administrateur était avisé que, par arrêté du Gouverneur général, du 14 décembre 1908, l'ancien cercle de Timbo était partagé en deux circonscriptions, l'une comprenant les provinces de Timbo et du Kolen et devenait le cercle de Suarella ; l'autre, comprenant les provinces de Bouria et de Téliko, et le canton soussou du Kokounia, détaché du cercle de Kindia, devenant le nouveau cercle de Mamou. La condition actuelle de la nouvelle cité était officiellement fixée.

De janvier à mars, les concessions occupées passaient an nombre de cent ; les factoreries presque toutes en tôles ondulées sur soubassement de pierres, se construisaient rapidement ; les places étaient débroussées, un marché provisoire bâti ; au delà du Téliko, sur le plateau faisant face à la pente rocheuse où la ville s'élevait, l'infirmerie du chemin de fer s'était déjà installée et un village comptant plus de quinze cents indigènes était sorti du sol. Dans le fond de la vallée, sur la rive droite du Téliko, entre le chemin conduisant à l'infirmerie et le village indigène, des jardins potagers avaient été occupés et mis en culture par les Européens. A la fin du mois de mars 1909, il y avait dans la ville :

soit plus de deux cents Européens ou assimilés. On y comptait cent quatre-vingt-huit opérations commerciales.

La ville s'était construite en cinq mois.

Dans la suite, l'organisation, et l'installation des services publics ne font que se développer.

Le poste provisoire comprenant des cases pour le personnel européen, la prison, le magasin est remplacé par des bâtiments définitifs en pierres recouverts de tuiles : résidence à étage pour le commandant de cercle, maison et caveau pour le préposé du Trésor transféré à Mamou le 23 avril 1909, bureau de poste — ouvert au public le 29 avril — magasins et prisons achevés le 7 juin ; tandis que l'administrateur fait construire des routes reliant Mamou aux postes voisins du Fouta-Djallon, Ditinn et Pita, avec caravansérails à Koulipan et à Boulivel. En septembre, des caniveaux et des fossés sont tracés dans les rues ; en octobre, la plate-forme d'une voie Decauville, parcourant les principales rues est achevée et la voie posée en février 1910.

En mars, deux grands marchés couverts sont construits ; les études sont faites pour l'alimentation en eau de source de la ville, le service du chemin de fer construit tous les bâtiments nécessaires à ses services, en dehors de la gare des voyageurs et celle des marchandises déjà bâties : ateliers, dépôt des machines, habitations de briques pour le personnel, hangars, etc.

En 1909 et en 1910, l'activité sociale de Mamou s'accroît encore. Tous les voyageurs, toutes les marchandises à destination ou provenant de la Moyenne et de la Haute-Guinée, transitent par le terminus du chemin de fer ; la saison de traite, à peine interrompue par l'hivernage, se trouve exceptionnellement bonne, en raison des prix, démesurément élevés que le caoutchouc, produit d'échange des indigènes, atteint sur les marchés d'Europe. Puis, en juin et juillet 1910, une disette de riz se déclare en Haute-Guinée, qui fait monter à 700 et 750 francs le prix de la tonne de cette denrée, au lieu de 350 francs, prix normal, et qui coïncida avec l'ouverture provisoire des gares de Dabola et de Bissikrima, à 142 et 165 kilomètres plus loin dans l'intérieur. La gare ne peut plus suffire aux trafics des colis et des voyageurs, surtout Syriens et indigènes, qui achètent des charges de riz et vont les revendre à des prix fabuleux dans les centres du Soudan. On compte alors à Mamou :

Les loyers atteignent des prix extraordinaires : on loue à 150 à 200 francs par mois des parcelles de terrains et des bicoques affreuses aux concessionnaires qui morcellent leurs lots pour en spéculer en dépit des règlements. La question syrienne prend des proportions menaçantes.

Puis les travaux du chemin de fer aboutissent à Kouroussa en septembre, une partie de la troisième section est ouverte à l'exploitation, provisoirement en octobre et définitivement en janvier, tandis que les travaux de lotissement des nouveaux centres de Dabola, Bissikrima et Kouroussa s'achèvent et que les lots de terrains y sont adjugés.

Mamou est décongestionnée de sa population syrienne par la construction des centres nouveaux. Puis, comme la saison de traite 1910-1911 est bien moins bonne, comme l'administration révise la mise en valeur des concessions provisoires accordées en 1908 et retire impitoyablement celles qui ne remplissent pas les conditions prescrites, ou qui ont donné lieu à spéculation, d'autres Syriens retournent dans leur pays ; si bien qu'au début de 1912 il n'y resta plus que 130 à 150 Ottomans.

Par contre, la population européenne s'est élevée à 75 personnes, dont 15 femmes et 7 enfants, et le village indigène, compte 2.000 âmes. Actuellement, le commerce n'y a plus le même développement qu'en 1909 et 1910, mais Mamou demeure le débouché et le point de transit du Fouta-Djallon et l'escale la plus active de la voie ferrée.

Une promenade dans la ville et ses environs rendra compte de l'extension présente de cette cité européenne surgie en quelques mois au coeur de la brousse africaine, dans une région à peine occupée il y a dix ans.

II — Le Mamou d'aujourd'hui

Pour juger les transformations réalisées dans ce coin de pays par l'arrivée du rail et la colonisation, on peut imaginer les étonnements d'un voyageur, fonctionnaire ou commerçant, revenant de la localité soudanaise où il aurait effectué un séjour de quelques années et trouvant, à sa descente du train, à Mamou, une ville européenne entièrement tracée et construite et une gare presque aussi importante que les stations de relais de la métropole, où il n'y avait rien qu'un vallon couvert de brousse, un immense terre-plein, remblayé sur plusieurs centaines de mètres, représentant un travail de terrassement considérable, porte les ramifications de plusieurs voies et les nombreux bâtiments nécessaires aux différents services du railway : gare de voyageurs, gare de la petite vitesse, magasins, ateliers, dépôt des machines, hangars, grandes constructions de briques charp entées de fer, qu'entourent les réservoirs, les signaux, les plaques tournantes, et toutes les installations nécessaires.

Sur le côté du terre-plein, vers la ville européenne, s'alignent les pavillons blancs et rouges où loge le personnel de l'exploitation et de la traction.

Et pour celui qui, depuis de nombreux mois ne connaît que l'ocre des steppes, le vert de la brousse et le chaume des cases, c'est une agréable surprise de revoir les couleurs riantes des toitures de tuiles et des parois de briques.

Notre voyageur pourra être dépaysé d'abord par l'animation du quai où débarque la foule des occupants des deux trains journaliers, train de Conakry et train de Haute-Guinée, tandis que les locomotives manoeuvrent en sifflant. En sortant de la gare, bâtiment du type classique des pavillons coloniaux à étage, enclose d'un mur et de barreaux depuis que l'affluence des curieux, Noirs et Blancs, en rendait le service trop malaisé, il verra à gauche l'amorce du Decauville qui parcourt Mamou. Plus loin, il franchira le fossé qui sépare l'emprise du chemin de fer de la ville même et arrivera, à droite, à l'hôtel Central où il doit passer la nuit. Il y rencontrera, fort probablement, quelques amis ou camarade attablés à la terrasse, qui lui proposeront sur le champ de prendre l'apéritif — glacé, s'il vous plaît, car il y a à Mamou une machine à glace — et qui le retiendront pour faire avec eux la manille, le poker ou le bridge de circonstance.

Mais, puisque nous sommes dans le domaine de la fiction, nous supposerons que notre voyageur saura résister à la tentation de « faire un quatrième », malgré l'isolement qu'il aura peut-être subi pendant tout son séjour et que, désireux de satisfaire entièrement la curiosité éveillée en lui par ce qu'il a entrevu, il nous accompagnera pour visiter la ville.

Du Central Hôtel il se dirigera par une large voie montante vers la résidence dont on aperçoit le toit rouge au-dessus des lignes grises de la tôle ondulée. Infailliblement, il pestera contre l'incommodité d'un sol de latérite rocailleux et dur et contre la déclivité persistante des rues.

L'avenue centrale le conduira dans le quartier administratif dont les bâtiments sont disposés en lignes et séparés les uns des autres par de grands enclos de pourghère, cet arbuste au bois gras et vivace, aux feuilles de lierre, qui semble avoir trouvé son habitat d'élection dans le Foula-Djallon et dont il suffit de replanter en ligne des branches coupées pour obtenir des haies vives sans élégance, surtout en saison sèche lorsque la plante est dépouillée — mais qui coûtent peu et qui croissent rapidement.

La première file des constructions comprend, à droite, la maison de l'administrateur-adjoint et celle du personnel subalterne ; à gauche, le Trésor et la poste. Ce sont des pavillons rectangulaires à qui certains détails de construction : fondations surélevées, escaliers doubles, balustrades de bois autour de la vérandah, toitures à faîtage surhaussé, donnent de faux airs de chalets suisses.

Les murs ne sont pas en sapin, mais en bonne latérite taillée et leur toit de tuiles est supporté par de fortes colonnes en ciment. Et le visiteur accoutumé aux paillotes de la grande brousse s'extasiera devant le confortable de larges vérandahs et la solidité de ces constructions, à l'épreuve du feu, de la pluie et des termites. Même il pourra remarquer des cheminées, indice de la fraîcheur du climat.

La résidence de l'administrateur, située au-dessus du logement de l'adjoint et dominant la ville, est un imposant édifice. On accède par un perron quasi monumental de dix-sept marches à un rez-de-chaussée entouré d'un péristyle qui soutient un étage entièrement clos de nattes grises.

Il y a quelques mois, la vérandah inférieure et l'escalier étaient constamment peuplés d'une foule d'indigènes solliciteurs ou auxiliaires divers, ayant affaire avec l'administration. Depuis, des bureaux ont été construits en contre-bas des autres bâtiments administratifs, sur une grande place située à l'Est.

A la même hauteur que la résidence, à main gauche de l'avenue centrale, se trouve la prison, toute grise avec ses murs cimentés et son toit de tôle. Plus haut, ont voit le magasin du service local et le logement du magasinier, plus haut, encore, la bâtisse de tôle qui sert de magasin au service des Travaux publics ; les gardes, les porteurs permanents et les employés indigènes du cercle campent à l'Ouest, sur le plateau, au delà du chantier des Travaux publics.

La résidence s'élève à l'extrémité d'un grand jardin, véritable parc en hivernage, où l'on cultive fleurs, fruits, légumes et arbres d'ornement de toutes sortes. Du côté de la ville, des plate-bandes parsemées d'hibiscus et de cannas aux corolles rouges, de ficus, de lilas du Japon et de grands bananiers d'ornement se couvrent, dès les premières pluies, de zinias multicolores. Ces plantes, qui prennent sous les climats d'Afrique des dimensions inconnues de l'Europe, sont arrachées et repoussent plusieurs fois en quelques mois.

Derrière la résidence, le potager d'hivernage étale ses planches remplies de toutes les espèces de légumes et garnies de papayers et de bananiers, de citronniers et d'orangers jeunes encore. Vers l'Est, le jardin s'incline ; un sentier descendant au travers d'une grande bananeraie conduit à un court de tennis récemment installé.

De ce côté, le terrain s'abaisse vers la vallée du Mamou. Un chemin qui laisse à gauche, sur la hauteur, les écuries de pisé et de chaume, et à droite la grande rotonde au dôme de paille étagé où se tient le tribunal indigène, mène, après quelques détours, à la station agricole créée au début de 1911.

On distingue de loin les cases jumelées qu'habite le directeur du jardin et les paillotes de toutes formes, hangars, étables, poulaillers, logements pour les manoeuvres, éparpillées autour. De l'habitation divergent trois grandes allées bordées de jeunes arbres qui conduisent aux cultures commencées : rizières irriguées, bananeraies, pépinières, grand jardin potager et aux enclos où paissent les animaux domestiques. Les ligues géométriques des cultures, les arbres et les bestiaux épars dans la petite plaine, les haies circulaires marquant l'emplacement de l'ancien caravansérail, la galerie de végétation touffue qui signale la rivière ; plus loin la ligne rouge que dessine le remblai de la voie ferrée et les trains qui la suivent, tout cela encadré de collines aux lianes brûlés par les feux de brousse on saison sèche et assombris de verdure en hivernage, semble un plan en relief garni de joujoux d'enfant.

Mais il ne faut point s'attarder ; on admire en passant les rizières où les plants repiqués se dressent au milieu des carrés de terre inondée, au long desquels coule un frais ruisseau, le potager de saison sèche où viennent tous les légumes d'Europe et même des fraises, et l'on revient après quelques minutes de marche du côté des rues commerçantes.

Le quartier des factoreries et des traitants s'allonge à mi-pente entre l'emprise du chemin de fer et le poste administratif, parallèlement au Téliko. Il est divisé en carrés égaux, les uns bâtis, les autres réservés comme places, par un certain nombre de rues, croisées à angle droit. La plus centrale est la mieux construite et animée ; c'est la grande rue du commerce, mais avant de l'atteindre, quand on vient du Mamou, par l'Est de la ville, il faut traverser un fouillis de baraques sans forme, en vieilles tôles et en mauvais, rondins, qui ont la plus grande ressemblance avec les cahutes de chiffonniers qu'on voit quelquefois dans la zone militaire ou dans les terrains vagues de la périphérie de la capitale. Du reste, beaucoup de ces cabanes sont maintenant abandonnées et doivent être démolies.

Notre compagnon jugera, pour commencer, que l'artère principale de Mamou rappelle plutôt les souks ottomans qu'une rue française ; les boutiques de tôle sont basses et entièrement ouvertes comme les bazars forains. On aperçoit du dehors tout l'étalage rangé ou pendu autour du comptoir. Sur le seuil, des Blancs vêtus à l'européenne ont des nez, busqués ; un teint olivâtre, des yeux noirs et des fez d'astrakan qui ne permettent pas de les confondre avec des compatriotes.

Dans ce quartier, c'est dans la journée un tumulte continuel. Les wagonnets du Decauville circulent. Des Noirs, demi nus, portant de précieuses charges de caoutchouc ou de peaux maintenues dans une carcasse de bois affectant la forme d'une petite schlitte ou d'un traîneau rustique, sont interpellés et tiraillés par les boutiquiers indigènes qui tentent de les attirer chez leurs patrons. Des Peuhls de la brousse conduisent des troupeaux ; des femmes aux coiffures surchargées ; des Soussous en boubous blancs, des notables Foulas drapés dans leur costume bleu, vont, s'arrêtent, marchandent quelque objet de pacotille ou une pièce d'étoffe. Tout à coup, la rumeur grandit : un campagnard misérable, « un bourouré », n'a su résister aux, attraits d'un beau pagne ; la foule le poursuit, le rattrape et le conduit, non sans force horions, aux bureaux du cercle dont le bâtiment s'élève de l'autre côté de la grande place carrée où aboutit la route du Fouta. Cette place est celle où les musulmans se réunissent aux jours de Tabaski ou de rupture du jeûne pour faire en commun la grande prière rituélique et entendre la khotba, le prêche de circonstance.

On ne rencontre guère de factoreries véritablement européennes qu'après avoir traversé la grande avenue montante qui conduit de la gare à la résidence. Très surélevées sur des soubassements de latérite, toutes sont bâties sur le même plan ; elles ont deux ou trois pièces entourées d'une grande vérandah ; la plus longue sert de magasin ; les autres de logement. La vérandah, où l'on accède par des degrés, est largement ouverte devant la boutique et close par des nattages du côté des pièces d'habitation.

Sous les toitures de tôle qui avancent, des tailleurs indigènes manoeuvrant au pied leurs machines à coudre, confectionnent pantalons et dolmans kaki, boubous et bonnets blancs qu'ils suspendent en guirlandes au-dessus de leurs têtes.
Dans les boutiques sont disposés des verroteries, des colliers, de l'ambre vrai ou faux, des cuirs ouvrés, des marmites, quelques produits à l'usage des Européens et surtout des étoffes de toutes sortes, à l'apprêt solide, guinées bleues, bazins blancs, andrinople rouge dont les pièces sont marquées de dessins bien voyants qu'il importe que le confectionneur laisse très visibles sur le vêtement, afin que le porteur puisse s'enorgueillir de la nouveauté de son costume. Des pagnes, des madras, des indiennes pendent au plafond pour susciter le désir des femmes et des caravaniers.

Dans la journée, la foule se dirige de l'Est à Ouest vers le marché, qui se tient à l'extrémité de la ville, sur une grande place dont la pente descend de la rue du Commerce à la voie ferrée.

Sur la place, trois halls de fer et de tôles, à terre-pleins maçonnés : un petit, en contre-bas des deux autres et réservé aux bouchers ; les deux autres, bien plus grands et très surélevés, sont affectés aux markétis et revendeurs du pays. Malgré leurs vastes proportions, ils ne suffisent pas à abriter tous les marchands qui installent tout alentour leurs minuscules étalages.

Dans les pavillons couverts, la prépondérance appartient aux négociants en colas. Etalés sur leurs chaises longues, ils débitent les « goros » apportés de la côte ou du Sierra Leone, dont ils ont, en paniers pleins garnis de feuilles, des provisions valant plusieurs centaines de francs. Des revendeurs de bimbeloteries se tiennent derrière leurs éventaires de camelots, chargés de pacotille. Et partout, sous les marchés, sur les degrés des soubassements, sur le sol, des femmes vendent des choses bonnes à manger : riz cuit, arachides crues ou grillées, lait caillé, taros bouillis ; des markétis ont devant eux, sur une natte, un lambeau de pagne ou une planche de bois, tout ce qui se négocie sur la place à deux sous le tas, à la mesure ou à la pièce : riz paille et riz décortiqué, mil, patates séchées, oranges, bananes. fonio, diabérés, huile de palme, beurre de karité, poissons secs, oignons, sucre, bougie, pétrole, boules d'indigo, tabacs en feuilles et en poudre, piments menus, nattes, cordes et vanneries du pays, plaquettes de beurre maintenues fraîches dans de grandes calebasses d'eau, et cent autres choses encore.

Les boulangers sont, avec les bouchers, les commerçants les plus modernes de l'endroit. En temps de surproduction, lorsqu'une fournée s'écoule mal, ils connaissent la vertu des primes ; un morceau de sucre, sinon deux, est offert à tout acheteur de dix centimes de pain !

Les boucliers, pour la plupart des Sénégalais, sont trop nombreux, huit ou dix, mais pour pallier aux inconvénients de la concurrence, il s'est formé entre eux une manière de cartel, une entente aux termes de laquelle deux ou trois seulement doivent tuer et vendre chaque jour, en sorte que chacun prend son tour suivant un roulement qui prévient une offre trop abondante et maintient des prix rémunérateurs (1 fr. 25 le kilogramme de viande de boeuf, 2 francs, le kilogramme de viande de mouton).

A l'ombre des pavillons, des « Garankés » garnissent de cuir teint, découpé et poli, des chapeaux soudanais, des poignards, des étuis à gris-gris. Non loin de là, un « baïlo », campé avec sa soufflerie et son enclume primitive sous un abri de vieilles tôles, forge, fond et cisèle des objets de fer et des bijoux de cuivre, d'étain ou de métal précieux.

Parmi les artisans et les marchands assis circulent les troupes de grands Peuhls calmes et de Soussous bruyants, des femmes aux coiffures diverses et bariolées : foulards rouge et jaune serrés sur les trois nattes des malinkées, madras voyants pliés en mitre des femmes de la côte, marmottes des Sierra Léonaises en longs peignoirs, crêtes tendues sur un bambou courbé et surchargées de perles, d'ambre et de monnaie des Foulanes.

Dans tout ce monde quelques notes dominent : bleu des boubous, dont la gamme, fournie par l'indigo, va du pastel le plus tendre au violet le plus sombre; blanc des calottes brodées de fil noir des Foulbé et des blouses courtes des boys rayures et mouchetures des pagnes et aussi forme inattendue de jaquettes et de redingotes élimées sorties d'on ne sait quel décrochez-moi ça.

Sur un coin de la place se tient le marché aux bestiaux, où cent boeufs ou génisses et autant de têtes de petit bétail sont exposés chaque jour. C'est là que viennent s'approvisionner les trafiquants de la frontière de Sierra Leone et que les pasteurs apportent le croit de leurs troupeaux.

Au soir, la foule indigène s'en va loger an village situé en face, sur l'autre pente de la vallée. Pour y arriver, il faut traverser la voie ferrée à côté d'un ancien campement de manoeuvres et franchir le Téliko sur un ponteau enfoui sous le bocage, auprès duquel des laveuses et des enfants ballottent. Après une courte montée, on parcourt sur plusieurs centaines de mètres les chemins garnis de quelques arbres et bordés de cases de toutes formes et de tous types : maisons de pisé des Soussous, baraques en vieilles tôles des Sierra-Leonais, paillotes des Malinkés, grandes ruches arrondies des Foulas, huttes soudanaises aux toits pointus et concaves. La diversité des constructions indigènes de Mamou n'a de pareil que la diversité des races qui l'habitent.

« Sàré Mamou », ville, du Mamou, pour les Foulas; « Khimbéli », le pays froid, pour les Soussous; « Kafiridougou », le pays des infidèles, pour les noirs cultivés, le village est appelé plus simplement par les Malinké « Bendougou », l'endroit où tous les peuples se rencontrent.

Fondé primitivement par un noyau de manoeuvres du chemin de fer, surtout Ouolofs et Bambaras, on y trouve à présent des gens de tous costumes, de tous métiers, de toutes religions, de toutes castes et de toutes langues. Des Malinkés, des, Sarakollais, des Diallonkés, des Kissiens, des Tomas, des Dioulas, des Soussous, des Toucouleurs, des Bagas, des Foulas et même des Gabonais sont venus là aussi bien du Fouta que du pays anglais, du Soudan que du littoral, de la frontière libérienne que des autres colonies de l'Ouest et du Centre africain.

En dehors des Foulas et des Toucouleurs, fervents musulmans, la plupart ne croient pas à grand chose, sauf aux sorciers et aux gris-gris. Il y a un certain nombre de protestants et de catholiques qui s'habillent d'effets européens et qui rendent des services comme employés de bureau, tailleurs ou boutiquiers. mais qui, en général, ont le tort d'exagérer leur prétentions et leur penchant pour l'alcool.

Khimbéli n'a pas le calme des villages peuhls aux venelles tortueuses, la netteté des « dougous » malinkés, le pittoresque des « tanénés » soussous enfouis dans la végétation grandiose de la Basse-Guinée. Cité cosmopolite, vraie Babel guinéenne, tout y était, au début, pêle-mêle et entassé.

En février 1912, 200 cases flambèrent, qui furent reconstruites selon un plan plus prévoyant. Un quartier tout entier, celui de l'Est, fut rebâti en pisé et en tôle et des espaces plus larges furent réservés entre les cases. De ce côté, l'aspect est plus net et plus propre.

Pour sortir du village, on peut prendre un chemin bordé, à gauche, du côté du Téliko, par les jardins potagers des commerçants européens. Il y a là quinze parcelles de 100 mètres sur 20 mètres environ, presque toutes en pleine production. A l'Est, le chemin aboutit à la route conduisant de la gare à l'infirmerie, en face de deux coquets pavillon de briques rouges et blanches, voisins d'un grand jardin bordé de bananiers où est installé le service de la voie du chemin de fer.

En suivant la nouvelle route vers la droite, on arrive en montant à l'infirmerie. Il n'y subsiste plus, depuis que le service de santé du chemin de fer a été transporté à Kouroussa, en mars 1912, que quatre pavillons : le logement du médecin, ses dépendances et des salles d'hospitalisation pour les indigènes. Ce sont des baraquements démontables à vérandahs, recouverts d'un toit de tôles doublé extérieurement de chaume, séparés du sol par des cubes de maçonnerie et agrémentés tout autour de parterres de rosiers, de bougainvilliers, d'oeillets, d'allées soigneusement cailloutées et bordées d'arceaux de bambous.

Derrière l'infirmerie commence la brousse que traverse un petit sentier qui se dirige vers le village de Téliko situé à kilomètres de là auprès des ruines d'un ancien poste militaire.

Du plateau de l'infirmerie, la vue embrasse l'ensemble de Mamou et son cadre de collines dont les crêtes s'échelonnent et que domine, au Nord, au-dessus de la résidence, la silhouette, rectangulaire de la dent de Sèré, distante seulement de deux lieues. Quand on regarde vers le ruisseau, vers Sèré, on voit s'étager la ville européenne dont ou distingue aisément les trois parties. En bas, dans le fond de la vallée, la gare et ses bâtiments ; en haut, les constructions ; en haut, les constructions administratives et la résidence tout entourées de verdure ; au milieu, les rues du commerce, dont la tôle grise tranche sur le rouge des toits de tuiles.

A gauche, en deçà du ruisseau, les chaumes du village indigène, à demi caché par la brousse et les buissons, sont tout embués de la fumée bleue qui émane des cases. A droite, le confluent des deux vallées du Mamou et du Téliko forme une petite plaine occupée en partie par les cultures du Jardin d'essai et occupée par les galeries de végétation qui suivent les cours d'eau.

La promenade a été longue. Il est tard et la nuit tombe tandis que l'on redescend vers l'hôtel.

La frange de pourpre qui borde l'horizon dentelé fait paraître plus noir ce pays de latérite et de brousse, du fond de la vallée s'élève un brouillard blanc, froid et malsain ; des cris-cris géants répandent leur musique stridente et monotone, des crapauds scandent leurs croassements rauques; du village arrivent les nostalgiques modulations d'une flûte indigène à trois notes, pareilles aux bruits d'un orchestre qui s'accorde avant le lever du rideau.

La lassitude que l'on ressent mesure la grandeur des travaux accomplis ; pourtant, le cadre africain écrase, au crépuscule, la cité européenne. Toute cette brousse, ces vallées fertiles seront-elles un jour divisées en champs de riz et de sésame, en plantations riches où s'appliquera le labeur de l'indigène dirigé par le Blanc ? Combien la tâche paraît lourde encore ! ...

Mais voilà qu'en face, dix, trente, cent petites lumières percent la nuit. Les lampes des habitations et les fanaux des watchmens qui gardent les vérandahs des factoreries forment des lignes d'étoiles rougeâtres comme l'on en voit du navire qui approche du port, avant le jour. Dans l'obscurité, ces lueurs paraissent innombrables ; elles occupent tout l'espace que le regard embrasse, elles disent que la civilisation veille, et que la France, dont l'action a su créer, une cité en si peu de temps, dans ce repli du Massif montagneux qui charpente toute l'Afrique Occidentale, saura aussi mener à bien le progrès du pays d'alentour.

Plan Mamou

III — La vie sociale et ses conditions

La croissance de Mamou n'a été aussi rapide que grâce à certaines conditions particulièrement favorables, qui ne subsistent pas toutes, mais qui sont restées suffisantes pour lui assurer un avenir, qu'on peut, pour le moins, qualifier de prospère.

Le développement qu'y ont pris les services administratifs et les travaux d'utilité publique, sa situation à un débouché de toute une région relativement peuplée et à l'escale de nuit du chemin de fer lui conserveront, à coup sûr, son importance économique actuelle ; sa position centrale par rapport à toute la Guinée et son climat particulier lui assureront peut-être un jour un rôle plus considérable encore. Après avoir fait l'anatomie sommaire de la ville, il convient d'en analyser les bases de la vie sociale :

et de montrer comment se comportent et quelles impressions ressentent ceux qui y vivent.

Climat.
Le climat de Mamou qui n'est pas le même que celui des autres points du Fouta-Djallon, a donné lieu à maintes discussions, notamment lorsqu'on s'occupa de l'emplacement de la ville centrale. Certains, et des plus compétents, l'estiment plutôt malsain ; beaucoup d'autres, et des plus autorisés, le donnent pour un des meilleurs de la colonie. Les premiers lui reprochent des brouillards abondants pendant une grande partie de l'année, une humidité froide, funeste à qui arrive anémié du littoral ou du Soudan, des amplitudes de températures durant la saison sèche, toutes choses nuisibles aux coloniaux et favorables à la fièvre paludéenne. En fait, presque tout le monde est impaludé à Mamou.

L'autre parti déclare que la fraîcheur des nuits de saison sèche et des journées d'hivernage sont des agréments appréciables en Afrique tropicale ; que les brouillards ne s'élèvent guère des fonds humides et que, s'il y a du paludisme, on y résiste mieux parce que la chaleur y est moins anémiante.

De mars à mai, c'est la saison chaude, les soirées sont lourdes, la température atteint dans la journée 35° et plus. Les matinées sont encore relativement fraîches, des tornades sèches annoncées par un calme étouffant et surchargé d'électricité se résolvent en grand vent et en poussière. En mai éclatent les premières fortes tornades, qui deviennent progressivement quotidiennes en juin. Le vent et la foudre, puis la pluie, font rage pendant plusieurs heures ; ensuite l'orage s'en va suivi de quelques coups de tonnerre effroyables. La température dépasse rarement 26° à 28° mais même pendant la pluie, ne tombe pas au-dessous de 20° à 22°. En juillet et août, il pleut presque, tous les jours, moins violemment que pendant les tornades ; la température s'abaisse, il ne fait pas plus de 25° ; et l'on a quelquefois +18° seulement. L'humidité est telle que l'on est heureux d'avoir quelquefois du feu dans les cheminées que la prévoyance administrative a installées dans les logements des fonctionnaires. En septembre, les tornades redeviennent fréquentes ; la nuit, l'orage tient éveillé, l'esprit tendu et le corps las ; la foudre tombe maintes fois ; les grondements déchirants du tonnerre se répercutent à l'infini dans les montagnes.

Pendant tout l'hivernage, les fonds suent l'humidité et se couvrent de brouillard dès le coucher du soleil. Avec les premières pluies, les flancs brûlés des collines se revêtent d'un gazon qui se change bientôt en une brousse drue, haute de plusieurs mètres, où les pistes disparaissent. Il fait bon tant qu'il pleut, mais aussitôt que le soleil donne, une buée étouffante s'élève du sol.

En octobre, le ciel n'est plus constamment couvert ; le matin, l'air est plus transparent, un vent frisquet tonifie l'épiderme, les oiseaux semblent chanter plus gaiement. La bonne saison s'annonce et il est grand temps, car c'est l'époque des accès de fièvre et de l'anémie. En novembre, il ne pleut plus ; des brouillards voilent tout, matin et soir. Les grandes herbes de brousse jaunissent, les arbres se dépouillent et certains matins, quand la brise rougit le nez et les doigts, alors que la nuée opaline pâlit le disque solaire et qu'on exhale en respirant de la buée, on petit se croire bien loin de l'Afrique en France, par une belle journée d'automne.

De décembre à février enfin, c'est la saison fraîche et sèche, le thermomètre ne dépasse jamais +15° la nuit et descend parfois au-dessous de 4°. Il fait presque froid jusqu'à 10 heures du matin ; la température s'élève surtout quand souffle l'harmattan, le vent chaud de l'Est ; mais rarement il y a plus de 30° et c'est une saison vraiment agréable pour l'Européen.

Pour celui qui a supporté quelque temps l'humidité lassante et le ciel plombé de Conakry c'est une surprise délicieuse que ces matinées claires et piquantes, avec leurs petits nuages blancs dans le ciel bleu et leurs bruits pastoraux tout pareils à ceux d'une campagne française.

Organisation administrative
L'importance numérique de la population européenne ou assimilée de Mamou et sa situation de poste de transit y créent une besogne considérable qui, en dehors de quelques services techniques, incombe presque entièrement à l'administrateur et à son personnel. Les bureaux du cercle possèdent actuellement, outre l'administrateur et l'administrateur adjoint, trois adjoints ou commis et un écrivain des Affaires indigènes. L'un des commis ou adjoints est commissaire de police et huissier, un second est magasinier chargé du transit et le troisième doit s'occuper plus particulièrement du recensement. Un autre adjoint, des affaires indigènes, qui doit être remplacé sous peu par un agent comptable, exerce la fonction de préposé du Trésor. L'énumération des services dont l'administrateur et son personnel assurent l'exécution sera plus éloquente que toute explication :

Outre ces attributions qui incombent plus spécialement aux bureaux du cercle, Mamou possède des services techniques importants dont voici la liste et les fonctions :

Ainsi, les Européens trouvent à Mamou à peu près toutes les institutions publiques qui peuvent leur être utiles. Beaucoup des fonctions énumérées appartiennent à tous les administrateurs coloniaux en service en Guinée et ne sont pas particuliers à la ville ; elles y ont pris seulement une extension qui témoigne de l'importance prise par cette cité nouvelle. Mais, en outre, on y trouve un embryon d'organisation municipale.

En dehors des commissions des patentes et des concessions, ladministrateur est assisté, dans sa gestion, d'une commission consultative et d'une commission d'hygiène.

La commission consultative (arrêté du gouverneur général du 5 juin 1909) se compose de l'administrateur, président, de trois notables commerçants français et d'un notable indigène, titulaires ou suppléants, nommés par le gouverneur. La commission d'hygiène (décision du lieutenant-gouverneur du 8 juillet 1909), composée de l'administrateur, du médecin et de deux notables français, s'occupe plus particulièrement des questions intéressant la salubrité de la ville.

Dans certains cas, elle peut demander la démolition des bâtiments qui constituent un danger pour la santé publique. Quant à la commission consultative, elle peut délibérer sur les questions relatives au marché, au commerce, aux travaux urbains, sur les projets de règlements de police et toutes les propositions qui lui sont soumises par l'administrateur et qui sont préalablement inscrites à l'ordre du jour.

On est encore loin d'une municipalité élue et même d'une commune mixte ayant sont budget. Pourtant les ressources de Mamou :

lui permettraient de s'administrer financièrement elle-même. Jusqu'à présent ce sont les fonds du budget local qui l'ont dotée de son outillage que bien des centres coloniaux d'Afrique peuvent lui envier. Une voie Decauville, mise gratuitement à la disposition du commerce, parcourt toutes les rues longitudinales, depuis la gare jusqu'à l'atelier des Travaux publics, au sommet du plateau.
Une conduite, qui a été établie avec la participation du chemin de fer, amène dans la ville l'eau captée à des sources distantes de 7 à 8 kilomètres de la ville ; elle dessert les bâtiments administratifs et alimente la gare et des bornes-fontaines placées à presque tous les carrefours.
Une poudrière, située à une certaine distance de la ville, dans le prolongement de la rue du Commerce, est mise à la disposition des commerçants moyennant un droit de 2 francs par tonne de poudre et par mois. En parlant de l'outillage, il est juste de rappeler que la ville doit son existence au rail qui permet de franchir en un jour une distance, qu'on mettait deux semaines à parcourir il y a dix ans, et aux routes et aux ponts qui lui ont facilité les relations avec le Fouta-Djallon et une partie du pays de Farana.

Conditions économiques

Commerce

La vie commerciale de Mamou consiste essentiellement dans l'échange plus ou moins direct des produits d'exportation qu'apportent les indigènes contre les articles importés qu'amène le chemin de fer. Des groupes de porteurs qui viennent parfois de plusieurs centaines de kilomètres, — il en est qui arrivent de Satadougou, dans le Haut-Sénégal et Niger, de Mali et de Touba, de l'autre côté du plateau du Fouta — se grossissent tout le long du chemin et finissent par former des files de trente à quarante hommes chargés chacun de 5 à 20 kilogrammes de caoutchouc en boules ou de peaux de bœufs séchées au soleil.

Pendant la saison de traite, de décembre à juin, il entre par jour 2 à 4. tonnes de caoutchouc, qui est vérifié au poste où les boules sont coupées pour éviter la fraude. Des indigènes arrivent aussi par le train de la Haute-Guinée et des régions intermédiaires, qui viennent chercher à Mamou un prix meilleur que celui qui leur est offert chez eux.

En 1911, 679 tonnes de caoutchouc ont été expédiées de Mamou à Conakry. Ce chiffre comprend la gomme envoyée en gare par les commerçants installés à Labé et à Pita et 135 tonnes venues par voie ferrée des gares de Dabola, Bissikrima et Kouroussa. Dans la ville même, ce caoutchouc est acheté et revendu plusieurs fois ; et cette circulation donne lieu à des fraudes qu'il est matériellement impossible de poursuivre ; les acheteurs ne portent pas plainte parce qu'ils craignent de perdre leurs fournisseurs, et il est extrêmement difficile de prendre en flagrant délit celui qui, dans sa maison et presque toujours la nuit, fait tremper les boules ou les expose, dans une passoire à la vapeur d'une marmite d'eau bouillante pour en augmenter le poids. L'exportateur devrait refuser d'acheter tout caoutchouc portant trace de mouillage ou de fraude ; seulement, tenu par des marchés passés dans la métropole, il est obligé de livrer coûte que coûte. Il peut arriver que des indigènes apportent des boules mélangées de terre ou contenant des cailloux, mais la surveillance exercée à l'entrée de la ville par l'administration et surtout la propagande officielle faite sur les instructions du gouverneur pour la préparation de la gomme en plaquettes réduisent à rien ce genre de fraude.

Les peaux (490 tonnes expédiées à Conakry en 1911), l'ivoire (1.047 kilogrammes en 1911) font également l'objet d'achats aux indigènes. En échange des produits apportés, les Noirs reçoivent :

Entre indigènes les plus fortes transactions portent sur :

La différence entre les chiffres des arrivages et ceux des ré-expéditions donnerait la consommation de tout le pays que Mamou dessert, ou des approvisionnements faits en vue de cette consommation. En outre, il faut mettre en ligne de compte le bétail, dont le commerce se fait surtout par terre, entre le Fouta, les pays Soussou et le pays de Sierra-Leone et pour lequel il n'est pas possible de donner des chiffres précis. Sur le marché on voit des centaines de têtes de gros et de petit bétail chaque jour, mais les apports et les demandes varient selon que les récoltes sont bonnes ou mauvaises et que les Peuhls, qui se défont difficilement de leurs animaux, sont plus ou moins pressés par le besoin.

L'exercice du commerce est soumis à certaines conditions : les commerçants installés ont à payer une patente variant de 50 à 750 franc. Les chefs de caravanes et les dioulas doivent se munir chaque année d'une carte de circulation coûtant 5 francs et les revendeurs du marché payent un droit de place journalier ou un abonnement mensuel forfaitaire de quelques francs.

Si Mamou a pris un gros développement commercial, il n'en est pas de même de l'agriculture et de l'industrie locale.

Agriculture

Dans le cercle deux Européens seulement ont des concessions agricoles de grande étendue, l'une dans la banlieue immédiate, l'autre à 23 kilomètres de la ville ; il n'y font que commencer les travaux de mise en valeur. Pourtant, ces exploitations rapportent dès à présent à leurs titulaires grâce à la production des plantes potagères. D'autre part, presque tous les Européens ont un jardin ; le directeur de l'hôtel possède sur la rive gauche du Mamou un grand potager en pleine production. Le climat et la nature des terrains, la possibilité, d'avoir de l'eau et de l'engrais sont des éléments particulièrement favorables aux légumes d'Europe, et, en fait, ceux qui ont une certaine expérience de leur culture peuvent obtenir des résultats splendides. Les primeurs les plus délicates, comme les choux-fleurs, les artichauts, les asperges, les salsifis, les haricots verts, les petits pois, les fraises, etc., viennent en abondance et superbes de qualité. Cependant, malgré les facilités que donnent les tarifs spéciaux du chemin de fer, les Européens de Conakry sont souvent privés de vivres frais et en achètent aux bateaux de passage venant d'Europe. Les envois que font au chef-lieu les colons de Mamou sont-ils insignifiants ou bien les vendeurs de Conakry n'y trouvent-ils pas leur compte ? On ne sait. A moins que messieurs les cuisiniers qui achètent souvent trop à leur guise n'aient une préférence marquée pour les boîtes de conserves, qui ne demandent ni épluchage ni préparation !

Industrie

La seule industrie urbaine qui ait pris quelque importance est celle des tailleurs. On vient de la brousse s'habiller à Mamou et petit à petit, les vêtements cousus à la machine remplacent les boubous foulas aux teintes bleu passé et aux bordures blanches. Naguère, le coton cultivé autour des cases était filé, puis tissé en bandes étroites, sur un métier primitif ; les bandes, teintes à l'indigo, étaient cousues patiemment. Il fallait des mois entiers pour faire un costume, mais, râpé et rapiécé, il durait une vie entière. Maintenant les indigènes achètent à toutes les fêtes un boubou neuf, splendide et luisant d'apprêt ; le tailleur le livre en une journée; mais l'apprêt lavé, le pauvre boubou n'est plus qu'une loque.

Les autres industries du pays se rapportent presque exclusivement à la parure :

Ces dessins trouvent chez les Soussous les plus sérieux amateurs. Les Foulbé, eux, préfèrent les costumes unis, d'une sobriété plus élégante. Certains ont d'amples manteaux blancs damassés, brodés à jour de risaces, de spirales, de flèches en fil beige aussi finement qu'il est possible. Ils portent presque tous la calotte de toile bordée de grecques ou de lettres arabes en fil noir.

Ce sont les hommes qui exécutent ces travaux minutieux. A l'approche des fêtes on les voit partout assis et l'aiguille à la main, tandis que les femmes et les enfants, courbés sur le sol, préparent à la houe les buttes pour les patates et les sillons pour le riz, ou ramassent les arachides

Population

L'élément indigène qui domine dans le cercle est composé de Foulbé, Peuhls plus ou moins métissés, divisés en castes très différentes d'aspect, islamisés depuis plus d'un siècle. Travailleurs descendant d'anciens captifs, agriculteurs ou pasteurs au teint clair, à l'humeur farouche, ou nobles personnages ayant pour ancêtres les conquérants du pays, tous dépendaient naguère de l'almamy alfaya, Oumarou Bademba, qui quitta Timbo en 1908 pour résider à Mamou. Oumarou Bademba, qui vit encore, a son « gallé », ses cases et celles de ses proches, sur la hauteur, à une petite distance de la résidence. C'est lui qui conclut, en 1897, avec le gouverneur général Chaudié, le traité de protectorat qui, définitivement, nous fit maîtres du Fouta-Djallon. Sa fonction ayant donné lieu à certains abus, elle fut supprimée l'an dernier. Il n'est plus que titulaire d'une rente servie par le gouvernement local.
Vieux, borgne, coiffé de petites nattes à la manière des vieux Foulbé, porteur d'une petite barbiche blanche, l'oeil rusé, il n'est plus très allègre, mais il a conservé une grande partie de son prestige de chef religieux, couronné Almamy et commandeur des Croyants en 1896, à Timbo et à Fougoumba 3.

Aux jours de fêtes musulmanes, un cortège de fidèles l'entourent ; quand il se rend à la Grande Prière, il est suivi de musiciens jouant du « kalandé » (petit violon) et d'une sorte de luth, de griots criant à tue-tête des récitatifs élogieux, de frappeurs de « tabala,» gros tambour en forme de timbale qui était l'attribut du commandement, et il figure au premier rang du Salam, revêtu du caftan vert des kalifes.

Il est le représentant des vieilles traditions, et il passe son temps à lire des ouvrages de dévotion.

Modi Ibrahima Sory

C'est son fils, âgé de trente-sept ans, à l'oeil perçant, la lèvre rasée, la barbe effilée en deux longues pointes, l'allure aristocratique. Moins inféodé au passé que son père, il nous est plus dévoué et comprend mieux nos idées que lui. En utilisant son ambition et sa vanité, on peut obtenir de lui les plus grands services. Froissé dans son orgueil, il deviendrait pour qui l'a berné un ennemi dont la haine ne se manifesterait jamais en face, mais qui serait impitoyable ; il nous a été d'un grand secours dans les débuts, de notre occupation du Fouta. Aujourd'hui, il est le chef du village indigène de Mamou et de la partie du cercle qui constituait autrefois le pays soumis directement aux Almamys.

Son cousin, Sory Dara

Chef du canton de Téliko, représente la jeune génération. Agé de vingt-cinq ans, il a reçu l'enseignement de l'école primaire de Conakry. La connaissance de notre langue lui a ouvert l'esprit à toutes les nouveautés modernes ; il lit toutes les publications françaises qu'il peut trouver, et il n'ignore rien des dernières inventions européennes. Son grand désir est de venir en France, pour voir toutes les merveilles dont il a eu un aperçu, mais il a la soif de commander et l'ambition le retient, comme elle retient l'activité de presque tous ses congénères.
Combien d'intrigues se nouent et se multiplient autour de la résidence dans ce pays de gens astucieux, subtils, qui n'ont qu'un désir : être chefs !

Pourtant, on arrive à les intéresser à l'amélioration de leurs cultures où de leurs troupeaux. Ils ont suivi avec un intérêt évident les essais de rizières irriguées et de labours entrepris à la station agricole et il semble qu'on pourrait utilement diriger dans cette voie leur intelligence et leur aptitude au commandement.

A côté des principaux notables laïques il faut citer le vieux Karamoko Boubakar Koumi, fin lettré et savant juriste, qui dirige la grande prière aux fêtes de l'Islam ; il sourit toujours, est d'une politesse extrême, comme du reste, tous les membres de cette aristocratie foula qui possède un instinct merveilleux dut savoir-vivre, et il fait figure de grand ami des Français. Il faut citer aussi Ali N'Diaye, l'interprète, mi-sénégalais, mi-nalou, un peu lourd et rhumatisant, aux allures de vieux sacristain avec sa calotte ronde, sa face rase et les vingt vêtements dont il s'engonce, qui a été un de nos auxiliaires de la première heure. Nul ne sait compter comme lui dans un jargon impayable autant d'anecdotes sur l'histoire du pays avant et depuis l'occupation. Ali N'diaye, Modi Aliou pour les indigènes, fut le successeur de Babadi, de tragique mémoire 4, dont on a pu voir le portrait, au Salon des Beaux-Arts cette année.

Nos meilleurs serviteurs sont les vingt gardes de cercle et leur sergent, la plupart anciens tirailleurs blessés et médaillés aux côtés de nos officiers dans les campagnes du Soudan. Bambaras dévoués et infatigables, ils sont occupés jour et nuit par le service du poste et de la ville. Et l'on n'oublie pas l'élite d'entre eux :

Un clairon, récemment revenu du Maroc, les fait manœuvrer aux sons des fanfares les plus variées et des sonneries les plus « fantaisie ». Ce clairon, qu'on entend de toute la ville, parait régler la vie, active extraordinairement, de ce coin de pays. Après le réveil qu'accompagnent le chant des coqs, le bêlement et le mugissement des bestiaux, le roucoulement des tourterelles, le glou-glou chromatique des coqs de Pagode, les cris aigus et scandés de cet oiseau qui semble inviter chacun au déjeuner.. c'est cuit !... c'est pas cuit!... c'est cuit !... c'est pas cuit!...

Mamou secoue le silence de la nuit et, bientôt les appels au travail retentissent de partout : sifflet à vapeur des ateliers de la gare, comme des Travaux publics, bruit du rail suspendu qu'on frappe au Jardin d'essai, son sourd de la tabala du service zootechnique, cloches des factoreries

Les locomotives sifflent et les deux trains de voyageurs, puis les deux trains de marchandises partent en haletant. A sept heures et demie, le salut au drapeau annonce l'ouverture des bureaux, les boutiques s'ouvrent, jusqu'à midi le mouvement règne . Deux heures de calme pour le repas et la sieste et l'agitation reprendra dans la ville jusqu'au moment du coucher du soleil pour se continuer et s'éteindre enfin dans le village des Noirs.

Parmi les Européens, les avis sont très partagés sur l'agrément de cette ville nouvelle. Ce n'est plus le chef-lieu avec ses distractions, sa société organisée, son confortable acquis, qui permettent d'y retrouver presque intégralement le monde de l'Europe. Ce n'est pas non plus la brousse, le poste où l'on est presque seul, où le confortable manque, où en échange on a une liberté presque absolue.

Les commerçants habitent à Mamou des maisons de tôle qui les défendent mal des excès de la chaleur et du froid, mais ils sont généralement leurs maîtres. Les fonctionnaires ont des logements bien construits, mais les détails de la besogne administrative et les soucis qu'elle peut donner sont beaucoup plus nombreux qu'ailleurs l'administration du centre donne lieu à une quantité de lettres, de copies et d'enregistrements qui n'existent pas dans un poste de brousse. Les affaires urbaines, plus complexes, plus délicates, absorbent l'administrateur, auquel il ne reste qu'un temps très limité pour s'occuper de ce qui fait l'intérêt particulier de sa profession : les affaires indigènes et les tournées.

Aussi, en général, les célibataires préfèrent la grande brousse où l'on a davantage ses aises, où les heures de bureaux sont moins impératives. Par contre, les ménages soucieux de plus de confortable et de plus de sécurité, ceux qui se complaisent à la vie de bureau aiment mieux un tel poste.

Les distractions sont rares; il en existe néanmoins ; un tennis a été construit dernièrement à la résidence et l'amabilité de l'administrateur peut faire beaucoup pour la cordialité des relations. Les fêtes officielles réunissent tous les Européens, et l'expérience a montré qu'elles pouvaient avoir beaucoup d'éclat et de gaieté. Les fêtes indigènes présentent de l'intérêt ; au 14 Juillet la générosité des habitants permet d'organiser des jeux et des concours nombreux et réjouissants. En 1911, une course de chevaux groupa plus de vingt-cinq partants. Un des plus sérieux reproches qui sont adressés à Mamou, c'est l'incommodité des promenades. La défectuosité des rues et leur déclivité rend la circulation fatigante et la société casanière. Les tours de cinq heures, éléments presque indispensables de la vie coloniale, ne peuvent trouver comme but que la gare ou la station agricole. Il y aurait bien d'autres buts de sortie, au village indigène, ou sur la route de Farana, plus loin encore, à la dent de Sèré et au village de Téliko, mais la latérite rugueuse ennemie des chaussures est par trop rebutante.

Finalement on se contente d'aller faire une partie de bridge au café ou chez son voisin. Les chasseurs peuvent, s'ils sont matinaux, rencontrer des perdrix, des pintades, des biches, parfois, des lièvres et des phacochères dans les pays boisés avoisinants.

Un des grands éléments de bien-être moral est la fréquence des visites que l'on peut recevoir. Tous les Européens dont la résidence est en Haute-Guinée ou au Fouta s'arrêtent à Mamou au moins une nuit, souvent plusieurs jours, à l'aller comme au retour. Même on voit passer quelques fonctionnaires ou commerçants du Soudan lorsque la baisse des eaux du Sénégal rend trop longue la route du fleuve. Et tous ces passagers apportent des nouvelles fraîches de toute la colonie et de la France. On ne voit pas toujours les même visages, on cause, l'esprit n'est pas borné aux mêmes horizons et l'humeur se maintient plus égale. Souvent même des voyageurs de marque, en tournée d'inspection ou d'agrément, des touristes allant en excursion au Fouta-Djallon et au Soudan, à la chasse des grands fauves, passent et s'arrêtent.

La fraîcheur relative du climat est un autre facteur de la bonne santé morale, un préventif de la fâcheuse « soudanite » ; on a remarqué bien souvent que l'acrimonie des mécontents se montrait plus agressive quand le thermomètre s'élevait ou quand l'électricité surchargeait, l'atmosphère.

Aussi l'ambiance de Mamou est généralement cordiale et les voyageurs en sont agréablement impressionnés, plus que de l'aspect de la ville même qu'on pourrait baptiser le pays de la tôle et du roc.

L'altitude de la région, les quelques mois de bonne saison ont fait envisager la possibilité d'y installer une sorte de sanatorium où l'on viendrait échanger d'air des différents points de la Guinée et peut-être de l'Afrique Occidentale. Sa position vers le milieu de la colonie, au débouché d'un pays peuplé et d'une grande importance politique, le Fouta-Djallon, a même permis de prévoir que si le progrès de la colonie, le déplacement vers l'intérieur de son axe économique et politique rendait utile le transfert du chef-lieu en un point plus central, Mamou pourrait bien être l'emplacement choisi.

Voilà donc un centre, né hier, point de traite aujourd'hui considérable, demain peut-être capitale, qui a surgi en quelques mois du sol, comme ces villes de Californie et du Transvaal où affluaient les mineurs, poussés par la soif de l'or. Mais ici, ce n'est pas un hasard qui a engendré la cité; c'est l'oeuvre réfléchie de notre pays, la collaboration du rail, de l'administration et du commerce, la prévoyance et la volonté de ceux qui agissent au nom de la France en Afrique Occidentale Française.

Paris, 15 mai 1912

P. Humblot
Administrateur-adjoint des Colonies.

Notes
* Publiés par le Comité de l'Afrique Française et le Comité du Maroc
1 Il ne se passe guère de mois où il n'y ait point de naissance ou décès dans la colonie syrienne. Quatre petits Français sont nés depuis deux ans à Mamou et un mariage y a été célébré.
2. Il y a eu 4 conscrits à Mamou en 1911.
3. Le titre d'almamy, en arabe « El Imam », le conducteur de la Prière, est un titre qui a été pris par tous les chefs indigènes de Moyenne et de Basse-Guinée. En réalité ce nom était spécial au chef de l'Empire musulman du Fouta-Djallon, qui s'étendit par la guerre sainte de 1802 à 1896 sur presque toute la Guinée française actuelle et une partie de Sierra Leone. L'almamy était chef temporel et Commandeur des Croyants.
4. Babadi était l'interprète qui accompagnait l'administrateur Bastié, quand celui-ci fut assassiné dans cercle de Pita, en 1909.


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